Il (Freud) nous dit quelque part que le modèle idéal qui pourrait être donné de l’auto-érotisme, c’est une seule bouche qui se baiserait elle-même, – métaphore lumineuse, éblouissante même, comme tout ce qui se trouve sous sa plume, et qui ne demande qu’à être complétée d’une question. Est-ce que dans la pulsion, cette bouche n’est pas ce qu’on pourrait appeler une bouche fléchée – une bouche cousue, où nous voyons, dans l’analyse, pointer au maximum, dans certains silences, l’instance pure de la pulsion orale, se refermant sur sa satisfaction.
En tout cas, ce qui force à distinguer cette satisfaction du pur et simple auto-érotisme de la zone érogène, c’est cet objet que nous confondons trop souvent avec ce sur quoi la pulsion se referme – cet objet, qui n’est en fait que la présence d’un creux, d’un vide, occupable, nous dit Freud, par n’importe quel objet, et dont nous ne connaissons l’instance que sous la forme de l’objet perdu petit a. L’objet petit a n’est pas l’origine de la pulsion orale. Il n’est pas introduit au titre de la primitive nourriture, il est introduit de ce fait qu’aucune nourriture ne satisfera jamais la pulsion orale, si n’est à contourner l’objet éternellement manquant.
Lacan Jacques, Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, 1964, p. 164.
Catégorie : autour des tours de la pulsion
voir / être vu . lire / être lu . voir / se faire voir . lire / se faire lire
— Un nouveau sujet
Souvenirs du Séminaire XI de Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse – Questions sur la pulsion, son éthique.
De ce séminaire, XI, lu il y a probablement 10 ans, je me souviens d’une phrase qui ressemble à ceci : Il est nouveau qu’un sujet soit là. Après que la pulsion ait fait son tour, son tour de l’objet, advient un nouveau sujet.
Sur base donc de mes seuls souvenirs, je me demande : de quel sujet s’agit-il? Quel est donc ce sujet que la pulsion, son mouvement d’aller et retour, d’entour, autour de l’objet – que Freud observe à partir de voir/se faire voir – non, cette formule-là est de Lacan : voir/être vu, telle est la formulation de Freud. Le se faire voir est de Lacan. Met le doigt sur le travail dont la pulsion prend la charge. La passivité de l’être vu de Freud prise en charge par un sujet qu’il est nouveau de voir apparaître.
Que le voir l’Autre implique d’alors avoir à être vu en retour de lui. Et que dans ce mouvement de retour, le tour se fait de l’objet – en l’occurrence, dans la pulsion scopique, de l’objet regard.
Mon idée donc, mon idée autrefois, lorsque je lisais ce Séminaire, XI, c’était que l’éthique de la pulsion s’attachait, tenait à ce second temps, ce mouvement de retour de la pulsion, depuis l’Autre vers le sujet, terminant de circonscrire l’objet.
(On aura toujours tendance à chercher l’éthique, ou plutôt j’aurai toujours tendance à chercher l’éthique, du côté du devoir, ici, « devoir se faire voir en retour ». Mais enfin bon, on n’en jamais loin, de là : chercher à savoir ce qu’il faut faire. On verra si de cette contrainte du devoir on peut se passer pour définir une éthique. Or ça, d’ores et déjà, on observera qu’il n’y a pas de décision prise dans la pulsion, elle ne doit pas, elle veut. En quoi, elle sera éventuellement empêchée. Ou forcée à des détours. C’est moi, qui crois de mon devoir de la rendre au parcours sans détour de sa supposée-initial volonté.)
Et ce, dans la mesure même ou c’est ce second mouvement que me paraissait difficile – et que l’éthique devait forcément tenir à ce qui me semblait hors de portée :
Oui :
Je voyais
Mais je supportais assez mal d’être vue en retour.
Oui : je lisais
Mais je supportais mal d’être lue en retour
Oui : j’entendais
Mais je supportais mal d’être entendue en retour
(Évidemment cette observation, je trouvais plus difficile à la faire appliquer au chier/se faire chier que donne également en exemple Lacan quand il parle du « se faire » de la pulsion. )
voir // être vu / se faire voir
lire // être lu / se faire lire
parler // être parlé / se faire parler
écrire // être écrit / se faire écrire
et l’on pourrait parler avec le « se faire » de la pulsion, de son mouvement naturel. ce qui permettrait d’en finir avec le devoir (et ses listes à rallonges).
