vendredi 1 juillet 2005 · 17h11

ce qui ne cesse (pas de s’écrire) et cyberculture

la « cyberculture » fonctionne sur un mode pulsionnel, où « ça ne cesse pas de s’écrire », à l’instar de l’inconscient qui ne calcule ni ne juge et qui ignore le temps. « ça jouit et ça sait rien », cette démultiplication de sens perdus, qui vont à la dérive, ne saurait recouvrir l’absence de sens du sens.

ce qui se trouve nié, dans cette éternisation, c’est le réel. la prolifération des écrits sur internet, témoigne de cette volonté de croire que le symbolique recouvrira, à force d’approximations, totalement le réel. alors que de celui du corps, de la mort et du sexe, elle ne veut rien savoir. ce réel-là exige le passage à la limite, exige qu’un saut par-dessus le vide soit fait. le symptôme ne cesse de refaire ce saut. et s’il ne cesse, de parler à l’encan, c’est qu’il lui faudrait, pour cesser, que sa cause soit entendue. que vienne à se savoir sa cause, sa raison d’être. ce à quoi il a affaire. il lui faudrait la présence de l’autre (« ce mystère de la présence »). il lui faut la rencontre.

or, si la « cyberculture » croit au copier-coller, à la répétition du même, à l’interprétation, elle ne veut pas de la coupure, de l’arrêt. il faut que ça soit fluide, que les connexions soient permanentes. l’amour pourtant, celui qu’il faut pour que « la jouissance condescende au désir », exige le nom, et même le nom propre. enfin, c’est ce qu’il me semble et ce qui s’entend dans les écrits de duras par exemple. le nom, la folie du nom dit, est au plus proche, dans l’étrangeté, de celle de symptôme.

mardi 31 janvier 2006 · 12h12

mot d’ordre : travail

Obéisseuse

 

cela dit, si j’en crois ce qui me réveille la nuit, je ne ferais fondamentalement pas la différence entre écrire et n’importe quoi d’autre. et ce qui me réveille la nuit, ça n’est pas tant le désir d’écrire que le travail, que mon travail, celui auquel je travaille trop, qui n’a d’autre raison que de me nourrir et dont je ne suis pas particulièrement fière. celui que je fais à défaut d’arriver à en faire un autre (inhibition). pourtant, c’est lui, qui me réveille. lui, bien plutôt que l’écriture qui sur une échelle de valeur de l’idéal vaudrait pourtant mieux. pourquoi donc ce travail auquel je ne tiens pas, me réveille-t-il, la nuit. ce travail, et aussi, la colère, la rancœur.

pulsion = n’importe quoi. penser à n’importe quoi, à n’importe quel travail (sans la moindre égard à la moindre échelle de valeur ) – donc pas tout à fait n’importe quoi.

exclavagée !

mot d’ordre, “travaille”. (elles m’en libéreraient, plutôt, de ce mot d’ordre, ces pensées qui si bien m’occupent mais m’y mettent rarement. m’y ramènent, au travail, et m’en empêchent.)

dira-t-on S1 = travail? dira-t-on S1, limite au n’importe quoi? posons, S1, signifiant-premier, signifiant identificatoire, entrave à la pulsion. ou/et qui lui creuse une voie nouvelle, par là, vas-y vas-y, jouis!, souterraine souveraine, boyau par où l’écouler?

pulsion à l’œuvre au cœur de ce qui devient devoir de travail (jouis!). elle y est venue pour que le travail se fasse jouissance. l’alléger de son poids de désir. jouissance de désir à l’intérieur du désir même. 

rester sous l’ordre du S1, rester dans l’a-matière de la parole de la pensée.

gênée ration travailleurs !

or, à certains égards, je revendique ce n’importe quoi. d’où le saurais-je qu’écrire vaudrait mieux que de faire la vaisselle? qu’un travail aie plus ou moins de valeur qu’un autre? d’où je le sais, comment je le saurais, ça je ne peux m’empêcher de le remettre en question.

mes pensées, elles, le savent, qui m’orientent vers n’importe quel travail (m’obligent à y penser, me réveillent, et m’en empêchent).

(aveugle pulsion, sans queue ni tête.) (mes pensées elles, elles le savent, elles savent jouir. avec quoi il faut compter – qu’on ne saurait éliminer – qui jouent sur un autre terrain que celui de la valeur (d’usage).) [ compter avec ce qui ne conte pas]

il y a la mort. elle fait la différence. mais la vaisselle, c’est la vie. il y a la mort, il y a le posthume. bien sûr que non, je ne me réveille pas la nuit à cause des vaisselles que j’ai à faire, encore que. je peux, pourrais, me réveiller et enrager, je l’ai dit, le redis. elles sont deux choses à me réveiller : le travail et la rage.

l’ennui, de ces vaisselles, c’est qu’à les faire, m’y employer, je risque encore de jouer à l’esclave due aux basses besognes – là où les autres, les autres eux sont appelés aux hautes sphères. c’est pourquoi la tâche m’incombe de rendre à la vaisselle sa dignité, si tant est qu’elle en ait jamais eu, et la faire valoir.

à quoi je m’attache mais c’est très difficile.

 

 

 crucifiée au travail pour la gloire d’aucun père (ou d’un père à ressusciter, re-susciter).

(j’ai beau faire, je ressasse.
et c’est pourquoi
j’ai opté pour
le n’importe quoi. n’importe quoi plutôt qu’une chose si sanctifiée, plutôt qu’une cause si sanctifiée, qu’elle en devienne impossible. or, il n’est de cause, réellement, qu’impossible,

 

 

(ha ha aussi parce que je suis bien incapable de rien d’autre que de n’importe quoi, alors quoi? n’importe fillette, le n’importe quoi est une initiation. tu pars de (presque) rien.)

jeudi 2 février 2006 · 09h10

faire n’importe quoi, jouir

mais que cela soit : conforme à l’impossible
~ à la croisée du désir et de la jouissance ~

Le discours capitaliste moderne n’a rien à voir avec ce que notre gauchisme sexuel d’antan appelait la morale bourgeoise. Son impératif catégorique en matière d’éthique est : Jouis!
Philippe De Georges, Ethique et pulsion

Fais n’importe quoi. Point. Sans conditions. Fais absolument n’importe quoi. [1]
Thierry de Duve, Au nom de l’art,  “Fais n’importe quoi”, p. 129

 

  • Impératif catégorique (capitaliste, selon Philippe De Georges) : Jouis !
  • Impératif catégorique (de l’art moderne, selon Thierry de Duve, et en réponse au capitalisme) : Fais n’importe quoi !

Puis, pp. 133-134 :

Il y va, disais-je il y a un instant, de l’universalité de la loi, de l’universalité de l’art, de l’universalité de l’impératif catégorique “fais n’importe quoi”.
[…]
Il est entendu également que l’impératif catégorique kantien n’énonce aucun contenu de la loi, mais qu’il prescrit la conformité de la maxime à l’universalité d’une loi en général. Comme le dit Jean-Luc Nancy : “La loi prescrit de légiférer selon la forme de la loi, c’est-à-dire selon la forme universelle. Mais – ajoute-t-il – l’universalité n’est pas donnée”1 . Si, comme je le soutiens, “fais n’importe quoi” est bien un impératif catégorique, alors il faut aller plus loin et dire que l’universel est impossible, ou que l’impossible est aujourd’hui la modalité de l’universel. La phrase “fais n’importe quoi” ne donne pas le contenu de la loi, seulement le contenu de la maxime. Et encore ce contenu est-il quelconque et ne devient-il déterminé que par l’action qui met la maxime en pratique. Cela ne prescrit qu’une forme conforme à l’universel dans les conditions radicales et finales de la finitude. Et cela signifie : conforme à l’impossible.

