1. BAPTISTE

Publié le Catégorisé comme brouillonne de vie Étiqueté
Andrea Mantegna (Isola di Carturo, vers 1431 - Mantoue, 1506) La Crucifixion, dite Le Calvaire

Andrea Mantegna (Isola di Carturo, vers 1431 - Mantoue, 1506) La Crucifixion, dite Le Calvaire

Une certaine entrée, rue de Vercingétorix. A vérifier. Peut-être.

Avec le temps, j’étais allée.

Elle s’était réveillée, ce matin-là, rideaux ouverts, se demandant, s’il n’était pas plus simple que ça, d’être femme. Dans le lever, marcher dans l’espace dont quelques chiffres sont donnés, connus : quatre mètres sur cinq, hauteur six. Quatre fois cinq fois six, égale cent-vingt mètres cube – chiffre d’apparence anodine, qui de rester en laisse en cette histoire ne devrait être cru laissé-pour-compte. Dont il est impossible de dire, dès ce premier abord, s’il restera diviseur – et reçue la portion congrue, tout était parti de là, tout d’elle, et ce matin sans hasard reprenait bien lointain matin, un bien lointain matin. Ou s’il deviendra quotient – 1, 2, 0, la faisant devenue, revenue. D’évidence toujours dividende – avec sa césure  y jouant office de centre, d’où il renaît toujours inlassablement, parcouru d’invisibles ouvertures sur l’infini. Et je ne sais comment il pourrait, il m’aurait, laissée en reste, comme si aucune jamais division n’aurait plus lieu, et qu’elle, que je, me flatterais de rester indivisible. Spéculations.

Couloirs. Glissades. Quand est-ce que  ça avait commencé? Est-ce qu’il  ne semblait pas que beaucoup de choses avaient changé, et c’était sans inquiétude. Elle allait la tête la première – c’est une image. La tête la première avançait dans l’inconnu. Encore une image : la tête la première « fourrageait ».

Nous pourrions devenir fourmis… Comme l’herbe est haute et belle et verte, j’aperçois le ciel, je ne sais pas quand la prairie s’arrête et où commence le champ aux blés d’or, celui à la danse si différente, je suis une très grande fourmi, je vois beaucoup de choses, j’ai de très bons yeux, aujourd’hui le ciel est radieux, c’est le matin et la rosée sèche lentement, s’il a fait mauvais hier, je n’en sais rien, je suis une fourmi, grande oui, mais une grande fourmi reste petite…

Couloirs, glissades, allez va ma tête, ma douce, fourrage. Ajouter que ce fourragement de la tête semble se faire dans un vagin.

Les épis de blés d’or, inconnus à la fourmi. La fourmi avance dans l’oubli.

Comme tu avancerais, écartant des mains, des bras, des jambes, du corps, de souples rideaux de velours couleurs de l’automne, tu connais ces noirs, ces bleus, ces rouilles violettes, tu avances dans la moire, tout est velours. Tu es bien. Ces rideaux, comme les cheveux d’une femme que tu ne connais pas, sans les dangers.

A l’instant te revient à la mémoire ce marron arrivé entre tes doigts, dans une cour d’école aux pavés gris et aux murs jaunes, ce marron que tu as frotté à ta cuisse, sur le pantalon ou la jupe, tu ne savais ce que tu faisais, cela peut être appelé intuition, tu as découvert le mystère de la couleur et de la matière et l’implication étrange où tu te trouvais par rapport à elles.

Tu aurais fermé les yeux, tout est blanc. Que s’ajoutent au lointain les carillons d’une chapelle que tu sais gothique. Il s’agit peut-être de parler d’émerveillement, de stupeur.

L’image de la tête la première dans un vagin, suspecte, la jeune femme aux allures moyenâgeuses réellement glissait de pied en cap dans des couloirs, et ces couloirs n’avaient rien de gluant ou autre…

La fourmi ne sait pas qu’elle est fourmi.

Le  vagin est rondeurs et courbes. Qui en elles-mêmes ne mènent nulle part, d’où viennent-elles? Il, le vagin, se prolonge. Le vagin, en ce qu’il enferme de vide avant de pénétrer l’inconnu, là où un autre corps, morceau de corps peut le rejoindre, est doux.

Et de voir cette fourmi avancer, aussi a quelque chose de doux.

Doux le vagin? Le grain de sa peau. Le con, élastique, ferme et matériel. Son caractère, ses humeurs. Le dedans. Dont elle était le hors.

Jeune femme pour l’instant, glissait, on peut s’avancer jusqu’à dire : marchait, dans des couloirs très naturels, non qu’un vagin ne le soit, naturel, mais on n’avance pas beaucoup dans des vagins, néanmoins je garde l’image : la tête la première dans un accueillant vagin, telle était sa déambulation dans ces couloirs qui n’avaient rien d’étonnant.

La danse de la prairie, la danse des épis de blé. Le vent dans l’herbe, entre les épis. Les tapis de couleurs, folie dans les longs épis, où nagent, s’embrassent ivres, le vent, le soleil; comme sagesse dans la prairie, où vent et soleil se jouent, s’entrecroisent, méticuleux, rient du plaisir de se rencontrer dans le détail, la finesse. Un éclat de verre, malgré la terre, souvenir d’un trésor, miroite des secrets. Les nuages époussetés par le vent, la force tranquille du soleil, mon regard.

Couloirs. Glissades. Quelle musique? Quelle lumière? Apparemment seule. Apparition solitaire. Elle émergeait au corps à chaque instant. Un travail de forge. Comme ces figurines de Giacometti, celles aux pieds joints. Suspendues dans l’être-corps. Mais il était dans son pouvoir de s’écrouler, d’être au sol, d’essayer l’assis, le coucher. Elle pourrait jouir. Dès qu’elle pourra se permettre de disperser son attention, elle pourra jouer, de toutes les positions. Les mouvements, les déplacements. D’air aussi. D’elle vers eux, en eux, par-dessus eux, sa voix va s’élargir, s’épandre encore, au-delà, depuis mon silence, je t’aime. Comme l’espérance est violente. Et me dit mentante.

