L’abri anti-aérien

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Jeudi 17 mars, 6h14

À l’hôpital, je ne sais pourquoi.

Grand hôpital assez vide de tout, même de patients de couloirs de chambres.
Grand espace ouvert, façon parking souterrain. Ou, abri anti-aérien (les images récentes de la guerre en Ukraine).
Un espace courbe, alvéolaire, dont les limites se perdent dans l’ombre. Continuité entre sol murs plafonds.

De loin dans un coin, de cet espace qui n’en n’a pas, une femme alitée va accoucher.
Isolement, solitude, de son lit, de son corps.
(Dans les abris où se cachent les Ukrainiens, dans les métros, aussi, on a parlé de femmes qui devaient accoucher.)

Il se passe des choses. Je circule dans les lieux. À un moment j’ai un lit (un lit m’a été assigné), parallèle à un deuxième, vide. Parallèle, identique.
L’espace est entièrement vide d’objets, lisse, en dehors de ceux que je décris ici, qui apparaissent, dont l’isolement ressort.
Tout est vu de loin.

La femme a accouché.
Je me rapproche de son lit, tout en maintenant une certaine distance.
Elle est triste. Triste et mal, physiquement mal en point.
Je ne vois pas l’enfant.

Je crois que c’est un peu plus tard, que je vais découvrir un homme assis à un bar, seul.
Un homme en costume, assis seul à une haute chaise de bar, à l’intérieur de l’hôpital.

Je me rapproche.
Une femme m’apparaît de l’autre côté du bar, c’est sa femme, c’est la femme qui a accouché.
Elle est derrière le bar, assise à une petite table de fornica rouge. De camping ? D’enfant ?
Elle est assise elle se lève elle se rassied. Ils sont calmes, merveilleusement. Ils vont prendre un petit déjeuner ensemble.
Toujours pas de trace, de signe de vie de l’enfant né, ce dont je m’inquiète. C’est incompréhensible.
Est-ce qu’il est oublié complètement ?


Je suis avec ma mère. Plan maintenant très rapproché. Nos deux corps occupent toute l’image, la débordent. Je lui dis Est-ce qu’il ne reste plus que toi ? Je suis en panique. Je me rends bien compte que ce n’est pas très délicat, de lui dire ça, de lui rappeler sa possible mort prochaine, mais, je ne peux m’empêcher de continuer à lui poser la question, Est-ce qu’il ne reste plus que toi, est-ce que vraiment il ne reste plus que toi, est-ce que tout le monde est mort, tout le monde étant ses frères et sœurs, elle-même étant la cadette, devant logiquement suivre, j’essaye de me souvenir, des décès successifs. Je panique totalement. Totally freaked out. Elle ne peut pas vraiment répondre, elle est dans l’état où elle est maintenant, dans son état d’Alzheimer, elle ne comprend pas. C’est une présence debout, faible, floue, enrobée de tissus en lanières.


Je vois une porte sur le côté – rectangulaire, blanche, simple, banale) qui est une porte qui mène à l’intérieur de la maison d’enfance de ma mère. À Poperinge. Je veux y aller je veux vérifier si tout le monde est mort, je veux revoir je veux me souvenir, même si ça fait mal, je veux la nostalgie – je veux chercher les larmes, la perte, ce dont j’ai un peu honte.

Avant que de pousser la porte, je prévois de voir, en l’entrée, une balustrade ou une rampe d’escalier. Je n’avancerai pas plus loin. C’est là, la tête prise là, entre les montants, mon front contre le bois, que j’ai cette idée d’aller « chercher les larmes ». Sur la gauche, au bout du couloir sombre, je vois la lumière de la cuisine, à droite, rien. Un espace noir.

C’est maintenant que j’avance vers la porte que je veux ouvrir, et qui, contre toute attente, est fermée. Elle a été fermée par une personne, une entité mauvaise, qui se trouve possiblement de l’autre côté de la porte, qui rôdait déjà auparavant dans l’hôpital/parking.

Je fais du bruit, je crie, je hurle, je tambourine, ça pourrait être dangereux puisque cette personne est très dangereuse mais ça m’est égal, il faut que j’ouvre cette porte. Des gens viennent à mon secours. Nous sommes un groupe qui tapons sur cette porte. Je vois le groupe, de plusieurs angles, qui s’acharne sur cette porte.


Au réveil, sous la couette, je repense au rêve, j’en rassemble les morceaux qui me reviennent, je me dis que je dois le noter.
Je pense à la maladie. Cela fait plusieurs jours, plusieurs rêves que je me rêve malade. J’y songe comme à une identification à laquelle il vaudrait mieux renoncer tout de même, finalement. Je me dis qu’il faut sortir de cette coquille de maladie. Je me dis, répète,  Sors de cette coquille, craque-la, sors. Il y a le craquement, la sensation du craquement.
J’entends Tu es morte. Je réfléchis. Je me dis, je me répète plusieurs fois, Pourquoi tu dis que tu es morte?
Je me lève, pour écrire.
Je me dis qu’il faut savoir.
Je me dis que c’est la seule chose à savoir.
(Et ce vouloir savoir serait bien un nom encore de la maladie.)