~
Des années que je me  coltine ce « n’importe quoi » de Thierry de Duve, et que je ne m’en dépatouille pas.

« Fais n’importe quoi », impératif catégorique, absolument sans condition, conforme à l’impossible. 

J’ai naturellement pensé le « n’importe quoi » en le rapportant à la pulsion. La pulsion freudienne, la pulsion lacanienne, celle sans queue ni tête, qui se saisit de n’importe quel objet. La pulsion à laquelle Lacan rapporte l’éthique de la psychanalyse. Une éthique conforme à l’impossible, au réel.

Longtemps, dans le désir de sauver le désir, je n’ai pu m’empêcher de chercher à formuler une condition à ce « fais n’importe quoi »,  lui adjoignant : « non pas sans connaissance de cause » (cela s’est imposé à moi, j’ai cru que cela se trouvait dans le texte de Duve, j’aurais aimé que la cause fut sue et une et pleine et entière, que le désir s’en sorte plus ou moins indemne).

C’était néanmoins ignorer la condition d’inconditionnalité de l’impératif que souligne Thierry de Duve.

« Il ne l’est pas, inconditionné, mais il faut qu’il le soit ».

Il faut qu’il le soit. Là, se situerait l’éthique de la pulsion. Cela reviendrait-il à dire que la condition de cet impératif catégorique, de cet impératif émanant du langage, de ce que nous somme des êtres de langage, comporte bien une condition, laquelle de n’appartenir pas au langage, mais d’être causée par lui, par sa rencontre d’avec le corps de l’homme, et ce qu’elle lui fît, alors, à ce corps, doit rester telle, extime au langage, seule à lui apporter l’universalité qu’il requiert, un trou. (N’y eut-il eu l’homme et n’eût-il parlé, il n’y eut eu de trou dans le langage, eût-il été partout plein.) (Il n’y a que dans l’hors-sens, l’extime-sens qu’un sens peut se fixer).

Il faut qu’il le soit. il faut qu’il soit inconditionné, le n’importe quoi que tu feras, aussi pour parer au fantasme, le fantasme qui fige le sujet. Met des voiles sur le trou de l’impossible. Le camoufle. Or le réel en jeu dans le fantasme, non pas le réel de la chose occultée, mais du scénario opposé en parade à l’impossible, ce réel n’est pas plus réductible au signifiant, au langage, que ne l’est celui qu’il tente d’occulter. Il y a toujours réponse du réel au réel. 

C’est là que le sens s’arrête. Si on l’accepte. Dans la recherche de la cause. Parce que la quête de la cause ultime est promise à l’infinitude (et à ses jouissances) et à l’inhibition. Un jour, il faut cesser de vouloir savoir. S’en tenir à l’1-su.

J’ai donc voulu croire que le privilège accordé par Lacan à la pulsion, tenait à ce que la pulsion, une fois « libérée » des entraves du fantasme, pouvait se trouver de plus nombreuses voies et plus agréablement, vivement, empruntées. Que la connaissance de cause permettait permettrait de jouir consciemment là où auparavant ça jouissait malheureusement. J’ai pensé qu’à traquer la répétition, à traquer ce qu’elle traque, à chercher son nom, à lui donner un nom, à réaliser la part de responsabilité qu’on prend à son propre malheur, on irait vers cette volonté qui se découvre au cœur même de la répétition, volonté-même que pour ma part je bénis, qu’on apprend à respecter, oui, à laquelle on est bien obligé de rendre grâce.

On ne va pas savoir. Mais on prendra quelques connaissances. On apprendra à préférer les choix de l’Un-su à ceux de l’idéal, et de loin.

Et moi donc qui ne  suis pas sans avoir de difficultés avec le désir, qui ne suis pas sans pâtir de la répétition, cette répétition n’étant forcément pas sans être marquée d’un Un qui veuille se répéter, dans mon désir d’éclaircir ce qu’il en est pour moi du désir – aussi parce que ça a été pendant bien longtemps l’impératif au cœur de l’enseignement de Lacan et par quoi  il s’était d’abord imposé à moi : pas sans connaissance de cause de ton désir – , d’éclaircir donc ce qui ferait la matière du mien, si tant est que j’en avais, je n’ai pu m’empêcher de me rappeler, je n’ai pu empêcher que me revienne constamment à l’esprit ces termes de Lacan concernant la « conditionnalité absolue du désir ». On voit alors ici, assez classiquement se confronter pulsion et désir, jouissance et désir. est-il vrai que la pulsion se saisisse de n’importe quel objet? Elle se saisit certainement de n’importe quel objet au regard de l’idéal. Elle fait foutrement fi de l’idéal. Et on finit par ne même plus ce qu’est l’idéal.  (C’est le travail de l’analyse ça aussi, « travail », finir par préférer ses petites crottes aux perles de ses vieux idéaux. Ca passe par un jouir de ça, raconter d’abord, puis jouir tout court, et enfin, dira-t-on. Ca permet d’atteindre à un certaine satisfaction. Et les statues de l’idéal en viennent à paraître moins belles.)
~

La condition absolue du désir ( tandis que l’inconditionnel de l’amour, tandis que l’inconditionnel de la pulsion)

Si l’on y croit, à cette condition absolue, si l’on y croit en tant que cause (parce qu’il y a quelque chose de ça qui passe dans les séminaires de Lacan, qui passe et dont le parfum est enivrant), alors

Et que cette condition absolue du désir se découvre disposer de cette qualité d’être impossible

Et en tant que telle pouvant très bien pu s’offrir comme condition du n’importe quoi puisque conforme à l’impossible, particularité absolue, universellement extime, dont le manque au langage, au savoir, l’in-su, su de l’Un seulement, seul est universel.

Enfin, quel est cet Un qu’il y a, cet Un de la répétition, cet Un souvenir du trauma originel, cet Un égal (en quantité) à n’importe quel autre Un, cet Un aujourd’hui de partout flatté, encouragé à être consommé, à être a-dicté (une cigarette, donne-m’en une, la dernière, pour la route! le petit pot, de yaourt, prends-en 4, un chips? vas-y, le paquet n’est pas fini), cet Un d’aujourd’hui décoloré, cet Un, qui est comme n’importe quel autre Un, se différencie pourtant du Un de l’impératif catégorique de Duve (car c’est bien ce qu’est son n’importe quoi), en ceci que si sa jouissance est universelle, elle n’est plus que ça : jouissance qui se passe totalement du langage et de la parole et dénie à l’homme sa nécessité, son symptôme : il a un corps et il parle. Et qu’à cette condition se lie un impératif, catégorique, que l’on préfère conforme à l’impossible, comme l’est celui énoncé par Duve, car l’impossible qu’il vise de la rencontre du corps et du langage de l’homme, est bien le seul qui vaille. Lui qui restitue à l’Un sa qualité de marque d’un sujet (objectivement) unique. Et celui qui passe.

