A ces motivations générales s’ajoute dans notre cas un facteur particulier : c’est que les thèmes d’Athènes et de l’Acropole contiennent en eux-mêmes une allusion à la supériorité des fils. Notre père avait été négociant, il n’avait pas fait d’études secondaires, Athènes ne signifiait pas grand-chose pour lui. Ainsi, ce qui nous empêchait de jouir de notre voyage était un sentiment de piété. Maintenant vous ne vous étonnerez plus que le souvenir de cet incident sur l’Acropole revienne si souvent me hanter depuis que je suis vieux moi-même, que j’ai besoin d’indulgence et que je ne puis plus voyager. |
Étiquette : oubli
cette absence de nom et la mienne
« Se trouver dans un trou, au fond d’un trou, dans une solitude quasi totale, et découvrir que seule l’écriture vous sauvera. Être sans sujet aucun de livre, sans aucune idée de livre, c’est se trouver, se retrouver devant un livre. Un immense vide. Un livre éventuel. Devant rien. Devant comme une écriture vivante et nue, comme terrible, terrible à surmonter.(…) Si je n’avais pas écrit, je serais devenue incurable de l’alcool. C’est un état pratique d’être perdu sans plus pouvoir écrire… (…) Je ne sais pas comment je me suis tirée de ce que l’on peut appeler une crise, comme on dirait crise de nerfs ou crise de lenteur, de dégradation. (…) Quand on sort de soi, tout un livre, on est forcément dans l’état particulier d’une certaine solitude qu’on ne peut partager avec personne. On ne peut rien faire partager. On doit lire seul le livre qu’on a écrit. (…) Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait. »
Duras, Écrire, Gall., p.24-27-42-65
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sortir d’une nuit légèrement insomniaque ou j’ai finalement pris un anxiolytique pour m’arrêter de penser et m’endormir, ce qui était peut-être une lâcheté morale.
sur l’oubli du nom, moi, là : https://disparates.org/escapades/apres-coup-descapades-freund-et-benjamin/
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d. : tu fais de cet oubli un symptôme, tu construis un symptôme.
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jusqu’à ce qu’il me soit apparu que je n’ai pas de nom, que le nom est cela que j’attends encore qu’on me donne, qui toujours doit m’être donné, ultimement, comme ces noms de femmes dans les livres de duras leur sont donnés, tantôt par duras même, qui ne cesse de les écrire, et réécrire, prononcer et reprononcer, tant il est vrai que l’écriture de duras est une voix, de les mettre dans la bouche de leur amant qui alors le leur donne, à elles. et comment de ce don-là j’ai rêvé comme s’il pourrait alors atteindre le centre de mon être, de mon corps, comme une flèche. sont-ils, les autres, à ce point séparés de leur nom que je le suis. que faire de ce nom qui ne tient à rien que je n’aime pas que j’avouais autrefois volontiers échanger contre celui d’un homme d’un amour que je rencontrerais, un nouveau nom reçu alors dans le mariage d’un homme et par moi adopté. le nom contient-il une sagesse, ou le lien que je trouverais à nouer avec lui? ou peut-on simplement y renoncer ? quel est donc ce nom perdu comme je pensais hier cette perdue solitude. qu’il n’y a rien entre mon nom et moi, rien, une distance, un désamour, j’essaie seulement, maintenant qu’on est le matin, d’écrire ce qui m’envahissait cette nuit, qui m’apparait me revient maintenant sous des airs artificiels, la certitude, cette nuit était grande. le texte long. le texte dans ma tête pour tenter de dire cette absence de nom et la mienne.
Bruxelles
Mardi 29 octobre
Revenons de Bruxelles où passé excellent séjour. Vu JF, Ak et enfin JP. Al aussi bien sûr, qui vit maintenant chez ma mère. Et ma mère. Douce, brutale et angoissée, souvent mécontente.
Moi-même, pas eu d’angoisses, même si me réveillais la nuit. Et le matin, ce sentiment que l’Anafranil faisait son effet, que j’étais moins fatiguée. Mais, peut-être juste heureuse d’être là, peut-être juste passé de bonnes soirées.
Pris des photos de vieilles photos de la famille de ma mère. Lu quelques pages d’un journal de mon père.
