#02bis | La disparition inaperçue

On essaiera d’être ailleurs que nulle part. Ailleurs qu’à l’heure de nulle part.

On séparera le dehors et le dedans, on dressera la porte battante. On le fera artificiellement, par jeu. On se fiera une fois de plus au hasard, sachant qu’il n’y a pas de hasard personnel. Le hasard personnel est reprise, toujours. On quittera cet insupportable ton emphatique. On y ira, on recréera le passé. On partira dans l’inconnu.

On utilisera des lignes, des passages à la ligne, des paragraphes, des phrases. On écoutera la voix, on entendra son rythme, le rythme de ses syllabes, on galopera avec les doigts, petit trot sur les touches du clavier, petit rebond à chaque lettre, tu as vu comment ça se vit, l’écrit, de lettre à lettre, de petit bruit à petit bruit à petit bruit, le rythme battra, le corps vivra, l’auteur, si ça trouve, s’inventera.

Le jour étant venu, on tirera les rideaux, accueille le jour, te voilà, seul, me voilà seule, à nous mon chou, et les vitres sont bien sales qui me séparent de la maison d’en face et de ses fenêtres qui ne me regardent pas, endormies encore.

A moins que je ne remonte me coucher.

J’éteins la lumière inutile, je n’effacerai pas ces mots inutiles, j’agis en témoin de l’inanité. Je donne le nom, non, je donne son initiale : W, rue W. Voilà, je peux aller me coucher maintenant. Non. Le labo de la rue W. Le grand laboratoire vide et de blanc carrelé de la rue W. L’un de ses quatre murs, celui sur la droite en rentrant, recouvert sur toute sa moitié supérieure d’une grande fenêtre divisée en meneaux qui s’ouvraient verticalement, quelques uns, pas tous, quelques uns disposaient d’une poignée horizontale, qu’on abaissait pour ouvrir le carreau qu’on tirait vers soi, quelques uns, un seul peut-être, était doté d’un ventilateur. Tout le long des quatre murs courrait la paillasse, une table carrelée de blanc elle aussi, encastrée dans le mur, par endroits trouée de profonds lavabos rectangulaires de faïence blanche, et abritant des placards dont les portes de bois peintes en blanc s’ouvraient d’un petit coup sec accompagné d’un bruit bref caractéristique par une poignée métallique verticale, dont le design fuselé rappelait les années 60. Dans l’un des 4 coins de la pièce, le plan de travail s’interrompait, et, alors que ça paraît tout à fait improbable, il me semble me souvenir qu’il y avait une douche, ou deux, je ne sais plus sous quelle forme, et que le sol à cet endroit, toujours carrelé, était abaissé, formait une sorte de pédiluve de piscine, équipé d’ailleurs d’un grille métallique carrée d’évacuation d’eau. L’espace du laboratoire était clair, nécessitant rarement la lumière des néons pendus au plafond. Cet endroit avait dû être très occupé, je veux dire, je les vois, les laborantins en blouse blanche, tous assis sur des tabourets, il en restait d’ailleurs 2, penchés sur leurs tubes et leurs petites affaires à faire quoi? Nul ne le sait plus. Tandis qu’au dessus du coin à la douche qu’il n’y avait probablement pas, j’avais fini par remarquer une petite trappe surélevée dans le plafond. Qu’un jour je ne sais comment j’étais arrivée à soulever, à me hisser alors dans ce grenier caché pour y découvrir, sous une hauteur trop basse de plafond pour s’y tenir debout, quelques tonneaux vides. Je m’étais alors installée là, assise au sol, en tailleur, avec cette idée, saugrenue, de ne plus en ressortir. Il va de soi que ça n’avait pas longtemps tenu, que j’étais ressortie de mon abri, ma cachette, personne probablement ne s’étant aperçu de ma disparition. De cet endroit, je n’avais révélé l’existence à personne.

(Le laboratoire était attenant à l’arrière de la maison, son toit plat se penchant de toutes les fenêtres côté cour. Il n’avait aucune utilité. Mes frères y ont joué au ping pong. Pour atteindre aux parties occupées de la maison, il fallait traverser le dépôt de toiles du rez-de-chaussée, ne trouver personne dans la salle de télé et grimper les escaliers. Moi, je jouais au jokari, seule, sur les pavés de l’allée qui longeait la maison, où l’on parvenait par le laboratoire.)

Je crois que ça ira bien comme ça.

Ecrit dans la nuit du 5 au 6 août, pour répondre à la proposition 2bis de l’atelier du 21 juin, https://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article5245

#03 | Blanche

Une autre nuit, une autre nuit parisienne, en trombes la pluie tombe à 1 mètre de celle qui écrit fenêtres d’été ouvertes et au  bout de la rue, elle entend, battements sourds et répétitifs d’une fête.

Écrire dans la perte de la langue. Écrire dans son bégaiement. Écrire depuis ce qu’il y a, non de ce qu’il devrait y avoir. Voir alors ce qu’il y a. Écrire depuis les rives de la perte de ma langue, depuis mon bégaiement. Dire la langue même comme symptôme. L’exposer. La langue d’avant le polissage, la mise au pas.

Est-ce que toute langue ne navigue sur sa perte.

Oh, je parle ici de la langue individuelle, privée, de la langue de chacun.

Si nous ne sommes plus sûrs du nom de celle qui une fois encore écrit dans le noir, nom que je vais vous rappeler, soyons sûrs de son sexe : féminin. Elle, est Sonia, Delarue, l’autrice, l’auteure, l’auteur. Le sexe, lui, est sûr et certain.
Sonia Noire Delarue. La voilà.
Seul lieu de l’absence de doute, son sexe, son être féminin, laissons-le lui.
Hier avant-hier demain aujourd’hui là maintenant tout de suite après-demain pour toujours et à jamais, féminin, petite fille, femme. Elle y tient.
Sonia.

(Il n’y a pas la haine de son propre sexe, en revanche, il y a un grand goût de l’autricité (pléonasme)).

D’ici à ce qu’on la diffame. Se rendre compte de cela déjà c’est pas mal.

Sonia s’est installée un creux de la nuit, à Paris cette fois. Période des vacances oblige, l’autrice bouge.

Revenons au lieu précédemment décrit, c’est de lui qu’il convient de dire un mot de plus. Le laboratoire blanc. Où l’autrice fit apparaître une figure dont elle tarde à faire un personnage. La figure d’une petite fille, d’une jeune fille de quatorze ans possiblement, ou de quinze ans plutôt, ou de seize, malheureusement. Il y a tout en elle à ce moment, encore tellement en elle de l’enfant, dans cet indéfini où elle se trouve, cette sorte d’indéfini, dans ce pourtant excessivement féminin, petite fille, jeune fille, même si la jeune fille est plus pénible à évoquer, qui dans son exploration de ce lieu blanc, découvre une trappe au plafond, la soulève, y monte, s’y installe et alors ressent ce terrible désir de rester là, cachée, dans cette soupente, de ne plus réapparaître. Au monde ne reste que ce désir, qui prend tout, et ce désir est blanc, aussi blanc que le laboratoire, il est sans sentiment, sans sensation, sans couleur, neutre, il s’impose à elle, et durant une heure peut-être, elle reste là, assise dans la pénombre, ayant refermé la trappe derrière elle. Et si elle est jeune fille, alors elle se sent, je la sens très petite fille encore. Dans ce lieu-là, dans ce qu’elle fait à ce moment là, elle est petite fille. Elle redevient, elle retourne.

Et ce qu’elle serait comme jeune fille, serait refoulé, complètement. Quelque chose éventuellement comme tout le malheur d’être jeune fille, comme cette sorte d’horreur, ou d’extériorité à soi. Que cela vous arrive, que des choses se soient mises à vous arriver.

Quand elle se mure dans le mur, quand elle se terre sous le toit, elle redevient petite fille. Elle rejoint quelque chose de son être. Et elle a l’idée de ce fantasme qui consisterait à pouvoir voir sans être vue. Cela la prend, cette terrible envie qui consisterait à voir tout son saoul et à n’être pas vue.

Tout ça est neutre, irréel, silencieux.

Irréel est le bon mot.

Probablement un nom la ferait-elle passer de figure à personnage.

Maintenant, il faudrait arriver à sortir de ce laboratoire. Je ne suis pas sûre que ce soit sa mère à la petite fille, à la jeune fille, à la jeune Blanche, qui soit venue la chercher. Non elle est redescendue de sa cachette, et sera remontée, mine de rien, rejoindre sa famille.

