Au hasard Balthazar !

Publié le Catégorisé comme brouillonne de vie

Un coup de dés 1897 by Mallarmé

 

Tant pour nous défendre du réel de nos habitudes que pour nous en rapprocher, en faisant une place au réel de ce qui n’est pas nous, de ce qui ne va pas dans le sens de notre inclinaison « naturelle », j’ai mis au point pour mon fils Jules, 9 ans, et moi-même, un mini-programme informatique que j’ai nommé Balthazar (( Texte publié (en partie) sur le site du 9ème Congrès de l’AMP, Un réel pour le XXIè siècle, dans sa rubrique « Bouts de réel ».).

Balthazar ne fait rien de plus que de choisir au hasard, dans une liste que nous lui soumettons après l’avoir mise au point ensemble, l’activité qui sera la nôtre quand notre désir se voit un peu trop englué dans la jouissance des écrans, dont l’autisme nous éloigne des chemins que nous pourrions prendre l’un avec l’autre. Balthazar donc décide pour nous d’une activité que nous ferons ensemble, à laquelle nous manquerions autrement de nous adonner s’il ne nous l’imposait, lui, à qui nous obéissons alors très exactement et très joyeusement.

Dans ces listes, nous mettons tout ce que nous avons au moins un peu envie de faire, de même que les activités qu’il peut nous arriver d’évoquer sans jamais les réaliser – par exemple, organiser un repas ou une petite fête à la maison, les invités sont alors également tirés au sort. Pour ma part, je donne aussi leur chance aux activités qui font a priori partie de mes devoirs domestiques (comme le rangement, qui passe alors au jeu).

C’est à la lecture de « La lettre volée » que m’est venue l’idée que le hasard est ce réel toujours à notre portée d’invoquer lorsque nous n’en pouvons plus de certaines de nos répétitions : « Car la passion du joueur n’est autre que cette question posée au signifiant, que figure l’automaton du hasard. “Qu’es-tu, figure du dé que je retourne dans ta rencontre (tukè) avec ma fortune ? Rien, sinon cette présence de la mort qui fait de la vie humaine ce sursis obtenu de matin en matin au nom des signi­fications dont ton signe est la houlette.” »

Et si le désir peut sembler à la traîne, il trouve pourtant dans cet attirail, où le hasard vient à figurer l’ombre auguste de la mort, le maquillage léger qui ramène au papillotage le regard sinon létal de son visage trop nu.
Cela, j’eus à l’assimiler bien après ma lecture de La lettre volée, dans son fil pourtant encore quand, comme je traversais ces erres de déflation du désir qui vous absorbent en fin d’analyse, après que nombre d’idéaux se soient trahis pour ce qu’ils sont : commodes soutiens identificatoires dont la trame signifiante resserrée masque, de façon ratée et à grand prix, le manque à savoir de la jouissance, laquelle trouve aujourd’hui dans le jeu l’abri qui lui convient. Ombre bleue d’une paupière posée sur des yeux bleus.

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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