Je tente cela : distinguer l’espace entre les nuages et la prairie, là où le regard se permet tous les naufrages – le dessein. D’ici c’est possible. Et c’est mon corps qui en trouve la vie. Merci. Je m’ouvre. L’écartèlement propice.

Couloirs, lieux de passage, là, elle se parlait à elle-même, se murmurait, s’est bue goulue, soûlée, enivrée, bercée de tendre.

Avec le temps, je m’en allais, j’étais heureuse. Sans enfant dans le ventre.  Toute dans ton œil. Son œil. Il n’y aurait sans doute plus qu’un seul problème à régler. Se confondait avec l’œil. Et le temps était avec moi. M’offrirait tout.

De l’extérieur, je vois : Toute dans ton œil, son œil, mais quel œil? Oh! j’étais pleine de confiance, sinon je ne  serais pas arrivée dans ces couloirs.

Et dans un souvenir à l’allure indécise, hésitante : la souris. Aurais-je ailleurs  parlé de fourmi? sotte j’étais, oubliez, d’une souris bien sûr qu’il s’agit. Elle est fatiguée. Se couche sur le flanc. Elle est couchée.

Son œil rouge, parce qu’elle est blanche, laisse échapper une larme, ses silences souricieux hurlent : Oh rat, oh grand rat, oh terrible rat, mange-moi.

Mais le rat passe, indifférent. Il s’est repu ailleurs d’autres roses chairs.

Le cœur de la  souris, bat, bat, bat, sous sa peau à poils. Il lui faudra du temps pour récupérer.

La coupe quand elle est pleine. Il tord  une serpillière imbibée de rouge. L’homme qui nettoie. A laissé la  fenêtre ouverte, se penche sur un seau. Ne se sait observé, par un enfant.

La coupe. Le sang.

Une coupe sur un autel. Un goutte à goutte. Plafond percé. Goutte à goutte. Comme ailleurs une épée de Damoclès, mais là, le goutte à goutte goutte. De sang. L’épée n’est jamais tombée. Débordera, débordera pas? A boire, quand pleine. Bat le sang.

Jouissance.

Un autel. Une chapelle. Tu y pénètres, cette lumière. Tes souvenirs se teintent de pigments inconnus mêlés de poussières. Tu crois aimer cette particulière suspension de l’air, les volumes translucides qu’ici il reçoit et dont ton regard caresse au passage les diagonales, pour se poser sur l’autel. Tu remercies le ciel, rien ne s’arrête. Tu es assise très proche du sol, les chaises sont basses. Tu rêves d’un amour. Bien sûr le long du mur, des confessionnaux. Et cette chapelle est pleine du dehors. Tu renonces au repos, malgré cela tu t’agenouilles, tu pries l’humilité. Ces derniers instants qu’enfantine tu t’accordes. Tu sais la vie vaste, comme tu sais au dehors toujours  le château sur la colline, et aussi le serein cimetière qu’à plaisir tu prévois de traverser, tout à l’heure, une dernière fois. Je sors. Dans les landes je crie un nom. Comment t’appelais-tu?

Les couloirs, les trouées engorgées les jours de pleurs.

Un certain temps, elle avait couru dans des couloirs, en cet instant peut-être. Toutes les humeurs.

Dans un de ses sommeils, elle était passée à travers une porte – une de celles qui  trouaient, les fermant ces couloirs. Après la porte, avait été découvert, l’espace. Confiné. De trois sur quatre, hauteur trois. Les dimensions ne seront pas toujours mentionnées, d’ailleurs pas toujours connues. Là, trois, quatre, trois. Deux joueurs de dés. Assis à terre. Souvenir d’un crucifié, éclair du souvenir, dans ses yeux. La  porte s’est refermée seule. Deux beaux joueurs de dés, assis au sol. Deux dés au sol, jetés. Six, quatre. Faces d’ivoire, pointillées d’ébène, deux carrés, six, quatre, dix. Frisson. Traverser la pièce, coup de vent, regard fenêtre, barreaux noirs. Sortir, frôler l’un des joueurs. Y retournerait. Cette impression. Oui, deux hommes.

Galope une souris blanche, voyez sa hâte, elle n’est pas cheval, ne peut d’une ruade presque au hasard, sortir du corps, dévier, l’exaspération, chanter.

Quelle est la couleur de la chair? Pourquoi, m’a-t’on indiqué quand j’étais petite de colorier en rose tout ce qui dépasse des vêtements. Quelle est la couleur de la chair?

Que dessine un enfant qui ne sait pas dessiner?

L’angoisse de ce rose.

La fourmi rencontre une tache de couleur fraîche. Elle y trempe avec délicatesse et attention, l’une de ses pattes. Elle frémit, se pâme, la jouissance est proche. Voilà la fourmi questionnée. Elle se détourne de la tache en boitillant. Peut-être perdra-t-elle sa patte. Mais elle retourne à ses occupations, le regard ailleurs. Prêt à se  perdre. La couleur de la tache : baccara, du nom de cette rose à la couleur infernale.

Dans de ces plus-tards, alourdis, attristés d’oublis, on la verra, au coin du feu, tricoter la souris,  elle aura mis ses lunettes, elle est impayable. Elle se dira  : « Ah! s’il m’avait tuée, s’il avait accompli mon destin. » Il lui restera toujours à traverser la désillusion. Quelle vie.

Possible que les femmes ne jouent pas?  Un soir j’ai entendu un homme, il avait tout l’air d’un homme en tout cas –  ça peut pas tromper, l’air – puis, il jouait, jouait aux dés avec d’autres hommes, il a dit : « Les femmes, faut pas jouer avec les femmes. Les femmes, ça  perturbent les tables de jeux. » Lancer le dé, interroger le hasard, s’interroger. Mais qu’avais-je moi, à interroger, ne savais-je déjà? Le sort réglé.