Voilà,

2 février 2006 – 27 juin 2013

Notes:
  1. Et le « fais n’importe quoi » n’est jamais inconditionné mais il faut qu’il le soit. A l’universalité de l’échange, la loi de la réalité, il faut opposer, muette et incompréhensible, la loi de la nécessité qui est aussi nécessité de la loi. L’impératif « fais n’importe quoi » est un impératif catégorique. []
Notes:
  1. Jean-Luc Nancy, L’impératif catégorique, Flammarion, Paris, 1983, p. 24 []
samedi 11 février 2006 · 13h21

de duve, la présentation de l’objet

l’impossibilité du ferde Duve encore. je ne me souviens plus bien. l’exposition en 2000 aux Palais des Beaux-Arts de Bruxelles,  dont il a été le commissaire, Voici – 100 d’art contemporain,  que  j’ai tant aimée. dont j’ai offert à droite et à gauche le catalogue.

que dans l’œuvre d’art contemporain il s’agisse plutôt d’une présentation de l’objet – plutôt que de l’œuvre d’art comme lieu d’une énonciation1 .

(serions passés d’un savoir dans le fantasme à un « ça voir » de la pulsion).

s’agirait alors d’un montrer, ce qui au cadre du discours échappe.

impossibilité du fer l’art contemporain se soustrait au discours fantasmatique de la science lequel a phagocyté tous les autres, pour pointer l’objet qui lui échappe fondamentalement. Là : il y a. cet objet qui échappe de façon absolue au commerce, à l’égalisation, la démocratisation des valeurs.

Jacques Muller,  4 figures, 1996, acrylique sur toile 86*74
Jacques Muller, 4 figures, 1996, acrylique sur toile
86*74

Thierry de Duve : l’artiste contemporain nous montre, nous met en présence de l’objet (puisque le dire n’a plus de lieu). C’est un objet dont il s’est détaché, comme sujet, et qu’il nous montre. Vois-là.

devant la télévision pas beaucoup de cet objet ne fait entendre sa voix. (sinon, de ce qu’il en est de lui comme rien qui vaille // sinon, de ce qu’il en est de lui quand, captif du fantasme, puisque c’est le fantasme qui recouvre le manque fondamental de l’objet rien, il fait valoir son rien qui vaille //

la pulsion est cela qui relativise.

(il y a – y-a t’il  ? – un objet –  de base – comme LOM – de base – ka un corps – –  qui ne serait pas n’importe lequel mais qui pourrait se faire représenter par n’importe quoi. dont n’importe quoi pourrait tenir lieu.)

impossibilité du ferIl y a jouissance de la pulsion,  jouissance de l’affinité du réel et du signifiant, de leurs accointances.

« S barré poinçon grand D » écrit d’abord Lacan parlant d’elle. sujet barré poinçonné à la demande. la demande c’est le signifiant. sujet barré poinçonné au signifiant.

il n’y aurait eu jouissance de la pulsion s’il n’y avait eu le signifiant. elle est celle qui se récupère après la perte de la jouissance initiale, après la perte de la Chose, quand le signifiant s’en est venu poinçonner la chose.

c’est le plus-de-jouir.

la jouissance de la pulsion est jouissance du plus-de-jouir, jouissance de la perte. elle-même n’en sait rien. elle ne sait de rien. (là où ça sait, où ça sait l’arrachement, là, ça souffre.)( c’est ça le plus-de-jouir : plus positif côté pulsion, plus négatif, côté désir, côté sujet). (c’est très simple).

le plus-de-jouir c’est l’objet même.

il y a plus-de-jouir tant qu’existe la possibilité du dire.

la possibilité du dire existe tant que dure la vie, lettrumain.

comme possible le dire peut-être infime : 1.

c’est l’in-dit. 1-dit.

c’est l’un sans dit.

1, le dit Un, de la marque, du coup. la barre, le cri. le grand incendie. le nourrisson est le crit qui sort de lui. tu crois qu’il pleure, il naît. il naît trumain.

(ainsi, la pensée procède-t-elle du plus-de-jouir dans la mesure où elle procède de la possibilité du dire.)

le dire sort de la potentialité et introduit à l’impossible.

lacan : faire entendre qu’il s’agit d’impossible et non pas d’impuissance

le dire est un faire. qui se fait dans l’écriture, qui se fait dans l’art, qui se fait sur le divan, qui se fait dans la vie. et le faire est impossible (ce qui fait parler Duchamp  de «L’impossibilité du fer» : le faire est impossible depuis que ce sont les machines qui le font et que Dieu n’est plus là pour dire ce qui est bien, ce qui est mal. plus personne ne sait. le faire est passé à l’impossibilité, à l’impassiblité, depuis qu’on a réduit le faire à la science, à li’mpuissance fondamentale du signifiant : il s’offre comme universel ce qu’il n’est fondamentalement pas. religieuse, la science croit à l’univocité du signifiant. )

Lacan : il n’est d’éthique que du bien-dire. Un dire qui vise en même temps qu’il touche à l’impossible. (un compte-rendu de jouissance, un moment, une passe).

Notes:
  1. avec le tableau comme  «ouverture, fenêtre » sur le monde et  déploiement de l’istoria. []
dimanche 5 mars 2006 · 14h05

voir / être vu . lire / être lu . voir / se faire voir . lire / se faire lire
— Un nouveau sujet

Souvenirs du Séminaire XI de Jacques Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse – Questions sur la pulsion, son éthique.

De ce séminaire, XI, lu il y a probablement 10 ans, je me souviens d’une phrase qui ressemble à ceci : Il est nouveau qu’un sujet soit là. Après que la pulsion ait fait son tour, son tour de l’objet, advient un nouveau sujet.

Sur base donc de mes seuls souvenirs, je me demande : de quel sujet s’agit-il? Quel est donc ce sujet que la pulsion, son mouvement d’aller et retour, d’entour, autour de l’objet – que Freud observe à partir de voir/se faire voir – non, cette formule-là est de Lacan : voir/être vu, telle est la formulation de Freud. Le se faire voir est de Lacan. Met le doigt sur le travail dont la pulsion prend la charge. La passivité de l’être vu de Freud prise en charge par un sujet qu’il est nouveau de voir apparaître.

entour objet pulsion de voir

Que le voir l’Autre implique d’alors avoir à être vu en retour de lui. Et que dans ce mouvement de retour, le tour se fait de l’objet – en l’occurrence, dans la pulsion scopique, de l’objet regard.

Mon idée donc, mon idée autrefois, lorsque je lisais ce Séminaire, XI, c’était que l’éthique de la pulsion s’attachait, tenait à ce second temps, ce mouvement de retour de la pulsion, depuis l’Autre vers le sujet, terminant de circonscrire l’objet.

(On aura toujours tendance à chercher l’éthique, ou plutôt j’aurai toujours tendance à chercher l’éthique, du côté du devoir, ici, « devoir se faire voir en retour ». Mais enfin bon, on n’en jamais loin, de là : chercher à savoir ce qu’il faut faire. On verra si de cette contrainte du devoir on peut se passer pour définir une éthique. Or ça, d’ores et déjà, on observera qu’il n’y a pas de décision prise dans la pulsion, elle ne doit pas, elle veut. En quoi, elle sera éventuellement empêchée. Ou forcée à des détours. C’est moi, qui crois de mon devoir de la rendre au parcours sans détour de sa supposée-initial volonté.)

