une « pulsion de lire » s’écrirait-elle

Publié le Catégorisé comme en lisant, psychanalyse Étiqueté , , , , Un commentaire sur une « pulsion de lire » s’écrirait-elle

Une pulsion de lire s’écrirait-elle, pourrait-on avoir :1 :

L’objet = le livre

Dans la pulsion, l’objet est indifférent. Il n’est là que pour permettre à la pulsion d’atteindre son but : la satisfaction.
N’importe quel livre ? N’importe quel ivre ?
Quand l’objet n’est plus indifférent, il est du fantasme, celui pris dans le fantasme.

 » L’objet de la pulsion est ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but. Il est ce qu’il y a de plus variable dans la pulsion, il ne lui est pas originairement lié : mais ce n’est qu’en raison de son aptitude particulière à rendre possible la satisfaction qu’il est adjoint. Ce n’est pas nécessairement un objet étranger, mais c’est tout aussi bien une partie du corps propre. Il peut être remplacé à volonté tout au long des destins que connaît la pulsion; c’est à ce déplacement de la pulsion que revient le rôle le plus important. Il peut arriver que le même objet serve simultanément à la satisfaction de plusieurs pulsions : c’est le cas de ce qu’Alfred Adler appelle l’entrecroisement des pulsions. »2

Et l’objet livre peut-il n’être pas originairement lié à la pulsion, peut-il être remplacé par l’objet l’ivre, remplacé par l’objet oncle, etc. Et ces objets peuvent-ils servir simultanément à la satisfaction de plusieurs pulsions…

La source = un bord, d’un organe, le bord.

De l’organe, de la source de la pulsion, on ne sait pas grand chose et ce qu’on peut en apprendre, on l’apprend du but de la pulsion :

« Par source de la pulsion, on entend le processus somatique qui est localisé dans un organe ou une partie du corps et dont l’excitation est représentée dans la vie psychique par la pulsion. […] L’étude des sources pulsionnelles déborde le champ de la psychologie; bien que le fait d’être issu de la source somatique soit l’élément absolument déterminant pour la pulsion, elle ne nous est connue dans la vie psychique, que par ses buts. »3

Néanmoins l’on sait. Que Lacan caractérise cet organe par sa structure de bord et que son terrain est celui de la zone érogène. Qu’à ces zones érogènes il ajoute l’organe de la pulsion qui si elle existait s’appellerait pulsion génitale, la ganze Sexualstrebung, c’est l’organe irréel4 : la lamelle ou hommelette, la libido. Lamelle dont les objets a ne sont que les représentants.

Aussi la pulsion trouve-t-elle sa source au lieu de la coupure que fait l’objet a, objet partiel  » qui trouve faveur du trait anatomique d’une marge ou d’un bord : lèvre, « enclos des dents », marge de l’anus, sillon pénien, vagin, fente palpébrale, voire cornet de l’oreille. »5 C’est du bord qu’elle naît, d’où part son « invagination » pour aller faire le tour de l’objet, revenir d’où elle vient et par là marquer son but.

Et si le livre est bizarrement peu somatique, c’est que peut-être, de l’organe, ou de la partie du corps, il est cela qui y fait bord, bord qui redouble le bord.

Un livre rond vint border le trou de son cul, se fermer léger sur son bord. Comme la lamelle, qui vient, bord, s’agrafer sur le bord, et le livre devient de la lamelle représentant. Et la pulsion anale, du livre rond du livre lisse du livre boule – objet petit a, vient faire le tour. Et cet objet se destine à la perte.

Mais si le livre confond ses pages avec celles des paupières, s’il se glisse, là, encore en lamelle, la pulsion de voir va chercher sa satisfaction, s’en va dériver, dans le sillage soudainement ouvert quoique aveuglé de la « pulsion de lire ». Et l’objet apparu dans l’éclair, dis-paru au dit, trouve l’écrit.

Et quand le livre vient à manquer si fort qu’il le faut dévorer, c’est tous les aliments qui se font livres et qui continuent à manquer, à manquer à la bouche qui ne les rend pas. Parce que c’est à l’Autre (qui l’avait repris) qu’il a été dérobé, en cachette. Chocolat bleu pâle.