Je ne hasardais pas les jeux qui m’auraient désignée gagnante ou perdante. Sans mesure. Je choisissais les hommes qui perdraient à ma place. Je n’avais jamais joué jusque-là. Elle n’avait jamais joué jusque-là.  Sinon aux jeux du masque, à l’insu. Mais le masque ne joue que le masque. Je surjoue. Tu me tiens entre les doigts, je suis heureuse, poussière. Cherchent leur corps dans les yeux de l’autre. Sont jouées, rient, d’énervement, de plaisir. Dès que je croise un homme, le rouge me monte aux joues, je ne suis plus moi-même.

Je suis ce que je traverse. Et ce qui traverse ce qui est traversé. Qui suis-je?

S’était réveillée ce matin-là, se demandant s’il n’était pas plus simple que ça, d’être une femme. Lever, aller et venues dans cet espace, merveille, robe encore de nuit, nudité sous-jacente, pas légers ou lourds, à l’avenant, si le bonheur n’était réservé pas aux femmes.

Cette sottise. Une Reine était ailleurs. Avec son Roi quelque part. Deux trônes. Salle du trône. Du règne. Très grande salle. Oh la. Sol carrelé, conventionnel. Tapisseries. Du peuple en rangs. Odeur d’imbécillité, de noblesse. Deux grands personnages. Le fou tient son rôle de fou. Il sait que la Reine était triste ce matin. La Reine ne s’est pas encore montrée vraiment cruelle. Y a pas longtemps qu’elle est montée sur le trône, elle le  voulait. Elle l’a voulu.

Mais ces joueurs qu’avaient-ils éveillé en moi? N’avaient-ils pas senti la terre trembler, vu les femmes pleurer? L’orage, ses éclairs, battre le ciel, la terre. Le déchaînement à l’unisson. Des soldats.

En armure, sur pied de guerre, leur lances à portée de main, au sol, lançaient le dé. Est-ce que je ne pourrais retourner, les interroger?

Matinée exceptionnelle, ce matin-là, pas tous les jours qu’on se dit qu’il serait encore plus simple que ça d’être femme, en ce qui me concerne, de quoi se réjouir, devenir conquérante. Ce lui fut un bonheur, presque injuste.

Sentiment d’injustice qui se trouva confirmé, lorsqu’entendant des pleurs derrière une porte que, forte de cette audace nouvelle procurée pas l’étrange sentiment de bonheur, elle ouvrit. Le spectacle qui alors s’offrit à elle l’arrêta et en premier mouvement ne provoqua que son rire, qui trouvera l’excuse de l’étrangeté du sentiment qui la possédait : des tonnes d’hommes pleuraient. Ceci dit, ce spectacle la bouleversa. Un amoncellement d’hommes en larmes. Elle ne fut pas longue à s’éclipser, ils pleuraient avec tant de conscience et d’application qu’ils ne s’aperçurent même pas de son passage. D’ailleurs elle en aurait été bien embêtée. Dans les couloirs elle se mit à courir, ses joues tremblaient.

Est-ce que je savais que l’entrée se trouvait  rue de Vercingétorix? J’avais lu des livres. Encore la mémoire d’une entrée qui ressemblait furieusement à une sortie, la bienheureuse mémoire. Puisque j’étais devenue heureuse encore sans enfant dans mon ventre. Ah! papa.

Elle courait d’un homme à l’autre, c’était son secret. L’agitation l’avait quittée, ses nerfs s’étaient calmés. Elle aimait tout, le  présent, le passé, le futur. Découvrait la tristesse des hommes. Se voyait dans un profond silence. Aimait son secret. Etait son secret.

A se demander si ce n’était pas la rue de Vercingé qu’elle avait à retrouver. Déjà bien qu’elle se souvienne du nom. Vercingé. Vercingé… Est-ce que ça ne risquait pas de lui coûter cher? De toute manière, il fallait payer partout. Elle n’y échapperait pas. Ce lui serait d’ailleurs utile : ce qu’on ne sait dire, payons-le, parlons de commerce des hommes, puisque tout ne se dit jamais. Et ne se paye d’ailleurs non plus. Alors au travail. S’étourdir.

J’avais joué dans le petit cimetière. Un mausolée si étrange. Un homme naguère très riche, très noble, très fou, avait-il été répondu. Etonnant aussi de rencontrer l’importance au cimetière. Un mausolée, une croix, des femmes en pleurs, des joueurs, tout ça de pierre, au grand soleil, parfumé de nos rires moqueurs. Les rires enfantins. L’innocence dont nous aurons à répondre.

Pour ça que l’indifférence avait fini par la trouver. Et qu’elle pouvait aussi bien dire, je  vais avec le temps, que je vais hors le temps, puisque le hors-temps pour elle, c’était la mort, et que la mort en elle-même,  elle l’avait reconnue et savait qu’elle était le hors-jeu qui faisait le jeu, que faisait le jeu.

Elle d’or, s’écoulée au feu de la géhenne pour faire la pièce. Elle, pile, elle, face. Elle, tranche. Elle s’était suffit à se condamner. Et ça ne lui suffisait pas.

Il était des hors-jeux que j’avais souhaités. Etre prise à partie, être vilipendée. Traitée de tous les noms, d’oiseaux surtout. Toutes les pierres jetées. Qu’enfin soit reconnue cette infamie, laquelle?

Laquelle, je ne sais.

Cette infamie d’être femme peut-être, sans famille, sans enfant, et que ça ne veuille plus rien dire. Qu’en moi ils ne se reconnaissent plus.

Me laissent souffrir à ma guise. Me délecter des pires crimes que je portais, pour simplement peut-être toujours trop avoir entendu des mots tout ce qu’ils pouvaient dire. Et pire encore. Et merde alors. Qu’ils ne me servent plus leurs salades à grignoter du bout des dents.

Elle était celle à quitter.

