Vers un psychanalyste nouveau

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par Damasia Amadeo de Freda

Dans sa conférence de présentation du thème pour le prochain Congrès de l’AMP en 2014[1], Jacques-Alain Miller nous invite à repenser la clinique psychanalytique et la place du psychanalyste au XXIe siècle.

Cette conférence nous inspire plusieurs interrogations que nous allons exposer et auxquelles nous tenterons de donner quelques réponses.

Nous constatons tout d’abord – cela nous a frappés et a suscité notre première question – que la formulation du thème telle qu’elle nous est proposée, ne correspond pas au titre du Congrès.

La formulation de J.-A. Miller, « Un grand désordre dans le réel au XXIe siècle »[2], ne correspond pas au titre : Un réel pour le XXIe siècle. Nous pouvons déjà dire que l’expression « Un grand désordre » n’est plus dans le titre, que l’article défini est devenu indéfini, et que le « pour », ajouté, vient comme indice – telle est mon hypothèse – de l’objectif visé pour être à la hauteur de l’époque. Cependant, le remplacement de la première formulation par le titre définitif conserve le concept de réel comme thème central.

Pour tenter de répondre à cette première interrogation que pose le choix du titre du Congrès, nous allons entrer plus avant dans le développement de cette conférence. J.-A. Miller commence par dire que ce siècle se caractérise par un grand désordre dans le réel ; c’est là qu’il introduit sa formule. Il poursuit en attribuant la cause de ce désordre à la combinaison du discours de la science et du discours du capitalisme. Il énumère ensuite les diverses transformations de la notion de réel au fil de l’histoire, des transformations qui ont peu à peu conduit au grand désordre contemporain. Parallèlement, il fait correspondre à chacune de ces transformations la définition propre au réel pour la psychanalyse dans les temps successifs de l’enseignement de Lacan.

Aussitôt, une nouvelle interrogation apparaît : pourquoi J.-A. Miller introduit-il une correspondance entre les transformations du réel dans la civilisation et celles qui se produisent dans l’enseignement de Lacan ? Cette question s’impose car nous sommes partis de l’idée qu’il n’y a pas de correspondance temporelle entre les transformations du réel dans la civilisation et ses transformations dans l’enseignement de Lacan.

Pour être précis, les différentes notions du réel pour Lacan se développent à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Quand il propose son premier aphorisme du réel, il le fait alors qu’il est lui-même pris dans l’époque qui vit l’une de ses dernières transformations dans la civilisation.

Nous pouvons donc en conclure que cette correspondance, ce parallélisme établit dans la conférence de J.-A. Miller, n’implique pas de simultanéité. La logique doit être autre.

Cette première différenciation nous permet de situer à des niveaux différents le réel de la nature, le réel pour la science et le réel pour la psychanalyse. C’est ce dernier qui nous nous intéresse.

Dans cette conférence, J.-A. Miller nous rappelle que Lacan pensait que son réel – puisque c’était son invention – était son symptôme et, qu’il lui permettait de garder une unité à son armature conceptuelle et de donner une cohérence à son enseignement. Cette proposition est d’un grand intérêt car elle permet de penser la fonction du sinthome à cette époque, que nous ne développerons pas ici. Le dernier aphorisme du réel dit que pour la psychanalyse, « il n’y a pas de savoir dans le réel ». J.-A. Miller souligne également que dans l’actualité, la science qui aspirait à pouvoir écrire ce savoir dans le réel et pouvoir ainsi l’anticiper, rencontre ses propres limites, contribuant ainsi au désordre contemporain.

Pour la psychanalyse – surtout à cette époque – l’inconscient produit un savoir qui est « une élucubration sur un réel dépourvu de tout supposé savoir »[3], dépourvu de tout vouloir-dire[4].

Si dans l’actualité il y a un grand désordre dans le réel, la psychanalyse fait le même constat  quant à son propre réel, car elle considère ce réel comme « un reste, par structure, désordonné. »[5] Hasardeux.

Cette conférence cherche, peut-être, à nous montrer qu’il y a un nouage entre le désordre dans le réel propre à notre époque et le désordre du réel propre à la psychanalyse.

De ce point de vue, l’idée de déranger la défense viserait ainsi à abattre une double forteresse : celle qui se constitue pour se défendre du réel propre au sujet, mais aussi celle qui se construit contre le désordre dans le réel propre à notre époque.

Cette perspective sépare nettement la psychanalyse de toute thérapeutique, mais suppose aussi une redéfinition de la psychanalyse et de son acte.

J.-A. Miller parle d’un psychanalyste dont le désir viserait à réduire l’Autre à son réel et à le libérer du sens. Le problème qui se présente alors, qui n’est pas élucidé ici, c’est que l’Autre s’en trouve « discrédité » quant au sens, et c’est précisément ce qui a conduit au désordre de notre époque.

Le psychanalyste freudien, lui qui pouvait interpréter parce qu’il occupait la place du sujet supposé savoir, a perdu de sa splendeur et de son efficacité à cause de ce désordre.

Devant ce fait, et si nous voulons que la psychanalyse soit à la hauteur de la subjectivité de son époque, nous nous trouvons dans l’obligation de poser cette question : quel psychanalyste pour le XXIe siècle ? Cette question s’impose parce que nous voyons se dessiner un psychanalyste nouveau, un psychanalyste qui s’oriente bien davantage des signes du réel que de la signification. L’ordre de la signification entraîne inévitablement dans sa chute le sujet supposé savoir. Or, les effets de cette chute se font sentir dans une nouvelle tonalité transférentielle dont témoigne la clinique actuelle et nous supposons que, très vite, l’idée même de transfert s’en verra modifiée.

Si l’amour ne s’adresse plus au savoir, parce qu’il se trouve discrédité et désarticulé, peut-être le transfert adoptera-t-il la forme d’un amour qui s’adresse au réel. Si nous poussons cette idée à l’extrême, nous serons inévitablement conduits à considérer que nous parviendrons alors à une nouvelle conceptualisation du début et de la fin de l’analyse.

Finalement, si nous voulons définir aujourd’hui le psychanalyste de demain, il sera nécessaire d’interroger sa façon d’opérer et, tout particulièrement, son principal instrument : l’interprétation. Jacques Lacan et Jacques-Alain Miller l’ont reformulée en de multiples occasions, en tenant compte des avancées propres à la psychanalyse et des variations des registres RSI sur lesquels elle opère.

 Pour conclure, nous dirons que la psychanalyse est obligée de tenir compte de la subjectivité et du moment historique dans lequel s’inscrit son action. Il s’agit d’un problème éthique qui dépasse largement les modifications que nous avons précédemment évoquées. Le problème est éthique, car cette transformation met en jeu le destin même de la psychanalyse.

Nous considérons que « Un réel pour le XXIe siècle » – tel que le propose J.-A. Miller, et tel que nous allons l’aborder durant le prochain Congrès de l’AMP – sera le produit du nouage entre le psychanalyste nouveau et l’éthique de la psychanalyse.

Damasia Amadeo de Freda

 

Traduit de l’espagnol par Anne Goalabré



[1] Miller J.-A., « Le réel au XXIe siècle. Présentation du thème du IXe Congrès de l’AMP », La Cause du désir, no 82, Paris, Navarin, 2012.

[2] Ibid., p. 89.

[3] Ibid., p. 92.

[4] Ibid., p. 93.

[5] Ibid.

SOURCE: [AMP-UQBAR]  Papers nº 5

Pour consulter les messages en retard: http://www.eListas.net/foro/amp-uqbar/archivo

Par Iota

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