Parce que pour, je dis pour, modifier l’état de satisfaction, c’est à ce niveau-là, que ça joue. Il faut continuer à prendre au mot la pulsion qui s’y est prise, et non plus vomir, mais rendre, le livre, objet étranger. Savoir de quel livre il s’agit, ce qu’il cache, et, non pas se faire lire comme livre, mais, avoir appris, qu’après être né de l’Autre, le sujet qui a lu le livre, devra se faire lire, et que c’est un livre, un objet qu’il aura détaché de lui – ce que la pulsion anale lui aura appris, à son corps défendant -, que ce sujet né dans l’Autre devra rendre, et que cet objet sera un autre objet. Alors l’état de satisfaction sera modifié, alors la pulsion aura marqué son but. Sera passée entre les murailles de l’impossible6, sans plus de malheur.

Car avant tous les autres livres, il y avait eu le livre si violemment tu qu’il avait fait saigné les oreilles, donné des otites, rendu muette – pour qu’il reste secret, qu’il ne soit pas livré, c’est le livre ancien; le livre du Dieu jaloux au nom imprononçable. Et il fallait le livre nouveau, mais le livre nouveau cloue. Au lit avec un bon livre. Et ce livre initial est le nom de ce qui manque au dit.

Un bord

= pourrait être le bord des doigts, de l’ongle – Pourquoi pas ? Je, me rongeais, manie, le bord des ongles, les autres parlaient, je me rongeais, silencieusement, le bord des ongles. Un homme me dit, des années plus tard : Les envies. Tu te rongeais les envies. Je réponds aujourd’hui : Non, pour me ronger les envies, il eût fallu que je sache que les envies s’appellent envies. Je dis : je me rongeais le bord de l’ongle. De l’oncle. Au bout du corps, au bord du corps, au bout du doigt, le bord des doigts, ces ongles ronds, allongés, rouges parfois, leurs bords, rongés, mangés, avalés – le bord de l’ongle existant, polis, policé, beau – lisse. Et les aspérités à éliminer.

Le but

= selon Freud :  » Le but d’une pulsion est toujours la satisfaction, qui ne peut être obtenue qu’en supprimant l’état d’excitation à la source de la pulsion. Mais, quoique ce but final reste invariable pour chaque pulsion, diverses voies peuvent mener au même but final, en sorte que différents buts, plus proches ou intermédiaires, peuvent s’offrir pour une pulsion; ces buts se combinent et s’échangent les uns avec les autres.  »7
D’où, je déduirai, que le but poursuivi par une pulsion de lire, est l’un des buts, plus proche ou intermédiaire d’une autre pulsion, but qui, lui-même, se combine et s’échange avec d’autres. J’ajouterai ici, que ma pulsion de lire est « inhibée quant au but » et qu’elle ne va pas sans une satisfaction partielle.

Pour Lacan, le but de la pulsion, c’est de marquer le coup. C’est-à-dire, d’avoir bouclé la boucle, accompli son trajet. Que la pulsion mue par sa konstante Kraft, sa force constante, ait fait retour à la source d’où elle est issue.

Le trajet

= « The aim, c’est le trajet, par où il faut passer. Le goal, c’est d’avoir marqué le coup et par là atteint votre but. »8

 » Tout ce que Freud épelle des pulsions partielles nous montre le mouvement que je vous ai tracé au tableau la dernière fois, ce mouvement circulaire de la poussée qui sort à travers le bord érogène pour y revenir comme étant sa cible, après avoir fait le tour de quelque chose que j’appelle l’objet a. Je pose que c’est par là que le sujet vient à atteindre ce qui est, à proprement parler, la dimension du grand Autre. » 9

 

Cela qu’il faut retenir. C’est que la source est un bord, un bord du corps, et que c’est d’elle que ça part pour revenir à elle et le trajet de l’aller et le trajet du retour ne sont pas équivalents. L’aller va chercher dans l’Autre, en contournant l’objet a, une réponse qu’il ramène à son point de départ.

Cela qu’il faut retenir, c’est que la source n’est pas l’objet, mais que l’objet peut aller s’ensourcer sur un bord du corps. Que cet objet-là reçoit sa consistance de l’Autre, vient en nom de l’objet initialement perdu, animé du vivant qui rend force à une pulsion en manque d’allant.