Parfois elle frissonnait. Vierge de quoi étais-je enceinte? De qui, eût-il fallu dire. Elle s’ébrouait alors. Et dans le vide si peuplé de son ventre, trouverait-elle la place pour un enfant? Ce cher désir.

Pour ça que l’indifférence. La course à la mort.

Courir d’un homme à l’autre, courir d’un homme à l’autre! Ils étaient là, parfois dans les couloirs, alors elle courait, et au passage, paf, une tapette de sa main dans celle qu’ils ne peuvent s’empêcher de lui tendre. Ce signe donné, reçu, pouf, elle s’envolait, prochain relais. Ce que les divers hommes ressentaient alors… Mais les hommes-pleureurs avaient agité quelque chose en elle. Oh! elle n’était pas fière. Elle était prête à renoncer à cet envahissant bonheur, mais pas à la phrase qu’elle s’était dite au matin!

Elle aimait les couloirs.

Ouvre une nouvelle porte, au hasard cette porte je l’ouvre, elle a suffisamment couru, dans l’essoufflement se permet ce geste – si, si, il lui arrive encore des timidités, le bonheur ne rend pas inhumain, et puis, elle appelait ça « bonheur », mais elle n’en savait rien, au fond. Nouvelle porte ouverte, un autre lieu. Ainsi donc y était. Bouh! froid, humide. Elle a dû dormir là autrefois. A moins qu’elle n’y soit entrée subrepticement. Il y a un petit secrétaire. Par la fenêtre, haute fenêtre, ouverture dans le mur d’un château, elle voit une grande prairie barrée d’un étroit chemin engendré par les pas des passeurs. En bas de la prairie, car la prairie était en pente, d’ailleurs tout ce qui était en dehors du château était en pente, puisque le château était au faîte, en bas de la prairie, elle sait une rivière protégée de bosquets, apparemment sauvages. Il fallait quitter cet endroit. Y retournerait.

S’était-elle habillée? Elle se cogne dans le couloir à un homo rectus. Ne pourrait-elle remettre le collier? Que l’esclavage avait d’avantages. Etait bon. Que tout était bon. Je suis qui me traverse. Rend pas toujours la vie facile. Mais, se distraire.

Ne pourrais plus mettre le collier qui me fait miroiter. L’éclat dans tes yeux, je ne résiste pas. Je n’avais jamais joué, sinon les jeux du masque, à l’insu. Mais le masque ne joue que le masque. Cachette, cachette, je n’interrogeais le sort, j’étais le sort. Qu’avais-je à  perdre? Qu’avais-je à préserver? Regarde-moi, là, dans les yeux. Tu ne vois rien. Je circulais entre les invités avec un plateau de coupes de champagne. Monsieur quelle audace vous m’en voyez révoltée, ne savez-vous bien qui je suis? Si elles se  trouvaient démasquées. Où est l’amour, il court. C’est le jeu du chat et de la souris, où la souris jamais ne mange le chat. A moins de se déguiser en chat. Entre chattes et chiennes, les louves secrètes sanglotent. Mais qu’est-ce qu’elle a? Rien, justement rien.

Ainsi tout irait bien avec le temps. Dans ces temps où les espaces étaient couloirs auxquels les portes donnaient leur sens. Pas toujours le moment de se poser la question de ce qui pouvait bien être derrière les portes. Il serait raisonnable de croire qu’elle ne passait pas les portes. Les portes s’ouvraient, l’engouffrait. Les portes verticales. Qu’est-ce qu’elle en avait connu, de vaines promesses.

Que soit craché le morceau qui racle ma gorge. Il arrive qu’on parle de chat. Il s’agit de rat. Il fallait procéder à une dératisation totale, la peste menaçait, menaçait? Elle courait les rues, dans les fronts, suintait dans les cons et les culs, te sort de la verge. La puanteur menace, aucun orage n’éclate. J’éructe et je ris. Ah! j’étais douée  de trop d’imagination.

Il aurait fallu que je m’expose. Ce dont, je dois l’avouer, j’étais bien incapable. La mise au ban, ce serait pour l’autre, le grand inconnu, important personnage.

Que je sois mise à bas.

Mais au matin, petit lever, marcher, arrêt provisoire à quelques pas du lit, grand. Main levée à hauteur des yeux, juste en-dessous de cette hauteur qui détient l’infini, main regardée, doigts légèrement ouverts, regard glisse, main glisse, vers le bas, avec le bras, douceur. Je ne me souviens plus de ce dont j’ai rêvé cette nuit. Des figurines.

Elle déambule.

Couloirs, trouées.

Ainsi donc, ayant trouvé la mort, pourrait chercher l’amour? A son image, peut-être. Pof, petiote.

Précipitation. Souffle. Précipitée dans un souffle. Ah! ces portes claquent n’importe comment.

Il interroge. Mais qui est-il? Je l’aime! me murmurai-je.

Courant d’air, en arrière.

Pas eu le temps de voir grand chose, cette fois.

Espace sombre. Il était seul, parlait seul, fumait des cigarettes. Oh qui était-il. Mon cœur palpite. Elle refuse, effrayée de lui donner un visage. C’était un homme dans la pièce. A travers la fenêtre elle a aperçu un éclair. L’éclair est rentré dans la pièce, dans sa lumière. L’homme dans la pièce!

Volontaire, de son propre chef, après résolution mûrement irréfléchie, elle y retourne. Le cœur battant, elle ouvre la porte, courage à deux mains, referme la porte avec soin derrière elle. Elle prête un visage à l’homme, le tait, lui sourit, tourne autour de lui, il est si seul. Elle entend des pas dehors, elle se déteste, il l’accroche à la cuisse. Elle peut sortir. Mais faudra-t-il toujours qu’elle y retourne? Frôlée par la souffrance. Rien n’est simple. Enfin presque.

Dans les couloirs, elle va quelques temps à genoux. Inconsciemment elle a joint les mains. Des larmes lui coulent sur le visage. Elle sait que ce n’est rien, mais elle s’étonne, se souvient.

