faire n’importe quoi, jouir

2 février 2006 | février 2006 | art, le n'importe quoi, psychanalyse | , , , , , , |

mais que cela soit : conforme à l’impossible
~ à la croisée du désir et de la jouissance ~

Le discours capitaliste moderne n’a rien à voir avec ce que notre gauchisme sexuel d’antan appelait la morale bourgeoise. Son impératif catégorique en matière d’éthique est : Jouis!
Philippe De Georges, Ethique et pulsion

Fais n’importe quoi. Point. Sans conditions. Fais absolument n’importe quoi. [1]
Thierry de Duve, Au nom de l’art,  “Fais n’importe quoi”, p. 129

 

  • Impératif catégorique (capitaliste, selon Philippe De Georges) : Jouis !
  • Impératif catégorique (de l’art moderne, selon Thierry de Duve, et en réponse au capitalisme) : Fais n’importe quoi !

Puis, pp. 133-134 :

Il y va, disais-je il y a un instant, de l’universalité de la loi, de l’universalité de l’art, de l’universalité de l’impératif catégorique “fais n’importe quoi”.
[…]
Il est entendu également que l’impératif catégorique kantien n’énonce aucun contenu de la loi, mais qu’il prescrit la conformité de la maxime à l’universalité d’une loi en général. Comme le dit Jean-Luc Nancy : “La loi prescrit de légiférer selon la forme de la loi, c’est-à-dire selon la forme universelle. Mais – ajoute-t-il – l’universalité n’est pas donnée”1 . Si, comme je le soutiens, “fais n’importe quoi” est bien un impératif catégorique, alors il faut aller plus loin et dire que l’universel est impossible, ou que l’impossible est aujourd’hui la modalité de l’universel. La phrase “fais n’importe quoi” ne donne pas le contenu de la loi, seulement le contenu de la maxime. Et encore ce contenu est-il quelconque et ne devient-il déterminé que par l’action qui met la maxime en pratique. Cela ne prescrit qu’une forme conforme à l’universel dans les conditions radicales et finales de la finitude. Et cela signifie : conforme à l’impossible.

~
Des années que je me  coltine ce « n’importe quoi » de Thierry de Duve, et que je ne m’en dépatouille pas.

« Fais n’importe quoi », impératif catégorique, absolument sans condition, conforme à l’impossible. 

J’ai naturellement pensé le « n’importe quoi » en le rapportant à la pulsion. La pulsion freudienne, la pulsion lacanienne, celle sans queue ni tête, qui se saisit de n’importe quel objet. La pulsion à laquelle Lacan rapporte l’éthique de la psychanalyse. Une éthique conforme à l’impossible, au réel.

Longtemps, dans le désir de sauver le désir, je n’ai pu m’empêcher de chercher à formuler une condition à ce « fais n’importe quoi »,  lui adjoignant : « non pas sans connaissance de cause » (cela s’est imposé à moi, j’ai cru que cela se trouvait dans le texte de Duve, j’aurais aimé que la cause fut sue et une et pleine et entière, que le désir s’en sorte plus ou moins indemne).

C’était néanmoins ignorer la condition d’inconditionnalité de l’impératif que souligne Thierry de Duve.

« Il ne l’est pas, inconditionné, mais il faut qu’il le soit ».

Il faut qu’il le soit. Là, se situerait l’éthique de la pulsion. Cela reviendrait-il à dire que la condition de cet impératif catégorique, de cet impératif émanant du langage, de ce que nous somme des êtres de langage, comporte bien une condition, laquelle de n’appartenir pas au langage, mais d’être causée par lui, par sa rencontre d’avec le corps de l’homme, et ce qu’elle lui fît, alors, à ce corps, doit rester telle, extime au langage, seule à lui apporter l’universalité qu’il requiert, un trou. (N’y eut-il eu l’homme et n’eût-il parlé, il n’y eut eu de trou dans le langage, eût-il été partout plein.) (Il n’y a que dans l’hors-sens, l’extime-sens qu’un sens peut se fixer).

Il faut qu’il le soit. il faut qu’il soit inconditionné, le n’importe quoi que tu feras, aussi pour parer au fantasme, le fantasme qui fige le sujet. Met des voiles sur le trou de l’impossible. Le camoufle. Or le réel en jeu dans le fantasme, non pas le réel de la chose occultée, mais du scénario opposé en parade à l’impossible, ce réel n’est pas plus réductible au signifiant, au langage, que ne l’est celui qu’il tente d’occulter. Il y a toujours réponse du réel au réel. 

