« Le problème qui se pose alors est celui qui est lié à l’articulation entre l’horreur de la jouissance sexuelle et l’horreur de savoir.»

16 décembre 2014 | décembre 2014 | psychanalyse |

Ce qui de la rencontre s’écrit  de Pierre Naveau par Solenne Albert*

« En psychanalyse, il n’y a pas de solution immédiate, mais seulement la longue et patiente recherche des raisons. »1 Il me semble que cette parole de Lacan résonne avec ce que traite avec une grande justesse le livre de Pierre Naveau2, à savoir l’amour, la rencontre amoureuse, le désir, la jouissance. Qu’est-ce qui donne à une rencontre son caractère déterminant ? Qu’est-ce qui sépare une femme d’un homme ? Quelle dissymétrie se rencontre, au cœur de ce qui rate ou de ce qui se noue ? Dans la préface à ce livre, Éric Laurent indique qu’il ne s’agit pas, dans ce qui sépare, d’une différence anatomique, mais «d’une séparation des modes de jouissance. Et c’est de la non-rencontre de ces deux modes dont se plaignent hommes et femmes dans l’expérience analytique ». Cette disjonction marque une impossibilité, que Lacan a resserrée ainsi : Il n’y a pas de rapport sexuel. «L’envers de cette impossibilité, de cet « il n’y a pas », c’est qu’il y a des relations contingentes, non nécessaires entre les hommes et les femmes. »3

C’est la recherche des secrets de ces rencontres qui palpite dans ce livre, «secrets qui reposent sur le réel de l’inconscient »4. Il y a une logique à cela, et c’est la poursuite de cette logique, à travers les modifications conceptuelles de Lacan, au fil de son enseignement, que suit précisément P. Naveau. Du concept de répétition, encadré par ceux de tuché et d’automaton, dans le Séminaire XI, à celui de jouissance dans le Séminaire XX, le point vif concerne «l’articulation entre le savoir et la rencontre»5. «Tout amour se supporte d’un certain rapport entre deux savoirs inconscients.»6 Lors de la rencontre, quelque chose d’«imprévisible et d’inattendu » se produit, qui peut prendre les accents du traumatisme car on ne sait pas ce qui se passe. « L’événement de la rencontre met en jeu le rapport à la langue que l’on parle et le mode de dire qui est singulier à chacun. »7 Tout à coup, c’est une manière inédite de parler qui se découvre. Car, pour qu’une rencontre ait lieu, « il y a quelque chose à dire ». « N’est-il pas arrivé à Lacan de soutenir qu‘il n’y a d’événement que d’un dire? Ce qui se dit devient en effet décisif. Il suffit d’un mot pour que le désir s’avoue. » Cette confrontation au dire est aussi une confrontation au désir de l’Autre. « La clinique montre que la rencontre ébranle la position de l’être, « dérange la défense ».

C’est aussi ce qui est central, au cœur de la relation analytique. L’analyste devient partenaire, adresse de lalangue, en un mot, mais pour devenir de l’analysant. Et « la condition pour que tienne le ‘nœud’ de la rencontre avec l’autre, c’est de vouloir en savoir quelque chose.»8 Au début de ce livre, nous découvrons les impasses que peut rencontrer une femme, lorsqu’elle est hystérique, dans la rencontre d’un partenaire : refus de la castration de l’Autre, idéalisation du père, rejet de sa jouissance, jouissance de son propre manque, querelle du phallus. « Le Neid est le signe d’un refus, le refus précisément de ce point de négativité auquel elle est confrontée dans son rapport à l’Autre. »9 « Dans son séminaire sur Hamlet, Lacan met l’accent sur le fait que ce dont il est question, au moment où la fille quitte son père, c’est d’un deuil – le deuil du phallus.» Il ne lui donne rien, alors qu’il l’aime. « D’où la conséquence qu’elle en tire : l’on aime et pourtant l’on se quitte.»10 Et le choix qu’elle fait: position virile, refus de sa propre féminité.

