le supplice du nom
— prise dans la coulisse

21 mars 2006 | mars 2006 | à propos, autour des tours de la pulsion, RÊVES | , , , , , , , , |

Fort empêchée d’écrire en ce moment, à cause du travail1.

Il y a deux ou trois jours : rêve.

1. D’abord seule
Pendant longtemps, de plusieurs façons, je cherche à arriver à l’une ou l’autre piscine.

2. Plutôt à plusieurs
Finalement, il est décidé que nous y irons, à la piscine, à plusieurs. Nous partons du château (enfance).

3. Un nouveau chemin
Plutôt que d’aller vers l’une de celles que j’avais déjà repérées, il est décidé, par le groupe, que nous irons vers une autre, dont je n’ai pas souvent fait l’épreuve du trajet.

4. A droite, le connu, le château de l’enfance. A gauche, la ville de ma mère, l’inconnu
Celle que je connais, c’est plutôt vers la droite – le chemin qui descendait du château au village à travers les prairies, un chemin toujours le même, souvent re-parcouru en rêve. La direction que nous prenons, c’est plutôt vers le fond à gauche. Impression de Poperinge (ville de ma mère).

5. Bloquée côté spectateur. Impossibilité de se déshabiller. Noir
Arrivons à la piscine. Diverses tentatives pour arriver jusqu’à la piscine même, l’eau. Cela paraît impossible (en fait, ça le restera pour moi, jusqu’à la fin). Le genre d’obstacle que nous rencontrons, c’est par exemple que les vestiaires sont plongés dans le noir ou introuvables ou ressemblent plutôt à une salle de spectacle, côté spectateurs. Nous sommes dans les fauteuils des spectateurs, la salle est plongée dans le noir, il n’est pas facile, ou plutôt il ne m’est pas facile de trouver ma place, une fois que j’en trouve une, comment me déshabiller en présence de tous ces gens. Comment font les autres? Ils le font.

D’autres donc, les autres, parviennent à l’eau. J’ai à un moment un aperçu de la piscine, du bain, de haut.

6. Coulisse, courant, mécanisme – au cœur de pulsion… Moulin à eau de Vanneau
Je m’engage finalement dans quelque chose qui devrait me mener vers la piscine. J’ai un doute. Je me demande si je ne suis pas embarquée sur le côté, sur le bord du chemin. En effet, je suis plutôt dans la coulisse. Je suis très exactement dans la, les coulisse(s). Couchée à plat ventre, encagée, sans aucune possibilité de me dégager. Je suis dans l’eau d’une roue qui entraîne l’eau de la piscine, qui entraîne le mécanisme de la piscine. Le courant est fort, inéluctable.

7. Le tour, la roue, la chute
Pour le moment, je suis dans le mouvement ascendant. Mais à un moment, je passerai forcément dans le mouvement descendant – la chute. Je suis dans le premier demi-tour de la roue. Dans son deuxième demi-tour, je ne pourrai que tomber, et la chose paraît aussi dangereuse que de tomber, par exemple, du haut du Niagara.

8. L’angoisse
Quelqu’un m’aperçoit prise dans ce mécanisme. La question c’est : est-ce qu’on arrivera à l’arrêter, le bloquer à temps? L’angoisse me réveille.

Difficile de ne pas retrouver trace ici de mes élucubrations autour de la pulsion. Trace en forme de confirmation. La pulsion est un mécanisme, duquel on se dégage difficilement, dans lequel on est pris comme dans le tour d’un supplice, dont le mouvement est celui d’un aller-retour, et dont le retour, le deuxième demi-tour, est difficile, angoissant.

Piscine, mettons la jouissance :

1. D’abord seule

2. Ensuite, plutôt à plusieurs (contingence, rencontre)

3. Du coup, n’est plus la même, de jouissance.

4. Plus vraiment du côté de l’enfance, du connu, mais de la mère (sans chemin).

5. Bloquée un temps dans le fantasme (corrélé à l’objet du père) : l’impossible objet regard. Qui rend impossible le déshabillage.
A ce point devoir être l’objet du regard, mais l’objet d’un regard impossible, objet qui incarnerait le regard même, un objet dont la beauté puisse définitivement faire voile sur l’au-delà du regard, impossible  : ce n’est jamais ça – histoire de ma vie, jusqu’à un certain moment de mon analyse. L’incarnation de cet objet empêche certainement tout rapport amoureux (le déshabillage) puisqu’il cherche à incarner le point d’impossibilité même de ce rapport. Devoir être belle au point que ce voile, en quoi consiste la beauté, puisse occulter tout de qu’il en est du désir, de l’angoisse donc, que cette beauté même, sa vue, le regard, provoque. La beauté est re-présentation du regard. Mais si le regard est pris au sérieux, c’est-à-dire pris dans ce qu’il comporte de réel, c’est-à-dire de jouissance et de désir, de trou à la re-présentation justement, il s’avère impossible. D’où, mon impossibilité, pendant des années, à me montrer. Voir, oui, du haut de ma tour – être vu – impossible – quels que soient les compliments que je reçoive quand j’étais forcée à sortir. Quand j’acceptais de faire illusion. (On en est encore là, du côté du point 1, du D’abord seule, en arrêt sur le bord du désir)

6. Prise dans la coulisse… les coulisses de l’inconscient ou la glissière de la pulsion. C’est l’eau de la piscine, mais une eau sur laquelle je n’ai aucun contrôle, qui s’avère même mortifère.