Je songe à écrire à ma mère pour la soulager de ce qu’il lui semble perdre, la mémoire, les mots. Bien sûr des lumières qui s’éteignent, mais celles qui restent allumées n’en sont-elles pas d’autant plus chères, chéries, à chérir. Ces lumières qui restent, maintenant mises en lumière, ayant à faire des choses qu’elles n’ont jamais eu à faire auparavant, devant inventer. Je parle de la vieillesse, du vieillissement, de l’oubli qui l’accompagne. Pas que de la vieillesse, de la difficulté aussi, de l’angoisse.
Comment lui communiquer ce que je découvre en ce moment. La vérité qu’il y a à chérir ce qui échappe au symbolique – qu’une part de sa cause, inconnue, est là, qu’elle n’est pas méprisable, noble au contraire. Malgré qu’elle doive lui donner ce désagréable sentiment de perte constant. Comment lui apprendre à aimer – consciemment – ce désêtre. Qu’elle à inventer, à trouver, à formaliser ce qui lui permette de l’appréhender, de l’aimer, en ne lui trouvant, inventant seulement que quelques coordonnées symboliques et imaginaires.
Mais si elle te le dit, tu l’entends encore, « Ah, ce n’est pas drôle ce qui m’arrive, je t’assure… », pourquoi ne pas l’écouter, la croire, ce n’est pas drôle, te dit-elle, alors? C’est qu’il te semble que tu pourrais la soulager, c’est que tu cherches à la soulager, c’est que tu aimerais. C’est que tu aimerais utiliser faire usage de ce qu’il te semble avoir récemment appris : d’avoir connaissance des choses où elles n’ont pas de mots n’est pas sans valeur, peut-être par soi-même accepté,
A la condition peut-être d’avoir saisi en soi ce double mouvement : l’attachement à ce qui manque de mot aussi bien que le désir de l’univers où les choses ont un sens, trouvent discours.
non terminée, non envoyée
je réfléchissais à ton inquiétude à propos du fait que tu oublies beaucoup de choses, et de plus en plus.
peut-être est-ce un phénomène que tu pourrais admettre et accueillir.
je ne
peut-être que le nom des choses n’est-il pas tout ce qu’il y a à connaître.
l’oublié
Rêve
« Sur une scène.
Une scène de l’école – pas celle avec un grand E, la petite, celle des Dames; non, la plus petite, celle des Filles (de la Sagesse). Je faisais des spectacles là quand j’étais petite, de la danse. Mais dans le rêve, il s’agit de théâtre. Je suis la « principale » (comme en danse).
Je suis sur scène, je dois commencer. Mais je ne me souviens de rien.
Tandis que tout nous relie à Israël/Palestine.
04/08/2014
Partie remise
Hier, comme je m’avance entre les rayonnages et les présentoirs de livres chez Gibert, soudainement cette évidence, ce sentiment d’évidence, j’écrirai moi aussi une livre et il viendra s’ajouter à tous ceux-là. Du coup, voilà deux heures que je me propose de le commencer et que sur l’écran blanc de mon MacBook Air, il n’apparaît rien. Je ferais donc mieux d’y renoncer, du moins pour l’instant. Partie remise. Partie remise, c’est une bon titre de livre, ça, non? En ce moment, je voudrais écrire un livre qui ait la qualité des Mots de Jean-Paul Sartre que j’ai lu le mois dernier et prêté ensuite à ma mère qui s’était émue de ce que je lui en avais raconté (« Mais, c’est terrible! mais, c’est mon histoire!« ) et dont j’achetais un commentaire hier.
bordure protectrice
Voilà maintenant plusieurs jours que je ne fais plus rien d’autre que m’intéresser à ce qui se passe en ce moment en Israël, l’opération de « bordure protectrice » , le massacre de Gaza. Je n’en donnerai pas ici un énième commentaire. Si ce n’est que je n’arrive pas à me départir du sentiment que je la consomme, cette guerre, que je ne fais rien de plus que la consommer quand je la traque et la lis, en silence, sur Twitter et sur Facebook.