À travers des cas cliniques et de nombreuses références à la littérature, ce sont autant de difficultés d’aimer et de refus d’être désirée qui sont articulés aux symptômes : anorexie, boulimie, angoisse, etc. Pour Célia, par exemple, « la crise de boulimie est une façon brutale de se mettre un bâillon sur la bouche. […] Manger trop, c’est une manière d’éteindre le feu qui brûle dans son corps, une manière d’étouffer ce désordre intérieur qu’est l’excitation »11.

Dans sa lecture du cas de Dora, P. Naveau souligne que ce qui objecte à la rencontre, pour Dora, concerne «l’horreur de la jouissance sexuelle ». Ce dont elle jouit, c’est de la boîte vide12. Il y a une jouissance de la privation, typiquement féminine, qui fait obstacle à la rencontre. Ce qui s’en déduit est une passion pour le sexe féminin. Le véritable objet de Dora, c’est l’Autre femme, en tant qu’elle incarne un savoir sur la féminité. L’amour s’adresse donc au savoir. Et le transfert est orienté vers la femme. La femme, ce n’est pas elle, ainsi elle n’a pas à être elle-même en position d’objet du désir de l’Autre, ni de s’interroger sur ce qu’elle croit savoir.

« Le problème qui se pose alors est celui qui est lié à l’articulation entre l’horreur de la jouissance sexuelle et l’horreur de savoir.»13 La question qui caractérise le lien entre la sexualité et le savoir est une façon « de poser le problème du rapport entre le signifiant et la jouissance »14. « Le signifiant brûle du réel de la jouissance. ». Cette jouissance, la femme l’éprouve mais elle n’en sait rien. « L’important est donc ceci : elle sait et elle ne sait pas – c’est un dit contradictoire. »15

Côté homme, la difficulté prend la forme d’une difficulté à se décider. Il suppose l’Autre savoir ce qu’il veut. Il est, lui, prisonnier de sa question, qui est celle « du risque de la castration qu’il ose ou non affronter »16. « Que me veut-elle ? » est la question angoissante qu’il rencontre. Pour parer à cette angoisse, il répond par un scénario fantasmatique. C’est pourquoi dès l’instant où elle devient la cause de son désir, il fait de la femme « la prisonnière de son fantasme». À la question « Que veut une femme ?», il répond « elle veut jouir de moi, elle veut ma castration». « Pour l’homme, fait remarquer Lacan, la réalisation du désir n’est atteinte qu’au prix de la castration. Il en déduit que, dès lors que la femme veut jouir de l’homme, c’est à son être qu’elle en veut.»17 En fait, « l’angoisse de l’homme est liée à la possibilité de ne pas pouvoir»18. De ce point de vue, donc, l’homme est angoissé, alors que la femme est plus libre.

« Le véritable partenaire de l’homme est ainsi la castration, tandis que celui de la femme est ce qui constitue, chez l’Autre, le désir. »19 C’est pourquoi, ce qu’une femme aime en un homme, ce peut bien être son courage, le courage qu’il montre à affronter la singularité de sa jouissance féminine.

Ce livre enseigne aussi que, dans tous les cas, la rencontre suppose de consentir à en passer par la parole – et donc par la castration, la sienne d’abord, ainsi que celle de l’Autre. « La rencontre avec le partenaire est, du même coup, la rencontre avec ses symptômes, c’est-à-dire ses difficultés à dire, et ses affects, ses embarras, ses angoisses, ses joies et ses tristesses. »

Est-ce alors que le dire particulier rencontre le corps ? « Les événements de corps sont des événements de discours». À cet égard, Jacques-Alain Miller met l’accent sur « l’incidence de la langue sur le corps de l’être parlan »20. C’est pourquoi Lacan parle du traumatisme de la langue. Un mot peut alors avoir l’effet d’une gifle. Et plus on aime, plus la parole de l’Autre vaut de l’or, et plus elle peut donc aussi blesser. L’événement de corps se produit «relativement à l’instant où quelque chose se dit ou ne se dit pas.» C’est à cet instant que se produit une rupture dans le savoir.

