timidité, rien à dire, rien à mettre

Publié le Catégorisé comme brouillonne de vie Étiqueté , , , , , , Aucun commentaire sur timidité, rien à dire, rien à mettre

ces derniers temps, je contemple ça, je suis fascinée par ça, j’interroge muettement ça, comment je suis seule et comment je suis seule depuis longtemps et sans que je m’en sois même nécessairement rendu compte. comment ça a commencé, je me suis dit, comment ça s’est fait, j’ai pas de réponse, comment une petite fille jolie gentille qui réussit bien à l’école, ne se fait pas vraiment d’ami, en a même de moins en moins, grandit, et reste dans ce constat : il n’y a pas d’amis. parfois, il y en a. il y a l’une ou l’autre meilleure amie. qui disparaissent. changement d’école. changement de boulot. dispute stupide, incompréhensible. déménagement en France. alors, la cause ?

timidité. alors d’accord, mettons ça sur le dos de la timidité. testons ça pour un temps.  

qu’est-ce que cette timidité. est-ce un autre nom de la maladie. est-ce un mauvais nom pour la maladie. un nom trop vite mis qui empêche de voir ce qu’il en est. ce qu’il en est vraiment.  

ça veut dire quoi, timidité?  elle est timide.  je suis timide. combien au monde sommes-nous à être timides? 

comment as-tu été timide, chérie, raconte. tu ne peux pas, veux pas, n’a pas envie, a oublié, n’y crois pas. tu t’es enfermée dans tes invitations déclinées, tes évitements. t’as fui toutes ces situations où tu n’arrivais pas à faire face (on ne t’avait pas encore suggéré le mot « angoisse » pour dire le désagrément où tu te trouvais alors). toutes les situations où il y avait plus de deux personnes. où tu n’as rien à dire? où une chape de silence fond sur toi. où tu ne peux absolument pas être au même titre que les autres. tu t’en rends compte, tu le constates, tu le vois. où ta différence est une souffrance de tous les instants. où ta seule issue de secours, c’est la séduction, non pas celle que tu agis, mais celle que tu constates agir sur les autres, sur certains autres, celle que tu connais depuis longtemps, celle où tu te donnes identité de femme, où tu te dis femme, elle seule te soutient, devient dès lors impérative, pas d’autre être (para être). ce qui te met tout à fait à la merci du regard (de l’autre : tu es vue femme, ça attire sur ton corps des courants pulsionnels, appelons-ça, du coup tu te dis femme).

tu en viens à éviter toutes les situations un tant soit peu sociales et tu t’isoles.  

cet isolement passe relativement inaperçu. tu as du travail. tu as toujours l’une ou l’autre amie que tu vois de temps en temps. plus tard, ce sera un homme plutôt, presque toujours un homme que tu accompagnes, à l’ombre de qui tu choisis de marcher, où tu t’abrites. tu t’en sors à être la femme de, comme beaucoup plus tard tu t’en sortiras à être la mère de.

tu auras beau avoir été informée du féminisme.

et qu’y a-t-il encore qui tient la main de la timidité et de son rien à dire : le rien à mettre. de tout temps le rien à mettre tient la main du rien à dire, se cache derrière ses jupes, ses longues jupes.  

le rien à dire a des jupes: nul doute à cela.

*
* *

comment tout ça, et les années passées à l’analyser aveuglément, aveuglément, a-t-il pu te mener au point où tu en es aujourd’hui, où tu ré-appréhendes les choses sous cet angle là, de ton isolement de longue date, de ta solitude.  

en as-tu souffert plus qu’aujourd’hui? tu t’y es faite. tu as eu à faire face à de tels monstres, que tout ça…  et c’est bien parce que ces monstres se sont aujourd’hui assagis, voire ont disparu, que tu regardes les choses depuis cet angle, jusque là délaissé. que tu regardes en arrière.  

depuis qu’on a donné un nouveau nom à ta maladie, tu regardes partout, tu regardes tout autour, tu regardes en arrière bientôt tu regarderas en avant et toutes les questions te paraissent posées différemment.

avoir été seule, avoir été timide, de toujours, aurait été déjà un symptôme de la maladie. toi, tu pensais jusque là que c’était un symptôme de femme. eh bien pas tout à fait, il semblerait. la frontière est trouble.