C’est là que le sens s’arrête. Si on l’accepte. Dans la recherche de la cause. Parce que la quête de la cause ultime est promise à l’infinitude (et à ses jouissances) et à l’inhibition. Un jour, il faut cesser de vouloir savoir. S’en tenir à l’1-su.

J’ai donc voulu croire que le privilège accordé par Lacan à la pulsion, tenait à ce que la pulsion, une fois « libérée » des entraves du fantasme, pouvait se trouver de plus nombreuses voies et plus agréablement, vivement, empruntées. Que la connaissance de cause permettait permettrait de jouir consciemment là où auparavant ça jouissait malheureusement. J’ai pensé qu’à traquer la répétition, à traquer ce qu’elle traque, à chercher son nom, à lui donner un nom, à réaliser la part de responsabilité qu’on prend à son propre malheur, on irait vers cette volonté qui se découvre au cœur même de la répétition, volonté-même que pour ma part je bénis, qu’on apprend à respecter, oui, à laquelle on est bien obligé de rendre grâce.

On ne va pas savoir. Mais on prendra quelques connaissances. On apprendra à préférer les choix de l’Un-su à ceux de l’idéal, et de loin.

Et moi donc qui ne  suis pas sans avoir de difficultés avec le désir, qui ne suis pas sans pâtir de la répétition, cette répétition n’étant forcément pas sans être marquée d’un Un qui veuille se répéter, dans mon désir d’éclaircir ce qu’il en est pour moi du désir – aussi parce que ça a été pendant bien longtemps l’impératif au cœur de l’enseignement de Lacan et par quoi  il s’était d’abord imposé à moi : pas sans connaissance de cause de ton désir – , d’éclaircir donc ce qui ferait la matière du mien, si tant est que j’en avais, je n’ai pu m’empêcher de me rappeler, je n’ai pu empêcher que me revienne constamment à l’esprit ces termes de Lacan concernant la « conditionnalité absolue du désir ». On voit alors ici, assez classiquement se confronter pulsion et désir, jouissance et désir. est-il vrai que la pulsion se saisisse de n’importe quel objet? Elle se saisit certainement de n’importe quel objet au regard de l’idéal. Elle fait foutrement fi de l’idéal. Et on finit par ne même plus ce qu’est l’idéal.  (C’est le travail de l’analyse ça aussi, « travail », finir par préférer ses petites crottes aux perles de ses vieux idéaux. Ca passe par un jouir de ça, raconter d’abord, puis jouir tout court, et enfin, dira-t-on. Ca permet d’atteindre à un certaine satisfaction. Et les statues de l’idéal en viennent à paraître moins belles.)
~

La condition absolue du désir ( tandis que l’inconditionnel de l’amour, tandis que l’inconditionnel de la pulsion)

Si l’on y croit, à cette condition absolue, si l’on y croit en tant que cause (parce qu’il y a quelque chose de ça qui passe dans les séminaires de Lacan, qui passe et dont le parfum est enivrant), alors

Et que cette condition absolue du désir se découvre disposer de cette qualité d’être impossible

Et en tant que telle pouvant très bien pu s’offrir comme condition du n’importe quoi puisque conforme à l’impossible, particularité absolue, universellement extime, dont le manque au langage, au savoir, l’in-su, su de l’Un seulement, seul est universel.

Enfin, quel est cet Un qu’il y a, cet Un de la répétition, cet Un souvenir du trauma originel, cet Un égal (en quantité) à n’importe quel autre Un, cet Un aujourd’hui de partout flatté, encouragé à être consommé, à être a-dicté (une cigarette, donne-m’en une, la dernière, pour la route! le petit pot, de yaourt, prends-en 4, un chips? vas-y, le paquet n’est pas fini), cet Un d’aujourd’hui décoloré, cet Un, qui est comme n’importe quel autre Un, se différencie pourtant du Un de l’impératif catégorique de Duve (car c’est bien ce qu’est son n’importe quoi), en ceci que si sa jouissance est universelle, elle n’est plus que ça : jouissance qui se passe totalement du langage et de la parole et dénie à l’homme sa nécessité, son symptôme : il a un corps et il parle. Et qu’à cette condition se lie un impératif, catégorique, que l’on préfère conforme à l’impossible, comme l’est celui énoncé par Duve, car l’impossible qu’il vise de la rencontre du corps et du langage de l’homme, est bien le seul qui vaille. Lui qui restitue à l’Un sa qualité de marque d’un sujet (objectivement) unique. Et celui qui passe.