Pourquoi Gaza et pas Grozny ? Henri Goldman, 8.02.2009 http://t.co/iQUyecR3vO
— véronique m. (@eoik) 31 Juillet 2014
Et pourtant, cette réponse semble évidente, et elle n’a rien à voir avoir la comptabilité des victimes. Rien ne nous relie à la Tchétchénie, au Darfour ou à Timor. Les crimes qui s’y déroulent sont hors de portée de notre émotion sollicitée jusqu’à saturation par les soubresauts de l’humanité, émotion qui n’est pas assez large pour réagir équitablement à tous les stimuli. Tandis que tout nous relie à Israël/Palestine. Faut-il détailler ? La destinée juive est centrale dans la construction d’une conscience européenne qui n’arrive toujours pas à considérer le « peuple juif » comme un groupe humain parmi d’autres. La Palestine est le berceau des trois monothéismes et un lieu surinvesti de charge symbolique par toutes les cultures qui s’en réclament. L’Europe est « innocente » du Darfour et de la Tchétchénie, alors qu’elle est actrice à de multiples titres du conflit israélo-palestinien. Enfin, Israël est une démocratie selon les normes occidentales, labellisée comme telle, avec laquelle nous n’avons aucun mal à nous identifier – ce qui n’est pas le cas avec Poutine-le-boucher et Omar el-Béchir l’islamiste –, et c’est cette démocratie « qui nous ressemble », cet autre nous-même qui bafoue depuis des décennies et en toute impunité le droit international en faisant le malheur du peuple voisin.
Et je suis bien d’accord, nous sommes bien plus proches d’Israël et des juifs que nous ne le sommes de ce qui passe ailleurs au Proche Orient ou dans le reste du monde. Nous, enfants de la seconde guerre mondiale (quand on ne cesse, en ce moment, de nous bassiner avec la première) et de son crime génocidaire. Crime dont la responsabilité taraude encore et dont les victimes d’hier sont les coupables d’aujourd’hui. Comment cela se peut-il? Quelle affreuse ironie. Et pourquoi faudrait-il que je sois taxée aujourd’hui d’antisémitisme quand il me semble que rien ne m’est plus étranger, bizarre, lointain que l’antisémitisme. Pourquoi faut-il cela quand j’ai été élevée dans l’effroi des torts faits aux juifs. Non, que m’en suis vue accusée, mais c’est ce que je crains lorsque je diffuse des liens sur des articles qui accusent Israël et qui croisent, silencieusement, des liens qui la défendent et accusent le Hamas. Alors, l’idée m’effleure que je dois cesser de m’intéresser à tout cela, cesser de m’intéresser à l’actualité et m’occuper de ce qui se passe ici, aujourd’hui. Car à ce qui se passe là-bas, et dont regorgent les tuyaux d’internet, je n’y peux rien.
Gaza avant le Congo? La Palestine avant la Syrie?, par @alaingresh http://t.co/tS0pgJWOuE
— Mona Chollet (@monachollet) 31 Juillet 2014
On peut alors, avant de revenir sur la question de l’antisémitisme, reformuler l’interrogation de Serraf et se demander plutôt pourquoi, après une si longue période de discrétion, la Palestine est devenue, comme l’énonçait le philosophe Etienne Balibar, une « cause universelle » ; pourquoi, en janvier 2009, des paysans latino-américains, mais aussi de jeunes Français et des vétérans de la lutte anti-apartheid sud-africains, sont descendus dans la rue pour dénoncer l’agression israélienne contre Gaza. Pour quelle raison une cause mobilise-t-elle, à un moment donné, les opinions de tous les continents ?
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On peut alors, avant de revenir sur la question de l’antisémitisme, reformuler l’interrogation de Serraf et se demander plutôt pourquoi, après une si longue période de discrétion, la Palestine est devenue, comme l’énonçait le philosophe Etienne Balibar, une « cause universelle » ; pourquoi, en janvier 2009, des paysans latino-américains, mais aussi de jeunes Français et des vétérans de la lutte anti-apartheid sud-africains, sont descendus dans la rue pour dénoncer l’agression israélienne contre Gaza. Pour quelle raison une cause mobilise-t-elle, à un moment donné, les opinions de tous les continents ?
l’oubli
Sinon, je n’ai fondamentalement d’autre raison d’écrire, de vouloir écrire, de m’attacher à écrire, que ce sentiment, qui me poursuit, de perdre, à force de solitude, la faculté de parler, dont le premier symptôme est-ce celui de l’oubli, de la perte de mémoire.
Re: comédies américaines
Ah, c’est très intéressant tout ça. C’est marrant, on (dulce + jujujuman) a vu tous1 ces films récemment, et je ne me souviens de rien du tout, ou presque. Je crois que je devrais les revoir. Je vous parle de ma mémoire ici, pas des films. Je perds totalement la mémoire, c’est ça qui m’occupe le plus pour le moment.
Curb your enthousiasm, y a eu des moments où c’est devenu super grinçant, limite insupportable. On n’était plus très sûr d’avoir envie de le voir. Puis, ça s’est rétabli (même si moi, j’ai continué à me méfier), c’est ressorti du désespoir, je crois, réémergé.