Traversé le dépôt, pris les escaliers, grimpé, passé l’atelier, grimpé, le palier, la porte, sa clenche métallique, ouverte. Et tout de suite, l’impatience du père à son égard, l’exaspération exprimée, c’est bien vrai qu’elle est devenue jeune fille, la petite n’éveillait pas cette exaspération. L’impatience à cause de son retard. Elle ne dit rien, elle traverse le salon, elle les rejoint à table où ils étaient 4 à l’attendre.

Donc, il y a le père dont il va falloir dire quelque chose, et on le tentera, même s’il semble bien que tout son personnage, à lui, tienne dans ce mot : père. Que ce mot-là à lui seul suffirait à le désigner, à le faire apparaître, qui est-il, il est le père, il est d’ailleurs barbu.

Mais il faut d’abord, encore que je vous dise, le souvenir, la présence absolument fantomatique de Blanche. Cette devenue jeune fille, abondamment, excessivement, toute encombrée de son corps, dont elle maîtrise et jouit pourtant parfaitement de la conduite, de la manipulation intérieure, ce corps qui dit d’elle plus qu’elle n’en sait elle-même, et alors qu’elle se maintient dans cette zone de non-savoir, ce corps qui de l’intérieur connaît les rôles, les rôles qu’il est à sa portée et à son plaisir d’adopter, ce corps adopte toutes sortes d’attitudes qu’elle n’est pas loin d’observer de son côté, comme les autres, éberluée, muette. Quel corps joue-t-il, rejoue-t-il. De l’intérieur, il invente. Des attitudes, des postures, qui sont plus fortes qu’elle et qu’elle n’est pas loin d’admirer, elle adopte ce qui s’impose à elle, et qu’il lui est physiquement agréable d’adopter. Une arrogance, disons.

Une arrogance, principalement. Qui lui vient de ce corps de jeune fille. Dont il n’est pas du tout dit qu’elle l’aime. Mais il a toutes sortes de capacité de jeu, de cosplay, et il faut qu’elle se défende. On n’en dira pas plus pour le moment, mais tout ce que son corps est devenu la met sur la défensive, l’y oblige.

Et alors que c’est vraiment en fantôme qu’elle a grimpé les escaliers, dès qu’elle a poussé la porte, qu’elle a entendu les protestations du père, tout le rôle s’est mis en place, a pris possession de ce corps tout en en jambes, en fesses, en ventre, en seins, en cou, en yeux, en cheveux. Et par dessus tout, en vêtements extravagants.

Lui, le père, à ce moment-là, c’est comme s’il n’y avait que lui dans la pièce, qui l’attend de tout sa masse d’exaspération, depuis sa place à la table,. C’est comme s’il n’y avait que lui et elle, elle qui s’avance, sur ses talons de quinze centimètres, et qui va prendre sa place à elle, en bout de table, en face de sa mère.

Une arrogance, un zeste de triomphe, habillent un abîme de silence. Elle est montagne d’indifférence.

C’est l’heure pour l’auteure de reboire un café et d’aller se coucher. Vas-y vas-y, ça suffit.

Pourtant, il y a encore quelque chose que je voulais dire, à propos de Blanche dans la soupente, il y a la pensée, le souvenir qui lui revient d’une autre petite fille. Qui fut jeune fille. Aussi dans une soupente, dans un grenier. Dont elle avait lu le livre à l’école. Cétacé.

Écrit à Paris, dans la nuit du 12 au 13 août, et publié ici à la date de l’atelier du 25 juin, #03 | comme je l’avais dit, Gertrude Stein

#03bis  | crème à la vanille

Son père avait pourtant été le dernier arrivé à table. Et ce n’est jamais qu’un court moment qu’ils avaient été là tous les 4 à l’attendre. Chacun se ressemblant. 

Sa mère n’avait simplement pas osé dire qu’elle ne l’avait pas trouvée, se taisait, perdue dans le silence de cette disparition. Elle était montée dans les chambres, le dîner prêt, chercher les frères, puis descendue au sous-sol, la chercher, elle Blanche, où elle ne l’avait pas trouvée. Etait remontée, n’avait rien dit. Cette fatigue. Les garçons déjà à table, avait rallumé les plats, puis éteints, ne savait pas quoi faire, craignait l’embarras de l’arrivée du père. Etait alors redescendue dans un sentiment de catastrophe, de mort, dans ce sentiment que sa fille était morte, était redescendue à son appartement, était allée au laboratoire, qu’elle avait ouvert puis fermé, ne la trouvant pas. Elle est remontée, s’en voulait d’avoir d’aussi sombres pensées et les disputes qui allaient suivre la fatiguaient à l’avance. Blanche est sortie sans rien dire, s’est-elle dit, elle sera sortie acheter des cigarettes, voilà, elle va revenir, et comment éviter la colère du père, qui n’était pas bonne pour lui. A la cuisine, assis l’un à côté de l’autre; les garçons avaient faim, s’inquiétaient du dessert. Où est Blanche, Blanche ne va pas tarder.  

Cela faisait des jours qu’il pleuvait sans discontinuer. De l’autre côté des immenses fenêtres qui ouvraient tout le mur de la cuisine, eux dans un paquebot, la pluie tombait souveraine sur les toits.

Théo inquiet, se taisait, ne répondait que distraitement aux sollicitations de son frère qui s’agitait. Des inquiétudes à propos de l’école, une vague inquiétude, ou plutôt certaine, cet élève qui, et cet autre, et qu’il allait falloir y retourner, ce qui pourrait se passer pour n’y retourner pas, un tremblement de terre, un tremblement de terre, et être seulement avec sa mère, être seul avec elle, voilà, qu’ils disparaissent, attraper sa mère au passage, maman. Maman. Fermer les yeux. Enfouir son visage dans son giron, que ça s’arrête. Que ça s’arrête. Mais ça continuait. Bien sûr, ça continuait.

Yann lui tel un oiseau volète et se lève et se rassied, et s’éloigne, et revient, lui l’absence de sa soeur l’inquiète. Comme sa mère il redoute les scènes qui ne manqueront pas de survenir.

Le père alors rentre, et tout de suite, Elle est où, Blanche. Et la mère qui dit qu’elle va arriver, et le père qui tape du poing sur la table en se mordant les lèvres et la mère, Ne t’énerve pas chouchou, ce n’est pas bon pour toi, Oh écoute Lydie, dit-il, c’est toujours quand il est énervé qu’il dit son nom en entier, Lydie, s’il-te-plaît, ne dis rien, on sait bien que tu… On n’en peut plus à la fin. Il se tait, il ne dit plus rien. Yann dit un mot sur ses derniers résultas, J’ai eu dix, dit-il, en math. Ah, c’est bien, dit la mère, c’est formidable ça, elle ajoute. Bravo, Yann. Et, Yann se tourne vers Théo et lui parle d’une carte du jeu d’atout, Quartet, ça s’appelle le jeu, auquel ils sont occupés à jouer en ce moment, lui et son frère, un jeu sur les avions de chasse, parce qu’il sait que le père aime beaucoup entendre parler de la guerre et des avions, donc, il parle des extraordinaires atouts d’un avion untel, qui est l’avion à avoir, qui est sa carte préférée. Et Théo embraye de sa voix douce, il le fait, c’est comme dans un rêve, il répond à son frère, il parle d’une autre carte, d’un autre avion, et les voilà partis, et Yann est sur le point d’interroger son père sur un avion quand il entend derrière s’ouvrir la porte, là voilà, elle est là. Ah, mais c’est pas trop tôt, dit le père, trop fort, c’est pas trop tôt, et est-ce qu’il va falloir comme ça tous les jours, etc. Yann entend les talons de Blanche sur le plancher, il voit le visage de son père trembler d’exaspération, sa mère s’est levée, s’enfuit-elle, non, elle se lève, va chercher les plats, elle revient. Blanche s’assoit à sa place. La mère dit : C’est raté, je ne sais pas comment j’ai fait, c’est raté, elle parle du plat, et personne n’y prête attention. Et le père dit à Blanche : Alors, tu ne dis pas bonjour au créateur de tes jours ? Et Blanche ne dit rien, et le père pousse un soupir excédé, un de ses extraordinaires soupirs excédés. Et Blanche est championne pour ne rien dire, sans qu’on puisse dire que cela lui plaise, le silence où elle se mure. Donc, elle ne dit rien. La mère dit, vous, ça va être froid. Et puis, Il n’y en aura jamais assez. Je ne sais pas ce que j’ai fait. Et Yann demande ce qu’il y a comme dessert. Oui , maman, qu’est-ce qu’il y a comme dessert, renchérit Théo. Des crèmes à la vanille. Miam. Et Blanche dit J’en prends pas, régime. Et le père lève les yeux au ciel.

