Fini le faire, reste le nom. Fini le tour de main, reste le Witz.

22 novembre 2010 | novembre 2010 | art, Cut&Paste, Thierry de Duve | , , , , , , , , |

L’impossibilité du fer,

génie de l’impuissance

« Ainsi, le readymade est de l’art à propos de la peinture avant d’être de l’art à propos de l’art. L’art de peindre, c’est l’art du faire, dit Duchamp, qui répète là une très vieille définition de l’art comme artisanat et habilité manuelle. Mais si l’industrialisation a rendu objectivement inutile l’artisanat, alors l’habilité manuelle est aussi ce que l’artiste sensible à l’époque doit ressentir comme impossible. Ce sentiment est, dans la peinture, même normale, sa « nécessité intérieure », la nécessité qui poussa Kandinsky et les autres pionniers de l’abstraction à abandonner presque toutes les conventions traditionnelle de la peinture, et qui poussa Duchamp à l’abandon du métier lui-même.

Fini le faire, reste le nom. Fini le tour de main, l’habilité, le talent, reste le génie, le Witz. A Denis de Rougemont qui lui demande « Qu’est-ce que le génie? », Duchamp répondit par un calembour : « L’impossibilité du fer« .

Puisque faire signifie choisir, le syllogisme de tout à l’heure conduit à la conclusion, cette fois, que le génie tient à l’impossibilité de choisir. Et puisque l’exemple exemplaire d’un tel choix impossible est un tube de bleu, un tube de rouge, il faudrait imaginer que le génie tient à l’impossibilité de choisir ses couleurs, d’ouvrir un tube, de commencer son tableau, de peindre. Génie de l’impuissance en lieu et place de l’impuissance du talent ! »

Thierry de Duve, Résonnances du readymade, « Le readymade et le tube de couleur » (1984-1989), Éditions Jacqueline Chambon, 1989, p. 127, 128, 129, 130

« Voilà donc, dans le concret, où se situe le vide. Comment articuler le vide, c’est ce qui intéressait Lacan. L’usage correct du vide, de ce Vide-médian qui est une sorte de version du littoral, soit ce qui sépare deux choses qui n’ont entre elles aucun moyen de tenir ensemble, ni aucun moyen de passer de l’une à l’autre. » E.L.

que le marché de l’art s’emballe à nouveau et qu’il s’enflamme, tout feu tout bois, pour un art sans foi ni loi…

23 novembre 2010 | novembre 2010 | art, ce qui ne cesse pas de s'écrire, Cut&Paste, le n'importe quoi, Thierry de Duve | , , , , , |

Inversement, il est peut-être tout aussi significatif, et guère plus étonnant, que ce soit au plus profond de la crise économique actuelle que le marché de l’art s’emballe à nouveau et qu’il s’enflamme, tout feu tout bois, pour un art sans foi ni loi. Ce n’est pas que le retour du refoulé, comme certains l’ont dit de la résurgence symptomatique de la figuration et de l’expressionnisme. Ce n’est pas que le retour également symptomatique du sublime comme effet et mise en scène, comme citation, comme reproduction, comme aura de la marchandise comestible. Ce n’est pas que le retour d’exil des artistes, leur sortie du désert, l’évènement des prophètes-gestionnaires et leur retour aux affaires du monde. Même si c’est aussi tout cela, l’éclectisme et l’historicisme postmodernes , c’est le retour de la loi.

C’est d’abord la vengeance de la loi. Loi du marché, loi de l’échange, la seule en régime capitaliste à être à la fois réalisée et universelle. Elle tient tout et tous sous sa coupe, tous les objets qu’elle réifie, tous les sujets qui la servent. Pas un artiste ne lui échappe s’il veut survivre. Ils en souffrent ou en jouissent, mais c’est toujours la souffrance ou la jouissance  de l’esclave, sans dialectisation. Car il n’y a plus de maître, il y a le Système et le Système n’est pas le Sujet, il n’est pas le Signifiant. Il est bien la loi, mais pervertie, pure immanence pragmatique et opérationnelle résorbée dans son propre behaviorisme. Ce qu’elle enjoint aux artistes de faire ne  peut aller que dans le sens de son propre renforcement. Elle enrichit certains, elle en écrase beaucoup, elle n’affranchit personne. Les artistes sont libres, oui, ils sont libres d’échanger et d’échanger n’importe quoi, mais il ne peuvent le faire forcément que là où les choses s’échangent, sur le marché. Ils sont aussi libres de faire n’importe quoi, mais la violence de cette liberté n’est plus celle de la  révolution, ce n’est plus que celle de la concurrence. Tous les styles, toutes les manières, toutes les formes et tous les médias sont échangeables et interchangeables. Tous s’affrontent sans se contredire, beaucoup moins comme des idéologies que comme des marchandises. La peinture , qui se vend bien de nos jours surtout si elle est figurative, n’a jamais été aussi abstraite, elle a l’abstraction  de la monnaie.