Voilà,

2 février 2006 – 27 juin 2013

Notes:
  1. Et le « fais n’importe quoi » n’est jamais inconditionné mais il faut qu’il le soit. A l’universalité de l’échange, la loi de la réalité, il faut opposer, muette et incompréhensible, la loi de la nécessité qui est aussi nécessité de la loi. L’impératif « fais n’importe quoi » est un impératif catégorique. []
Notes:
  1. Jean-Luc Nancy, L’impératif catégorique, Flammarion, Paris, 1983, p. 24 []

l our d

17 mars 2006 | mars 2006 | art | , |

l’asperge était seule et elle était sur le bord de la table

vous dites : que la vie devînt de chacun l’œuvre – vous dites d’art – l’œuvre d’art .

(j’entends une voix qui s’éloigne : detached detached)

que je m’alourdisse et vous rejoigne : que l’œuvre sera cela dont vous vous serez détaché.

pesamment j’ajoute encore, cela justement à quoi vous aurez renoncé.

être à l’heure à son rendez-vous

27 mai 2006 | mai 2006 | art, Cut&Paste, le n'importe quoi | , , , , , , , |

Voilà, je retrouve le texte, ce n’est pas l’art qui est comparé à un rendez-vous (soit, « son artefact au second degré »), c’est le readymade :

Traquant dans l’œuvre de Duchamp le rapport de l’objet à l’auteur, on trouve dans la Boîte verte :

Préciser les « Readymades » en projetant pour un moment à venir (tel jour, telle date, telle minute), « d’inscrire un readymade ». Le readymade pourra ensuite être cherché (avec tous délais). L’important alors est donc cet horlogisme, cet instantané, comme un discours prononcé à l’occasion de n’importe quoi mais à telle heure. C’est une sorte de rendez-vous. Inscrire naturellement cette date, heure, minute, sur le readymade comme renseignements. Aussi le côté exemplaire du ready-made.

Marcel Duchamp, La Boîte verte (La Mariée mise à nu par ses célibataires, même) 1934
Marcel Duchamp, La Boîte verte (La Mariée mise à nu par ses célibataires, même) 1934

Exemplaire en effet : le readymade est une sorte de rendez-vous. L’œuvre d’art, ou son artefact au second degré, naît de la rencontre d’un objet et d’un auteur.

[…]

L’auteur aussi est un donné. Le texte ne lui suppose aucun talent, aucune intériorité, aucune motivation. Il n’a pas de vérité à dire, seulement un discours prononcé à l’occasion de n’importe quoi mais à telle heure. Il est sans intention autre que celle d’inscrire un readymade, d’être à l’heure à son rendez-vous. Étant donné un objet et un auteur, il suffit donc qu’ils se rencontrent pour que, déjà, l’énonciation artistique, que Duchamp appelle « l’inscription du readymade », soit possible. Duchamp est on ne peut plus explicite. Il déclare que le readymade prend ses fonctions suite à une sorte de rendez-vous et termine en soulignant le côté exemplaire du readymade. Le doigt est mis sur le paradigme.

Thierry de Duve, Résonances du readymade, Édition Jacqueline Chambon, pp. 20, 21

Notre interprétation, c’est le processus de fabrication même…

23 février 2007 | février 2007 | art, Cut&Paste, le n'importe quoi | , , , , , , , , , |

« Nous ne détournons pas les objets, en assénant un point de vue, ou en les interprétant d’une manière supposée artistique, nous ne faisons que reproduire l’objet, comme de l’artisanat, poursuit Fischli. Notre interprétation, c’est le processus de fabrication même ; nous prenons notre temps, ou plutôt perdons notre temps, à imiter ces objets manufacturés. Et nous rendons un peu de valeur à quelque chose qui n’en aurait pas normalement. Notre idée est de restituer sa dignité au gobelet en plastique. »
Libération, « Fischli et Weiss – Le parti pris des choses », Jeudi 22 février 2007 (Autour de l’exposition « Fleurs et question », au musée d’Art moderne de la Ville de Paris)

ça me touche, oui. est-ce que je n’ai pas écrit, ici-même, que je voulais lui rendre sa dignité, à la vaisselle?

stigma

7 novembre 2010 | novembre 2010 | art, Cut&Paste | , , , |

L’image – le distinct

L’image est toujours sacrée, si l’on tient à employer ce terme qui prête à confusion (mais que j’emploierai tout d’abord, provisoirement, comme un terme régulateur pour mettre la pensée en marche). Le sens de « sacré » ne cesse en effet d’être confondu avec celui de « religieux ». Mais la religion est l’observance d’un rite qui forme et qui maintient un lien (avec les autres ou avec soi-même, avec la nature ou avec une surnature). La religion n’est pas, de soi, ordonnée au sacré. (Elle ne l’est pas non plus à la foi, qui est encore une autre catégorie.)