Écrit à Donn, tout à fait à contrecoeur, mais il faut bien continuer, la nuit du 16 au 17 août, et publié ici à la date de l’atelier du 28 juin, #03bis | quatre par quatre (Gertrude Stein encore)

#03ter  | semblant de mer

Le lendemain, rêve de Blanche :

Je suis au château (Noirtier). Il y beaucoup de monde. Nous devons partir, prendre un train, rentrer à Bruxelles. Je rencontre Nathalie Fièvre qui me demande de rester quelques jours encore, qu’on puisse étudier, réviser ensemble pour l’examen. Je pense que je n’ai aucune envie d’étudier, que je ne me sens pas du tout en état d’étudier, mais que je resterais volontiers là quelques jours encore. Elle me dit de l’accompagner pour le petit-déjeuner qui va se prendre au village, avant le départ. Je la suis et descendant la route, nous fumons un joint.

C’est un drôle d’endroit où nous arrivons. Très grand, il y plusieurs niveaux, du monde. Je ne me sens pas bien, c’est à cause du joint. Je repère la table du petit-déjeuner. Mon père arrive. Il s’y assied en bout de table. Je m’en vais. Je dois chercher mon petit-déjeuner, et surtout, je voudrais appeler ma mère pour lui dire que je ne rentrerai pas à Bruxelles tout de suite. Mais je n’arrive pas à faire son numéro. Je ne me sens vraiment pas bien.  Je retourne finalement à la table du petit-déjeuner, je sais que je les ai fait beaucoup attendre. Mes deux frères sont là assis, assis côte à  côte. Mon père fait une réflexion sur mon retard. Il dit : « Je déteste … » Je pourrais lui expliquer, lui dire que j’ai fumé, que je ne me sens pas bien du tout, mais je ne le fais pas. Je me lève. Je m’en vais, c’est définitif.

J’essaie peut-être encore de  téléphoner à ma mère.

Ensuite, changement de scène. Au travers d’une vitre, je vois l’intérieur d’une sorte de sauna, pour femmes. Elles sont quatre. Nathalie et Irène sont là. Irène surtout. Irène Doutremont. Elles sont toutes très bronzées. Je pense que ça a l’air agréable. Couchée sur une banquette, nue, peut-être recouverte d’une serviette blanche, Irène est comme envahie par des vagues, qui la prennent, la contournent. Prise dans un semblant de mer. On la sort sur sa civière, nue, élevée dans les airs, à bout de bras, son visage radieux.

Je m’étais demandée si je pourrais y aller moi aussi, mais j’avais pensé que je n’étais pas assez  bronzée. Que j’étais blanche, blanche, blanche. J’avais regardé toutes les femmes, il y en avait bien qui étaient moins belles, normales, mais toutes étaient bronzées.

En me réveillant, je réalise que le numéro de téléphone n’était pas celui de ma mère, mais que son indicateur est celui du château, comme si au lieu d’appeler ma mère, j’essayais de m’appeler.

Écrit à Donn, matin du 17 août, et publié ici à la date de l’atelier du 28 juin, #03bis | quatre par quatre (Gertrude Stein encore)

#04-00 | le train vers Noirtier

Je voudrais qu’on la voie, je voudrais vraiment qu’on la voie dans un train, et qu’on voie d’elle l’image qu’elle ne voit pas d’elle-même, cette image que l’auteur, Sonia, n’a pas plus les moyens que moi de décrire.  

Je voudrais qu’on la voie, Blanche dans son compartiment de train, elle dont à vrai dire l’auteure ne possède pas grand chose de plus que le nom. Qui pourtant aimerait l’écrire ce personnage de Blanche, mais qui ne peut le faire qu’en creuxQui a cette faiblesse de vouloir écrire le creux et qui en fait trop.  

On arriverait seulement à dire d’elle, de Blanche, qu’elle est une enfant, on ajouterait avec empressement qu’elle est une petite fille.  

Je voudrais qu’on en voie l’image aussi bien que l’image qui manque. L’image qui lui manque à elle.  

Blanche à ce moment là n’est pas seule. Elle n’est pas encore seule. 

Sonia qui écrit, écrit depuis cette absence de Blanche à l’image, depuis l’intérieur de Blanche, où il y a probablement une voix, de conscience, et un grand nombre de particules, une densité sombre, mouvante. Il est possible que Blanche n’ait alors pas de regard sur elle-même. Aucun. 

Dans le compartiment où ils sont cette fois à cinq, où ils sont tous les cinq, il y a son père sa mère ses 2 frères. Elle a une place près de la fenêtre, son autorité d’aînée. Les enfants volèteront d’une place à l’autre, s’échangeront. 

Autorité d’aînée, exception féminine. Elle, les deux garçons. 

C’est dingue ce que ne rien dire peut prendre de mots et  rapidement trop. 

Je ne ferai pas semblant que c’est facile, cela je ne le ferai pas, en effet.  

Je disais donc qu’il était possible que Blanche n’ait alors aucun regard sur elle-même. Il y aura probablement le regard du père, et le regard de la mère, et qu’elle se tienne là, dans leur regard, de l’un ou de l’autre ou de l’un et l’autre confondus, que ce soit là sa consistance principale. Vous ne l’auriez pas vu, si vous aviez été là.   Vous, vous auriez vu le jeune corps long, les cheveux bouclés, on lui dit blond vénitien souvent,  les yeux bleus. C’est  à Sonia qui écrit de le montrer.  Il est possible qu’il y ait son regard à elle, Blanche, son regard sur ses frères, ses frères aussi sous le regard de leurs parents. Il est aussi possible qu’on se situe dans une sorte d’avant, qui serait celui de l’enfance. L’avant de l’enfance de Blanche. Quand Blanche est dans le regard. Le regard qui va se défaire, qui va s’éloigner. S’effilocher. Ce qui se passe pendant les vacances. 

Il est certain qu’il y eut un moment où Blanche l’a vécu ce moment, s’y trouva, y était. Qu’elle tînt un conversation, qu’elle bavarda, qu’elle rit, qu’elle fit rire, qu’elle bouda, qu’elle se tourna tantôt vers son père, tantôt vers sa mère. Qu’elle le fit tout ça, qu’elle inventa des jeux avec ses frères, pour ses frères, qu’elle commandait. Qu’elle ferma les yeux.  

Nous ne vivons pas tous dans le même rapport au temps. Celui de Blanche est difficile à ponctuer.  A préciser, à nommer. Le temps de Blanche a tendance à se superposer. Une tranche se pose sur une autre, une feuille de temps sur l’autre, les feuilles sont fines et ne sont pas numérotées. Les étés se superposent, bientôt ne font qu’un seul été, de plus en plus rapide.

Les parents ce jour-là  conduisent les enfants au château de  Noirtier où ils resteront tout l’été. Cela est sans souvenir, cela a eu lieu. Aussi sûrement que Sonia écrit ceci aujourd’hui, cette quantité excessive pour étoffer le manque, qui n’a d’ailleurs pas plus que ça besoin d’être étoffé, mais pourquoi alors tant dire, broder. S’il arrivait par inadvertance que quelque chose se dise, se dise de cette entité, familiale, de cet amour, de ce qui est sur le point de se défaire, et qui touche à ce que Sonia à pu dire de l’être-dans-le-regard de Blanche, où elle était jusque là sans interrogation.  

L’extraordinaire, c’est que ce moment où Sonia écrit, destiné à l’oubli, est, a été, aussi sûrement que l’est, que ne l’a été ce voyage à cinq vers Noirtier.  

Blanche retournera à Noirtier, au château de Noirtier. Ceci se répétera, avec d’infimes glissements qui lentement, précautionneusement se superposent. Une année venant creuser l’écart de l’autre. Ceci se répète dans le même et dans la différence. Les parents qui les conduisaient, accompagnaient, la mère qui y alla seule, les conduire là-bas, les laisser. Et enfin Blanche seule avec les garçons pour ce long voyage vers les Ardennes belges, qui durait 4 heures, qu’il lui arriva d’ailleurs de faire seule. Avec toutes ces angoisses concernant les changements, les changements de train.  

Une chose ici est inventée : qu’il y ait eu Blanche dans le regard, avant, et puis qu’il y ait eu Blanche après. Un après qui vient lentement dans un corps qui se transforme lentement. Grandir. 

(On peut reprocher Duras à Sonia, on le peut. Les phrases courtes. La solennité. C’est que littéralement Sonia la reçut, cette solennité, nulle part ailleurs existante, de Duras. La solennité par la phrase. La ponctuation par la phrase. Pour celle en passe de perdre ce lieu  de consistance, du regard, la solennité d’une phrase, la certitude qui s’y lie, l’équivoque explosée, peut sortir de l’insigne, de l’indigne. Sonia qui retrace un fragment d’enfance, est rattrapée par ce style si souvent imité, jamais égalé de Duras. Que Blanche découvrira quelques années plus tard. ) 

Blanche est une petite fille normale, jolie, et qui ne remarque pas qu’elle est solitaire, que dès qu’elle sort du giron familial elle est seule. Blanche ne le remarque longtemps pas, tant qu’elle est dans une absence de regard sur elle-même, une inconscience. 