La loi du marché n’est pas neuve, elle est là fatalement depuis qu’il existe un marché de l’art. Dès avant Courbet elle dit la condition économique du modernisme et fixe la condition sociale de l’artiste moderne comme « travailleur libre » ou petit entrepreneur. Mai ce n’est qu’avec le modernisme tardif, celui d’un Warhol par exemple, que les condition économiques de la pratique artistique, jusque-là tenues pour contingentes et extérieures à l’art proprement dit, sont devenues son sujet, sa substance et sa forme. Ce n’est qu’au moment où l’impératif moderne, conditionné par la transcendance horizontale de ses déterminations économiques, s’est mis à s’auto-interpréter comme s’il n’était que l’expression de la loi du marché qu’il a aussi pu être reçu, toute transcendance abolie, comme un encouragement cynique à l’opportunisme radical: fais n’importe quoi pourvu que ça marche! Warhol vaut mieux qu’un procès d’intentions, c’est certain. Et d’ailleurs il n’était pas opportuniste. Mais l’ombre de son succès plane aujourd’hui sur toute une génération d’artistes qui n’ont pas sa schizophrénie feinte ni l’hypersensibilité de son insensibilité, et qui souffrent et jouissent alternativement du rôle purement fonctionnel que leur fait jouer le marché renforçant sa propre loi. Ce qui était désir cool pour Wahrol (« I want of be a machine ») est devenu réalité pathétique. […] En tant qu’il s’exprime, ce pathos est le sentiment de la loi, le sentiment de quelqu’un qui se trouve sous la loi du marché, sous la loi universelle de l’échange et sous sa vengeance. Mais il est aussi, en tant qu’impératif, le sentiment ou le pressentiment d’une autre loi, l’appel nécessaire d’une autre universalité et le rappel de ce que l’impératif moderne, en dépit de tous le vœux de postmodernisme, nous tient toujours sous sa nécessité : fais n’importe quoi. Point. Sans conditions. Fais absolument n’importe quoi. C’était l’impératif du readymade, et le readymade n’est pas la boîte de Brillo. […] Qu’en reste-t-il aujourd’hui? Il en reste une version faible et libérale du « fais n’importe quoi pourvu que », un fantôme d’utopie auquel certains rattachent naïvement leurs derniers espoirs et qu’ils appellent pluralisme. Il en reste aussi une version forte et presque fasciste du « fais n’importe quoi pourvu que » à laquelle s’adonnent certains – c’en sont d’autres, mais pas toujours – et qu’on peut appeler simulation mais qui s’appelle en réalité cynisme, désespérance et irresponsabilité. […] Or tout n’est pas permis. Ce serait peut-être juste mais ce n’est pas vrai. La vérité, c’est qu’il faut que tout soit permis. Les liberté sont relatives mais il faut que la liberté soit absolue. Le readymade est pluraliste – il en existe une pluralité – mais il faut qu’il dise l’universel. L’objet quelconque n’est jamais quelconque mais il faut qu’il y prétende , absolument. Et le « fais n’importe quoi » n’est jamais inconditionné mais il faut qu’il le soit. A l’universalité de l’échange, la loi de la réalité, il faut opposer, muette et incompréhensible, la loi de la nécessité qui est aussi nécessité de la loi. L’impératif « fais n’importe quoi » est un impératif catégorique.

Thierry de Duve, Au nom de l’art, « Fais n’importe quoi », Editions de Minuit, 1989, p. 127, 128, 129, 130

fine robe à l’âme

6 mars 2011 | mars 2011 | art, RÊVES | , , , , , |

dimanche  6 mars

inondations rue Tiberghien. je monte escalier. à l’étage de l’atelier énorme geyser d’eau me saute à la figure, un parapluie cassé git au sol. me dirige vers la salle de bain (avais dit à la femme en bas que j’allais me laver, m’habiller), mais l’évier de la salle de bain a disparu  (je crois que je me demande comment ça va être réparé, je crois que je me dis que ça ne sera jamais réparé).

je continue mon ascension. je pense que tout est pourri et je me dis qu’il suffira qu’il pleuve 2 jours de suite pour que tout s’effondre et que tout ce qui se trouve dans les étages sera définitivement perdu. ma mère que je croise n’a pas l’air de me croire.

j’arrive tout en haut. une gigantesque armoire me bouche l’accès et pousse l’échelle à laquelle je grimpe. JF me crie de d’abord laisser passer l’armoire qu’il s’apprête à jeter. je lui dis que c’est hors de question et  lui demande d’arrêter de pousser l’armoire et de me laisser passer.

il voulait pousser l’armoire pour la sauver sans doute. je me demande ce qu’il serait passé s’il avait réussi à pousser l’armoire, poussant l’échelle du même coup, et restant, lui, alors bloqué en haut. condamné à rester bloqué en haut. sans compter que le contenu de l’armoire aurait probablement été perdu.

des vêtements dans la garde-robe de ma mère. des vêtements dans la mienne, celle de mon enfance, la petite blanche, avec un petit théâtre, des vêtements que je ne connais pas, neufs. je me réveille à la vue d’une longue robe lamée.