Et ce, dans la mesure même ou c’est ce second mouvement que me paraissait difficile – et que l’éthique devait forcément tenir à ce qui me semblait hors de portée :

Oui :
Je voyais
Mais je supportais assez mal d’être vue en retour.
Oui : je lisais
Mais je supportais mal d’être lue en retour
Oui : j’entendais
Mais je supportais mal d’être entendue en retour

(Évidemment cette observation, je trouvais plus difficile à la faire appliquer au chier/se faire chier que donne également en exemple Lacan quand il parle du « se faire » de la pulsion. )

voir // être vu / se faire voir
lire // être lu / se faire lire
parler // être parlé / se faire parler
écrire // être écrit / se faire écrire

et l’on pourrait parler avec le « se faire » de la pulsion, de son mouvement naturel. ce qui permettrait d’en finir avec le devoir (et ses listes à rallonges).

mardi 2 mai 2006 · 11h17

symptôme et sinthome // désir et jouissance

je suis payée pour lire :

« Cette différence, propre à Lacan, du symptôme et du sinthome, nous montre bien pourquoi nous avons aussi besoin de deux termes comme ceux de désir et de pulsion. Le désir a ses intermittences tandis que la pulsion a sa constance. Il y a du côté du désir tout un jeu de masques et il est incessamment travaillé par une négativité interne, si je puis m’exprimer ainsi, alors que, du côté de la pulsion, nous avons une positivité plus ou moins grande.

Du côté symptôme et vérité, tout repose sur le manque. Du côté sinthome et jouissance, il n’y a pas de manque.

Du côté du symptôme, c’est la répétition de la rencontre manquée, une répétition de l’évitement, tandis que du côté du sinthome, c’est la répétition de ce qui soutient le sujet dans l’être, et pourquoi tout lui est bon. Ce n’est qu’en termes économiques qu’on pourra ici parler de plus et de moins. »

Conclusion des Leçons du sinthome, Journées ECF 2005, Jacques-Alain Miller

symptôme
désir
négativité interne
manque

sinthome
pulsion
positivité
pas de manque

dimanche 23 novembre 2008 · 14h09

Il exprime tout ce qu’il pense, et jamais ce qu’il sent.

« Il exprime tout ce qu’il pense, et jamais ce qu’il sent ». Cette remarque qui concerne aussi bien la vie du sujet que le déroulement de la cure démontre la valeur de défense des symptômes obsessionnels : il s’agit de pensées faites pour se défendre de ce que l’on pourrait sentir.

[…]

La défense fonctionne à la fois par rétention et par contrainte. On saisit là l’importance du rapport au surmoi dans la névrose obsessionnelle. La pulsion et le surmoi sont deux concepts clés de la névrose obsessionnelle. Mais il y a des échecs de la pensée qui se marquent par le retour du refoulé, ainsi : ce bout de réel de la toux qui vient par le corps. La défense échoue nécessairement, car tout ne peut être traité par la pensée, tout n’est pas maîtrisable.

[…]

Ceci nous donne une indication quant à la voie à suivre dans la cure pour que le sujet s’approprie sa vérité : il ne s’agit pas de rester obnubilé par les remparts qu’il dresse. A propos du sujet obsessionnel, Lacan parle de fortifications à la Vauban. Le sujet se remparde, se pétrifie ; sa stratégie de défense c’est de ne pas être là où l’Autre l’attend. Les demandes de l’Autre sont vécues comme autant de menaces devant lesquelles le sujet fait le mort pour préserver son avoir, pour ne pas risquer sa puissance en l’exposant. Dans le Séminaire V, Lacan dit que la névrose obsessionnelle est une place forte du désir. On s’y défend contre la menace imaginaire de l’autre, et on s’ennuie.

« Une pensée dont l’âme s’embarrasse », Conférence de Philippe de Georges, 25 janvier 2007

vendredi 20 février 2009 · 14h33

à la recherche du lien entre la pensée et l’autofiction (véronique s’interroge sur les liens de la pensée, de l’autofiction, du n’importe quoi, de la pulsion, de l’obsession, de l’obsessionalisaion (contemporaine), de l’écriture)

“ […] l’église, les dessins des vitraux, c’était la Bible du pauvre, pour les gens qui savaient pas lire. Pour moi la télé aujourd’hui, c’est le coran du pauvre.

“ je me voyais plutôt avec MacGyver. Un type qui peut te déboucher les chiottes avec une canette de Coca, réparer la télé avec un stylo Bic et te faire un brushing rien qu’avec son souffle. Un vrai couteau suisse humain.

Al Pachino, je suis sûre que personne pouvait lui tirer son goûter. Direct il sort le semi-automatique, il t’explose le pouce, tu peux plus le sucer le soir avant de t’endormir. Terminé.

Kiffe kiffe demain cité dans L’aventure scripturale au coeur de l’autofiction dans Kiffe kiffe demain de Faiza Guène – mémoire de Nadia BOUHADID

19 février

 » Nous avons quand même décidé de pousser l’analyse plus loin et voir ce que pourrait bien donner notre obstination.

 » […] une écriture qui peint généreusement une complicité sincère entre les mots et la pensée de l’écrivaine. […] L’autofiction […] représente justement cette nouvelle forme d’écriture prônant la liberté du langage non pas par manque de maîtrise mais par essence de la pensée. En effet, l’écriture autofictionnelle permet de toucher la profondeur de l’être par son aspect spontané qui met en confiance un inconscient balbutiant. C’est ainsi que cette nouvelle coloration de l’écriture de soi privilégie le retour du psychologisme sur la scène littéraire en France.

la nature pulsionnelle de la pensée


 » J’aime que ça passe le plus directement possible entre ma pensée et la vôtre, que le style n’empêche pas la transfusion.  » – Hervé Guibert dans Le protocole compassionnel


Que faites-vous en ce moment?

véronique
s’interroge sur les liens de la pensée et de l’auto-fiction
véronique mange des cacahouètes fraîches
véronique constate que son beau pull bleu a rétréci
véronique va se faire un café
véronique a l’intention de parcourir ce mémoire sur le livre kiffe, kiffe demain de faiza guene (l’aventure scripturale au coeur de l’autofiction)
véronique pense que la timidité est méprisable
véronique est tentée de définir la pensée comme ce qui ne cesse pas de s’écrire
véronique et l’autofiction photographique/visuelle? (barthes)
véronique s’interroge sur les liens de la pensée, de l’autofiction, du n’importe quoi, de la pulsion, de l’obsession, de l’obsessionalisaion (contemporaine), de l’écriture
véronique mange une tranche de pain grillé et un morceau de comté
véronique pense à la contingence, s’interroge sur la lutte des classes.
véronique mange une deuxième tranche de pain grillé (sans fromage cette fois)
véronique – l’oralité
véronique – n’importe quoi. une chose qui semble due au hasard plutôt qu’à aucun choix raisonné. dites n’importe quoi, parlez au hasard.
véronique fatigue
véronique travaille. devrait éteindre la lampe de chevet dans sa chambre. fatigue.

mardi 20 octobre 2009 · 11h11

C’est que l’objet est mouvement malgré qu’il n’y paraisse.

de duve manet courbet moi le monde et le n’importe quoi (suite), et de la perte de l’histoire

Le blog est un symptôme. Il n’y a pas lieu (donc) d’y échapper.