Heureusement à Noirtier, il y a Albane, tante Albane. Qui n’est d’ailleurs pas vraiment une tante. 

Ecrit et publié au matin du samedi 19 août à Donn, publié à la date du 2 juillet, en réponse à la propositions #04 | superposer les temps
Bien sûr, j’ai complètement foiré, puisque je n’ai pas le deuxième temps. Enfin, j’ai rempli la première moitié du contrat. Je pourrais, plus tard, faire le parcours répété.

#01bis  |  le bloc brouillon

Avant cela. Réfléchir peut-être à la façon dont ça a commencé. Dont ça aurait commencé, écrire. Il y eut les devoirs d’école, les rédactions les dissertations. Et déjà, il est vrai la surprise de ce que ça s’écrive et qu’il n’y ait pratiquement rien à rajouter, jamais à corriger, tout d’un coup le point final et puis les félicitations des professeurs. Il dut y avoir quelques lettres. Des journaux quelquefois entamés, rapidement détruits. Et l’accident, elle a 18 ou 19 ans. Elle se rend à une répétition de théâtre et une voiture lui cogne le genoux comme elle avance la jambe gauche pour traverser. Elle est opérée, on lui annonce ensuite qu’elle doit rester 3 mois sans mettre son pied à terre. Elle loge chez ses parents. 

Sonia, dans le canapé lit les livres que lui apporte son ami, lit les livres, regarde les films. Découvre ainsi Duras. Les films, les livres. Son premier livre de Freud. Beckett. Une introduction à la lecture de Jacques Lacan, Tome 1, Tome 2, qu’elle dévore. Et c’est au cours de cette  dernière découverte  qu’elle se met à écrire un roman qui lui vient comme un rêve, dans la plus grande facilité, aussi bien qu’étrangeté. Jour après jour, elle remplit le bloc, les blocs de papier brouillon qui ne sont ni lignés ni quadrillés, aux feuilles beiges, un peu rêches, qui se détachent par le dessus, à la couverture verte, de son écriture régulière. À aucun moment avant d’écrire elle ne sait ce qu’elle va écrire et cela lui plaît. Si ce n’est qu’elle aura quelques difficultés à le terminer, cela ne sera terminera pas vraiment. Enfin, la fin ne sera pas à la hauteur de l’intrigue de départ. Un homme a un accident, se retrouve à l’hôpital, on découvre qu’il a trois lettres écrites dans sa tête, PER, il se dit qu’il a la marque d’un produit à laver la vaisselle inscrite dans sa tête. Et c’est alors son histoire qui commence, qui est plutôt son absence d’histoire. L’homme est calme et fade. Sa femme, il en a une, à tout d’une marâtre. A-t-il une fille. Il rencontre dans des circonstances étranges une jeune femme, Anna, qui s’avère être une extra-terrestre. D’où elle vient, les êtres sont faits entièrement de lettres. 

Il avait fallu alors taper le roman, à la machine. Peut-être même fallut-il pour cela apprendre à taper à la machine. C’est la grosse machine à écrire électrique de sa mère. Les 3 mois d’arrêt avaient passé, il fallait reprendre là où on avait tout laissé. 

Sonia pensait qu’elle était entre-temps devenue écrivain.  

Même si elle n’en était pas absolument convaincue. 

Ne restait il l’importante question de l’édition.  

Enfin, elle pensait que ça ne cesserait pas, la facilité à écrire. La possibilité de la fiction.  

Elle continua. 

Il y eut des écrits volés1. Auxquels, elle tenait beaucoup. Des écrits lumineux. 

Un fol amour épistolaire.

Elle commença une analyse. 

Tout en poursuivant l’écriture d’un roman qu’elle finit pas découper en nouvelles.  

Car son écriture change avec l’apparition des ordinateurs et les possibilités infinies du copier/coller. Ils sont loin les blocs de papier brouillon sans rature. Son écriture toujours pleine de ses lectures. Duras, mais surtout Beckett.  De courtes fictions proches du rêve, de la fable. Petit à petit, elle se perd dans les phrases qu’elle ne cesse plus de retravailler et le doute l’assaille.  Elle envoie des manuscrits à des éditeurs. Elle n’ose se faire lire de personne.  

Elle abandonne l’écriture de fiction. Bien plutôt la fiction l’abandonne-t-elle.

Elle se met à écrire sur sa propre analyse. 

Elle mit un temps fou à rejoindre, à entendre ce qui se formulait d’elle dans ce qui fut son premier roman et s’avèrera être le dernier. A le rejoindre et à peut être trouver le moyen de le dépasser.  

  1. La première fois, il s’était agi d’un bloc brouillon rempli des histoires de Decodine. Ils étaient dans son sac qu’elle avait à l’arrêt déposé sur le siège avant de la voiture, à sa place, celle du mort, et le temps qu’elle charge à l’arrière le coffre de la voiture, le sac et ses précieux écrits disparurent. C’était le jour où elle quittait la maison de ses parents. La seconde fois, ce fut un peu plus tard, ils lui furent subtilisés lors d’une perquisition de police dans son appartement et jamais restitués. Là, il s’agissait d’un journal « secret » (dont certains propos lui furent renvoyés à la figure lors d’un interrogatoire; des coups à cesser à tout jamais de tenir un journal). ↩︎

#04bis-00 | l’auteure participe à un atelier d’écriture

l’auteure ma foi ne s’en sort pas. elle participe à un atelier d’écriture et les consignes qu’elle se coltine… cette fois, n’en pouvant plus, elle décide d’en inventer une nouvelle, plutôt elle décide d’adapter l’existante, d’adapter la consigne existante. on n’attend rien d’autre de toi. rien, personne, dit Sonia, n’attend rien de moi, qu’on n’essaye pas de me faire croire. elle est seule à attendre quelque chose d’elle, elle dit. cela dit, la galère de c’t’atelier. en fait, c’est une débutante.

« dans la nuit de samedi à dimanche » sera votre guide, votre mantra, et par sept fois, vous l’écrirez, et par sept fois, quoiqu’il vous passe par la tête, vous l’écrirez, vous voyagerez de nuit de samedi à dimanche en nuit de samedi à dimanche, sans vous soucier d’aucune chronologie, d’aucun passé, d’aucun présent, d’aucun futur. sans vous souciez de votre totale absence de mémoire, si c’était le cas. si c’était le cas, si la mémoire vous manquait, si la mémoire venait à vous manquer, si vous n’aviez jamais eu le sens du temps, eh bien, cette fois, c’est voulu, c’est l’atelier pour vous : la liberté par rapport au temps est totale. non, ça n’est pas nouveau ce que l’on fait, ça a même pris des appellations diverses, c’est historiquement daté, peu importe, on le fait à nouveau, on le refait. la seule contrainte vient de l’antienne, dans la nuit de samedi à dimanche, avec laquelle vous pourriez aussi bien ne chercher, n’entretenir qu’un rapport de rime. vous écrivez avec ce que vous êtes quand le sens du temps vous échappe, depuis l’enfermement où vous êtes dans un temps présent. et vous vous permettrez des sauts dans le temps, ou vous vous obligerez à des sauts, qui appartiennent aux sauts habituels de la conscience quand elle se laisse à dériver, quand elle laisse l’inconscient tenir la barre.  ce n’est pas nouveau ce qu’on fait, simplement on le fait. vous veillerez juste à rester conscients qu’il s’agit seulement  de la tentative de mise au monde d’un objet d’écriture, d’un jeu, de ce qui se fait avec la langue, d’une fiction avouée et donc en  rapport avec la vérité. avec une vérité, la seule qui vaille, la non-universelle et absolument ponctuelle. vous espérerez seulement la présenter d’une façon telle qu’elle puisse, au moins pour un temps, contaminer quelques lecteurs. autrement dit, vous tenez la vérité comme une maladie, vous en vantez les qualités. 