Pour ce qui est de la mémoire, y a l’âge bien sûr, y a un symptôme, de je sais pas encore dire de quoi, puis y a aussi que c’est pas du tout ma culture. J’ai beau vivre avec D. depuis 10 ans, c’est toujours pas ma culture. Et chaque fois qu’il me propose ce genre de truc, je me dis OK, bon, voyons voir ce qu’il a encore à me proposer. Et je regarde, je ris, je trouve ça bien ou pas, mais ça reste très vague, je crois que je n’ai pas encore intégré ça comme étant à retenir, ça glisse. Je rigole et ça glisse. Ça s’en va.
Je demande peut être des œuvres qu’elles me bouleversent. Et rire ne fait pas partie, n’est pas programmé chez moi comme étant bouleversant. Tout de moins ce rire là, un peu gras. J’attends probablement plus classiquement d’être dramatiquement bouleversée. Il faudrait que je trouve le moyen de re-programmer ça. Et la drôlerie a quelque chose qui va ou qui vient d’au-delà du bouleversement.
J’ai dit aussi que je perdais la mémoire parce que je ne parlais pas assez. Je n’ai jamais beaucoup parlé – sauf avec certaines femmes, et là j’étais devenue vraiment bavarde, pipelette -, parce que je suis seule. Je ne me plains pas. Je constate. Solitude entraîne perte de l’usage de la parole, perte des mots. Je ne me plains pas : tout ça m’est beaucoup trop proche pour que je m’en plaigne. J’ai un attachement à moi.
Je perds les mots et je dois trouver comment les retenir. Ou comment les laisser partir. Qu’est-ce qui dans les mots qui partent ne me retient pas ? Et qu’est-ce qui reste ? Qu’est-ce qui me retient dans ce qui reste ? Que faire de ce reste ? J’ai parfois eu le pressentiment que c’était de cet ordre là. Quelque chose de cet ordre-là. Que je tenais au manque des mots (hystérie). Mais ce manque qui s’impose à moi, que je défends par devers moi, que restera-t-il de lui. Qu’est-ce qui reste quand ce qui reste n’est pas des mots. Et. Comment ce reste fait-il lien avec le reste du monde, et avec ce qui reste du monde au monde qui n’est pas des mots.
C’est la question du lien qui est importante. Pour moi, la seule. Et comment abandonner ou au contraire prendre très au sérieux la question de ce qui reste après (la deuxième seule, importante question), après la vie.
Mais là, je suis encore pleinement en vie. Et je peux très bien rigoler à un film qui n’est au départ « pas de ma culture » et l’intégrer à ma culture. En modifier le fonctionnement. Parce que le rire, finalement, comme le disait déjà Freud, le rire fonctionne avec au départ de ce qui manque aux mots. Bon, enough.
Des chercheurs ont réussi une expérience de télépathie, via ordinateur
Notes:
- Step Brothers, You Don’t Mess with the Zohan, Fun, Zoolander, Anchorman 1 et 2, Very Bad Trip, Bruno, Borat, Ron Burgundy, Pineapple Express. [↩]
Plus sérieusement,
Re: livres du moment / Artistes sans oeuvres et Rien ne s’oppose à la nuit
j’ai terminé, il y a quelques temps, la lecture de jean-yves jouannais, Artistes sans œuvres, aussitôt reprise pour ne pas le perdre de suite, ce livre que j’avais aimé. je l’ai perdu quand même, je suis faite de sable.
cette nuit j’ai pensé, parce que je pense à n’importe quoi, pendant que dorine faisait voyage en ritaline, que le livre aurait aussi bien pu s’appeler Artistes sans noms, puisque c’est d’eux aussi bien qu’il est question dans ce livre, des noms que ne se font pas toujours les artistes. livre qui m’a soutenue le temps de sa lecture, car il absout, ou le tente, tant de l’œuvre que du nom. c’est-à-dire de l’absence d’œuvre que de l’absence de nom.
« L’homme parfait est sans moi, l’homme inspiré est sans œuvre, l’homme saint ne laisse pas de nom. »
jouannais rêve d’une histoire de l’art qui s’attacherait à des « immatériaux« , dit-il, a l’idée, au geste, à l’énergie (mais comment l’écrire sans l’écrire une idée qui n’est encore qu’idée et qui deviendra autre chose dès lors qu’elle sera écrite? parce que c’est ça son idée, enfin l’une de ses idées, tenir compte de toutes les idées non-écrites, désigner comme artiste celui qui encore n’a que l’idée, seulement n’aura jamais que l’idée.)