(Non plus mon père, je n’ai jamais compris, comment, dans la vie, il pouvait sembler à ce point hors de son époque tandis que sa peinture y était. Y allait, de son côté. (Il est vrai que lui pensait aller contre, son époque.))

Alors, le n’importe quoi des artistes. Manet, son asperge, Courbet, ses casseurs de pierre. Sont les exemples donnés par Thierry de Duve1 . Est-ce à dire que je pense que nous en soyons toujours là. Oui, à certains égards. La petite chose est sortie de, montée sur, s’est extraite. La petite chose, les petites gens. Démocratisation. Extraction. Objet. De la botte sort l’asperge, du jeu tire son épingle. Individualisation.

Je sais que si mon regard s’émerveille se laisse surprendre encore – quand parfois le monde me semble paraît partout beau -, c’est qu’il s’est passé ce qui s’est passé pour que Manet puisse veuille peindre son asperge (sur le bord d’une table). Qui évoque ce que Lacan désigne sous le terme “Y’a d’l’Un” tout seul. Qui allait contre un certain savoir établi, la grande peinture, les tableaux dits d’histoire.

Où nous en serions encore : un monde qui se dégage, s’extrait de l’histoire, de celle même éventuellement avec un grand H. La perd. (Un monde qui trouve cherche comment s’y renouer, à l’histoire. S’y renouer, y renouer sans renier ce qu’il vient de découvrir sans renouer avec ce qu’il vient de lâcher.)

de Duve encore : (Dieu est mort) montée sur la scène de l’objet – et puis pour les artistes en venir à quelque chose de l’ordre de la présentation de l’objet (son exposition Voici) .

de parenthèse en parenthèse, avancer par où se taisent les parents.

Lacan – L’objet est pulsionnel
Lacan – Qu’il s’agit de rejoindre la pulsion. De la dégager du fantasme.
Lacan – Ce qu’il y a d’éthique à la pulsion : c’est que justement elle agisse hors cadre, ne fonctionne pas à l’idéal, affine à la jouissance – le réel donc.

[Il y aurait eu traversée d’un certain fantasme : le père]

Or la pulsion, si on n’y prend garde, aura toujours tendance à faire son chemin toute seule. Parce que c’est sa nature à la jouissance : autiste – auto.
Tandis que le désir appelle à ce qui ne jouit pas.

De la difficulté de conclure.

Parler encore de l’accumulation (les enchaînements) des parenthèses, dans la droite ligne de l’asperge de Manet.

C’est que l’objet est mouvement malgré qu’il n’y paraisse.

9 février 2006 – 11:48 / le n’importe quoi /

Notes:
  1. dans, si mon souenir est bon, Résonances du readymade []
jeudi 16 septembre 2010 · 12h59

une « pulsion de lire » s’écrirait-elle

Une pulsion de lire s’écrirait-elle, pourrait-on avoir :1 :

L’objet = le livre

Dans la pulsion, l’objet est indifférent. Il n’est là que pour permettre à la pulsion d’atteindre son but : la satisfaction.
N’importe quel livre ? N’importe quel ivre ?
Quand l’objet n’est plus indifférent, il est du fantasme, celui pris dans le fantasme.

 » L’objet de la pulsion est ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but. Il est ce qu’il y a de plus variable dans la pulsion, il ne lui est pas originairement lié : mais ce n’est qu’en raison de son aptitude particulière à rendre possible la satisfaction qu’il est adjoint. Ce n’est pas nécessairement un objet étranger, mais c’est tout aussi bien une partie du corps propre. Il peut être remplacé à volonté tout au long des destins que connaît la pulsion; c’est à ce déplacement de la pulsion que revient le rôle le plus important. Il peut arriver que le même objet serve simultanément à la satisfaction de plusieurs pulsions : c’est le cas de ce qu’Alfred Adler appelle l’entrecroisement des pulsions. »2

Et l’objet livre peut-il n’être pas originairement lié à la pulsion, peut-il être remplacé par l’objet l’ivre, remplacé par l’objet oncle, etc. Et ces objets peuvent-ils servir simultanément à la satisfaction de plusieurs pulsions…

La source = un bord, d’un organe, le bord.

De l’organe, de la source de la pulsion, on ne sait pas grand chose et ce qu’on peut en apprendre, on l’apprend du but de la pulsion :

« Par source de la pulsion, on entend le processus somatique qui est localisé dans un organe ou une partie du corps et dont l’excitation est représentée dans la vie psychique par la pulsion. […] L’étude des sources pulsionnelles déborde le champ de la psychologie; bien que le fait d’être issu de la source somatique soit l’élément absolument déterminant pour la pulsion, elle ne nous est connue dans la vie psychique, que par ses buts. »3

Néanmoins l’on sait. Que Lacan caractérise cet organe par sa structure de bord et que son terrain est celui de la zone érogène. Qu’à ces zones érogènes il ajoute l’organe de la pulsion qui si elle existait s’appellerait pulsion génitale, la ganze Sexualstrebung, c’est l’organe irréel4 : la lamelle ou hommelette, la libido. Lamelle dont les objets a ne sont que les représentants.

Aussi la pulsion trouve-t-elle sa source au lieu de la coupure que fait l’objet a, objet partiel  » qui trouve faveur du trait anatomique d’une marge ou d’un bord : lèvre, « enclos des dents », marge de l’anus, sillon pénien, vagin, fente palpébrale, voire cornet de l’oreille. »5 C’est du bord qu’elle naît, d’où part son « invagination » pour aller faire le tour de l’objet, revenir d’où elle vient et par là marquer son but.

Et si le livre est bizarrement peu somatique, c’est que peut-être, de l’organe, ou de la partie du corps, il est cela qui y fait bord, bord qui redouble le bord.

Un livre rond vint border le trou de son cul, se fermer léger sur son bord. Comme la lamelle, qui vient, bord, s’agrafer sur le bord, et le livre devient de la lamelle représentant. Et la pulsion anale, du livre rond du livre lisse du livre boule – objet petit a, vient faire le tour. Et cet objet se destine à la perte.

Mais si le livre confond ses pages avec celles des paupières, s’il se glisse, là, encore en lamelle, la pulsion de voir va chercher sa satisfaction, s’en va dériver, dans le sillage soudainement ouvert quoique aveuglé de la « pulsion de lire ». Et l’objet apparu dans l’éclair, dis-paru au dit, trouve l’écrit.

Et quand le livre vient à manquer si fort qu’il le faut dévorer, c’est tous les aliments qui se font livres et qui continuent à manquer, à manquer à la bouche qui ne les rend pas. Parce que c’est à l’Autre (qui l’avait repris) qu’il a été dérobé, en cachette. Chocolat bleu pâle.

Parce que pour, je dis pour, modifier l’état de satisfaction, c’est à ce niveau-là, que ça joue. Il faut continuer à prendre au mot la pulsion qui s’y est prise, et non plus vomir, mais rendre, le livre, objet étranger. Savoir de quel livre il s’agit, ce qu’il cache, et, non pas se faire lire comme livre, mais, avoir appris, qu’après être né de l’Autre, le sujet qui a lu le livre, devra se faire lire, et que c’est un livre, un objet qu’il aura détaché de lui – ce que la pulsion anale lui aura appris, à son corps défendant -, que ce sujet né dans l’Autre devra rendre, et que cet objet sera un autre objet. Alors l’état de satisfaction sera modifié, alors la pulsion aura marqué son but. Sera passée entre les murailles de l’impossible6, sans plus de malheur.