ça ne serait néanmoins pas mal que l’on ressente quelque chose de la grande hache de l’histoire de l’inexorabilité absolue de la flèche vers la fin et de la mélancolie que ça entraîne ou de la terreur (ou de la joie). l’ombre ou le motif. et c’est d’ailleurs de cela qui s’agira dans cet exercice. mais par la bande, de biais. comment on fait pour y faire face.  face à la hache.  

si vous aviez la moindre intuition que pour s’en sortir c’est au cœur de la hache qu’il faut se tenir, vous irez là, sur le fil du rasoir, comme vous savez faire. comme vous savez le faire, j’ai toute confiance en vous.

on attendrait donc de chacun qu’il donne une idée de sa mesure, de son traitement de la mesure. la mesure aussi comme la vérité, une maladie. face à la démesure de la mort, aucune mesure qui ne se conçoive au bout du compte que comme une mesurette, une dérisoire, et pourtant dans cette mesurette, on peut aller s’enfermer, trouver refuge, abri. la mesure est une fiction qui permet de battre le temps, d’en jouer, d’en jouir. enfin là c’est moi qui délire et vous m’en excuserez. 

on le fait aussi pour vous permettre de trouver votre mesure, votre tempo particulier, votre façon particulière de faire battre le temps, votre mesure et vous permettre d’échapper un moment à la mesure des autres, à la commune mesure. de faire vos propres recoupements. parce qu’enfin, l’histoire, même avec un grand H, n’est jamais qu’un traitement de l’oubli, de la perte. cette perte qui nous frappe les uns et les autres diversement, laissant certains plus longtemps sur le carreau. et quand on n’a pas l’histoire, on a la durée. ou quand on n’a plus l’histoire, on a la durée.  

ah oui donc, je disais par sept fois. ça aurait pu être par trois fois. mais par 7 fois c’est bien, c’est un tout petit peu trop long. surtout c’est arbitraire, sept, en même temps, ça n’est pas rien, non plus, comme chiffre, je ne vais pas m’embarquer par là. mais vous pourriez vous y fier, avant envie d’y croire à la magie du chiffre, à la magie du chiffre sept, à la magie tout court d’ ailleurs, comme je l’ai déjà dit. donc vous le faites, vous numérotez, vous écrivez les numéros, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, et puis vous y allez. 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 à la bicyclette pouèt pouèt, comme disait ma mère du temps qu’elle mourrait lentement.  

à corriger : il faudra dans le futur  tout réécrire et dire qu’il s’agit de la reprise d’un atelier de François Bon, à l’été 2023, un atelier dont simplement on modifie un peu la consigne.  

à corriger 2 : il faudra dans le futur tout ré-écrire de façon à ce que tout soit CLAIR.

atelier François Bon du 2 juillet #04 | superposer les temps, publié ici le 23 août et écrit le 21 matin à Donn

#04bis-01 | dans la nuit de samedi à dimanche

Brouillon, les tentatives de Sonia pour répondre aux consignes.

  1. dans la nuit de samedi à dimanche, Sonia se figura qu’elle n’aurait rien à écrire sur aucune nuit jamais d’aucun samedi à aucun dimanche 
  2. dans la nuit de samedi à dimanche, Sonia admire la nuit, songe à la place de l’insomnie dans sa vie, se lève sans bruit, la nuit lui appartient, n’attend rien du matin 
  3. dans cette autre nuit de samedi à dimanche, à Paris, à songer au calvaire de sa mère eut peur de devenir folle, se rapprocha de Félix, eut envie de l’éveiller, que ses bras l’apaisent. se lève, apaisement par les  pieds dès qu’ils se posent au sol, les gestes lents, les gestes ralentis, écrira 
  4. dans une nuit de samedi à dimanche, se questionna une fois de plus sur ce qui en elle était de si mauvaise volonté, s’adressa calmement à l’entité inconnue. 
  5. dans la nuit de s à d, rêva, par 2 fois rêva, dormit. au réveil remercie le ciel des rêves reçus, les écrit.
    comment dire comment ces nuits toujours uniques toujours différentes, toujours tellement uniques, pourtant se ressemblent, s’assemblent, se superposent, se confondent, connaissent cependant une progression. s’apprivoisent. tout en restant chacune tellement une, tellement terriblement une, unique. et dans la perte déjà d’elle-même, une fois passés les somptueux moments d’éternité, ou désespérés, selon, aucune nuit qui ne soit éternelle, sinon. l’ennui, par ailleurs, de ces nuits qu’elle écrit, qu’elle décrit, nuit après nuit. un temps, elle a fait ça, Sonia.
  6. dans la nuit de samedi à dimanche, à Outrée, se prit par l’intérieur du ventre, sortit dans la nuit noire, s’éclaira d’abord de son téléphone, s’habitua, fit les mouvements de tai chi. caresser la nuit. splendeur de l’indifférence et de la vie. Sonia vit au loin le jour arriver, la rejoindre au bord du bassin.  
  7. dans une autre nuit de samedi à dimanche, elle ne comprend rien. elle voit que simplement une nuit se superpose à l’autre et que ça ne fait aucune sens. sa vie comme une longue nuit, qui pourtant lui est précieuse. appartenir à la nuit. cette réciprocité d’appartenance, cette identité, ce temps volé, ce temps reçu, ce temps d’exclusion, d’écriture. de silence. présence de la nuit. sans qu’il faille dormir à la belle étoile, présence perpétuelle du  ciel et son immensité, conscience sourde de la terre, de ses silences et des astres, de l’autre dimension, du hors-mesure. soi entre la gravité et la nuit des temps.

de sam à dim, les nuits de Blanche

  1. Dans la nuit de samedi à dimanche, Blanche dans une chambre avec Yann et Theo, ses frères, le papier peint observé, parcouru au matin des doigts, quelques chambres plus loin, les parents 
  2. Dans la nuit de samedi à dimanche. Blanche au grenier du château avec tous les autres enfants le dortoir, au milieu du dortoir, le trapèze suspendu  
  3. Dans la nuit de s à d, Donat et les autres arrivent en retard les roues sur le gravier, les voix, revenaient d’un pays chaud. Le garçon Donat.
  4. Dans la nuit de sam à di, au dortoir Blanche et quelques autres se sont silencieusement rhabillés, relevés, les marches descendues, le gravier à la queue leu leu vers l’orée du bois, ont décidé de dormir dans la grange. Cela plaît beaucoup  à Blanche, l’odeur, la clandestinité, la nuit. elle dort, ça pique, et au matin, si drôle, de raconte l’escapade à Albane, le petit déjeuner dehors sur la grande table en bois.
  5. Cette année, Blanche a une chambre seule, dans la nuit de samedi à dimanche, vers la salle de bain quand elle se lève, le plancher grince, l’odeur pourtant forte de la cire, l’image aperçue d’elle dans le miroir, quand elle pousse la porte de la sdb. Poignée de porcelaine. Et le dimanche, cette chambre où elle est remontée, qu’elle pénètre en plein jour, grandeur étrange du lit ouvert et blanc, les oreillers, comme une solitude neuve et belle et folle dans la vastitude des fenêtres ouvertes sur la prairie qui descend vers le village, conversations entendues sur la terrasse. On y parle de l’intelligence de ses frères et de l’Allemagne.
  6. Une autre nuit de sam à dim, Blanche s’est trouvée dehors un endroit sous les rhododendrons où elle ira dormir seule 
  7. Dans la nuit de samedi à dimanche, Blanche ne dort toujours pas, redoute la rentrée, ne dort pas 

On ne dit rien ici des inquiétudes de Sonia quant à, pense-t-elle, la multiplication des instances d’énonciation, là où, pense-t-elle, elle n’en voudrait qu’une et une seule. A la limite 2. L’auteur et le personnage. Qu’il n’y en ait qu’une, d’instance, n’empêcherait pas qu’elle ait plusieurs voix, que du contraire. Une à voix multiples. Comment alors les nommer ces voix. On constatera cependant déjà qu’il y a chez Sonia une grande attirance pour l’un et l’un seul, l’un tout seul, c’est qu’elle n’a pas grand chose de plus et que cet un peut facilement contenir le monde, c’est un est la marque une de l’illimité. le monde s’occupe pour elle de la diversité. Et les vaches seront bien gardées.

atelier François Bon du 2 juillet #04 | superposer les temps, publié ici le 23 août et écrit le 22 matin à Donn

#07 | de la préparation du corps – le cheval

Longtemps il y a eu un corps
Longtemps il y a eu l’image
Et c’était séparé
C’était comme un cheval à la tête arrachée et qui continue d’avancer
Un demi-trait

Je me tenais principalement parmi les déchirures
Dans le cercle des peaux déchiquetées
Au bord du noir de l’horreur, entre les deux épaules
Mais je me tenais aussi dans les jambes, 4, l’échine souple, la croupe, le fouet de la longue queue
Je n’étais pas dans la tête et le cou absents
Dans la merveille des yeux noirs, de la bouche douce, des oreilles soyeuses et intelligentes, je n’étais pas
Mais dans les sabots, les 4 sabots séparés, la corne rugueuse, l’ongle, si
(Les fers, eux, absents
Tous fers absents
Comme tous feux éteints)

C’est ainsi que je dirais après coup la séparation du corps et de l’image. Je vois que c’était comme ça. Et d’inconfort je roulais sur moi-même dans les rues en pente de l’enfance et aux pieds des foules adolescentes dans les parties, les fêtes, ne suscitant jamais qu’indifférence

C’était au commencement il y a longtemps, c’est sans souvenir puisque ça ne trouve ses mots qu’aujourd’hui

Il devait bien y avoir un sexe quelque part dans la masse susdite, l’animal extraordinaire, quelque part pas à sa place, je parie, qui naviguait qui s’échappait dans les replis de ce corps mouvant.

et qu’on ne s’étonnât pas que je fis montre de quelque exaspération.
on s’étonnait cependant.
je ruais.