Le crucifié. Aux pieds troués. Aux mains trouées. Et puis ce coup de lance. De quel côté? J’inverse tout.  Là où ça s’élance, que ça souffre. Il était en haut d’un mont. Avait été trahi. Pris sur lui les souffrances du monde. Non les péchés. Avait questionné son père dans les  cieux. Avait eu des disciples qui avaient manqué à leur parole, ou auxquels la parole avait manqué. Mais ils s’étaient rattrapés. Etaient partis sur les routes. Couraient encore. Où donc? A l’image. Pauvres humains. Je suis qui s’offre à mon regard. Rentre en moi, que nous soyons oubliés. Aucun endroit au monde où nous cacher. Pourtant, en avons-nous parcouru, d’océans.

Qu’elle ait tout à perdre, ou tout déjà perdu, ou soit la perte même, était immanquable. Mais pas confrontable. Ni plus que confort d’ailleurs. Mieux valait s’asseoir sur cette chaise en bois massif trouée en son dossier d’un coeur par où on la saisit. Elle croisa les jambes. Frisson de ses bas.

Ces femmes toujours voulues ailleurs. Le jeu : j’apparais, je disparais, et de préférence les deux à la fois, vas-y essaie pour voir, inhumain, je ne jette pas les dés. La face que je te présente dépendra de ton lot. A toi l’honneur, moi les fleurs, tombeur. Elle me dit : « Tu comprends, comment pourrais-je le croire, quand il me dit qu’il m’aime, moi qui ne suis jamais qui je suis. Moi qui sait bien que je ne corresponds pas à ce qu’il veut. Pourquoi ces mensonges, les hommes me dégoûtent. » Et moi, je compris ce langage. Nous étions entre femmes, et je la comprenais, mais que pouvais-je lui répondre? Je repartis, il me fallait réfléchir, toujours réfléchir.

Encore plus simple que ça d’être femme? Découvrais la tristesse des hommes. Etait-il possible d’y croire? Pourquoi étaient-ils tristes? Que nous soyons tous troués? C’est le cul qui nous assemble. Le pauvre homme vient de faire caca, regarde sa crotte. Le sens de l’humour nous échappe.

Elle  s’était réveillée, ce matin-là, rideaux ouverts, pas de musique, la lumière, se demandant s’il n’était pas encore plus simple que ça d’être femme.

Si le bonheur n’était réservé aux femmes, et pourquoi. Mieux : si elle n’était seule, bien. Mais, elle n’était seule femme au monde… Ou était seule. Bien – dont mal n’est pas l’inverse. Et pourquoi la découvrir maintenant cette tristesse des hommes, alors qu’elle était entrée en indifférence. Elle allait, se disait : « J’assume, j’assume ». Elle était rigolote. Elle aurait un enfant. Aurait-elle? Quel papa?

Ceci dit, la Reine était Reine par son père. Son père était Roi. Elle n’était, fille de paysans comme sa mère. Sa mère sans rang. Elle avait fait son choix. Elle, était fille d’un Roi.

Avec le temps, je vais.

Ouvrir une porte, encore une autre, une troisième, une quatrième… une kyrielle de portes étonnantes. Elle allait de pièces d’un mètre sur deux, à pièces d’un mètre sur deux, d’un pas décidé, ouvrait des portes en mélaminé blanc, avec des poignées en aluminium. Elle cherchait cet homme qui répondrait de leurs malheurs. Elle finit par en trouver un, assis bienveillant sur un tabouret – tout de même! il ressemblait à l’autre. Elle enfonça, parce qu’il le fallait, un doigt dans l’œil de cet homme. Tout de suite après, elle pensa à son anus, mais il eût fallu qu’elle l’interrogeât, et ça, elle n’osait pas. Elle se rinça le doigt dans un évier en porcelaine blanche, rectangulaire, de trente centimètres sur quarante. Je me demandai si je ne prenais pas le pouvoir, ce n’était pas une vaine question. Je ne voulus plus cracher sur l’homme, et je l’enserrai de mes deux bras, penchée sur son dos, j’étais heureuse. Il tenait une paire de lunettes dans sa main gauche posée sur son genou. C’était presque clair, il m’attendait. J’eus peur d’un gorille qui devait m’arriver dans le dos. Elle retourna aux couloirs, aux frôlements.

Elle était seulement heureuse d’être une femme, ce qui lui avait permis au matin de regarder sa main. J’étais devenue heureuse, encore sans enfant dans mon ventre. En puissance. Dans l’avant-mise-à-bas. Je n’avais pas à courir d’un homme à l’autre, les portes s’ouvraient toutes seules. Elle avait oublié sa souffrance, découvrait enchantée celle des autres, des hommes. D’ailleurs ils s’en ouvraient à elle. M’étais toujours confondue avec les femmes. C’était une erreur profonde. C’avait été.

Toujours boire la coupe quand elle nous bat, surtout quand elle est pleine. Dans le vif du sujet. Tout à trancher. Tout à recommencer, toujours. C’était une drôle de jouissance.

La Reine ne jouissait pas, pensait-elle. Mais elle ne s’en faisait pas. Elle était Reine. Elle était quelque chose, c’est pas comme certains.

J’aimais tout. Les hommes restaient dans le silence, elle aurait voulu connaître ce qui était derrière le brouillard de leurs yeux. Elle se demandait s’il fallait écouter leurs mots, ou leurs regards. Elle n’éprouvait pas le besoin de parler, mais elle se laissait dire.

Il faudrait aimer la Reine, qui ne sait plus du tout qu’elle est triste. Elle ne le sait plus du tout. Du tout, du tout. Etre triste, quelle  raison? Son regard n’est pas en-dessous, son regard est à l’horizontale, perpendiculaire à la direction de son corps. La Reine est raide. Elle ne pourra jamais apercevoir le pied de la croix où l’élance son regard. Le Roi se tient à ses côtés. Il répète en bégayant un peu, parce qu’il est bête, un discours. Mais le pauvre a mal aux pieds, toujours mal aux pieds, et il râle, tempête. Mais il ne dit rien et son visage est de marbre. Celui de la Reine est fardé. Le Roi est un bon Roi.