Car avant tous les autres livres, il y avait eu le livre si violemment tu qu’il avait fait saigné les oreilles, donné des otites, rendu muette – pour qu’il reste secret, qu’il ne soit pas livré, c’est le livre ancien; le livre du Dieu jaloux au nom imprononçable. Et il fallait le livre nouveau, mais le livre nouveau cloue. Au lit avec un bon livre. Et ce livre initial est le nom de ce qui manque au dit.

Un bord

= pourrait être le bord des doigts, de l’ongle – Pourquoi pas ? Je, me rongeais, manie, le bord des ongles, les autres parlaient, je me rongeais, silencieusement, le bord des ongles. Un homme me dit, des années plus tard : Les envies. Tu te rongeais les envies. Je réponds aujourd’hui : Non, pour me ronger les envies, il eût fallu que je sache que les envies s’appellent envies. Je dis : je me rongeais le bord de l’ongle. De l’oncle. Au bout du corps, au bord du corps, au bout du doigt, le bord des doigts, ces ongles ronds, allongés, rouges parfois, leurs bords, rongés, mangés, avalés – le bord de l’ongle existant, polis, policé, beau – lisse. Et les aspérités à éliminer.

Le but

= selon Freud :  » Le but d’une pulsion est toujours la satisfaction, qui ne peut être obtenue qu’en supprimant l’état d’excitation à la source de la pulsion. Mais, quoique ce but final reste invariable pour chaque pulsion, diverses voies peuvent mener au même but final, en sorte que différents buts, plus proches ou intermédiaires, peuvent s’offrir pour une pulsion; ces buts se combinent et s’échangent les uns avec les autres.  »7
D’où, je déduirai, que le but poursuivi par une pulsion de lire, est l’un des buts, plus proche ou intermédiaire d’une autre pulsion, but qui, lui-même, se combine et s’échange avec d’autres. J’ajouterai ici, que ma pulsion de lire est « inhibée quant au but » et qu’elle ne va pas sans une satisfaction partielle.

Pour Lacan, le but de la pulsion, c’est de marquer le coup. C’est-à-dire, d’avoir bouclé la boucle, accompli son trajet. Que la pulsion mue par sa konstante Kraft, sa force constante, ait fait retour à la source d’où elle est issue.

Le trajet

= « The aim, c’est le trajet, par où il faut passer. Le goal, c’est d’avoir marqué le coup et par là atteint votre but. »8

 » Tout ce que Freud épelle des pulsions partielles nous montre le mouvement que je vous ai tracé au tableau la dernière fois, ce mouvement circulaire de la poussée qui sort à travers le bord érogène pour y revenir comme étant sa cible, après avoir fait le tour de quelque chose que j’appelle l’objet a. Je pose que c’est par là que le sujet vient à atteindre ce qui est, à proprement parler, la dimension du grand Autre. » 9

 

Cela qu’il faut retenir. C’est que la source est un bord, un bord du corps, et que c’est d’elle que ça part pour revenir à elle et le trajet de l’aller et le trajet du retour ne sont pas équivalents. L’aller va chercher dans l’Autre, en contournant l’objet a, une réponse qu’il ramène à son point de départ.

Cela qu’il faut retenir, c’est que la source n’est pas l’objet, mais que l’objet peut aller s’ensourcer sur un bord du corps. Que cet objet-là reçoit sa consistance de l’Autre, vient en nom de l’objet initialement perdu, animé du vivant qui rend force à une pulsion en manque d’allant.

Ce qu’il faut retenir. C’est que l’objet est indifférent et qu’à cet objet, Lacan donne un nom : objet a. Ce qu’il faut retenir, c’est que la source est toujours la source, est toujours bord du corps. Ce qu’il faut retenir, c’est que nous sommes sujets du langage. Et qu’il y a eu la langue. Que c’est à l’intérieur de Lalangue que des objets perdus ont trouvé métaphores, et que c’est à partir d’eux, que des morceaux du corps sont passés aux mots, que rien, seulement rien, n’est su du corps sans la coupure qu’ils y ont faite. Et quand des mots, S1, privilégiés prennent valeur d’objets, c’est qu’ils sont de loin en loin, souvenirs du corps perdu, émietté. Et que ces souvenirs du corps vont s’accoler là où le corps est en détresse.

Mais la source reste toujours la source. Où le corps est coupé, reste. Et c’est à ses fentes, coupures, sur, à cheval, que vient se poser l’autre organe, celui de la pulsion génitale, celle qui si elle existait réaliserait la fusion des pulsions partielles. Qui si elle existait, parce qu’il n’y aura pas de pulsion totale, il n’y aura pas de pulsion du sexe, de l’union des sexes, qu’il n’y aura pas de pulsion sexuelle qui fera que l’homme et la femme s’accouplent et enfantent. Les pulsions resteront partielles et perdues à la réunion des sexes et à la reproduction sexuée. Elles ne serviront pas à rendre le rapport sexuel possible. Pourtant la pulsion génitale, la ganze Sexualstrebung, a son organe. La lamelle, cela que l’homme perd à être sexué. Le manque d’avant le manque.

Deux manques ici se recouvrent. L’un ressortit au défaut central autour de quoi tourne l’avènement du sujet à son propre être dans la relation à l’Autre – par le fait que le sujet dépend du signifiant et que le signifiant est d’abord au champ de l’Autre. Ce manque vient à reprendre l’autre manque qui est le manque réel, antérieur, à situer à l’avènement du vivant, c’est-à-dire à la reproduction sexuée. Le manque réel, c’est ce que le vivant perd, de sa part de vivant, à se reproduire par la voie sexuée. Ce manque est réel parce qu’il se rapporte à quelque chose de réel, qui est ceci que le vivant, d’être sujet au sexe, est tombé sous le coup de la mort individuelle

[ …] recherche par le sujet, non du complément sexuel, mais de la part à jamais perdue de lui-même, qui est constituée du fait qu’il n’est qu’un vivant sexué, et qu’il n’est plus immortel.

[..] pour la même raison qui fait que c’est par le leurre que le vivant sexué est induit à sa réalisation sexuelle – la pulsion, la pulsion partielle, est foncièrement pulsion de mort, et représente en elle-même la part de la mort dans le vivant sexué.10