 

Giovanni Segantini

18 avril 2011 | avril 2011 | art |

 

… Il est émouvant de lire, dans l’autobiographie de l’artiste, comment à six ans il passait ses journées seul, enfermé du matin au soir dans une pièce étroite et nue. Il supporta son sort pendant un certain temps, aussi longtemps que ce cadre monotone offrit encore quelque attrait et quelque stimulant à son imagination. Mais le texte poursuit : 

 »  Un matin, alors que je regardais par la fenêtre comme hébété, l’esprit vide, le bavardage de quelques voisines parvint à mes oreilles : elle parlaient de quelqu’un, qui encore jeune, avait quitté Milan à pied et était arrivé en France, ou il avait accompli de grandes actions… Ce fut pour moi une révélation. On pouvait donc quitter ce palier, au loin… Je connaissais la route, mon père me l’avait montrée, au cours d’une promenade sur la place du château. ‘C’est par là, avait-il, sous cette voûte, que les troupes françaises et piémontaises victorieuses ont fait leur entrée. C’est Napoléon Ier qui avait fait construire l’arc de triomphe et la route; et la route, disait mon père, traversait les montagnes et conduisait tout droit en France.’  Et l’idée de parvenir en France par cette route ne me quittait plus. »

Les propos des femmes rappellent au petit garçon un récit de son père qui l’avait impressionné, ou il était précisément question de la France et des hauts faits d’un homme. Il n’en a pas fallu davantage pour éveiller les désirs infantiles de grandeur ; mais son énergie impulsive exige une action immédiate. L’enfant de six ans s’enfuit, se munit d’un morceau de pain, passe sous l’arc de triomphe et s’engage sur la route de Napoléon.

Karl Abraham

 

ô père

3 novembre 2011 | novembre 2011 | art | |

¤ I went down to the St. James Infirmary
I saw my baby there,
Streched out on a cold white table,
So sweet, so cold, so fair

¤ So Let her go, let her go, God bless her;
Wherever she may be
She may search this wide world over
but she’ll never find a sweet man like me.

¤

– les cadavres, c’est quoi? – c’est les corps, quand ils sont morts.  – ah oui, je sais je sais.

°

°

°

 

Bessie

3 novembre 2011 | novembre 2011 | art, images |

When I die, want you to dress me in straght laced shoes
A box back coat and a Stetson hat;
Put a twenty-dollar gold piece on my watch chain
So the boys know I died standin’ pat.

 

dans ta face.

 

Bénédicte Henderick à la galerie Catherine Putman

24 novembre 2012 | novembre 2012 | art, brouillonne de vie | , , , , , , , , , , |

« La galerie Catherine Putman expose pour la première fois à Paris le travail de Bénédicte Henderick.

Née en 1967 en Belgique, Bénédicte Henderick vit et travaille à Bruxelles. Elle peint, dessine, réalise des installations et des objets entre design et sculpture. Le dessin tient une place très importante dans son œuvre et se développe avec une grande variété de techniques et de supports: papier, carton, toile marouflée ou même, ici, cartes à jouer.

«Corpus I» est la suite du projet « Préface » commencé en 2012 et qui s’inscrit dans la suite de sa dernière série «Camina Ando». Le corpus se développera en plusieurs temps avec la phase initiale – ou premier chapitre – à Paris. Les complices choisis pour ce premier développement sont Tadao Ando, Maurice Blanchot, Jacques Lacan et Francis Picabia.

Il ne s’agit nullement d’un travail illustratif : il n’y a ici ni référence explicite, ni citation directe; Bénédicte Henderick nous propose des œuvres qui, par un jeu d’association et suggestion, se réfèrent à ces auteurs et artistes qui l’accompagnent depuis toujours.

«Camina Ando» : alter ego de l’artiste, personnification d’un cheminement personnel et, par analogie, filiation à Tadao Ando. Telle est son approche originale et personnelle dans ce «Corpus» où chaque œuvre renvoie à l’une ou l’autre de ces personnalités.