« Combien de songes, de systèmes de pensée, d’intuitions et de phrases véritablement neuves ont échappé à l’écrit? Combien d’intelligences sont-elles demeurées libres, simplement attachées à nourrir et embellir une vie, sans fréquenter jamais le projet de l’asservissement à une stratégie de reconnaissance, de publicité et de production? »
« … Simplement pour vitales qu’elles soient, ces sommes immatérielles, ces idées inécrites, ces poésies vécues ne peuvent parier que sur la mémoire, le mythe, pour traverser les époques, ayant refusé, avec violence, ironie ou innocence, la logique industrielle et mortifère du musée comme de la bibliothèque. »
ce que je voudrais c’est renoncer, renoncer tranquille à la mémoire et au mythe, à la traversée des époques; ne plus souffrir de ce désir; de la mort et de l’oubli. mais j’ai eu beau lire ce livre, eu beau le lire et relire, ce qu’il tente de soulager, l’espoir dont il dit si bien qu’il gonfle, retombe aussitôt le livre refermé.
j’ai eu la chance d’ouvrir alors un autre livre, si beau, si terrible, si triste. dont je dois déjà rechercher le titre et le nom de l’auteur. [un temps assez long] . Delphine de Vigan : Rien ne s’oppose à la nuit. un ravage. une écriture où l’auteur va à la rencontre de la descente en folie de sa mère, de son suicide inéluctable.
relectures
19.XI.16
7h30
Réveillée, levée, bu grand verre d’eau tiède, ne sais pas bien quoi faire, assise au salon dans le noir, ne peut pas faire de bruit, tout le monde dort.
De fil en aiguille, dans mes pérégrinations, tombée sur de vieux rêves de mai 2006 que j’ai tenté de retravailler, tant leurs analyses sont mal foutues. Leur analyse et leur présentation. Je sais qu’à l’époque je n’aurais pas pu faire mieux. Je ne pense d’ailleurs pas pourvoir faire beaucoup mieux aujourd’hui. Il me semble toujours, il finit toujours pas me sembler que je n’arrive pas à saisir de conclusion. J’analyse, je développe. A chaque fois, il me semble qu’un « donc » se dessine, se profile qui reste fantomatique, insaisissable, décourageant. Là, je ne sais pas si je dois tenter de les reprendre à nouveau, ou laisser tomber.
Je cherche une voie à mon assiduité. Je n’en n’ai plus aucune, pas la moindre. Pour ça que je rêve de discipline.
« D’autre part, si vous être trop spacieux sans focalisation suffisante, vous n’êtes pas centré et vous pouvez facilement vous évader et faire du tort à vous-même et aux autres. Être spacieux sans focalisation crée un esprit qui saute continuellement d’une chose à l’autre – une forme de déficit d’attention – et ne ralentit pas suffisamment pour observer réellement ce qui se passe et comment accomplir ce qui doit vraiment être fait. »
Hier, j’ai finalement rouvert dans Word, un autre texte, plus récent, que je ne suis pas encore arrivée à finir. Un texte en réaction à un propos d’Élise sur Stromboli, à propos du travail et de la pente, ce que j’appelle là » la pente », reprenant un terme à lui dans son bouquin.
Possiblement, je n’ose plus atteler ma pensée à quoi que ce soit. Peur de ses emballements aussi bien que de ses blocages. Je me vide.
S’agissant de ma mémoire. C’est parce que je la perds que j’ai arrêté les antidépresseurs, mais je n’ai plus du tout confiance en elle. Dès qu’il y a quelque chose qu’il faudrait retenir, je panique, je cherche de quoi noter. Dans ce que je relisais hier sur le blog, j’ai trouvé des traces déjà de ces perturbations. En plusieurs endroits, je cherche le nom de quelqu’un, qui ne me revient d’abord pas, puis qui finit par me revenir. De ces hésitations, de ces trous, j’ai toujours voulu laisser la trace. Je n’aurais pas pu renoncer à cela, renoncer à faire état de mon « manque à savoir ». J’aurais trouvé cela malhonnête et surtout, il m’aurait semblé y perdre quelque chose, y perdre ce qui m’importe : parler depuis l’absence de maîtrise, faire état des trous, des manques, et que ça parle depuis là. L’oubli cependant m’inquiète. J’ai tenté de le traiter en symptôme. Au départ, il ne s’agissait que de celui des noms propres (que j’ai beaucoup analysé, m’appuyant du texte de Freud sur l’oubli des noms propres). Mais il s’est ensuite étendu bien au-delà. Et je ne cesse de rebuter sur cette perte des mots, sans que je sache quand ça a commencé ; si ça a commencé un jour, oui, il me semble, que ça n’a pas été comme ça de toute éternité. Il s’agit bien d’une perte. Qu’on attribuera pour partie à l’âge ( ou à une tu-meurs au cerveau) mais que j’impute également à un manque d’exercice, à force de solitude. Ça a toujours fait partie des raisons pour lesquelles j’ai voulu écrire, continuer d’écrire dans le blog : m’exercer, continuer de m’exercer au maniement du langage. Quand j’y renonce, c’est que cela me paraît vain. Et que je m’effraie de cette aspiration par le désir d’écrire, qui tourne à l’obsession, que je considère malade. Et que je veux retourner, aller plus loin encore, dans l’oubli du langage. D’où mes longs silences, et sur le blog. Mon intérêt pour le zen, le taï chi, la méditation.