voir / être vu . lire / être lu . voir / se faire voir . lire / se faire lire (2)
DELiRES (suite)
voir // être vu / se faire voir | voir, je fais // être vue / me faire voir : à la condition d’avoir rejoint une certaine image (impossible) |
lire // être lu / se faire lire | lire, je fais // être lue, je suis, par moi-même, en analyse / me faire lire, par l’autre, je ne fais pas (ou je commence à le faire ici, ou je l’ai fait en analyse) |
écrire // être écrit / se faire écrire | écrire : parfois je fais //être écrite, je suis / me faire écrire, que l’on m’écrive : cela m’arrive |
parler // être parlé / se faire parler | parler : je ne fais pas // être parlée, que je sois parole de l’Autre ou que l’on me parle : oui / me faire parler, je fais, en analyse – et puis tout ce que j’entreprends ici, en fait, l’effort actuel. |
Cependant que l’on observe déjà, ici, que c’est toujours l’un où l’autre des deux mouvements qui est privilégié, au détriment de l’autre.


Or, on n’a jamais entendu parler de demi-tour, de tour à moitié fait de la pulsion. De demi-tour et retour sur ses propres pas (essence de la répétition), plutôt que de retour qui emprunte un nouveau chemin qui contourne l’objet (dans l’autre sens, par un autre bord). A l’époque, pour m’expliquer ces demi-tours, je pensais que c’était le fantasme qui coinçait, qui détournait/kidnappait la pulsion. Et ça n’est pas loin de se voir, sur ces deux schémas : l’arrêt, le moment d’arrêt, de retour, c’est au niveau de l’Autre qu’il se fait. Plutôt que de revenir sur le sujet avec ce qu’elle a pêché dans l’Autre, la pulsion revient sur elle-même, on sera tenté de dire : laissant l’Autre, le grand Autre intact. Comme si, c’était d’en passer par lui, qui le barrait. Et que ni l’A (le grand) ni l’a (le petit) ne soient plus le même, une fois le tour accompli.
(la suite plus tard : j’ai égaré le carnet où j’avais pris ces notes…)
de la pulsion donc, le nouveau sujet
Avant que de poursuivre, j’ai retrouvé la citation dont je suis partie mais dont je n’étais pas plus sûre que ça, à propos du « nouveau sujet » qui advient une fois le tour accompli de la pulsion – et ce malgré que je ne sois pas sûre que ce soit le temps pour moi d’être exacte dans mes citations, que je ne sois pas loin ici de raconter un rêve et que mon souvenir, ce que je peux en dire, compte davantage que ce qu’il en est à l’origine.
Freud nous introduit maintenant à la pulsion par une voie des plus traditionnelles, faisant usage à tout moment des ressources de la langue, et n’hésitant pas à se fonder sur quelque chose qui n’appartient qu’à certains systèmes linguistiques, les trois voies, active, passive et réfléchie. Mais ce n’est qu’une enveloppe. Nous devons voir qu’autre chose est cette réversion signifiante, autre chose ce qu’il en habille. Ce qui est fondamental, au niveau de chaque pulsion, c’est l’aller et retour où elle se structure.
Il est remarquable que Freud ne puisse désigner ces deux pôles qu’en usant de ce quelque chose qui est le verbe. Beschauen und beschaut werden, voir et être vu, quälen et gequält werden, tourmenter et être tourmenté. C’est que dès l’abord, Freud nous présente comme acquis que nulle part du parcours de la pulsion ne peut être séparée de son aller-et-retour, de sa réversion fondamentale, de son caractère circulaire.
De même, il est remarquable que, pour illustrer la dimension de cette Verkehrung, il choisisse la Schaulust, la joie de voir, et ce qu’il ne peut désigner autrement que par l’accollement de ces deux termes, le sado-masochisme. Quand il parlera de ces deux pulsions, et plus spécialement du masochisme, il tiendra à bien marquer qu’il n’y a pas deux temps dans ces pulsions, mais trois. Il faut bien distinguer le retour en circuit de la pulsion de ce qui apparaît – mais aussi bien de ne pas apparaître, – dans un troisième temps. A savoir l’apparition d’ein neues Subjekt qu’il faut entendre ainsi – non pas qu’il y en aurait déjà un, à savoir le sujet de la pulsion, mais qu’il est nouveau de voir apparaître un sujet. Ce sujet, qui est proprement l’autre, apparaît en tant que la pulsion a pu fermer son cours circulaire. C’est seulement avec son apparition au niveau de l’autre que peut être réalisé ce qu’il en est de la fonction de la pulsion.