Notes:
  1. Bruxelles, mars 2002. Extrait du chapitre 3 d’un texte intitulé Vincent []
  2. Sigmund Freud, Métapsychologie, Pulsions et destins des pulsions, p. 18. []
  3. Sigmund Freud, Métapsychologie, Pulsions et destins des pulsions, p. 19. []
  4. « L’irréel se définit de s’articuler au réel d’une façon qui nous échappe, et c’est justement ce qui nécessite que sa représentation soit mythique, comme nous le faisons. Mais d’être irréel, cela n’empêche pas un organe de s’incarner. » Jacques Lacan, Séminaire XI, p. 187. []
  5. Jacques Lacan, Ecrits, pp. 819, 820. []
  6. « [..] c’est au niveau de la pulsion que l’état de satisfaction est à rectifier. Cette satisfaction est paradoxale, quant on y regarde de près, on s’aperçoit qu’entre en jeu quelque chose de nouveau : la catégorie de l’impossible.  […] Le chemin du sujet – pour prononcer ici le terme par rapport auquel, seul, peut se situer la satisfaction – passe entre deux murailles de l’impossible. » Jacques Lacan, Séminaire XI, p. 152 []
  7. S. Freud, Métapsychologie, Pulsions et destins des pulsions, p. 18. []
  8. Jacques Lacan, Séminaire XI, p. 163. []
  9. Jacques Lacan, Séminaire XI, p.177. []
  10. Jacques Lacan, Séminaire XI, p. 186, 187. []
mercredi 3 novembre 2010 · 10h53

he – who leads from the drive to love

The paternal function is tied to an existence that supposes sexuated articulation.He (a father) can be a model for the function only by realising in it a type of paternal perversion, that is to say, that the cause is a woman whom he acquired in order to give her children, of whom, whether he wants to or not, he takes paternal care. This surprising recourse to the “perversion” in order to save the subject from psychosis is the fecund way, (a very appropriate way of saying it in this case), for the Name-of-the-Father to be recomposed in a world where the exception is no longer transcendent. It is tangled everywhere. This recourse definitely implies that we renounce the myth of the father of the horde. The “useful” Name-of-the-Father is not the father of the “all”. He needs a regulating fiction in order to exist. The “a la carte” recomposition in the bric-a-brac of tradition, or any other “formalist” conception, requires flesh to subsist. Concerning this, I refer to the developments of J.-A, Miller in Le Neveu de Lacan. There is no need to find its foundation in a hypothetical psychosomatic basis, or to wager everything on the experience of parenting, strictly pragmatic.
Lacan gives a precise foundation to this flesh along a double principle. In the existence of a cause of desire ; and in the love which it may authorize. The consequence is to be read in the following logical sense: he who leads from the drive to love and not the reverse.

Extract from  » How to recompose the Names-of-the-Father » (Eric Laurent)  http://2doc.net/591oy // Translated from: “Comment recomposer les Noms-du-Père?” Élucidation nº 8/9, Paris, Verdier, 2004.

dimanche 7 novembre 2010 · 20h33

stigma

L’image – le distinct

L’image est toujours sacrée, si l’on tient à employer ce terme qui prête à confusion (mais que j’emploierai tout d’abord, provisoirement, comme un terme régulateur pour mettre la pensée en marche). Le sens de « sacré » ne cesse en effet d’être confondu avec celui de « religieux ». Mais la religion est l’observance d’un rite qui forme et qui maintient un lien (avec les autres ou avec soi-même, avec la nature ou avec une surnature). La religion n’est pas, de soi, ordonnée au sacré. (Elle ne l’est pas non plus à la foi, qui est encore une autre catégorie.)

Le sacré, quant à lui, signifie le séparé, le mis à l’écart, le retranché. En un sens, religion et sacré s’opposent donc comme le lien s’oppose à la coupure. En un autre sens, sans doute, la religion peut être représentée comme faisant lien avec le sacré séparé. Mais en un autre sens encore, le sacré n’est ce qu’il est que par sa séparation, et il n’y a pas de lien avec lui. Il n’y a donc pas, strictement, de religion du sacré. Il est ce qui de soi, reste à l’écart, dans l’éloignement, et avec quoi on ne fait pas de lien (ou seulement un lien très paradoxal). Il est ce qu’on ne peut pas toucher (ou seulement d’un toucher sans contact). Pour sortir des confusions, je le nommerai le distinct.

[…]

Le distinct, selon l’étymologie, c’est cela qui est séparé par des marques (le mot renvoie à stigma, marqué au fer, piqûre, incision, tatouage): cela qu’un trait retire et tient à l’écart en le marquant aussi de ce retrait. On ne peut pas le toucher […] Mais cet impalpable se donne sous le trait et par le trait de son écart, par cette distraction qui l’écarte.

[…]

[où l’on voit que la pulsion trouve sa source dans la marque. et que le pulsionnel est lié au « sacré ».]

L’image est une chose qui n’est pas la chose: essentiellement, elle s’en distingue. Mais ce qui se distingue essentiellement de la chose, c’est aussi bien la force ou l’énergie, la poussée, l’intensité. Toujours le « sacré » fut une force, voire une violence. Ce qui est à saisir, c’est comment la force et l’image appartiennent l’un à l’autre dans la même distinction. Comment l’image se donne par un trait distinctif (toute image se déclare ou s’indique « image » de quelque façon), et comment ce qu’elle donne ainsi est d’abord une force, une intensité, la force même de sa distinction.

[…]

[ et qu’une certaine marque, signifiante, mais sans sens, S1, constitue du sujet sa singularité – sa distinction.]

C’est ce qui ne se montre pas mais qui se rassemble en soi, la force bandée en deçà ou au-delà des formes, mais non pas comme une autre forme obscure : comme l’autre des formes. C’est l’intime et sa passion, distinct de toute représentation. Il s’agit de saisir la passion de l’image, la puissance de son stigmate ou bien celle de sa distraction…

 

Jean-Luc Nancy, Au fond des images, « L’image – le distinct », Galillée, p. 10 -13

 

dimanche 18 août 2013 · 18h54

Anne Lysy : Lʼanorexie : Je mange rien (extrait 2)

[…]

3. Un rien pas toujours dialectique ( Deuxième extrait de Lʼanorexie : Je mange rien de Anne Lysy sur le site du Pont Freudien))

Jusqu’ici, j’ai déployé cette dimension, qui est celle qui est déployée par Lacan, du rien dialectique. Eh bien, il y a aussi des riens qui ne sont pas dialectiques. Si ce passage de Lacan renvoie, dans ce contexte, à ce rien qui a une fonction dialectique, force est de constater, dans la clinique, que cette dialectique n’est pas toujours présente, et que la position de l’anorexique ne se laisse pas du tout entamer. L’extrémité où la mène à incarner ce refus dans son corps semble parfois le but poursuivi pour lui-même, et la mène irréversiblement à la mort. Elle semble se faire le déchet, le corps monstrueux. Non pas pour aveugler l’autre, mais parce qu’une logique implacable la mène là. Une logique qui ne semble plus relever du tout de l’appel à l’Autre.

C’est la question que je me pose quand je lis le destin de Simone Weil tel qu’il est présenté dans Les indomptables. Mais c’est aussi ce que des collègues, déjà évoqués, ne manquent pas de souligner. Recalcati distingue, par exemple, « les deux riens de l’anorexique ». Il interroge le statut du rien dans des structures subjectives différentes. Il différencie le rien dans l’hystérie, la névrose, qui est le rien dialectique dans le rapport au désir, et le rien dans la psychose. Ce deuxième rien n’est pas utilisé comme dialectique. Il n’est pas en rapport avec le désir de l’autre, mais il est refus radical de l’autre, pur anéantissement de soi. Il est poussée du corps, dit-il, vers sa propre destruction. On peut y voir une sorte d’identification à la chose. Et donc il insiste, tout à fait avec raison, sur la nécessité de faire une clinique différentielle de l’anorexie. D’autres auteurs vont tout à fait dans ce sens. Et il faut noter donc, il y a des anorexies psychotiques, qui ont une logique qu’il s’agit à chaque fois de déceler, par exemple, elles peuvent relever d’un délire d’empoisonnement aussi bien. Ou d’une certitude psychotique rigide, par exemple. Je pense que c’est un cas d’Augustin Ménard, André, qui affirme : « Je ne mange pas parce que je veux être en bonne santé ». Et qui construit tout son système sur des lectures d’ailleurs très sérieuses et très documentées pour ça.