// Et puis, c’est toujours quand je suis sur le point d’écrire quelque chose que j’arrête. D’écrire quelque chose d’autre, et que je n’y arrive pas. Que j’arrête. Jusqu’à l’oubli. Pour le redécouvrir, alors, plus tard, neuf et légèrement modifié. //
note 88
#00 | 0 le prologue
Donn. Ce texte aurait dû constituer le prologue. « Ce qu’on attend du roman ». J’ai l’impression d’avoir triché. Il aurait fallu parler d’un roman sous le nommer, sans en donner ni le titre, ni l’auteur : j’ai parlé d’un roman qui m’est cher, mais dont j’avais oublié aussi bien le titre que le nom de l’auteur, ainsi qu’il en est d’ailleurs pour tous les livres que je lis. C’est ce qui m’a mise sur le track, la voie de l’oubli. J’espère que ce ne sera pas une dead end, au pire, une ornière, au mieux. Mais j’aime que cela m’ait conduit à ce qui est mon dada du moment, ma secrète ambition. J’y parle donc de l’oubli des noms, des noms propres en particulier. J’y parle de la fiction aussi. Et du point de vue de ce qui se passe par en dessous, souterrain. J’y parle de ma façon d’aimer les livres, de ce que Duras m’a appris, sur le pouvoir de la simple articulation d’un nom. Bien sûr, le texte est démesurément long.
#00 | le livre oublié
c’est l’été, drôle d’été. il a fait chaud, il a fait froid, je ne pars pas, je ne partirai pas, même si je n’ai pas cessé, d’aller et de venir, de là à là, à encore là. ne pas penser à ça.
là, je me concentre. que je ne me souvienne ni du titre ni de l’auteur indique qu’il s’agit d’une lecture récente. parce qu’au début de ma vie de lectrice, je retenais les noms. à mes premières lectures se sont toujours attachées et de façon solide les noms et titres de ce que je lisais. leurs noms d’ailleurs à l’opposé de tous les autres noms. mes balises. cette faculté s’est perdue. et je perds aujourd’hui les noms d’auteur au même titre que tous les autres noms.
découverte pendant les vacances, je crois. oui. à cette époque de l’année. sur ce même siège. au bord de ce même bassin. il y a deux ans.
au départ, il n’y avait que les noms propres qui faisaient trou. aujourd’hui, ça s’est étendu à tous. il n’y a plus de distinction. restent quelques noms du passé. ce n’est pas l’alzheimer. même s’il y a l’alzheimer de la mère. c’est aussi la vieillesse. et puis autre chose.
ce qui est curieux c’est que là, j’ai presque l’impression de faire l’effort de ne pas me souvenir de ce livre, de ce titre, de cet auteur.
je le ferais pour m’attarder à cette matière de l’oubli. à la matière-même de l’oubli.
il était épais, le livre.
dans les premières pages, c’était encore à paris, souvent il avait fallu qu’elle reprenne ma lecture, qu’elle lise et relise des passages entiers. je ne comprenais pas ce que je lisais. je ne comprenais pas pourquoi j’insistais. il y avait quelque chose d’extraordinaire. dès les premières pages.
je crois qu’elle est épouse de diplomate. il est possible que le personnage aussi, l’était.
