04/08/2014
Partie remise
Hier, comme je m’avance entre les rayonnages et les présentoirs de livres chez Gibert, soudainement cette évidence, ce sentiment d’évidence, j’écrirai moi aussi une livre et il viendra s’ajouter à tous ceux-là. Du coup, voilà deux heures que je me propose de le commencer et que sur l’écran blanc de mon MacBook Air, il n’apparaît rien. Je ferais donc mieux d’y renoncer, du moins pour l’instant. Partie remise. Partie remise, c’est une bon titre de livre, ça, non? En ce moment, je voudrais écrire un livre qui ait la qualité des Mots de Jean-Paul Sartre que j’ai lu le mois dernier et prêté ensuite à ma mère qui s’était émue de ce que je lui en avais raconté (« Mais, c’est terrible! mais, c’est mon histoire!« ) et dont j’achetais un commentaire hier.
bordure protectrice
Voilà maintenant plusieurs jours que je ne fais plus rien d’autre que m’intéresser à ce qui se passe en ce moment en Israël, l’opération de « bordure protectrice » , le massacre de Gaza. Je n’en donnerai pas ici un énième commentaire. Si ce n’est que je n’arrive pas à me départir du sentiment que je la consomme, cette guerre, que je ne fais rien de plus que la consommer quand je la traque et la lis, en silence, sur Twitter et sur Facebook.
Pourquoi Gaza et pas Grozny ? Henri Goldman, 8.02.2009 http://t.co/iQUyecR3vO
— véronique m. (@eoik) 31 Juillet 2014
Et pourtant, cette réponse semble évidente, et elle n’a rien à voir avoir la comptabilité des victimes. Rien ne nous relie à la Tchétchénie, au Darfour ou à Timor. Les crimes qui s’y déroulent sont hors de portée de notre émotion sollicitée jusqu’à saturation par les soubresauts de l’humanité, émotion qui n’est pas assez large pour réagir équitablement à tous les stimuli. Tandis que tout nous relie à Israël/Palestine. Faut-il détailler ? La destinée juive est centrale dans la construction d’une conscience européenne qui n’arrive toujours pas à considérer le « peuple juif » comme un groupe humain parmi d’autres. La Palestine est le berceau des trois monothéismes et un lieu surinvesti de charge symbolique par toutes les cultures qui s’en réclament. L’Europe est « innocente » du Darfour et de la Tchétchénie, alors qu’elle est actrice à de multiples titres du conflit israélo-palestinien. Enfin, Israël est une démocratie selon les normes occidentales, labellisée comme telle, avec laquelle nous n’avons aucun mal à nous identifier – ce qui n’est pas le cas avec Poutine-le-boucher et Omar el-Béchir l’islamiste –, et c’est cette démocratie « qui nous ressemble », cet autre nous-même qui bafoue depuis des décennies et en toute impunité le droit international en faisant le malheur du peuple voisin.
Et je suis bien d’accord, nous sommes bien plus proches d’Israël et des juifs que nous ne le sommes de ce qui passe ailleurs au Proche Orient ou dans le reste du monde. Nous, enfants de la seconde guerre mondiale (quand on ne cesse, en ce moment, de nous bassiner avec la première) et de son crime génocidaire. Crime dont la responsabilité taraude encore et dont les victimes d’hier sont les coupables d’aujourd’hui. Comment cela se peut-il? Quelle affreuse ironie. Et pourquoi faudrait-il que je sois taxée aujourd’hui d’antisémitisme quand il me semble que rien ne m’est plus étranger, bizarre, lointain que l’antisémitisme. Pourquoi faut-il cela quand j’ai été élevée dans l’effroi des torts faits aux juifs. Non, que m’en suis vue accusée, mais c’est ce que je crains lorsque je diffuse des liens sur des articles qui accusent Israël et qui croisent, silencieusement, des liens qui la défendent et accusent le Hamas. Alors, l’idée m’effleure que je dois cesser de m’intéresser à tout cela, cesser de m’intéresser à l’actualité et m’occuper de ce qui se passe ici, aujourd’hui. Car à ce qui se passe là-bas, et dont regorgent les tuyaux d’internet, je n’y peux rien.
Gaza avant le Congo? La Palestine avant la Syrie?, par @alaingresh http://t.co/tS0pgJWOuE
— Mona Chollet (@monachollet) 31 Juillet 2014
On peut alors, avant de revenir sur la question de l’antisémitisme, reformuler l’interrogation de Serraf et se demander plutôt pourquoi, après une si longue période de discrétion, la Palestine est devenue, comme l’énonçait le philosophe Etienne Balibar, une « cause universelle » ; pourquoi, en janvier 2009, des paysans latino-américains, mais aussi de jeunes Français et des vétérans de la lutte anti-apartheid sud-africains, sont descendus dans la rue pour dénoncer l’agression israélienne contre Gaza. Pour quelle raison une cause mobilise-t-elle, à un moment donné, les opinions de tous les continents ?
…
On peut alors, avant de revenir sur la question de l’antisémitisme, reformuler l’interrogation de Serraf et se demander plutôt pourquoi, après une si longue période de discrétion, la Palestine est devenue, comme l’énonçait le philosophe Etienne Balibar, une « cause universelle » ; pourquoi, en janvier 2009, des paysans latino-américains, mais aussi de jeunes Français et des vétérans de la lutte anti-apartheid sud-africains, sont descendus dans la rue pour dénoncer l’agression israélienne contre Gaza. Pour quelle raison une cause mobilise-t-elle, à un moment donné, les opinions de tous les continents ?
l’oubli
Sinon, je n’ai fondamentalement d’autre raison d’écrire, de vouloir écrire, de m’attacher à écrire, que ce sentiment, qui me poursuit, de perdre, à force de solitude, la faculté de parler, dont le premier symptôme est-ce celui de l’oubli, de la perte de mémoire.