Je m’appelle Goldie Reinhart. Elle dut pour la première fois, dans le couloir s’arrêter de marcher. Le souvenir de ceux qui avaient joué aux dés, au pied de la Croix. Mais elle eut un sursaut de  bonheur. Ce mont Golgotha, cet orage. Elle était l’un des dés. Elle put repartir, frotta sa joue à l’épaule d’un homme, cette bonne douceur.

Etre l’interrogation. Se prêter à toutes les réponses.

J’allai voir ailleurs, comme une main dans le sexe d’une femme. Cet à-propos-là, cette place-là, cette douceur-là. Cette justesse encore.

Bien sûr que non, elle n’avait pas connu de rapport sexuel qui fût.

Alors je marchai dans des collines, en souvenir souvenir. Le temps était à l’orage et le ciel bas à devenir Gauloise. Je me dis comme je marchais : je mettrai encore le collier et je relevai la tête avec défi, je n’étais pas seule, j’étais seule. C’est, je me dis, je me dis avec souffrance et défi, affaire de commerce. Les jeux sont faits et je m’agenouillai le cœur en pleurs. L’homme sur la croix me dit en souriant, du haut de sa croix – ridicule quand j’y pense – me dit, avec affectation :  » Le collier est mis. Tu n’attendras pas l’homme qui te viendra l’enlever au cou, aucun jamais ne viendra dévisser le collier aux perles blanches et au fermoir en argent. Tu es le collier, la croix est le vide. Tu es le collier.  Tu es le collier au pied de la croix. » Et un rire partit et c’était un rire grenu de femme et il n’y avait plus aucun bruit. Plus aucun bruit. Puis j’entendis ma révolte. Je voulus me lever m’en aller, une voix eut-elle pitié de moi, ou encore se moquait-elle? elle me dit : « Ecoute ». J’entendis amplifiée pour moi seule la phrase que murmura un joueur à l’autre : « Mais en est-il encore des hommes? » Et ils ont baissé la tête, eux qui étaient sous la croix, et l’autre a relancé le dé, et je voulus crier  » Non, secouez-vous, que Diable » et de rage jeter une tomate à l’homme de la croix sous laquelle ils se tenaient, mais je choisis de  m’éloigner. « Plus simple que ça d’être femme », me rappelai-je. Et repensant aux affreux du pied de la croix, aux traîtres : « Des névrosés, ah la la ».

Elle allait avec le temps, c’était son secret. Aussi l’amour du non-sens. Sinon le sens du temps, et du secret. Tout va se croisant, vertical, horizontal, et se lit en oblique.

Non, je n’étais pas sans souvenir. Comme une main dans un sexe de femme. J’entendais bien un homme me parler à l’oreille. Me parler doucement. Je sentais mes reins se soulever. J’étais avec la main. En accord avec tout. Toutes les chairs, les couleurs, les airs. Je pouvais ouvrir les yeux tant qu’il me plairait. L’homme me parlait à l’oreille. Que disait-il. Pour me mettre ainsi. Ah! s’il était heureux!

Et c’est moi qui me taisait.

Les espaces étaient couloirs, et les mains aussi, s’y caressaient. Aux parois.

Avec des temps d’hostilité.

Et des temps d’acceptance.

Elle revivait. Pourquoi était-elle lutine, au pied des arbres, dans les fourrés, les fougères. Passèrent des amoureux. Les grands arbres par-dessus nous, le vent qui aussi visitait nos abris, nous étions reconnaissants, forts de cette reconnaissance, minuscules, nous courions, nous moquions, nous étions deux. Aussi le soleil nous parvenait, il nous était loisible de lorgner ses rondeurs au travers des ramures et des frondaisons. Enfants des racines, par jeu souvent, nous goûtions à la terre, y mêlions nos salives, nos baisers devenaient âpres, nous devions nous saisir par les bras, puis éblouis, épuisés, nous nous coulions encordés de douceur et de bonté sur un sol qui nous accueillait en hôte prévenant et discret.

Dans les levers, ces matins-là, de soleil, de solitude parfaite, inouïe. S’il n’était encore plus simple que ça, d’être femme. Comme un homme accepterait d’être un homme. Cette révélation, son bonheur. L’espace de quatre mètres sur cinq, c’est un peu petit. Hauteur six. Un grand lit, ouvert, dont elle sort, draps déjetés. Lumière. Nudité sous la robe. Aucun miroir. Des souvenirs d’êtres. D’elles, êtres. Souvenirs de tendresse. Solitude parfaite. Pas légers, s’appesantissant selon le bon vouloir. Le bonheur à elle seule, incroyable. Main droite, non, gauche, élevée, presque hauteur des yeux, indifférence à l’infini. Un seul oui. Douceur. Quelle solitude l’avait captée? Et pourquoi, et comment? Avec le temps. Mais elle n’avait pas peur de parcourir les couloirs. Ce qui la sauvait, aux yeux du monde.

Couloirs se succèdent. S’élargissent. Se rapetissent. Entrée, rue de Vercingé. A vérifier. Est-ce utile?

Elle allait, j’allais avec le temps. Exactement. Aucune adoration. Aucune idolâtrie. Sinon celle d’elle, admettons. C’était le bonheur, l’est encore. Sans  enfant dans le ventre. Quel problème à régler. Aucune attente. Tout immédiat.

Courir dans les couloirs, avec ou sans les autres. Marcher, s’arrêter, trébucher, deviner derrière  les portes. L’accord. Toutes les humeurs passées et à venir. L’indifférence.

J’irai demain jouer, peut-être. J’irai demain jouer, peut-être. Si le besoin s’en fait pressant. Je n’ai plus peur, je suis seule. Depuis, j’ai rêvé que je  jouais. Dans mon rêve, j’ai inventé un nouveau jeu.

