23 février 2021 18H51

Publié le Catégorisé comme Hélène Parker Étiqueté , ,

Bonsoir, je m’aperçois que ce mail, que je pensais vous avoir envoyé ce samedi 20, n’est pas parti… Incroyable ! Bon, j’appuie sur Envoyer.

Chère Hélène Parker,

Le printemps est annoncé pour ce week-end. Je vous écris sur mon téléphone. Nous sommes à Outrée, arrivés hier. Il n’y a pas longtemps que je me suis réveillée. Le jour se lève (oiseaux, etc.)

Je dors à nouveau. J’ose à peine le dire, je croise les doigts, mais je dors à nouveau, depuis un mois. Depuis que prends de l’huile de CBD. Je ne vous l’avais pas dit, l’effet en a pourtant été immédiat. Je dors. C’est censé également avoir un effet anxyolitique. Je suis moins sûre de pouvoir le vérifier, mais le sommeil en soi suffit à m’apaiser grandement. On parle aussi d’effets anti-inflammatoires (rhumatismes, arthrose, …) et même anti-psychotiques ! Ma foi, autant d’effets secondaires auxquels je ne me m’opposerais pas.

Et depuis que je dors, je rêve. Des rêves longs dont je ne retiens quasiment rien.

Cette nuit, un mot : « Corbeillesuite ».

Je me réveillais, il était tôt, je rêvassais avec l’indolence qui me carcatérise, jusqu’à ce que ma pensée se cristallise autour de cette impression empreinte de certitude : Il ne me reste plus que le rôle de ma mère. J’étais à moitié endormie. Les phrases s’organisaient, tout s’organisait, rapidement, se mettait en place autour de ça, qu’une faille avait laissé apparaître. N’avais-je pas ces dernières années tout dégagé ? Ne restait-il que ça ? Ce rôle si hautement anxiogène ? Alors comment continuer ? Comment continuer, refaire ses gestes et n’en n’être pas impressionnée ? Comment se les approprier ? Les accepter, les aimer, les supporter ? Ces gestes indispensables. Les derniers gestes qu’il me restait encore à faire. Ceux-là même que je ne peux faire sans angoisse. Ranger, nettoyer, faire les courses, préparer à manger… Mais aussi les papiers, les démarches administratives, etc. Comment les faire sans être envahie par le fantôme de ma mère, son souvenir. Son souvenir à chaque instant autant que le sentiment de ne vouloir à aucun prix sa suite…

Sa « corbeillesuite ».

De ne vouloir, de ne pouvoir endosser son angoisse à laquelle s’ajoute la mienne, celle de ne n’être plus à la bonne place, celle d’être sortie de mon rôle (et du destin qu’elle m’espérait).

Comment récupérer un corps, une responsabilité, sa jouissance ? Comment me séparer d’elle ?

Quand j’arrive à me soustraire à l’angoisse, c’est que je suis entrée dans la caresse, dans le bonheur du geste (la clarté du jour, l’édifice du corps). C’est le personnage qui est insupportable. Et si ce n’est le personnage lui-meme, c’est le sentiment dans lequel il est tenu, par les autres, par lui-même. Le mépris.

Le personnage, le rôle, l’identification.

Identification d’une mère.

Ou identification d’une femme.

Est-ce une cause féministe ?

J’aurais pu aimer être avec une femme, vivre avec une femme, pour les vivre, tous ces gestes ménagers, sans le poids de l’affrontement à un rôle, sans la confrontation à un autre rôle possible, sans la mise en rôle, sans la nécessité d’un rôle tout court. Que simplement ces gestes rentrent dans le cours de la vie, en fassent partie. Au même titre que les autres. Avec peut-être cette qualité supplémentaire que leur confère leur direct affrontement aux nécessités imposées par le réel, aux besoins. Nécessités et joyeusetés, joies. Affrontement au réel soft et sans grande pompe au cours du déroulé du jour. Application d’une fine couche de semblant, pli pris, abondé aux coudes de chaque heure, dans l’absurdité et la joie de leur répétition. Fait le ménage est déjà à refaire.