« S’agissant de l’amour, Lacan insiste donc là-dessus, la question la plus importante a trait au savoir. » Une rencontre qui compte est une rencontre qui produit l’émergence d’un savoir nouveau, articulée à un dire.

En lisant ce livre, on découvre aussi beaucoup de choses sur la jalousie féminine, sur l’éthique de la rencontre, sur l’obsessionnel et la dette, sur la coupure du sexe, sur le ravage… Précipitez-vous !

* Publié dans LQ 444,http://www.lacanquotidien.fr/blog/2014/12/lacan-quotidien-n-444-chroniques-inactualite-brulante-de-nathalie-georges-lambrichs-et-menfin-dyves-depelsenaire-solenne-albert/

1 « 1974. Jacques Lacan. Entretien au magazine Panorama », La Cause du Désir n°88, ECF- Navarin, novembre 2014, p. 166.
2 Naveau P., Ce qui de la rencontre s’écrit. Études lacaniennes, Paris, Éd. Michèle, 2014.
3 Ibid., « Préface » d’Éric Laurent, p.12.
4 Ibid., « Préface » d’Éric Laurent, p.13.
5 Ibid., p.16.
6 Mot de Lacan, p.131 du Séminaire XX, cité par P. Naveau, p.17.
7 p.16. 8 p.19. 9 p. 32. 10 p.34.
11 p.60.
12 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, p.109 : « c’est la boîte, l‘enveloppe du précieux organe, voilà ce dont elle jouit » ]
13 p. 69.
14 p.72.
15 p.97.
16 p.114.
17 p.145.
18 p.146.
19 p.146
20 p.159

L’on aime et pourtant l’on se quitte

1 janvier 2015 | janvier 2015 | psychanalyse |

Une querelle doctrinale

On trouvera ici des extraits du premier chapitre de livre de Pierre Naveau Ce qui de la rencontre s’écrit, Etudes lacaniennes récemment publié aux Editions Michèle.

La querelle du phallus

karen horney et hélène deutsch se sont trompées, lacan le dit dans L’étourdit, elles ont été aveuglées par le « voile de l’organe », voile pudique sur la castration du père. ce qui compte ce n’est pas la répartition homme/femme de l’organe mais la façon dont un sujet appréhende le manque de signifiant et donc le phallus comme signifiant venant suppléer à ce manque

un monde où l’on se quitte

« la fille quitte sa mère pour son père, puis quitte son père (Freud, 1925) – l’ordre importe. »

« … Freud insiste sur ce point décisif – que la fille quitte sa mère « sous le signe de l’hostilité ». L’amour, alors, vire à la haine. La fille se détourne de sa mère et se tourne ainsi vers son père, afin d’obtenir de lui ce que sa mère ne lui a pas donné. C’est pour cette raison qu’elle l’aime, lui, le père. Il y’a quelque chose qu’elle désire : l’enfant à la place de l’organe. Et elle veut qu’il le lui donne. Ainsi attend-elle une preuve d’amour ou qu’au moins, il lui fasse signe. Mais elle s’aperçoit qu’il n’y a rien à espérer. C’est à la mère et non à elle qu’il l’a donnée. Alors, déçue, elle le quitte à son tour. A ce moment-là, la fille s’identifie à ce nouvel objet (le père) que, lui aussi, elle laisse tomber. » p. 26

« Est-ce que l’identification au père ouvre ou ferme le chemin qui conduit à la féminité? Est-ce un point d’appui ou un obstacle? Tel a été enjeu du débat passionné qui a opposé Hélène Deutsch et Karen Horney. »

La castration du père

« La castration, dit en effet Lacan, est le point de manque, le point de disparition, le point de fuite, qui est la marque du désir de l’Autre. C’est le noeud de l’affaire. Lacan avance que le centre du paradoxe du complexe de castration, c’est que ‘le désir de l’Autre, en tant qu’il est abordé dans la phase génitale, ne peut jamais être en fait accepté – c’est Lacan qui parle – dans ce que j’appellerai son rite, qui est en même temps sa fuyance1 . Ce mot de fuyance est le mot de Lacan.
La difficulté, pour la fille, ne vient pas, dès lors, de sa propre castration car, châtrée, elles l’est, dès l’origine. Ce dont il s’agit, c’est de la dialectique du désir. La difficulté, pour elle, vient en effet de sa relation au désir de l’Autre et, plus particulièrement, de sa relation au point de négativité qui, chez l’Autre, est rencontré – ce que Lacan a proposé d’écrire : (-phi).