Les femmes de l’œil, qui jouent un autre jeu. Tentent. Forcées. Aussi certains hommes. Trop  veillés par leur mère. Ou dans l’orbite vide de l’oeil de leur père. Elle n’osait porter de lunettes noires. Cherchait l’aveuglement. Les yeux en amande. Fixer le soleil droit dans l’os.

S’il ne fallait pas crever.

Elle, avait crevé, y était arrivé, en apparence, en espoir, un certain œil. A moins qu’elle n’ait crevé l’absent. En tout cas, ne plus avoir peur de la lumière, cherchait à s’en mettre plein la vue.

Dans les couloirs, était toujours tombée sur elle-même. A sa douleur devenue joie. A jamais. Se savait partout. Ah si tu pouvais m’embrasser dans la bouche. Et du bout de la langue, en  retirer la perle. L’installer dans ta poche.  Elle n’est pas monnayable. Va plutôt sur la falaise, dans  le vent jette-la à l’océan, après avoir prononcé quelques paroles incantatoires, peut-être aurons-nous de la chance. J’en doute  : dans la viande de ma langue, un séjour trop prolongé l’y a inscrite à jamais, elle se souviendra toujours de moi.

Ce n’est pas la perle qui fait l’huître.

J’irai demain jouer. Peut-être, si le besoin s’en fait pressant. Besoin d’argent. Du commerce. S’il le faut. Mais, là. Jouée. Accordée. Plaquée de silences.

Je retourne aux couloirs. De  l’argent coule entre les doigts, dans la marche, passe à travers les bouches. Poudres de monnaies. Piles et. Dés et faces. Ignorance de la tranche. L’impasse à la mort. La grande bande. La mort au hors-jeu, l’argent. Pressée dans la paume, la boule d’argent. Passée sur le corps. Sur leurs corps. Les expositions, les vitrines, les étalages. Les regards passent, s’abaissent, passent, s’abaissent. Humbles, humbles. L’argent sonne, cligne. Les paupières sur les deux boules brillantes. Dans la bouche cinq perles. La main s’est évidée. Le dos écaillé. La sueur des pores, s’écoule. L’odeur est saine. L’horreur. Le hors-jeu. Impossible. Acquiescer. Baisser les paupières, sourire aux dieux de mon cœur, aux dieux des vôtres. Vider son cœur. L’épancher. Sa tête sur une épaule, puis sur une autre. Douceur de sa poitrine. Véritable douceur. Douceur reconnue. Un oui unique. Je ne sais plus du tout qui je suis. Je vous remercie. Je quitte le pays. Ou reste ici. Je suis là.

Je ne me voulais d’aucune consommation. Jamais. Mais que tout aille à la consomption.

Le collier était mis, il fallait avoir l’arme pour lancer le dé. Ne l’avoir pas rendait ce geste superfétatoire. Je suis le collier a dit l’homme qui a dit l’homme, qui a dit l’homme. Le vide est cerné. Il est au collier de perles  blanches un fermoir en argent qui se visse dévisse.

Qu’est-ce qu’un collier ouvert? Celui que la petite fille tient à la main, laisse traîner au sol, un doigt dans la bouche.

Que jouent ceux qui lancent le dé? J’étais là pour les dire tous perdus, au nom de celui qui m’avait parlé.

Dans le temps, l’indifférence. Le seul amour. L’indifférence d’amour. Quelque boue te sort de la bouche. Je te frotte la bouche. Ne cherche jamais à parler. Nous sommes écoulés. Nous sommes attentifs. Nous écoutons. Nous écoutons tout. Souriant aux échos. J’accepte de frotter cette larme à ta joue. J’accepte. Tous fait pipi au lit. Ma main sur ton anus. Ma main sur ton sexe. Ta bouche dans mon cou. Que murmurent-ils. Que profèrent-ils. Quelles injures viennent à leurs. Quel aigre vin est passé sur la plaie. Quel sourire naît aux  humains. Quelle femme acceptera de t’aimer. Mon homme. Au regard triste. Je suis cruelle. Te viderai de toi. Descellerai les tonneaux, arracherai les arceaux qui les enserrent. Blottissons-nous, amoureux. Vivons notre mort quotidienne. Que la vie que.

Je suis la représentante, celle au coup lancé, de quel côté, j’inverse tout, ni gauche ni droite, terriblement ni gauche ni droite. Là où ça s’élance que ça parle. – Coupe quand pleine et jusqu’à la lie -. Je suis celle au cul lacé. Mon père est dans les yeux. J’ai mangé  les yeux. Je suis les wé-cés des yeux. Je tire la chasse trois fois par jour, à quatre heures, à quatre heures et à quatre heures.

Quelle femme passe par là? Quelle jambe? Quel rêve d’homme. Je suis la larme qui coule sur ta joue. Le sang que tu lapes à mon sexe. Recrache dégoûté. Tu n’oses pas. Te tais.

De quelle femme chantai-je la lueur? J’étais plusieurs. Sans importance. Marchions moi et elles. Identiques, transparence. Rêve d’un bal. Ballet d’elles. Toutes moi. Vois-les, longues, elles vont, tu vois leur dos, elles marchent vers l’avant. Te quittent. Me quittent. Quelles étaient-elles? Ou combien? Ces ombres envoilées. Pas touchent la peine du sol. Envoilées. Glissent. Me séparer d’elles. Nées  de la mort. De son regard. Tu n’y crois pas, toi. Pauvre sot. Elles vont inlassablement, figées. Regarde-toi au milieu d’elles, aucune main tendue, aucun regard. Pourtant elle te savent là, ce  qui les fait marcher. Prisonnières de leur chemin. Je te le répète.  A toi qui ne veux pas savoir. Elles jouent la mort, pour la tromper.