cela commencerait dans une cuisine. puis, il y la traversée longue d’un appartement et l’arrivée dans une pièce, une chambre, qui n’est pas celle de la narratrice, tout à l’écart. et claire, très claire. cette clarté – l’éclat du soleil, la blancheur d’un mur – est longuement décrite. aveuglante. il y a un lit, où s’assoira la narratrice. il y aura quelque chose au pied du lit. enfin, voilà, je me souviens, cette pièce avait été habitée par une personne ayant travaillé pour la narratrice, petit personnel de maison, et qui était partie, ou qui avait été chassée, dans des circonstances sombres, décrites sommairement. avec quelque chose d’énoncé sur une réalité sociale dure, implacable.
la pièce est petite, comme un poing au bout d’un bras, un point d’aboutissement, comme suspendue au-dessus de la ville, de l’histoire, un point d’exil aussi, de réclusion, qui fut celle de la personne qui avait vécu là, d’oubli. et il y a une façon de présence de la ville en contrebas. d’une ville qui aurait été grouillante.
il ne faut rien croire de ce que je dis.
tout le livre je pense se passera là.
et je ne sais plus ce qu’il se passe dans le livre.
et je ne sais plus s’il faut que je mette les virgules où il faut. ou si je peux me permettre de ne pas finir mes phrases.
à la fin, il y a une culpabilité qui se révèle, très forte. celle d’un meurtre ? une culpabilité monstrueuse. et le meurtre… mon dieu. il est question d’un enfant. je n’en dirai rien de plus.
c’est une écriture qui ne ressemble à aucune autre. absolument particulière. qui se lit très agréablement à haute voix. enfin, agréable n’est pas le terme. c’est d’une véritable expérience qu’il s’agit. j’en avais enregistré un extrait, que j’avais publié sur instagram, je le disais filmant le jardin autour de moi. ce jardin où je suis maintenant. le texte lu parlait de son rapport à la voix, de ce que son écriture appartienne à la voix.
je me souviens que j’ai rêvé désespérément le monter, ce texte, le jouer.
j’ai lu alors de nombreux livres d’elle.
je me suis récemment rendue compte qu’il m’était devenu très difficile de croire à la fiction. comme si tout devenait réel. ainsi, il y a peu, par exemple, je lisais un livre de X (autre nom oublié), et je me suis dit, tiens, X, elle a été scénariste, je ne le savais pas, et elle a vécu à Los Angeles, je ne le savais pas. et tiens, elle est partie au Congo ? est-ce qu’elle ne serait pas belge par hasard, X. comme moi, alors. mais non, X n’était pas scénariste, ne l’avait jamais été, n’avait pas vécu à LA, jamais, elle est juste tout à fait capable de l’inventer.
pour ce qui me concerne, ça fait quelques temps que j’ai remarqué que j’étais de plus en plus amenée à coller au réel, à coller à la réalité de ce qui m’arrive au moment où cela m’arrive, cela s’appellerait le présent, ce serait comme ma matière, couchée sur la roue du temps, je cherche à chercher à produire les mots d’une histoire qui ne cesse de se dérober, et donc à voir s’éloigner de moi la possibilité de la fiction. comme s’il me fallait constamment tisser sous moi le filet qui empêchera la chute, et que je ne puisse utiliser que les mots à portée, à ma portée directe.
au cinéma, c’est pareil. je ne peux plus voir un film violent : sur ma chaise, c’est moi qui encaisse tous les coups, qui gémis, qui me projette sur les côtés tentant d’y échapper.
il reste certainement un lieu de fiction. je crois d’ailleurs absolument à sa nécessité.
(on pourrait dire : la fiction au lieu que le vide, une fiction, n’importe laquelle, plutôt que le vide. mais ce serait peut-être trop facile. on pourrait dire : la fiction plutôt que le réel. parce que parfois le réel est ennuyeux. je ne sais pas si c’est mieux dit. est-ce que l’on aime le réel. je suis liée aux sensations, et je tiens à ce qui me lie. est-ce que les sensations sont réelles. on tient aux mots qui décrivent le réel. c’est ce qui est aimé. est-ce ce qui est aimé? mon univers de mots ne tient pas. il ne tient que par la colle du réel, de la sensation réelle. est-ce que ça me fait quelque chose, comment est-ce que ça résonne en moi. suis-je marquée, de quelle façon. sinon, les mondes se délitent. c’est la limite de mon intelligence. je dois tout le temps recréer du lien.)
je ne dis pas que je ne serais pas tentée de trouver le moyen d’aller un peu sans les mains, regarde maman, sans les mains, de me détendre, et de m’embarquer dans autre chose, sans le soutien de la réalité directe. je ne dis pas que je ne cherche pas un moyen.