Ce tour, cette roue, je l’ai déjà rêvée, presque sous cette forme. C’est la roue attachée à mon nom. La roue de mon nom.

Roue des supplices/délices.
Mon nom, Müller, Meunier. Et son moulin, au pied duquel je ne dors pas.

Jacques Muller, Dans la rue, 1972
Jacques Muller, Dans la rue, 1972

Müller, mélangez-en les lettres, vous y trouverez la « rue« , cette rue où je ne sors pas, cette rue comme une roue de supplices, de délices.

On notera que la rue est à mon père, ne dit-on pas qu’il est le « peintre de la rue, de la ville », et  son supplice à ma mère – son vieux rêve, ce fantasme secret : être martyr, pour sa religion, brûlée sur des charbons ardents, fidèle à sa foi, à Jésus.

 

Martyr bound naked to a wheel, which is revolved over iron spikes Martyrs bound to the circumference of a great wheel, and rolled down a precipice

 

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La descente aux limbes, Bruegel. Gravure, peu après 1560-1500 Illustration de l’article : La descente aux limbes, Bruegel. Gravure, peu après 1560 (détail: le supplice de la « roue d’enfer » ou « supplice des orgueilleux », voir : http://lespierresdusonge.over-blog.com/page-1436963.html)

Lien : http://www.fromoldbooks.org/Gallonio-TorturesAndTorments/index2.html

Notes:
  1. Eh non,  le mot travail ne vient pas du latin tripalium, instrument de torture à trois pieux. Voir Tripalium: une étymologie écran : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-luce-morlie/280911/tripalium-une-etymologie-ecran-archive []

cette absence de nom et la mienne

26 février 2012 | février 2012 | brouillonne de vie | , , , , |

« Se trouver dans un trou, au fond d’un trou, dans une solitude quasi totale, et découvrir que seule l’écriture vous sauvera. Être sans sujet aucun de livre, sans aucune idée de livre, c’est se trouver, se retrouver devant un livre. Un immense vide. Un livre éventuel. Devant rien. Devant comme une écriture vivante et nue, comme terrible, terrible à surmonter.(…) Si je n’avais pas écrit, je serais devenue incurable de l’alcool. C’est un état pratique d’être perdu sans plus pouvoir écrire… (…) Je ne sais pas comment je me suis tirée de ce que l’on peut appeler une crise, comme on dirait crise de nerfs ou crise de lenteur, de dégradation. (…) Quand on sort de soi, tout un livre, on est forcément dans l’état particulier d’une certaine solitude qu’on ne peut partager avec personne. On ne peut rien faire partager. On doit lire seul le livre qu’on a écrit. (…) Écrire, c’est tenter de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait. »

Duras, Écrire, Gall., p.24-27-42-65

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sortir d’une nuit légèrement insomniaque ou j’ai finalement pris un anxiolytique pour m’arrêter de penser et m’endormir, ce qui était peut-être une lâcheté morale.

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sur l’oubli du nom, moi, là : https://disparates.org/escapades/apres-coup-descapades-freund-et-benjamin/

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d. : tu fais de cet oubli un symptôme, tu construis un symptôme.

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jusqu’à ce qu’il me soit apparu que je n’ai pas de nom, que le nom est cela que j’attends encore qu’on me donne, qui toujours doit m’être donné, ultimement, comme ces noms de femmes dans les livres de duras leur sont donnés, tantôt par duras même, qui ne cesse de les écrire, et réécrire, prononcer et reprononcer, tant il est vrai que l’écriture de duras est une voix, de les mettre dans la bouche de leur amant qui alors le leur donne, à elles. et comment de ce don-là j’ai rêvé comme s’il pourrait alors atteindre le centre de mon être, de mon corps, comme une flèche. sont-ils, les autres, à ce point séparés de leur nom que je le suis. que faire de ce nom qui ne tient à rien que je n’aime pas que j’avouais autrefois volontiers échanger contre celui d’un homme d’un amour que je rencontrerais, un nouveau nom reçu alors dans le mariage d’un homme et par moi adopté. le nom contient-il une sagesse, ou le lien que je trouverais à nouer avec lui? ou peut-on simplement y renoncer ? quel est donc ce nom perdu comme je pensais hier cette perdue solitude. qu’il n’y a rien entre mon nom et moi, rien, une distance, un désamour, j’essaie seulement, maintenant qu’on est le matin, d’écrire ce qui m’envahissait cette nuit, qui m’apparait me revient maintenant sous des airs artificiels, la certitude, cette nuit était grande. le texte long. le texte dans ma tête pour tenter de dire cette absence de nom et la mienne.