Personne n’a vraiment envie de savoir comment réellement ça se vivait, ladite séparation du corps et de l’image. Personne n’en n’a envie parce que personne n’en n’a la moindre idée.

C’est pourquoi je me demande si je ne pourrais pas encore parler de certains aléas que vécut ce grand corps blessé. Mais je ne le ferai pas, je sens que je dois dire autre chose, sans encore savoir quoi.

Le corps tel qu’il est connu aujourd’hui mit du temps à se faire. On l’aura compris.

Ce corps qui était seul pourtant ne l’était pas, la terre est finalement parsemée de corps fort semblables. C’est là que s’insère l’image : je vois des tas de corps qui me voient sans jamais me voir comme je les vois ni comme il me voient. Alors que de ce corps même me parvient une foultitude d’informations non-informées dont nul ne sait rien, n’imagine rien, si ce n’est au départ de ce qu’il vit de son propre corps.

On peut dire que le corps était grand. Comme tu es grande. Dira-t-on qu’il était joli. On ne le dira pas puisqu’elle ne la jamais cru, pas faute qu’on le lui ait répété pourtant. L’autre drame du corps pouvant bien être d’être et ne pas être ce qu’on dit de lui. De n’être que ce que l’on dit et définitivement pas. L’autre schize ici bien mal affirmée.

Il faut alors aller vers la foule d’informations non-informées susdite. La sensation, dira-t-on. Et au-delà. De quel au-delà parle-t-on. De là où se situe le sentiment de soi, nulle part ailleurs repris, qui correspondrait au « je », nulle part repris, par la pensée toujours reprisé, et profondément ancré dans le corps non-vu, trouvant une limite dans l’image imaginée seulement de soi et reflétée par les miroirs et reflétée par les regards et les paroles en commentaires. Parfois les attouchements. Voilà. C’est quelque part là aussi que se trouve le collier d’épaule susdit, chevalin. Celui où je fondamentalement me tiens.

La somme d’informations non-informées par où on se sent soi, le faut-il qu’elles le soient ? A priori c’est soi aussi d’être non-informé. Je me comprends. C’est d’être le lieu de la vie. La vie ! Remballe-moi ça tout de suite. On appellerait ça la conscience de soi. Globalement. Le lieu de l’inquiétude.

C’est poinçonné par le nom qui tiendrait tout ça ensemble ? C’est ce qui se dit. C’est sujet à caution (… )

 

*
*     *

Voir la page de l’atelier de François Bon – un cycle sur les outils de l’élaboration et de l’invention du roman#été2023 #07 | de la préparation du corps, Francesca Woodman

Ce texte publié sur la page de l’atelier auquel je me suis inscrite  : https://www.tierslivre.net/ateliers/de-la-preparation-du-corps-0-1-schizes-1-et-2-cheval/#comment-43480

#07 | 0=de la préparation du corps, Francesca Woodman

C’est le texte par lequel tout a commencé. J’avais, l’après-midi, faisant la vaisselle, écouté la proposition de François Bon sur YouTube, et je m’étais promise de la réécouter en prenant des notes. Dès la nuit venue, dans le creux du noir, cette image est venue vers moi d’un cheval sans tête que j’ai écrite sur mon téléphone. Au réveil, cela voulait continuer, je me suis inscrite à l’atelier. Le soir, je reprenais l’écriture.
Cette proposition de partir du corps, de la sensation, plutôt que du sujet, de partir de ce qui avait mis effectivement du temps à se faire, de ce qui avait déjà eu plusieurs vies, et des moments d’abimes, des épiphanies, cela m’a paru absolument fécond.
« A partir d’Antonin Artaud, dit François Bon, qu’est-ce qui peut remplacer l’énonciation par le sujet si on utilise le corps, la matérialité des intuitions, des perceptions, des sensations »
Il y avait aussi cette idée de l’émergence du corps par l’accident ou la maladie. Du lien de ça à l’écriture.
C’est un texte auquel je tiens, dont je me suis demandé lorsqu’il a commencé, si je ne faisais pas mieux d’en poursuivre l’écriture seule, tant ça poussait au portillon pour sortir; mais j’ai choisi de m’inscrire à l’atelier, curieuse de ce que les propositions de FB pourraient encore provoquer en moi. Et puis, je l’avais déjà repéré cet atelier et c’est surtout faute de temps que je ne m’étais pas inscrite. Là, il commençait à devenir important que je prenne du temps pour moi. Du temps qui compte.

Ce texte publié sur la site de l’atelier du Tiers Livre auquel je me suis inscrite :  https://www.tierslivre.net/ateliers/de-la-preparation-du-corps-0-1-schizes-1-et-2-cheval/

Voir l’ensemble des participations : https://www.disparates.org/iota/category/ateliers-decriture/atelier-francois-bon/ete-2023-le-roman/

Voir la page de l’atelier d’été de François Bon : un cycle sur les outils de l’élaboration et de l’invention du roman :  #été2023 #07 | de la préparation du corps, Francesca Woodman

#07bis | Je me rends compte que je n’ai pas assez parlé de l’odeur

Le corps est moite et étalé.
La nuit est longue sans l’être jamais vraiment assez.
Est-ce qu’il ne faudrait pas que tout s’arrête.

Est-ce ce que tout ne s’arrête jamais assez.
Est-ce que la nuit ne manque pas toujours d’être noire.

Le corps est moite dense et étalé.

Je me rends compte que je n’ai pas assez parlé de l’odeur. De cette odeur, comme ce cœur, comme ce corps perdu. Je n’ai pas assez parlé du corps comme odeur. Pas assez. De ce qui s’en perd, et sans que je sache finalement si c’est de mon fait ou de celui du monde. Du corps comme volatilité, comme humeur. Du corps comme convoquant l’attrait immédiat ou le dégoût définitif. Comme le font les odeurs.

Pas plus je ne vous ai dit déjà que je perdais tout. (Et, je m’en aperçois à l’instant, que la perte des mots suit peut-être, plutôt qu’elle ne la précède, la perte des sens. Mais, ça, serait encore une autre histoire.)

Que l’odorat est un sens qui se laisse éteindre. Dont la perte, qui pourrait s’apparenter à un refoulement, remonte à la toute petite enfance.

C’est que je n’ai encore parlé de rien. Peut-être d’ailleurs ne s’agit-il pas tant de l’odeur, même si celle qui règne ici est particulière, que du nez.

De cet organe de l’olfaction qui concourt grandement à la respiration ainsi d’ailleurs qu’à la phonation. De cet organe subtil, filtre du dehors et du dedans. De cet organe de la subtilité et de la discrétion.

(Je ne parle plus du tout du corps cheval d’hier. Je suis dans une autre nuit. Je parle, je veux parler maintenant d’un corps plus récent, d’un corps acquis.)

C’est un organe qui ne cesse de fonctionner mais qui peut fonctionner moins bien. Qui ne requiert nullement notre attention pour fonctionner, comme souvent d’ailleurs quand il s’agit du corps. Dont les filtres peuvent s’encrasser, se boucher. Et c’est un organe qui sait se restreindre, s’empêcher. On dit que les oiseaux dans les villes sont obligés de chanter plus fort. Je crois que le nez est obligé lui de sentir moins fort, de respirer moins fort. Et ça ne serait pas seulement la puanteur des gaz des villes qui l’y obligent, mais également une méfiance un mépris un déni du corps dans nos sociétés. De longue date. C’est de longue date que nous avons opté pour la mesure. Tandis que l’odorat est certainement primitivement lié à l’amour au désir au sexe. L’odeur est une manifestation du corps qui le dépasse, qui l’excède, qui empiète sur le corps de l’autre, qui le pénètre. Qui remet en cause son statut d’enveloppe, de nasse, de sac, qui le troue. C’est instantanément qu’une odeur provoque enchantement ou dégoût. Ça paraît très peu dialectique. Émanant d’un corps ça s’adresse au corps y provoquant un affect immédiat. C’est j’aime ou j’aime pas.