Le sacré, quant à lui, signifie le séparé, le mis à l’écart, le retranché. En un sens, religion et sacré s’opposent donc comme le lien s’oppose à la coupure. En un autre sens, sans doute, la religion peut être représentée comme faisant lien avec le sacré séparé. Mais en un autre sens encore, le sacré n’est ce qu’il est que par sa séparation, et il n’y a pas de lien avec lui. Il n’y a donc pas, strictement, de religion du sacré. Il est ce qui de soi, reste à l’écart, dans l’éloignement, et avec quoi on ne fait pas de lien (ou seulement un lien très paradoxal). Il est ce qu’on ne peut pas toucher (ou seulement d’un toucher sans contact). Pour sortir des confusions, je le nommerai le distinct.

[…]

Le distinct, selon l’étymologie, c’est cela qui est séparé par des marques (le mot renvoie à stigma, marqué au fer, piqûre, incision, tatouage): cela qu’un trait retire et tient à l’écart en le marquant aussi de ce retrait. On ne peut pas le toucher […] Mais cet impalpable se donne sous le trait et par le trait de son écart, par cette distraction qui l’écarte.

[…]

[où l’on voit que la pulsion trouve sa source dans la marque. et que le pulsionnel est lié au « sacré ».]

L’image est une chose qui n’est pas la chose: essentiellement, elle s’en distingue. Mais ce qui se distingue essentiellement de la chose, c’est aussi bien la force ou l’énergie, la poussée, l’intensité. Toujours le « sacré » fut une force, voire une violence. Ce qui est à saisir, c’est comment la force et l’image appartiennent l’un à l’autre dans la même distinction. Comment l’image se donne par un trait distinctif (toute image se déclare ou s’indique « image » de quelque façon), et comment ce qu’elle donne ainsi est d’abord une force, une intensité, la force même de sa distinction.

[…]

[ et qu’une certaine marque, signifiante, mais sans sens, S1, constitue du sujet sa singularité – sa distinction.]

C’est ce qui ne se montre pas mais qui se rassemble en soi, la force bandée en deçà ou au-delà des formes, mais non pas comme une autre forme obscure : comme l’autre des formes. C’est l’intime et sa passion, distinct de toute représentation. Il s’agit de saisir la passion de l’image, la puissance de son stigmate ou bien celle de sa distraction…

 

Jean-Luc Nancy, Au fond des images, « L’image – le distinct », Galillée, p. 10 -13

 

le sens de la vue

9 novembre 2010 | novembre 2010 | art, images | , |

« Le sens de la vue » de Breughel l’ancien, 1618, huile sur bois, 65×109, Madrid, Padro
C’est dans « Le sens de la vue » que s’offrent aux regards des tableaux, des sculptures, des objets de mesure (compas, sextants, longue-vue), des bouquets, des architectures et des objets précieux (tapis, orfèvrerie, colliers de perles et pièces d’or et d’argent), un véritable cabinet des merveilles.  L’accroissement de l’offre des produits de consommation produisit à cette époque une restructuration de la sensualité qu’illustrent ces scènes sur le thème des cinq sens. Les mises en scène de Brueghel divisent la personne en parties sensorielles correspondant aux domaines de la réalité définis par des biens de luxe. Un personnage allégorique féminin, assez dénudé, souligne un lien entre la consommation de luxe et la libido. La peinture elle-même est convoquée dans son lien ambigu avec le luxe et l’argent
source : art-argent.

un objet de l’art

9 novembre 2010 | novembre 2010 | art, Cut&Paste | , |

La religion de l’art pour l’art qui est au cœur du modernisme fut une tentative ultime pour sauver l’aura en sacralisant les œuvres et en les autonomisant. Mais comme Benjamin le voyait dès 1936, le combat était perdu d’avance dès lors que le culte se trouvait condamné à se prendre lui-même pour objet.
Michaud Yves, L’art à l’état gazeux, p. 121

Top