L’approche du dessin pour Tadao Ando est très construite avec une érotisation implicite, plus conceptuelle et proche de l’indicible pour Maurice Blanchot, plus «nodale» avec Jacques Lacan et une expression jouissive et décomplexée pour Francis Picabia. » (communiqué de presse de la galerie)

Liens :
http://www.catherineputman.com/artistes/henderick.html
http://www.benedictehenderick.com/

grande carte - silhouette d'un  couple enlacé

Carte. Couple enlacé, debout, les bras de la femme autour du cou de l’homme, plus grand qu’elle, comme il se doit. Point rouge au centre de la carte, à l’endroit de la réunion des sexes. Silhouettes nues, un ruban noir les enlace, plus ou moins flottant autour de leur taille. Un autre ruban noir, plus large cette fois, descend sous le coude élevé de la femme, en prolongement de ses cheveux, à moins que ce ne s’agisse encore de ses cheveux, sur lequel est dessiné le point rouge, camoufle le visage de l’homme réfugié dans le creux de l’épaule de la femme.

 

grande carte - tête de Möbius

Grande carde. Silhouette noire d’un homme habillé et chaussé se tenant debout, pieds légèrement écarté, sur fond de ce qui pourrait s’apparenter à une pupille de couleur rose au centre d’un iris jaune (!), ou d’un soleil rose irisant sur fond jaune d’or, un ruban s’élevant d’entre ses épaules, lui fait office de tête, retombant en crochet qui se prolonge en escalier, une ou deux marches donnant dans le vide, dans lequel est pris un ruban de moebius.

[Imaginé par le mathématicien August Möbius (1790 – 1868) en 1858, le ruban de Möbius est une surface qui a la particularité de n’avoir qu’un seul côté et qu’une seule face. Le ruban de Möbius s’obtient en recollant deux côtés opposés d’une bande rectangulaire à laquelle on fait subir au préalable une torsion d’un demi-tour. _ Wikipedia]

 

paire de cartes (petites) - pont arrière, escarpin rougedeux cartes, l’une sur fond rose l’autre sur fond vert. sur fond rose un escarpin rouge à talon haut, de profil, sur le fond vert, le tracé d’une silhouette qui prend son départ d’une position en « pont arrière » (gymnastique), se décomposant pour se relever, suivant celle tracé d’une flèche qui s’élève pour aller vers le droite, le buste se relevant. la décomposition du mouvement des jambes n’est pas donnée, seul celui du buste. le visage est tracé grossièrement, le nez en pomme de terre, le franc sourire d’un simple trait, des billes pour les yeux.

doublet de cartes roses

 

C’était lors de mon premier arbre, / J’avais beau le sentir en moi / Il me surprit par tant de branches, / Il était arbre mille fois. / Moi qui suis tout ce que je forme / Je ne me savais pas feuillu, / Voilà que je donnais de l’ombre / Et j’avais des oiseaux dessus. _ Jules Supervielle
C’était lors de mon premier arbre, / J’avais beau le sentir en moi / Il me surprit par tant de branches, / Il était arbre mille fois. / Moi qui suis tout ce que je forme / Je ne me savais pas feuillu, / Voilà que je donnais de l’ombre / Et j’avais des oiseaux dessus. _ Jules Supervielle


carte 1 : silhouette, contour noir d’un visage sur fond vert pâle ; silhouettes pleine de 2 oiseaux noirs sur un (demi) fil. carte 1 : L’intérieur du visage est blanc, traversé d’une veinure noire verticale d’où partent ou aboutissent des traits pouvant évoquer les nervures d’une feuille.

carte blanche, carte noire the story of you and me - 2 the-story-of-you-and-me

11-20121116_150447

Expo d’hier, The museum of Everything, un mot, rapide

31 janvier 2013 | janvier 2013 | art |

Beaucoup de textes affichés, des adresses, des suppliques.

J’ai pensé naïvement que c’était peut-être ça aussi l’art qu’on ne dit plus naïf brut :  naïvement écrire et exposer des textes qui comptent pour soi,  des pensées que l’on a.

Naïveté de l’art brut, « outsider », qui va directement straight to the point,  sans détours.

En quoi consiste les détours de ceux qui en font ? Délices d’interprétations?

Qu’est-ce qui me retient d’écrire des mots et de les mettre au mur ? De figer leur nature d’objet? Une de leurs natures d’objet.  Ah non, je n’aimerais pas m’exposer aussi crûment. Je ne pourrais pas.

Ce rappel,  également :   Faire,  gratuitement. Donner seulement une existence matérielle à ce qu’on a en tête.

Moi qui suis en ce moment si soucieuse préoccupée émue de ce qui y arrive encore à trouver forme matérielle.

Matériel étant ici opposé au virtuel,  au click et au  scroll.

Nostalgie ravivée de la main de l’homme.

Hé, au nom de quoi ? De quel survivant  idéal ? De quelle peur ou du souvenir de quel corps ? Celui qui à la matérialité n’échappe pas.

Willem Van Genk (1927-1925)

Willem Van Genk (1927-1925)
Willem Van Genk (1927-1925)
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