Mardi 22 mars
Dans les jours qui ont suivi, j’ai continué de rêver de maladie. Et continué à songer au moyen de sortir de cette identification.
Or : en quoi consiste-telle en un empêchement ? C’est que je n’ai rien d’autre à dire. A dire, à penser. Massivement occupée par ces pensées.
Ça devient comme aimer la maladie, la maladie comme ce  qui pense le corps, ce qui le parle, ce qui l’intègre (au discours). Avec le temps, la plainte est renoncée. (La honte resterait : de cette jouissance, de ce désir, désir dire, de ce qui ne renonce pas, de ce qui s’obstine. Comme une volonté de reconnaissance dans son dysfonctionnement. Même: la maladie comme signature.)
(Je sais m’en excuse auprès des vrais, des très malades, que je parle en malade en bonne santé.)
Pendant le Covid, je pensais que la maladie était l’état normal de l’homme, enfin rejoint.

Mercredi 23 mars

La scène du bar:

  • Fait penser à tableau célèbre de Hockney Hopper, mais inversé.

HOck Ney
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HOp Per

L’oubli du nom, si on le prend façon Signorelli de Freud, c’est Per qui est oublié, passé dans les dessous. A la place : Né – Naît – N’est – N’aie….

  • M’évoque aussi pièce « In a Bar of Tokyo Hotel », pièce de Tennessee Williams que j’avais traduite. Ho–>Pital / Ho–>tel
  • Enfin, me fait penser à toile de mon père Trouble, Trouble.

Dimanche 27 mars

Je relève une autre erreur. S’agissant de la table en « fornica rouge », comme je veux en trouver une image dans Google, je me rends compte qu’il ne s’agit pas de « forNica » mais de « forMica », une « petite table en formica rouge » à laquelle ma la mère est assise, plus bas que le père, assis au bar. Le bar les séparant.
Bar, éventuellement du nom de ma mère, Delbaere.

Mercredi 30 mars

Dans la première partie du rêve, je vois, je vois les choses de loin, sans m’en approcher, elles m’apparaissent.
Rien ne peut être dit de l’enfant disparu dont je suis seule à me souvenir.
Dans la seconde partie, je m’occupe de ce qui reste de ma mère, de ma mère comme ultime reste. Du passé que je veux retrouver. De son passé que je veux retrouver.
Nul doute que la première partie du rêve a été provoquée par la vision de ces Ukrainiens (de Kyev ?)  abrités dans les sous-sols du métro. Je me souviens d’une jeune femme qui allait accoucher ou avait accouché, allongée sur des couvertures à même le sol, un lit de fortune; il me semble qu’elle était reliée à un sac de perfusion.
Images qui se superposent à celles d’autres Ukrainiens, du Dombass, réfugiés dans des caves dont ils ne sortent plus. Des enfants n’ont jamais vu le jour.
Pourquoi l’inconscient retient-il certaines images ? Qu’est-ce qui m’a accrochée ? L’abri, l’accouchement proche, la sonde de perfusion dans le bras de la parturiente ? Le métro, la guerre?
Les lit que je vois dans le rêve : ce sont des  lits très simples, les lits les plus simples qui soient au monde, des lits métalliques. Comme des lits militaires, des lits de camp métalliques militaires. Les couvertures seraient de feutre gris. Des lits élémentaires.

Ma mère. Quand je commence à lui dire : Est-ce qu’il ne reste plus que toi ? Est-ce que vraiment il ne reste plus que toi ? Est-ce qu’ils sont tous morts ? Je ne sais pas encore qu’il s’agirait de ses six frères et sœurs, dont elle est la cadette et qui d’ailleurs ne sont pas tous morts. Je le découvre de la même façon que je le ré-découvre au moment de l’écrire. Je ne sais pas tout de suite qu’il s’agirait là de la déploration de sa mort prochaine.
Je veux dire que possiblement il y a un endroit, un temps, où le fait qu’elle soit seule à rester, qu’elle soit tout ce qui reste est vécu par moi comme une catastrophe intégrale. Ce qui n’est pas très délicat à lui dire.
Je ne pense pas vraiment chercher à interpréter ce rêve. Je l’ai écrit pour la nouvelle analyste à qui j’avais dit que j’avais recommencé à rêver, beaucoup, mais sans souvenir. Je l’ai écrit pour avoir un rêve à lui ramener et parce que j’aime les rêves, j’aime rêver, je me sens chez moi dans les rêves, il me semble que c’est le meilleure autoportrait que je puisse faire, que ces rêves parlent de moi mieux que je ne saurais jamais le faire, et qu’en tout cas ils montrent une part de moi à laquelle je tiens beaucoup.
Peut-être trop. J’y pense à cause de cette porte que je trouve inacceptablement fermée sur des souvenirs que je veux retrouver. Peut-être trop et en ai-je un peu honte de cette jouissance-là, du ressassement, de la perte.
La volonté d’intégrer dans une vision du monde celle de l’inconscient me paraît éthique. Me paraît politique. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit de faire accueil au plus étranger, il s’agit de trouver le moyen d’intégrer l’inintégrable, et qui dirige nos vies, les rapports entre les gens, à notre insu. Cette intégration de l’inintégrable, le rêve le fait.

I. Hôpital parking abri / Espace coquille / Courbes Teshima Art Museum.
Femme seule accouche.
Homme bar.
Femme table fornica. Ses mouvements .
Leurs interactions.
Bébé oublié.

II. Mère: est-ce qu’il ne reste que toi ?
Porte murée sur le passé, la maison de ma mère.
Danger/entité mauvaise

J’écris tout ceci au lit.
Je l’écris, souvent entendant la voix de Marguerite Duras, dans sa voix, sans m’en défendre, au contraire, heureuse.