faire n’importe quoi, jouir

mardi 8 novembre 2011 , 10:57

Le discours capitaliste moderne n’a rien à voir avec ce que notre gauchisme sexuel d’antan appelait la morale bourgeoise. Son impératif catégorique en matière d’éthique est : Jouis!
Ph. De Georges, Ethique et pulsion

Fais n’importe quoi. Point. Sans conditions. Fais absolument n’importe quoi. [1]
Thierry de Duve, Au nom de l’art,  “Fais n’importe quoi”, p. 129

 

  • Impératif catégorique (capitaliste, selon PhDG) : Jouis !
  • Impératif catégorique (de l’art, moderne, selon TdD, et en réponse au capitalisme) : Fais n’importe quoi !

 

L’impératif catégorique, c’est l’impératif du jugement. Faire de l’art, c’est juger de l’art, trancher, choisir. “Faire quelque chose – dit Duchamp – c’est choisir un tube de bleu, un tube de rouge, en mettre un peu sur sa palette, et toujours choisir la qualité du bleu, la qualité du rouge, et toujours choisir la place sur laquelle on va la mettre sur la toile, c’est toujours choisir… Le choix est la chose principale, dans la peinture, même normale”.
Ibid., p. 138.

Et, pp. 133-134 :

Il y va, disais-je il y a un instant, de l’universalité de la loi, de l’universalité de l’art, de l’universalité de l’impératif catégorique “fais n’importe quoi”.
[…]
Il est entendu également que l’impératif catégorique kantien n’énonce aucun contenu de la loi, mais qu’il prescrit la conformité de la maxime à l’universalité d’une loi en général. Comme le dit Jean-Luc Nancy : “La loi prescrit de légiférer selon la forme de la loi, c’est-à-dire selon la forme universelle. Mais – ajoute-t-il – l’universalité n’est pas donnée” (Jean-Luc Nancy, L’impératif catégorique, Flammarion, Paris, 1983, p. 24). Si, comme je le soutiens, “fais n’importe quoi” est bien un impératif catégorique, alors il faut aller plus loin et dire que l’universel est impossible, ou que l’impossible est aujourd’hui la modalité de l’universel. La phrase “fais n’importe quoi” ne donne pas le contenu de la loi, seulement le contenu de la maxime. Et encore ce contenu est-il quelconque et ne devient-il déterminé que par l’action qui met la maxime en pratique. Cela ne prescrit qu’une forme conforme à l’universel dans les conditions radicales et finales de la finitude. Et cela signifie : conforme à l’impossible.

~
des années que je me  coltine ce « n’importe quoi » de Thierry de Duve, et que je ne m’en dépatouille pas. C’est lui, qui m’a mis la puce à l’oreille du « n’importe quoi », qui m’a instillé ce syntagme. je ne cesse depuis d’essayer de le penser, et je n’y arrive pas. « Fais n’importe quoi », impératif catégorique, absolument sans condition = conforme à l’impossible. L’impossible, c’est, ce serait, l’impossible de l’universel. Expression là de ce qui m’attire dans cette proposition de Thierry de Duve. De ce qui là m’aimante. Le « n’importe quoi » seul permet de rendre compte de l’impossibilité de l’universel.

j’ai naturellement pensé le « n’importe quoi » en le rapportant à la pulsion. la pulsion freudienne, la pulsion lacanienne, celle sans queue ni tête,  qui se saisit de n’importe quel objet. La pulsion à laquelle lacan, à un moment au moins de son enseignement, entend rapporter l’éthique de la psychanalyse. une éthique conforme à l’impossible, conforme au réel.

mais je n’ai pu m’empêcher de chercher de traquer une restriction à ce « Fais n’importe quoi »  en lui ajoutant : non pas sans connaissance de cause (ce ne sont pas là des choses que je suis jamais arrivée à réfléchir, ce sont des choses, des phrases, qui se sont imposées à moi).

or, c’était là ignorer la condition d’inconditionnalité de l’impératif que souligne Thierre de Duve.

« Il ne l’est pas, inconditionné, mais il faut qu’il le soit ».

Il faut qu’il le soit. Là, se situerait l’éthique de la pulsion. Dans ce savoir de l’in-savoir.

Et aussi dans une parade au fantasme, le fantasme qui arrête le sujet, le fait souffrir, et surtout le fait vivre, lui permet de vivre dans le mensonge, ou à tout le moins le démenti. le fantasme est ce qui met des voiles sur l’impossible. le camoufle. or le réel en jeu dans le fantasme, non pas le réel de la chose cachée, occultée, mais de la solution de  ce que le fantasme offre comme solution, parade à cet insupportable, ce réel n’est pas plus réductible que ne l’est celui qu’il tente d’occulter. il y a réponse du réel au réel. réponse particulière du réel au réel.

j’ai donc voulu supposer croire que le privilège accordé par lacan à la pulsion, tenait simplement à ce que la pulsion, une fois « libérée » des entraves du fantasme, pouvait simplement se trouver de plus nombreuses voies et plus agréablement, vivement, empruntées. que la connaissance de cause permettait permettrait de jouir consciemment là où auparavant ça jouissait malheureusement. j’ai pensé qu’à traquer la répétition, à traquer ce qu’elle traque, à la nommer, à trouver à la nommer, à aussi réaliser la part de responsabilité qu’on prend à son propre malheur, on irait vers cette volonté qui se découvre au cœur même de la répétition, volonté-même que pour ma part je bénis, qu’on apprend à respecter, oui, à laquelle on est bien obligé de rendre grâce.

et moi donc qui ne  suis pas sans avoir de difficultés avec le désir, qui ne suis pas sans pâtir de la répétition, cette répétition n’étant forcément pas sans être marquée d’un Un particulier qui veuille se répéter, dans mon désir d’éclaircir ce qu’il en est pour moi du désir, – aussi parce que ça a été là pendant bien longtemps l’impératif au cœur de l’enseignement de lacan et par quoi  il s’est imposé à moi : pas sans connaissance de cause de ton désir – , d’éclaircir donc ce qui ferait la matière du mien, si tant est que j’en ai, je n’ai pu m’empêcher de me rappeler, je n’ai pu empêcher que me revienne constamment à l’esprit ces termes de lacan concernant la « conditionnalité absolue du désir ». on voit alors ici, assez classiquement se confronter pulsion et désir, jouissance et désir. est-il vrai que la pulsion se saisisse de n’importe quel objet? elle se saisit certainement de n’importe quel objet au regard de l’idéal. et tout d’un coup on ne sait même plus ce qu’est l’idéal.
~

la condition absolue du désir ( tandis que l’inconditionnel de l’amour, tandis que l’inconditionnel de la pulsion)

si l’on y croit, à cette condition absolue, si l’on y croit en tant que cause, alors

et cette condition absolue du désir dispose de cette qualité d’être impossible

et en tant que telle aurait très bien pu s’offrir comme condition du n’importe quoi puisque conforme à l’impossible, particularité absolue, absolument opposé à l’universel,

voilà,

Notes:
  1. Et le « fais n’importe quoi » n’est jamais inconditionné mais il faut qu’il le soit. A l’universalité de l’échange, la loi de la réalité, il faut opposer, muette et incompréhensible, la loi de la nécessité qui est aussi nécessité de la loi. L’impératif « fais n’importe quoi » est un impératif catégorique. []
2 Fév 2006 @ 9:10 | Commentaires fermés sur faire n’importe quoi, jouir | catégorie: le n'importe quoi