là, dans ce livre-là cependant, la fiction était tangible. on avait affaire à quelque chose de l’ordre de la métamorphose de kafka. il y a peut-être un insecte. seigneur ! il y a un insecte ! et ça met un très long livre pour aller chercher déterrer ce qui est probablement un souvenir autobiographique. ce souvenir étant vécu du point de vue de ce qui n’est pas su, de l’inconscient, de l’horreur de ce qui se raconte par en dessous pour parer à l’insoutenable.
du réel de cette horreur. qui revient à la surface. dont l’émergence fait événement.
le réel de l’inconscient, lui, est hors temps. et a-géographique. de là, que je me raccroche à ses fictions. elles trouvent leur encre encore en ma chair.
s’est-elle suicidée, l’autrice? je ne dirais pas que ce serait une raison de plus de l’aimer. il y a un moment dans le livre où elle parle de sa folie. bien sûr que c’est très important. ça. très important pour moi. je crois, oui, qu’elle trouve le moyen d’en parler. de dire des choses inouïes sur la folie, sur ce qui s’apparenterait à la folie.
je crois que je me disais : parle-t-elle de la folie, là. elle est vraiment occupée à parler de la folie, là. c’est ce dont elle parle. que ce soit de folie qu’elle parlait ou pas, peu importe, ce dont elle parlait était profondément juste, méritait absolument d’être dit, redit encore, continué à dire.
je ne suis pas sûre finalement de vouloir me souvenir de son nom. et je ne sais pas pourquoi. comme si. la perte d’elle, son oubli était aussi, plus justement encore, l’amour d’elle.
il faut faire un effort contre ça, résister.
résister à faire exister par le silence ce qui échappe aux mots.
je me souviens de son pays d’origine.
j’ai aimé passionnément ce livre, et comme tous les livres que j’aime passionnément je l’ai lu dans la tristesse déjà, le désespoir de l’inéluctable de sa perte, à l’idée que je le terminerais, que je sortirais du livre. et je me promettais comme à chaque fois, de le relire. ce que je n’ai pas fait, bien sûr, puisque je suis passée à d’autres livres d’elle. ce que j’ai fait pourtant, pour partie.
gourmande, boulimique.
j’ai parlé d’elle, autour de moi. à une amie comédienne, j’ai espéré, qu’elle me dise, on le fait. et à une autre amie qui aime suffisamment le théâtre que pour vouloir m’aider à le monter.
c’est ça aussi l’effet que me ferait un livre, il m’amènerait à
il donne du désir
il permettrait presque de recommencer à y croire, à
son écriture, son invention, venait me chercher puissamment.
l’été suivant, je lisais une grande quantité de livres de Duras, dont je m’étais rendue compte peu auparavant, lisant le livre de Yann Andrea, après avoir vu le film, qu’il y en avait un bon nombre que je n’avais pas lu, joie, un bon nombre qu’il restait à lire. des romans, des pièces de théâtre. j’ai cherché Yann aussi, à qui je n’avais été pas loin de m’identifier. qui révèle dans son interview par Michèle Manceaux une face terrible de MD. ont suivi tout ce que je pouvais de YA et de biographies de Duras.
j’ai beau ne pas me souvenir, je continue d’avoir envie de lire des livres que je n’ai pas lus.
je lis de moins en moins. et ces coups de cœur sont rares.
est-ce que ma vie alors est vide.
il y a quelque chose de vide.
et quelque chose de toujours plein.
je sais que lire, la lecture, l’écriture, me permettent de me raccrocher, en noyée parfois, à la grande hache de l’histoire. il n’y a qu’eux qui déplient le temps.
je me souviens du nom de Yann Andrea parce qu’il m’a été donné par MD, que j’ai commencé à lire à une époque où ma mémoire ne m’avait pas encore désertée.
et duras avait une façon bien à elle de nommer, de pouvoir nommer ses personnages et de restituer le prix de cette nomination. le prix exceptionnel de ces baptêmes. de ce qui se donne alors à un corps, à un être.
j’avais d’ailleurs appris que le nom, qu’il adopta dans un soulagement infini, de Yann Andrea, lui avait été donné par Duras.
duras me l’avait appris, ça, que pour certains, le don du nom, c’était de l’amour, et ça pénètre directement le corps, et ça vous ramène dans le monde.
je reviendrai lire ceci. et à paris, je retrouverai le livre. d’ailleurs le passage est dans mon téléphone, celui lu sur instagram. mais je préfère laisser ça comme ça.