Alors tout de même, je voudrais évoquer une odeur particulière, celle du « parfum subtil de la rose », qui n’est pas celle qui règne ici mais que je propose à l’imagination de votre nez. Rejoignez-moi dans le noir, soyez allongé, que ce soit le cœur de la nuit, et respirez comme si vous respiriez le « parfum subtil d’une rose ». C’est mieux d’avoir les yeux fermés. Et observez ce qui se passe dans votre nez à l’évocation de ce parfum subtil, dans ce type d’inspiration. Observez comment vos cavités nasales se contractent, en même temps qu’elles sont parcourues d’un gonflement léger qui accompagne le passager nuageux de l’air. Respirez ainsi quelquefois, en étant attentif à la remontée de l’air jusqu’à la racine du nez, et puis ressortir. La respiration ralentit et l’on explore véritablement ces grottes du nez qui deviennent immenses en même temps que ça résonne dans tout le corps. Et ce sont ces résonances, le transport intérieur de cet air, de ce nuage, qui est extraordinaire. Enfin, je doute bien sûr que ceci puisse se communiquer par écrit. Cet apprentissage qui fut celui d’un maître pas très vieux ni très chinois, c’est ce qui m’a permis de sortir de la schize susdite celle de l’image du corps et du corps, qui m’a permis de détacher le corps de l’image et de lui donner une dimension propre, habitable, réelle, ainsi que de traiter la schize du gouffre entre les nominations, les qualificatifs du corps et le corps même. Ce qui est dit ici s’adresse directement au corps, l’affectant. Je suis bien consciente que j’en dis ici trop peu, mais j’aurai peut-être l’occasion d’y revenir. Penser au parfum subtil de la rose à un effet réel immédiat sur le corps. Les effets alors observés, appartiennent à la sensation et pénètrent un corps jusque-là opaque. L’intérieur du corps n’est plus celui de l’horreur qu’évoque la tête arrachée du cheval, au bord de l’absence de laquelle j’ai dit que je vivais, comme au bord d’un volcan empli d’une lave noire et silencieuse.

Par le parfum subtil, sa seule évocation, je suis rentrée dans le volcan. Et tout s’est apaisé. J’avais trouvé un lieu où vivre (et/ou passer mes nuits).

Ce qui s’est observé, vous le retrouverez sautant d’un bus en haut d’une montagne, vous sautez, vous êtes face au panaroma, face au panorama, et ça vous saute au nez, le corps passe à autre chose, ralentit, les veines gonflent, ça jubile. C’est surtout que vous avez rouvert nos narines, ça s’est répercuté partout dans le corps, ces petites bulles d’air, champagne, on n’y prête pas attention, mais dès qu’on y prête attention, elles se multiplient, le corps est attentif aux attentions qu’on lui porte.

Dans l’amour aussi, le désir. Observez la palpitation du nez. Ou la colère, et sa moutarde qui monte au nez.

#07 bis

Ecrit à l’aube à Donn. La transition du 07 au 07bis était difficile et amusante à trouver. Reste que je suis embêtée par cette histoire de « parfum délicat de la rose », qui est pourtant en lien direct avec ce que je prévoyais de développer avec le 07, sur la fabrique du corps, mais qui vient trop tôt.

#-1 | L’atelier d’été François Bon : Présentation

Atelier François Bon – Été 2023 : Un cycle sur les outils d’invention et d’élaboration du roman 

Je participe en ce moment à l’atelier d’été de François Bon consacré cette année roman. C’est la première fois que je participe à un tel atelier, et j’espère que je tiendrai jusqu’au bout. Je l’ai pris en cours de route, démarré au #07, au septième atelier, un atelier sur la « préparation du corps » que j’avais entendu sur YouTube et qui poussa en moi, dans la nuit qui suivit, un texte dont il m’avait semblé qu’il demandait une suite, un développement, ce qui m’avait poussée à m’inscrire à l’atelier. C’était le 24 juillet, l’atelier avait commencé le 11 juin. J’ai fait l’atelier #07 et dans la foulée le #07bis qui le complète, et suis ensuite passée au début. Depuis lors, j’essaye de rattraper mon retard. Ces essais sont publiés sur le site des ateliers du Tiers Livre, avec tous les autres contributeurs. Je les publie également :

On trouvera le texte en cours sur les page Matières d’oubli (texte complet) , Matières d’oubli (extraits).

#00 | 0 le prologue

Donn. Ce texte aurait dû constituer le prologue. « Ce qu’on attend du roman ». J’ai l’impression d’avoir triché. Il aurait fallu parler d’un roman sous le nommer, sans en donner ni le titre, ni l’auteur : j’ai parlé d’un roman qui m’est cher, mais dont j’avais oublié aussi bien le titre que le nom de l’auteur, ainsi qu’il en est d’ailleurs pour tous les livres que je lis. C’est ce qui m’a mise sur le track, la voie de l’oubli. J’espère que ce ne sera pas une dead end, au pire, une ornière, au mieux. Mais j’aime que cela m’ait conduit à ce qui est mon dada du moment, ma secrète ambition. J’y parle donc de l’oubli des noms, des noms propres en particulier. J’y parle de la fiction aussi. Et du point de vue de ce qui se passe par en dessous, souterrain. J’y parle de ma façon d’aimer les livres, de ce que Duras m’a appris, sur le pouvoir de la simple articulation d’un nom. Bien sûr, le texte est démesurément long.

Texte source : Atelier François Bon #été2023 #00 | le prologue ( 2 juin)

#00 | le livre oublié

j’essaie de me souvenir d’un livre auquel je tiens beaucoup, et rien ne vient, rien ne revient, et cela me stupéfie. je ne me souviens ni du titre ni du nom de l’auteur. si, du visage, je me souviens, de son très beau visage, ses cheveux noirs, lisses, sa bouche qui malgré le noir et blanc de la couverture paraissait fardée. je n’ose rien dire de plus de ce visage. elle n’ose rien dire de plus, un petit quelque chose qui la retient, de ce visage dont je m’étais étonnée, à le découvrir, qu’il ne ressemblât pas davantage au mien. c’est dire. qu’elles fussent même l’une et l’autre d’un « type » opposé. c’est la chose difficile à dire. l’une blonde, l’autre brune. c’était le deuxième livre que je lisais d’elle. mais quel avait été le premier. le souvenir est encore plus dégradé, voire absent, totalement.

c’est l’été, drôle d’été. il a fait chaud, il a fait froid, je ne pars pas, je ne partirai pas, même si je n’ai pas cessé, d’aller et de venir, de là à là, à encore là. ne pas penser à ça.

là, je me concentre. que je ne me souvienne ni du titre ni de l’auteur indique qu’il s’agit d’une lecture récente. parce qu’au début de ma vie de lectrice, je retenais les noms. à mes premières lectures se sont toujours attachées et de façon solide les noms et titres de ce que je lisais. leurs noms d’ailleurs à l’opposé de tous les autres noms. mes balises. cette faculté s’est perdue. et je perds aujourd’hui les noms d’auteur au même titre que tous les autres noms.

découverte pendant les vacances, je crois. oui. à cette époque de l’année. sur ce même siège. au bord de ce même bassin. il y a deux ans.

au départ, il n’y avait que les noms propres qui faisaient trou. aujourd’hui, ça s’est étendu à tous. il n’y a plus de distinction. restent quelques noms du passé. ce n’est pas l’alzheimer. même s’il y a l’alzheimer de la mère. c’est aussi la vieillesse. et puis autre chose.

ce qui est curieux c’est que là, j’ai presque l’impression de faire l’effort de ne pas me souvenir de ce livre, de ce titre, de cet auteur.

je le ferais pour m’attarder à cette matière de l’oubli. à la matière-même de l’oubli.

il  était épais, le livre.

dans les premières pages, c’était encore à paris, souvent il avait fallu qu’elle reprenne ma lecture, qu’elle lise et relise des passages entiers. je ne comprenais pas ce que je lisais. je ne comprenais pas pourquoi j’insistais. il y avait quelque chose d’extraordinaire. dès les premières pages.

je crois qu’elle est épouse de diplomate. il est possible que le personnage aussi, l’était.

cela commencerait dans une cuisine. puis, il y la traversée longue d’un appartement et l’arrivée dans une pièce, une chambre, qui n’est pas celle de la narratrice, tout à l’écart. et claire, très claire. cette clarté – l’éclat du soleil, la blancheur d’un mur – est longuement décrite. aveuglante. il y a un lit, où s’assoira la narratrice. il y aura quelque chose au pied du lit. enfin, voilà, je me souviens, cette pièce avait été habitée par une personne ayant travaillé pour la narratrice, petit personnel de maison, et qui était partie, ou qui avait été chassée, dans des circonstances sombres, décrites sommairement. avec quelque chose d’énoncé sur une réalité sociale dure, implacable.

la pièce est petite, comme un poing au bout d’un bras, un point d’aboutissement, comme suspendue au-dessus de la ville, de l’histoire, un point d’exil aussi, de réclusion, qui fut celle de la personne qui avait vécu là, d’oubli. et il y a une façon de présence de la ville en contrebas. d’une ville qui aurait été grouillante.

il ne faut rien croire de ce que je dis.

tout le livre je pense se passera là.

et je ne sais plus ce qu’il se passe dans le livre.

et je ne sais plus s’il faut que je mette les virgules où il faut. ou si je peux me permettre de ne pas finir mes phrases.