donc, tu voudrais en savoir plus sur la maladie, tu as envie de ce qui se sait de la maladie, dans les livres, déjà, et tu as envie de ce que tu pourrais en dire de plus, de ce que tu pourrais y ajouter. ça te motive. dire quelque chose de la maladie, dire de toi.  à la fois tu voudrais dire la grandeur de la maladie, à la fois tu voudrais n’en plus pâtir ni faire pâtir les autres. tu voudrais faire aimer la maladie. la maladie plus que toi-même. et tu veux la nouer à ton être de femme, auquel tu as toujours tenu. haï tenu. qu’il faut maintenant, vu l’âge, maintenir en vie hors la séduction, la séduction perdue et sans pleurer dessus. il faut lui donner mot, prendre voix.

que sont ces riens à dire, riens à mettre de ton isolement, quels sont ces facteurs de la maladie. que tu n’ignorais pas, ces riens, tu les savais au cœur de ton fonctionnement, de tes dysfonctionnements, sans arriver à t’en soustraire, à en tirer ton épingle du jeu.  

du rien, tu voyais le lien à la mystique, à la jouissance, sans trouver le moyen de l’approfondir –  

pourtant tu seras bientôt seule avec le rien. année après année, tu le vois faire le vide autour de toi, sans que tu y puisses rien, manigancer, motus sur ces secrètes fins : bientôt il n y a plus rien entre le rien et toi, rien qui vous sépare, on pourrait presque vous confondre, n’était-ce peut-être chez toi le désir perpétué, rené, d’analyse, d’écriture de ce rien.  

tu n’as plus de travail, plus d’astreinte, plus aucune contrainte, l’angoisse et celle liée à la vie de ta petite famille, s’en sont atténuées largement, tu as recommencé à dormir. une forme d’équilibre est atteint.  

tu te sais mue par l’amour du réel.  

le réel du symptôme.  

et tu entrevois qu’il ne s’éteindra pas, que sa source ne s’épuisera pas, que tu trouveras à t’y abreuver sans fin. il y aura toujours quelque chose à écrire.  

tu penses que tu es privilégiée. tu penses que tu as fait de ta condamnation un privilège. tu sais que c’est une question de vie ou de mort. qu’il y a d’autres questions. comme celle du temps, que l’on n’arrête pas. mais que celle-là, quoi qu’il en soit, tu ne peux pas y renoncer. ce sera toujours dans la balance. ça n’est pas nécessairement confortable. c’est un choix que tu dis malgré toi. que tu n’as pas élucidé. dont la maladie est un nom. tu as avancé jusque là entre les murs formés des vagues relevées de l’ angoisse, toujours prêtes à t’engloutir. avancé dans la mer morte.  

du rien, tu voyais le lien à la mort, au suicide, à l’échec, au ratage, à l’anonymat obligés. du rien tu craignais les ravages sur ton fils.  

du rien, tu voyais l’oubli perpétuellement avançant, grignotant, la perte inéluctable de la langue, de la raison.  

tu as considéré les mots qu’il te restait, et l’estime où tu tiens ce qui avance ne s’ignorant pas seulement mu par la jouissance du parler en dépit du moindre sens.

du rien tu as vu les bouchées qu’il fait de la vie des uns, de la vie des autres. et du peu de poids qu’il accorde jamais à l’opinion où il n’en pèse d’ailleurs aucun, sinon celui-ci : par l’opinion tu trahis ton intelligence, non pas celle de l’Autre, celle de l’Un qui ne s’y laissera pas réduire. aucune opinion ne détermine, ne résout une identité, toutes te mèneront à te trahir, à trahir le flot, le non-identifié. je me dis alors : parle pour toi, c’est bien assez.

du rien donc, et ça en sera assez pour aujourd’hui, il te reste à trouver le moyen d’entrer dans la grande joie, et si ce n’est pas la grande porte, ce sera par la petite, l’étroite, et trouveras à l’enseigner de sorte qu’à ceux dont il est comme à toi le mot de damnation, tu

… rien

est-ce que j’ai seulement dit quelque chose?

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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