Ce qu’il faut retenir. C’est que l’objet est indifférent et qu’à cet objet, Lacan donne un nom : objet a. Ce qu’il faut retenir, c’est que la source est toujours la source, est toujours bord du corps. Ce qu’il faut retenir, c’est que nous sommes sujets du langage. Et qu’il y a eu la langue. Que c’est à l’intérieur de Lalangue que des objets perdus ont trouvé métaphores, et que c’est à partir d’eux, que des morceaux du corps sont passés aux mots, que rien, seulement rien, n’est su du corps sans la coupure qu’ils y ont faite. Et quand des mots, S1, privilégiés prennent valeur d’objets, c’est qu’ils sont de loin en loin, souvenirs du corps perdu, émietté. Et que ces souvenirs du corps vont s’accoler là où le corps est en détresse.

Mais la source reste toujours la source. Où le corps est coupé, reste. Et c’est à ses fentes, coupures, sur, à cheval, que vient se poser l’autre organe, celui de la pulsion génitale, celle qui si elle existait réaliserait la fusion des pulsions partielles. Qui si elle existait, parce qu’il n’y aura pas de pulsion totale, il n’y aura pas de pulsion du sexe, de l’union des sexes, qu’il n’y aura pas de pulsion sexuelle qui fera que l’homme et la femme s’accouplent et enfantent. Les pulsions resteront partielles et perdues à la réunion des sexes et à la reproduction sexuée. Elles ne serviront pas à rendre le rapport sexuel possible. Pourtant la pulsion génitale, la ganze Sexualstrebung, a son organe. La lamelle, cela que l’homme perd à être sexué. Le manque d’avant le manque.

Deux manques ici se recouvrent. L’un ressortit au défaut central autour de quoi tourne l’avènement du sujet à son propre être dans la relation à l’Autre – par le fait que le sujet dépend du signifiant et que le signifiant est d’abord au champ de l’Autre. Ce manque vient à reprendre l’autre manque qui est le manque réel, antérieur, à situer à l’avènement du vivant, c’est-à-dire à la reproduction sexuée. Le manque réel, c’est ce que le vivant perd, de sa part de vivant, à se reproduire par la voie sexuée. Ce manque est réel parce qu’il se rapporte à quelque chose de réel, qui est ceci que le vivant, d’être sujet au sexe, est tombé sous le coup de la mort individuelle

[ …] recherche par le sujet, non du complément sexuel, mais de la part à jamais perdue de lui-même, qui est constituée du fait qu’il n’est qu’un vivant sexué, et qu’il n’est plus immortel.

[..] pour la même raison qui fait que c’est par le leurre que le vivant sexué est induit à sa réalisation sexuelle – la pulsion, la pulsion partielle, est foncièrement pulsion de mort, et représente en elle-même la part de la mort dans le vivant sexué.10

Notes:
  1. Bruxelles, mars 2002. Extrait du chapitre 3 d’un texte intitulé Vincent []
  2. Sigmund Freud, Métapsychologie, Pulsions et destins des pulsions, p. 18. []
  3. Sigmund Freud, Métapsychologie, Pulsions et destins des pulsions, p. 19. []
  4. « L’irréel se définit de s’articuler au réel d’une façon qui nous échappe, et c’est justement ce qui nécessite que sa représentation soit mythique, comme nous le faisons. Mais d’être irréel, cela n’empêche pas un organe de s’incarner. » Jacques Lacan, Séminaire XI, p. 187. []
  5. Jacques Lacan, Ecrits, pp. 819, 820. []
  6. « [..] c’est au niveau de la pulsion que l’état de satisfaction est à rectifier. Cette satisfaction est paradoxale, quant on y regarde de près, on s’aperçoit qu’entre en jeu quelque chose de nouveau : la catégorie de l’impossible.  […] Le chemin du sujet – pour prononcer ici le terme par rapport auquel, seul, peut se situer la satisfaction – passe entre deux murailles de l’impossible. » Jacques Lacan, Séminaire XI, p. 152 []
  7. S. Freud, Métapsychologie, Pulsions et destins des pulsions, p. 18. []
  8. Jacques Lacan, Séminaire XI, p. 163. []
  9. Jacques Lacan, Séminaire XI, p.177. []
  10. Jacques Lacan, Séminaire XI, p. 186, 187. []

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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