Jacques Lacan, Le séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, p. 162.
Il n’y a pas de demi-tours de la pulsion
Que ce soit au moment où le tour se fait de l’objet, dans l’aller-retour, lire/se faire lire à son tour, que l’épreuve se fait du manque dans l’Autre au cœur de soi.
C’est clair ?
C’est à se faire lire, c’est dans cette épreuve, que son propre manque s’avère, manque que le fantasme préfère occulter. (N’être ni vu, ni lu, permet de faire croire à une perfection possible. « Perfection » est le mot qui me vient sous la plume, qui certainement convient – dans la mesure où c’est mon dit « perfectionnisme » qui toujours m’a empêchée de considérer une chose comme finie.)
Il n’en reste pas moins que j’ai difficile à croire à ce demi-tour de la pulsion, difficile à croire qu’elle pût se faire empêcher – et j’opterais donc à croire que son tour, complet, elle le fait. Mais comment, mais lequel.
Pour l’exercice, appelons ce tour qu’elle ferait, qui offre l’apparence d’un demi-tour, son faux-tour.
Une pulsion à faux-tour donc, ça serait une pulsion obstinée sur un objet toujours même – une pulsion qui ne se contenterait pas, elle, de n’importe quel objet. En quoi elle serait faussée.
Je lisais et ne-me-faisais-pas-lire. No retour donc, apparemment. Où donc le tour se faisait-il « faussement »? (Compliquée, moi?)
On a posé deux choses : qu’une pulsion à faux-tour est une pulsion où l’Autre n’est pas barré, qu’une pulsion à faux-tour est une pulsion où l’objet (n’est pas celui de la pulsion dans la mesure où il) n’est pas indifférent, est privilégié. Implicitement donc, on a posé qu’une pulsion à faux-tour, c’est le fantasme.
On aura également avancé que la pulsion tiendrait de l’épreuve, qu’à faire son tour, la pulsion, c’est elle qui troue l’Autre. Que voudrait dire trouer l’Autre? Et que signifierait que ce trou dans l’Autre pût faire qu’un objet pût « indifféremment » en remplacer un autre. D’ores et déjà, on avance ceci, on rectifie : ce n’est pas la pulsion qui troue, c’est le fantasme qui bouche. Troué, ça l’est, dès le départ.
le supplice du nom
— prise dans la coulisse
Fort empêchée d’écrire en ce moment, à cause du travail1.
Il y a deux ou trois jours : rêve.
1. D’abord seule
Pendant longtemps, de plusieurs façons, je cherche à arriver à l’une ou l’autre piscine.
2. Plutôt à plusieurs
Finalement, il est décidé que nous y irons, à la piscine, à plusieurs. Nous partons du château (enfance).
3. Un nouveau chemin
Plutôt que d’aller vers l’une de celles que j’avais déjà repérées, il est décidé, par le groupe, que nous irons vers une autre, dont je n’ai pas souvent fait l’épreuve du trajet.
4. A droite, le connu, le château de l’enfance. A gauche, la ville de ma mère, l’inconnu
Celle que je connais, c’est plutôt vers la droite – le chemin qui descendait du château au village à travers les prairies, un chemin toujours le même, souvent re-parcouru en rêve. La direction que nous prenons, c’est plutôt vers le fond à gauche. Impression de Poperinge (ville de ma mère).
5. Bloquée côté spectateur. Impossibilité de se déshabiller. Noir
Arrivons à la piscine. Diverses tentatives pour arriver jusqu’à la piscine même, l’eau. Cela paraît impossible (en fait, ça le restera pour moi, jusqu’à la fin). Le genre d’obstacle que nous rencontrons, c’est par exemple que les vestiaires sont plongés dans le noir ou introuvables ou ressemblent plutôt à une salle de spectacle, côté spectateurs. Nous sommes dans les fauteuils des spectateurs, la salle est plongée dans le noir, il n’est pas facile, ou plutôt il ne m’est pas facile de trouver ma place, une fois que j’en trouve une, comment me déshabiller en présence de tous ces gens. Comment font les autres? Ils le font.
D’autres donc, les autres, parviennent à l’eau. J’ai à un moment un aperçu de la piscine, du bain, de haut.