A la recherche du nom perdu

16 novembre 2019 | novembre 2019 | brouillonne de vie | , , |

« p. 41 … Le mystère de cette efficience silencieuse qui dépasse les ressources conscientes…

p. 42 Montaigne écrit à propos de l’effort pour se remémorer un rêve : « Plus j’ahane à le trouver, plus je l’enfonce en oubliance »

p. 43 Pourquoi dans certains cas, la volonté de se rappeler quelque chose constitue-t-elle un obstacle? Est-ce là un obstacle inhérent à l’effort ou est-ce simplement que ma volonté s’exerce au mauvais moment, dans une mauvaise occasion? Et quand le nom me vient soudain aux lèvres, comme par un don des Muses , que s’est-il passé? Puis-je toujours dire sincèrement que c’est parce que j’avais renoncé à me souvenir, parce que j’avais supprimé toute intention? N’y a-t-il pas quelque chose en moi qui continue secrètement à chercher alors même que je pense avoir renoncé?1 Tout se passe comme si l’on déléguait la tâche à quelqu’un en sous-main, lequel surgit à l’improviste après des recherches personnelles et lance en vous interrompant : j’ai trouvé ! Ne devrait-on pas parler d’un régime différent d’intentionnalité? En passant à un autre sujet de conversation après mon effort infructueux, il semble qu’une ressource inconnue ou mal aperçue en moi continue d’oeuvrer, et qu’au fond je ne fais que transférer le tôle de tête chercheuse, dévolu ordinairement à la conscience intentionnelle, à mes forces d’inconnaissance. En décidant de remettre la quête de ce nom à plus tard, j’ai libéré sans le vouloir les moyens de le retrouver, sans savoir ce qui se passe ou comment les choses se passent exactement. J’ai momentanément accepté de rester dans un état d’ignorance et d’obscurité. »

Romain Graziani, L’Usage du vide

Cela dit, il faut préciser ceci, c’est qu’en note en bas de page, R. Graziani précise :

« A moins bien sûr d’un cas pathologique d’oubli comme ceux que Freud a analysés avec tant de sagacité en les expliquant par les phénomènes de censure propres à l’économie psychique, comme dans la Psychopathologie de la vie quotidienne. Les raisons de l’oubli d’un mot ou d’un nom ainsi que les mécanismes propres à l’inconscient analysé n’entrent pas dans le cadre de  cet essai. « 

Il veut donc faire fi de l’inconscient que je ne peux cependant m’empêcher de voir à l’œuvre dans tout ce qui est décrit ici de l’oubli du nom : pourquoi faut-il qu’on oublie et qu’on oublie pour se remémorer. Quel manque-là cherche à nous faire signe ? Ne sont-ce précisément ces si joliment appelées « forces d’inconnaissance » qui sont à l’œuvre, qui nous ont capturé le mot, arraché au contexte du discours courant, de la conscience, dont il ne relève pas du registre, pas entièrement du registre, et que l’autre registre auquel il appartient se fasse ainsi entendre en nous l’enlevant (se faisant là connaître, reconnaître comme manque ; le mot n’appartient pas tout au savoir, à la science, à l’histoire, à la conscience).

Je souffre phénoménalement d’oubli des noms, en particulier de celui des noms propres, et une réflexion de longue date, qui trouva un solide appui dans la lecture justement de Freud sur l’oubli du nom, ne m’a pas restitué la mémoire, loin de là, mais n’a cessé de me dire et redire, jusqu’à ce que je l’entende, que je n’appartenais pas, pas toute, au seul registre du nom, du symbolique, mais que bien au contraire, mon être même se fondait de cette dichotomie fondamentale entre le nom et la chose, laquelle chose en ce qui me concerne se joue de bien des limites (et qui a fondé bien des raisons de ma colère, une colère insigne face à ce qui se révélait d’indigne en regard de ce qui manque pour sa part totalement de reconnaissance), qu’en bonne hystérique cependant il m’incombait de continuer à défendre et toujours plus  subtilement, la cause de ce qui manque au nom, la cause du vide.

Notes:
  1. et si cela n’avait pas à chercher parce que cela s’y trouve, est attendu seulement le moment où quelque chose à l’intérieur acceptera que cela remonte à la surface? []
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