J’avais écrit cette lettre

Publié le Catégorisé comme brouillonne de vie Étiqueté , , , ,

J’avais écrit cette lettre à M, rencontrée au stage de taï chi, au début du mois de juillet. Je l’ai écrite en plein mois d’août, à une époque où il faisait chaud, où j’étais en plein dans mon obsession du foie et de l’horloge biologique chinoise, mais aussi en pleine énergie, enthousiasme, dans le brûlure de l’été. Je faisais du taï chi dehors, au soleil, en différents endroits du jardin, je pratiquais les 108 dont je voulais finir de mémoriser les 2 premières parties apprises cette année, je travaillais également au jardin, un peu n’importe comment, avec des outils contondants que nous venions d’acheter. Je sciais des branches, je taillais des bosquets énormes où il m’est arrivée de me fondre en short, à plaisir, pour y traquer, scier l’arbre qui s’y était invité et pensait pouvoir continuer à longtemps pousser tranquille et échapper à ma fougue –  tel ce pauvre noisetier poussé dans le laurier. Depuis que je le pratique, de façon tout à fait amatrice, le jardinage me paraît à la racine même de la civilisation,  ça coupe, ça trace, ça fauche. Dans le corps à corps, la joie et la cruauté. Au moins en été.

Je n’ai jamais reçu, ou très tard, tout récemment, de réponse à cette lettre. C’est quelque chose que je ne supporte plus, que j’accepte mais ne supporte plus. Ça me laisse sans voix, ça m’éteint. Je le comprends, pour avoir écrit, autrefois, une quantité phénoménale de lettres auxquelles il n’a que rarement été répondu. Ces absences de réponses ayant fini par avoir raison de ma fougue, et je me serai, petit à petit, contentée d’écrire ces lettres mentalement à quoi aujourd’hui également je me refuse, pour y avoir passé trop de nuits blanches et vaine. Cette (unique) lettre est très pauvre par rapport à tout ce que j’aurais voulu ou pu ou , ma foi, je n’en savais rien, écrire durant cette été. Je n’ai rien dû ou pu ou voulu écrire en dehors d’un journal de mon alimentation et de cette lettre donc, avec les plus grandes difficultés, restée sans réponse. Je constate que je suis à une époque de ma vie où je suis en retenue par rapport à tout ce que j’ai trop pratiqué (mais ça dure depuis combien de temps). Et la lettre, au départ, à constitué mon premier mode de pensée. Aujourd’hui, je suis bien en peine de trouver à qui écrire et surtout, je ne m’y risque plus. 

Ainsi, cette lettre à EL, dont il est question là, mais là aussi. Autrefois, cette lettre qu’il me manque d’écrire l’aurait-elle déjà été, écrite et envoyée, et son destin de rester sans réponse serait-il déjà scellé.   Aujourd’hui, dès qu’il m’en vient une, je la retiens. Or, cette lettre à EL, j’y tiens, il faut que je l’écrive car je souhaite y développer ma réflexion sur les liens de la psychanalyse et du taï chi.

Ce qui me manque dans ces lettres d’autrefois, ces premières lettres, c’est leur inconscience. Elle n’avait d’autre objet que l’allant de leur adresse même. Je devais ignorer les entamant ce dont il serait question, que je développais cependant  jusques au point final, allègrement posé. Probablement auront-elles pris certaines teintes d’anxiété au fur et à mesure qu’elles comprenaient qu’elles ne trouveraient pas d’échos, qu’elles resteraient sans résonance. Il y eut nombre de lettres d’amour. Ne s’agit-il pas toujours de corps-respondance ? et si ça ne respond pas dans le corps dans l’autre, eh bien, ça ne respond pas –  ça ne correspond pas. S’agit-il pour autant d’être sans destin. Et plutôt que de ne rien écrire, écrire au vide. Et nous n’avons pas tous une lettre chevillée au cœur (pour expliquer l’absence de réponse). 

Et puis, il y a l’envers de cela, ou l’avers, comme l’avers de la médaille, c’est que cela est juste aussi, juste et bon, de rester sans réponse. Que le vide est une tentation, un vertige. Qui en inspira plus d’un, plus d’une. 

Et aussi : la passion de l’écriture se partage quelquefois. S’agissant de l’objet, lui, ne se partage pas. C’est ce que l’on ressent aussi, quand on reste sans réponse. On comprend que l’on se sera trop rapproché de son propre objet. Dont la nature est d’être détaché. 

C’est pour ça que je ne répondrai, à mon tour, pas à MC. Ça ne correspond pas. Et mieux vaut encore apprendre à s’adresser au vide. Lui répondre, ce serait encore me retenir de lui répondre, me retenir de prendre support d’elle pour écrire ce que j’ai à écrire. Je suppose qu’il faut pouvoir écrire des lettres sans retour, à nul. Et je me souviens alors, que c’était une composante de mes lettres, toujours : crois-moi,  cette lettre n’attend pas de réponse. Je prévenais l’absence et je la convoquais, mais aussi je l’absolvais de sorte que je puisse écrire encore. Surtout, écrire encore.  Car, à vrai dire, il est plus agréable d’écrire à l’un qu’à nul. Or, nul probablement, ne peut entendre ce que j’ai à dire. Nul sans que les oreilles lui saigne. (puisque c’est le but, d’en saigner). 

Maintenant, j’irais bien mordre dans quelque chose, moi. 

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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