(p.31)
Aussi le Neid qu’éprouve la fille est-il une demande qui porte sur le manque mis à nu dans l’Autre. Le Neid est le signe d’un refus – le refus, précisément de ce point de négativité auquel est est confrontée dans son rapport à l’Autre.
(…)
« Et sans doute y-a-t-il plus névrosant que de perdre le phallus – c’est de ne pas vouloir que l’Autre soit châtré »
(…)
« si la fille quitte son père, c’est parce qu’en effet, il ne lui donne rien et qu’elle a alors le sentiment que c’est lui qui la quitte, qui la laisse tomber. D’où la conséquence qu’elle en tire : L’on aime et pourtant l’on se quitte. » p. 34

Notes:
  1. Lacan J. Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert, p. 272 []

La femme qui dit non

3 janvier 2015 | janvier 2015 | psychanalyse | , , , , |

Résumé du deuxième chapitre de livre de Pierre Naveau Ce qui de la rencontre s’écrit, Etudes lacaniennes publié aux Editions Michèle. Mes commentaires sont en italiques.

cas d’une femme qui a peur de son père et pourtant s’identifie à lui. cette peur s’étend à tous les hommes, que toutefois elle aime « autoritaires, virils, puissants ».

dit d’elle-même qu’elle est « la femme qui dit non » et refuse tout rapport sexuel tant qu’elle n’est pas sûre d’être aimée.

Je te demande de ne pas me proposer ce que je veux pour que je ne doive pas te le refuser

4 janvier 2015 | janvier 2015 | en lisant, psychanalyse | , , , |

Moi-même, plus jeune, vers la trentaine dirais-je, j’avais remarqué combien il m’était impossible de ne pas dire non à ce que mon ami d’alors,  Vincent, me proposait, dire non presque à tout ce qu’il me proposait. Et il ne s’agissait pas seulement de faire l’amour.

Notre relation avait cependant été assez longue pour que je réalise que j’avais bien souvent envie de ce qu’il me proposait. Et il ne s’agissait pas seulement de faire l’amour. A quoi j’étais donc, malgré moi, obligée de répondre que Non, je n’en voulais pas.

Si bien que j’avais fini par lui proposer de s’arranger pour ne pas me proposer ce que je voulais, mais quelque chose juste à côté, de sorte que je puisse lui répondre que Non, il n’y comprenait rien, ce n’était pas ça que je voulais, mais bien plutôt ça, ça qu’il se serait, bien élégamment, retenu de me proposer et dont j’aurais pu alors reconnaître le désir. 

Je ne me souviens pas que Vincent ait accepté de marcher dans cette  combine un peu tordue, mais je me souviens que nous nous amusions, oui que nous avions fini par nous amuser de mes refus. Et que nous avions tous les deux pu entendre, au fond, que je voulais ce que je refusais si énergiquement. Grâce, dirais-je, à son insistance.

C’est probablement en souvenir de ce Non que le livre de Pierre Naveau m’a tout d’abord retenue, au point que je veuille le relire. Quelque chose de ce Non, d’ailleurs, subsistant probablement aujourd’hui.

Donc, sa patiente, réclame, elle, de l’amour. Elle, le sait que c’est ça qu’elle veut. Peut-être bien mon propre Non réclamait-il de l’amour. Qu’il aurait obtenu, passé au filtre de nos infinies chamailleries. Mon Non ignorait beaucoup de choses de ce qui le causait, et de sa virulence, de l’impossibilité qu’il y avait à ne pas le proclamer.

Mais aussi, rapporte Pierre Naveau, fallait-il qu’elle se venge.


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