à la fin, il y a une culpabilité qui se révèle, très forte. celle d’un meurtre ? une culpabilité monstrueuse. et le meurtre… mon dieu. il est question d’un enfant.  je n’en dirai rien de plus.

c’est une écriture qui ne ressemble à aucune autre. absolument particulière. qui se lit très agréablement à haute voix. enfin, agréable n’est pas le terme. c’est d’une véritable expérience qu’il s’agit. j’en avais enregistré un extrait, que j’avais publié sur instagram, je le disais filmant le jardin autour de moi. ce jardin où je suis maintenant. le texte lu parlait de son rapport à la voix, de ce que son écriture appartienne à la voix.

je me souviens que j’ai rêvé désespérément le monter, ce texte, le jouer.

j’ai lu alors de nombreux livres d’elle.

je me suis récemment rendue compte qu’il m’était devenu très difficile de croire à la fiction. comme si tout devenait réel. ainsi, il y a peu, par exemple, je lisais un livre de X (autre nom oublié), et je me suis dit, tiens, X, elle a été scénariste, je ne le savais pas, et elle a vécu à Los Angeles, je ne le savais pas. et tiens, elle est partie au Congo ? est-ce qu’elle ne serait pas belge par hasard, X. comme moi, alors. mais non, X n’était pas scénariste, ne l’avait jamais été, n’avait pas vécu à LA, jamais, elle est juste tout à fait capable de l’inventer.

pour ce qui me concerne, ça fait quelques temps que j’ai remarqué que j’étais de plus en plus amenée à coller au réel, à coller à la réalité de ce qui m’arrive au moment où cela m’arrive, cela s’appellerait le présent, ce serait comme ma matière, couchée sur la roue du temps, je cherche à chercher à produire les mots d’une histoire qui ne cesse de se dérober, et donc à voir s’éloigner de moi la possibilité de la fiction. comme s’il me fallait constamment tisser sous moi le filet qui empêchera la chute, et que je ne puisse utiliser que les mots à portée, à ma portée directe.

au cinéma, c’est pareil. je ne peux plus voir un film violent : sur ma chaise, c’est moi qui encaisse tous les coups, qui gémis, qui me projette sur les côtés tentant d’y échapper.

il reste certainement un lieu de fiction. je crois d’ailleurs absolument à sa nécessité.

(on pourrait dire : la fiction au lieu que le vide, une fiction, n’importe laquelle, plutôt que le vide. mais ce serait peut-être trop facile. on pourrait dire : la fiction plutôt que le réel. parce que parfois le réel est ennuyeux. je ne sais pas si c’est mieux dit. est-ce que l’on aime le réel. je suis liée aux sensations, et je tiens à ce qui me lie. est-ce que les sensations sont réelles. on tient aux mots qui décrivent le réel. c’est ce qui est aimé. est-ce ce qui est aimé? mon univers de mots ne tient pas. il ne tient que par la colle du réel, de la sensation réelle. est-ce que ça me fait quelque chose, comment est-ce que ça résonne en moi. suis-je marquée, de quelle façon. sinon, les mondes se délitent. c’est la limite de mon intelligence. je dois tout le temps recréer du lien.)

je ne dis pas que je ne serais pas tentée de trouver le moyen d’aller un peu sans les mains, regarde maman, sans les mains, de me détendre, et de m’embarquer dans autre chose, sans le soutien de la réalité directe. je ne dis pas que je ne cherche pas un moyen.

là, dans ce livre-là cependant, la fiction était tangible. on avait affaire à quelque chose de l’ordre de la métamorphose de kafka. il y a peut-être un insecte. seigneur ! il y a un insecte ! et ça met un très long livre pour aller chercher déterrer ce qui est probablement un souvenir autobiographique. ce souvenir étant vécu du point de vue de ce qui n’est pas su, de l’inconscient, de l’horreur de ce qui se raconte par en dessous pour parer à l’insoutenable.

du réel de cette horreur. qui revient à la surface. dont l’émergence fait événement.

le réel de l’inconscient, lui, est hors temps. et a-géographique. de là, que je me raccroche à ses fictions. elles trouvent leur encre encore en ma chair.

s’est-elle suicidée, l’autrice? je ne dirais pas que ce serait une raison de plus de l’aimer. il y a un moment dans le livre où elle parle de sa folie. bien sûr que c’est très important. ça. très important pour moi. je crois, oui, qu’elle trouve le moyen d’en parler. de dire des choses inouïes sur la folie, sur ce qui s’apparenterait à la folie.

je crois que je me disais : parle-t-elle de la folie, là. elle est vraiment occupée à parler de la folie, là. c’est ce dont elle parle. que ce soit de folie qu’elle parlait ou pas, peu importe, ce dont elle parlait était profondément juste, méritait absolument d’être dit, redit encore, continué à dire.

je ne suis pas sûre finalement de vouloir me souvenir de son nom. et je ne sais pas pourquoi. comme si. la perte d’elle, son oubli était aussi, plus justement encore, l’amour d’elle.

il faut faire un effort contre ça, résister.

résister à faire exister par le silence ce qui échappe aux mots.

je me souviens de son pays d’origine.

j’ai aimé passionnément ce livre, et comme tous les livres que j’aime passionnément je l’ai lu dans la tristesse déjà, le désespoir de l’inéluctable de sa perte, à l’idée que je le terminerais, que je sortirais du livre. et je me promettais comme à chaque fois, de le relire. ce que je n’ai pas fait, bien sûr, puisque je suis passée à d’autres livres d’elle.  ce que j’ai fait pourtant, pour partie.

gourmande, boulimique.

j’ai parlé d’elle, autour de moi. à une amie comédienne, j’ai espéré, qu’elle me dise, on le fait. et à une autre amie qui aime suffisamment le théâtre que pour vouloir m’aider à le monter.

c’est ça aussi l’effet que me ferait un livre, il m’amènerait à

il donne du désir

il permettrait presque de recommencer à y croire, à

son écriture, son invention, venait me chercher puissamment.

l’été suivant, je lisais une grande quantité de livres de Duras, dont je m’étais rendue compte peu auparavant, lisant le livre de Yann Andrea, après avoir vu le film, qu’il y en avait un bon nombre que je n’avais pas lu, joie, un bon nombre qu’il restait à lire. des romans, des pièces de théâtre. j’ai cherché Yann aussi, à qui je n’avais été pas loin de m’identifier. qui révèle dans son interview par Michèle Manceaux une face terrible de MD. ont suivi tout ce que je pouvais de YA et de biographies de Duras.

j’ai beau ne pas me souvenir, je continue d’avoir envie de lire des livres que je n’ai pas lus.

je lis de moins en moins. et ces coups de cœur sont rares.

est-ce que ma vie alors est vide.

il y a quelque chose de vide.

et quelque chose de toujours plein.

je sais que lire, la lecture, l’écriture, me permettent de me raccrocher, en noyée parfois, à la grande hache de l’histoire. il n’y a qu’eux qui déplient le temps.

je me souviens du nom de Yann Andrea parce qu’il m’a été donné par MD, que j’ai commencé à lire à une époque où ma mémoire ne m’avait pas encore désertée.

et duras avait une façon bien à elle de nommer, de pouvoir nommer ses personnages et de restituer le prix de cette nomination. le prix exceptionnel de ces baptêmes. de ce qui se donne alors à un corps, à un être.

j’avais d’ailleurs appris que le nom, qu’il adopta dans un soulagement infini, de Yann Andrea, lui avait été donné par Duras.

duras me l’avait appris, ça, que pour certains, le don du nom, c’était de l’amour, et ça pénètre directement le corps, et ça vous ramène dans le monde.

je reviendrai lire ceci. et à paris, je retrouverai le livre. d’ailleurs le passage est dans mon téléphone, celui lu sur instagram. mais je préfère laisser ça comme ça.

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