Deucalion et Pyrrha : Métamorphose de pierres en humains (1, 313-415)

« Éloignez-vous du temple,
voilez-vous la tête, dénouez la ceinture de vos vêtements
et jetez derrière vos dos les ossements de votre grande mère. »

Ils restèrent longtemps interdits. Et Pyrrha, rompant le silence,
prend d’abord la parole ; elle refuse d’obéir aux ordres de la déesse
et d’une voix tremblante implore son indulgence : elle redoute
d’outrager l’ombre de sa mère en jetant ses os en tous sens.
Cependant, tous deux repensent aux paroles obscures de l’oracle
au sens secret et caché ; ensemble ils les tournent et les retournent.
Puis le fils de Prométhée apaise la fille d’Épiméthée
et la rassure par ces paroles : « Ou mon intuition m’abuse,
ou les oracles respectent la piété et ne conseillent pas un sacrilège.
La grande mère est la terre ; les pierres dans le corps de la terre,
ce sont, à mon avis, ses os, que nous devons jeter derrière nous. »
Bien qu’ébranlée par l’interprétation de son époux, la Titanienne
hésite cependant à espérer, tant tous deux restent défiants
devant les avis des dieux ; mais quel mal y aurait-il à essayer ?
Ils descendent, se voilent la tête, dénouent leurs tuniques
et sur leurs pas, derrière eux, selon l’ordre reçu, lancent les pierres.
Ces pierres – qui le croirait, si l’antiquité n’en témoignait ? –
commencèrent à perdre leur rigidité et leur raideur,
à ramollir progressivement et, une fois ramollies, à prendre forme.
Bientôt, quand elles eurent grandi et pris une nature moins dure,
une certaine forme humaine put sans doute apparaître,
non évidente toutefois, mais comme des ébauches de marbre,
pas assez achevées et très semblables à des statues grossières.
La partie de ces pierres pourtant, constituée de terre mêlée
à des sucs humides, est métamorphosée pour servir de corps ;
la partie solide qui ne peut être pliée se change en ossements ;
ce qui naguère était veine, reste veine, et conserve donc son nom.
En très peu de temps, par la volonté des dieux, les pierres
que lancèrent les mains de l’homme prirent un aspect masculin
et celles jetées par la femme firent reparaître une femme.
C’est pourquoi notre race est dure, rompue à l’effort ;
et nous prouvons ce qu’est l’origine de notre naissance.

OVIDE, MÉTAMORPHOSES, LIVRE I [Trad. et notes de A.-M. Boxus et J. Poucet, Bruxelles, 2005] L’humanité renouvelée (1, 253-415) Le déluge

5 Juil 2009 @ 14:00 | | catégorie: blog note