6. Coulisse, courant, mécanisme – au cœur de pulsion…
Je m’engage finalement dans quelque chose qui devrait me mener vers la piscine. J’ai un doute. Je me demande si je ne suis pas embarquée sur le côté, sur le bord du chemin. En effet, je suis plutôt dans la coulisse. Je suis très exactement dans la, les coulisse(s). Couchée à plat ventre, encagée, sans aucune possibilité de me dégager. Je suis dans l’eau d’une roue qui entraîne l’eau de la piscine, qui entraîne le mécanisme de la piscine. Le courant est fort, inéluctable.
7. Le tour, la roue, la chute
Pour le moment, je suis dans le mouvement ascendant. Mais à un moment, je passerai forcément dans le mouvement descendant – la chute. Je suis dans le premier demi-tour de la roue. Dans son deuxième demi-tour, je ne pourrai que tomber, et la chose paraît aussi dangereuse que de tomber, par exemple, du haut du Niagara.
8. L’angoisse
Quelqu’un m’aperçoit prise dans ce mécanisme. La question c’est : est-ce qu’on arrivera à l’arrêter, le bloquer à temps? L’angoisse me réveille.
Difficile de ne pas retrouver trace ici de mes élucubrations autour de la pulsion. Trace en forme de confirmation. La pulsion est un mécanisme, duquel on se dégage difficilement, dans lequel on est pris comme dans le tour d’un supplice, dont le mouvement est celui d’un aller-retour, et dont le retour, le deuxième demi-tour, est difficile, angoissant.
Piscine, mettons la jouissance :
1. D’abord seule
2. Ensuite, plutôt à plusieurs (contingence, rencontre)
3. Du coup, n’est plus la même, de jouissance.
4. Plus vraiment du côté de l’enfance, du connu, mais de la mère (sans chemin).
5. Bloquée un temps dans le fantasme (corrélé à l’objet du père) : l’impossible objet regard. Qui rend impossible le déshabillage.
A ce point devoir être l’objet du regard, mais l’objet d’un regard impossible, objet qui incarnerait le regard même, un objet dont la beauté puisse définitivement faire voile sur l’au-delà du regard, impossible : ce n’est jamais ça – histoire de ma vie, jusqu’à un certain moment de mon analyse. L’incarnation de cet objet empêche certainement tout rapport amoureux (le déshabillage) puisqu’il cherche à incarner le point d’impossibilité même de ce rapport. Devoir être belle au point que ce voile, en quoi consiste la beauté, puisse occulter tout de qu’il en est du désir, de l’angoisse donc, que cette beauté même, sa vue, le regard, provoque. La beauté est re-présentation du regard. Mais si le regard est pris au sérieux, c’est-à-dire pris dans ce qu’il comporte de réel, c’est-à-dire de jouissance et de désir, de trou à la re-présentation justement, il s’avère impossible. D’où, mon impossibilité, pendant des années, à me montrer. Voir, oui, du haut de ma tour – être vu – impossible – quels que soient les compliments que je reçoive quand j’étais forcée à sortir. Quand j’acceptais de faire illusion. (On en est encore là, du côté du point 1, du D’abord seule, en arrêt sur le bord du désir)
6. Prise dans la coulisse… les coulisses de l’inconscient ou la glissière de la pulsion. C’est l’eau de la piscine, mais une eau sur laquelle je n’ai aucun contrôle, qui s’avère même mortifère.
Ce tour, cette roue, je l’ai déjà rêvée, presque sous cette forme. C’est la roue attachée à mon nom. La roue de mon nom.
Roue des supplices/délices.
Mon nom, Müller, Meunier. Et son moulin, au pied duquel je ne dors pas.

Müller, mélangez-en les lettres, vous y trouverez la « rue« , cette rue où je ne sors pas, cette rue comme une roue de supplices, de délices.
On notera que la rue est à mon père, ne dit-on pas qu’il est le « peintre de la rue, de la ville », et son supplice à ma mère – son vieux rêve, ce fantasme secret : être martyr, pour sa religion, brûlée sur des charbons ardents, fidèle à sa foi, à Jésus.
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Illustration de l’article : La descente aux limbes, Bruegel. Gravure, peu après 1560 (détail: le supplice de la « roue d’enfer » ou « supplice des orgueilleux », voir : http://lespierresdusonge.over-blog.com/page-1436963.html)
Lien : http://www.fromoldbooks.org/Gallonio-TorturesAndTorments/index2.html
Notes:
- Eh non, le mot travail ne vient pas du latin tripalium, instrument de torture à trois pieux. Voir Tripalium: une étymologie écran : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-luce-morlie/280911/tripalium-une-etymologie-ecran-archive [↩]