Quelles sont-elles que pleure mon corps. Qu’avide je regarde.  Entre elles et moi, un espace de chiffres. Je détourne la tête violemment. Viens sous moi. Sois un homme. Parle-moi. Qu’est-ce qui nous sépare?

Tu habites parmi ces longues silhouettes que le grand inconnu a drapé de blanc. Et aux ovales noirs de l’absence, leurs visages abyssaux, limés par les regards que tu y fais fuir, puisqu’elles sont toutes toi, tu peux  prêter les visages fantasques de tes rêves, de tes cauchemars. Fasciné, il n’y a plus qu’une seule phrase qui te vienne à l’esprit : « Oh, qu’elles me laissent me cacher dans leurs jupes! » Tu t’es laissé prendre à leur image, et de toi, de l’humain en toi, il ne reste que cette peur, dont tu es innocent, assis le visage dans tes mains.

Si tu les veux à toi, nomme-les, chacune d’entre elles, baptise-les, après les avoir comptées. Alors chacune dans la souffrance de l’enfantement tournera son regard vers toi, elles deviendront nombreuses, elles seront tiennes, tu auras peur. Elles marchent vers toi. Répondent à ton appel, dont tu ne peux répondre. Le sang leur est revenu aux joues, elles ne sont plus porcelaines. Je suis partie. De loin j’ai assisté à ton impuissance. Je dois être seule. Je dois réfléchir.

Fallait s’arrêter. Non pas rassembler. Je veux dire, rassembler ces femmes.

M’arrêter où j’étais, avec volonté. M’enferrer. Je m’enferre. Quitter le sous-sol. Aller timide au ras. Au ras de terre. S’y tenir debout. M’y coucherais à la nuit venue, et regarderais, où ce n’est pas le ciel. Dire : « Fleur ».

Si. Lui dire, à il, plus tard, après un éclaircissement de la voix : « Fleur ». Baisser mes yeux. Ne pas croire, ne pas espérer qu’il m’entendra. Et si.

S’enferrer d’abord. Marcher. Un pas au passage.  Taper du pied. Ressentir le  poids, l’espace pris. De mon corps. De mon corps. Détourner mes yeux des miroirs où vit la tristesse. Où se terre la tristesse. D’où suinte la tristesse. Comme à cette fine couche qui couvre l’œil de l’homme, et qui ne sait ce qu’elle cache. Et dont je ne sais ce qu’elle cache. Le miroir pleure, il a trop fait soleil. Ses yeux sont fatigués, mets-lui des lunettes. Couvre-le de tes mains et plaque-s-y ton corps. Aveugle-le. Ou va ailleurs, plonger tes regards. Sonder. Questionner. Tu seras porté. Parle-le, ce voile sur ton œil, qui me rend muette. Articule-le. C’est un ordre. Je ne te comprends pas. Une pomme de terre ou des œufs dans ta bouche? Bougre d’abruti.

Pour qu’une femme prenne le pouvoir faut-il qu’elle en devienne l’instrument?

Je parle de la Reine. Droite, immobile, qui se tient souveraine, baisse les yeux. Elle, sait ce qu’elle a fait, les oripeaux dont elle s’est couverte, les artifices dont elle a usé, pour en arriver là. Elle va seule, comme sur l’échiquier. Mais elle est conjointe, protégée. Aveugle, elle franchit toutes les distances. Tout à l’heure elle ira faire pipi, elle s’assoira sur le pot, des pensées lui viendront à l’esprit. Elle a tiré le rideau. Tu peux faire pipi comme tu veux cocotte, même debout si tu veux, tu es malheureuse, salement malheureuse, malement malheureuse. Tu n’as que ta honte à cacher. Baisse les yeux. Ecoute plutôt ma Reine, écoute le sourire que tu glisses à ton fou, le murmure qui te vient aux yeux. Ta main frémit sous le gant. Chair de  poule. Ne condamne pas au couperet celui qui, aussi a glissé dans ton piège mais que sa condition a laissé humain. Et qui, d’être châtré est le seul à connaître ce que tu transpires. Et qui te le chante, te le danse. Laisse-toi dessiner par les cercles qu’il dessine à ton intention. A ta bonne intention. Celle-là qui t’échappe. Ma Reine, toujours attentive à faire boucher les trous aux plafonds. Toi qui  les  as voulus si hauts, à les en faire oublier. Parce que dans tes rêves ils sont toujours percés, et c’est toi qui en écoules, de toutes parts. Ma petite Reine à l’enfance oubliée. Prends le large. Rentre dans l’absence de toits, où tu n’es que sujette, au beau temps, au mauvais temps. Découvre les merveilleux nuages, cours dans les bois. Sois seule au carrefour. Prends les chemins de traverse. Que peut-il t’arriver? De toute façon, tu vas mourir. Tu vas mourir.

Tu as eu le geste digne, la parole courte. Tu te fais porter dans ta chambre, sur un plateau, la tête du fou. Tu es seule  avec cette tête. Tu la regardes longuement. Tu es dans le désir. Tu l’évides de ses yeux avec un petit couteau bien aiguisé. Tu as le sourire aux lèvres. Un œil dans chaque main, tu te diriges vers la fenêtre, aux yeux du monde, tu avales un œil. Puis l’autre. Tu déglutis. Quittes le trou dans le mur. T’approches de cette tête qui saigne. Passes ta mains dans les cheveux. Te penches, embrasses la tête. Puis, comme tu n’en peux plus, tu vas t’abriter sous ton ciel-de-lit. Tu te couches sur le dos, tu fais ce geste premier, que tu n’as jamais  fait, tu mets la main sur ton sexe et tu sais que c’est le vide. Tu ris. Ton ventre sursaute. Tu as mal. Tu es seule. Vraiment très seule. Il n’y a plus que le  cauchemar à t’attendre au tournant. Tu clos les paupières. Tu ne  vois plus rien. Tu ne comprends plus la tristesse des hommes.

 

Il me fallait aller au risque, à m’aimer comme je m’aimais, je devais être protégée de tout.

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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