Vous ai-je jamais parlé d’autre chose ? Je me le demande.

Alors, est-ce possible ? Comment ramener le geste au geste, voire à sa jouissance, primaire, enfantine, celle juste du mouvement, de la joie d’être en-corps. Comment le vider de ce rôle ? De cette identification ? Identification si totalement inutile. Qui toujours embarque son cortège d’angoisses.

Et puis, considérer aussi ceci : dans cette caricature du rôle féminin/masculin, on ne trouve pas que la considération des Hautes Choses de l’Esprit opposées aux Basses Choses du Corps (les tâches ménagères étant physiques, corporelles, manuelles). Il y a aussi le rôle domestique, le rôle serviteur/servi.

Ma mère s’était mise à notre service (domestique). Donc comment me dégager de ce rôle où je suis servie par elle  (servie et dédiée à de plus nobles tâches)? L’angoisse intervient à ce moment là. Dès que je sors du rôle où elle me comble. Alors, c’est le grand désagrément. Je perds pied. Je ne suis plus nulle part. Il n’y a plus de réflexion possible. Ni de satisfaction. Une contrariété de l’univers. Plus d’avant plus d’après, plus de souvenir. De futur. La certitude seulement que ce n’est pas là qu’il faut être, la nécessité de se soustraire à la situation. L’incapacité de faire le moindre geste. La grande mauvaise humeur. Car je vais être abusée, comme s’il n’y avait d’autre choix que d’être dans cette dualité là : ou servant ou servi ou maître ou esclave.

Domestique (du latin domesticus) se dit de tout ce qui concerne le domicile (mot dérivé, comme domestique du latin domus la maison) et, par extension, de ce qui concerne le ménage et la vie privée.

Cette question si simple me poursuit, je l’affronte depuis si longtemps ?

(Nous sommes le 20 février 2021. Samedi 20 février 2021. Aucune date n’est indifférente, toute date est indifférente. Ces mots, de 20 février 2021, à eux seuls pourraient constituer l’unique prière du jour. La seule, la plus belle. La plus impérieuse, la plus juste. À tout le moins pour moi. L’a-prière a minima. Une conjuration de la perte. L’hommage au jour et à la civilisation du calendrier. À la condition humaine.)

Il y a l’identification. Il y a la désidentification. Comment puis-je sortir de ce rapport duel. De cette situation Ou Ou.

Je toujours pensé à ces choses comme femme. Pas comme folle (ou alors « pas-folle-du-tout »). Et comme très solitaire. 
Personnellement, si je suis folle, psychotiquement folle, quitte à ce que soit ordinairement, j’aurais le sentiment d’avoir quelque chose à ajouter sur cette folie. J’en aurais refusé la damnation.

Au réveil, dans ce mot de « corbeillesuite », je pensais à mon fils. Si je suis folle, j’ai le soucis de la transmission. Et cette angoisse a l’idée de n’être arrivée à lui transmettre aucun discours, le confort accueillant d’aucun discours. Est-ce que je ne lui transmets rien d’autre que l’affrontement aux tâches ménagères ? Et donc, la nécessité de vider tout cela de l’angoisse. Rapidement. ( Être à Outrée, me rappelle à ma tante et sa bonne humeur, sa voix, sa façon d’embrasser les tâches à venir, embarquant tout le monde au passage dans ses aventures ; là, je rêve de l’imiter, et quand ils, fils et compagnon, ne répondent pas à mes sollicitations, je désenchante, je désenchante…..)

Dans « corbeillesuite » il y a corps, il y a merveille, il y a mère veille, il y a corbeille, il y a corneille (de l’un des prénoms de ma mère, Cornelia), il y a suite, poursuite et suite luxueuse.

Devant nous, il y a l’angoisse des temps à venir, de l’exceptionnelle crise économique qui nous pend au nez. À vrai dire la nécessité de lui donner les armes, à mon fils, pour s’affronter à ça me paraît encore plus instant.

Puissai-je m’y tenir.
Puissions-nous, 

Cordialement,

Jeanne Janssens

Envoyé depuis mon téléphone

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