Je vais aussi faire état ici d’un cas rapporté par Recalcati (( M. RECALCATI, « La passion anorexique et le miroir », La petite girafe, n° 14, 2001, pp. 69-75. )) , Giulia, elle s’appelle, pour vous donner une petite idée, justement, de la fonction que peut avoir l’anorexie dans la psychose. Il s’agit de bien déceler à quoi l’on a affaire avant de penser qu’il faudrait faire prendre du poids à quelqu’un, par exemple. Giulia déclenche des phénomènes psychotiques à l’adolescence. Elle est devenue anorexique après ça. Elle se voulait maigre, mais ça avait une fonction très particulière. Elle grandit dans une famille très religieuse, presque fanatique sous la férule d’une père sévère, un éducateur à la Schreber, qui l’obligeait à embrasser les pieds ensanglantés du Christ en croix. Il disait : « La vie est une longue expiation. » Pour elle, les transformations de son corps à la puberté étaient une grave menace à l’intérieur d’elle-même. Il fallait, disait-elle, devenir maigre comme un clou, être une enfant sans péché. On voit ici qu’« être maigre », c’était une tentative de solution, se protéger de la menace qu’elle sentait en elle-même. Elle voulait se délivrer de ce corps, elle ne voulait pas grandir, elle voulait rester une fille sans péché. Mais en même temps, c’était aussi un ravage, puisqu’elle se faisait là l’objet du père : être l’enfant crucifiée. Elle avait trouvé, néanmoins, dans cette identification imaginaire à la fille sans péché quelque chose qui la soutenait. Mais cela a été tout à fait détruit par une rencontre avec un garçon, à seize ans, qui lui fait la cour de façon prononcée. Ce garçon avait un blouson avec des aigles dessus. Et dès le lendemain de cette rencontre, Giulia a des hallucinations. Les aigles envahissent la maison, ils viennent picorer son visage et ils apparaissent dans le miroir de la salle de bains à la place de son image. Elle doit le recouvrir de serviettes, n’a jamais fini, elle doit se protéger de sa propre image dans le miroir. Ils reviennent, d’ailleurs – c’est arrivé quelquefois – et ils reviennent quand elle remarque dans son image des formes sexuelles. C’est ce qu’elle devait rejeter ; elle doit être une fille sans péché, donc l’assomption de la sexualité est, pour elle, impossible. Et donc on voit là comment être maigre devait empêcher l’apparition pour elle des formes sexuelles dans son image, qui la renvoyaient à ce qui devait absolument être rejeté. On a donc un retour dans le réel de l’image, de ce réel non symbolisé, pour elle, de la sexualité. Cela donne une idée, enfin, c’est un exemple, je trouve, très éclairant ; on en trouve d’autres dans la littérature, on entendra aussi demain, d’ailleurs, Anne Béraud qui fera un exposé sur un cas d’anorexie psychotique.

Dans ses travaux les plus récents, Recalcati fait remarquer que la conception qu’il appelle «romantique » de l’anorexie comme maladie d’amour a fait place de plus en plus, dans son expérience, à une conception qui accentue le caractère nihiliste de l’anorexie. Ce qu’il appelle son accent mélancolico-toxicomaniaque, et non pas hystérique. Le côté anorexie comme toxicomanie du rien, versant où la jouissance, la dimension de la jouissance mortifère, vient à l’avant-plan. Ce changement d’accent, dirais-je, n’est pas le simple fait de sa clinique. Il dépend aussi de comment on la lit. Et à cet égard, les modifications et les bougés dans la théorie de Lacan sont tout à fait importants et déterminants. Chez Lacan aussi il y a une prise en compte beaucoup plus importante de la dimension pulsionnelle dès les années 62-63 avec son séminaire sur L’angoisse, et surtout le Séminaire XI, où il formalise et remet à l’honneur la pulsion freudienne tout en y inventant un objet nouveau, l’objet a. À ce moment-là, le pivot de sa conception de l’anorexie, c’est l’objet a et la jouissance.

4. Le Séminaire XI et la pulsion : «couleur de vide » ou déchaînée dans le réel ?

J’arrive à la deuxième sous-partie de mon chapitre. Lacan reformule maintenant la pulsion non plus en termes de signifiant, comme il le faisait dans le Séminaire IV sans utiliser le mot pulsion, mais comme activité érotique autour d’un objet perdu. Ce n’est pas simple d’expliquer ce qu’est l’objet petit a. J’essaie d’en donner une idée.

L’objet a, ce n’est pas un objet de la réalité. C’est un objet tombé du corps, perdu, de par la prise du signifiant sur le corps. C’est, dit Lacan dans le séminaire L’Angoisse (( J. LACAN, Le Séminaire, livre X, L’angoisse, 1962-1963. Paris, Seuil, 2004. )) , « la livre de chair » nécessairement perdue par l’engagement de l’être parlant dans le signifiant. Il réinvente les objets de la pulsion partielle freudiens en allongeant leur liste. On a donc l’objet oral, anal, le phallus, le regard et la voix. Ce qu’il est important de comprendre, c’est que c’est un objet qui n’est pas représentable. Ce n’est pas un objet représentable dans le miroir ni dans le signifiant, on ne peut pas mettre le doigt dessus. C’est un aspect de l’objet qui était souligné aussi dans le Séminaire IV, mais d’une autre façon, et on le retrouve ici dans cette conceptualisation de l’objet a.

La pulsion, c’est quoi ? La pulsion, dit-il dans le Séminaire XI1 , cherche sa satisfaction. C’est une sorte d’activité de jouissance qui cherche sa satisfaction. Elle ne la trouve pas en se complétant d’un objet, mais en faisant un trajet autour d’un objet toujours manquant. Prenons la pulsion orale. Son objet n’est pas la nourriture, dit Lacan. Si on veut se la représenter, ce serait plutôt par l’image – qui vient de Freud – de la bouche qui se baiserait elle-même. C’est une bouche fléchée, dit-il. C’est à l’occasion, aussi, une bouche cousue. Comme on dit, « motus et bouche cousue ». On ne dit rien. Dans l’analyse, « nous voyons pointer au maximum dans certains silences l’instance pure de la pulsion orale, se refermant sur sa satisfaction »2 . On voit bien combien, effectivement ça n’a rien à voir avec la nourriture, dont on viendrait se satisfaire. C’est d’une toute autre satisfaction qu’il s’agit.

La pulsion, comme l’explique Jacques-Alain Miller dans son texte « Théorie du partenaire »3 , la pulsion tire sa satisfaction du corps propre. Elle part du corps et de ses zones érogènes pour y revenir et s’y satisfaire. Dans ce sens-là, c’est une jouissance auto-érotique. Mais pour réaliser cette autosatisfaction, la bouche doit, par exemple, passer par un objet dont la nature est tout à fait indifférente ; c’est pour cela qu’on a dans la pulsion orale aussi bien manger que fumer, par exemple. Il faut donc bien saisir que l’objet a n’est pas une substance, c’est un vide, dit Lacan dans son Séminaire XI, c’est un vide qui peut être occupé par n’importe quel objet. Et, à l’occasion, il est incarné, il trouve des « substances épisodiques », comme dit Lacan à un autre endroit.4

Comment cet objet très particulier se présente-t-il dans l’anorexie ? Dans le Séminaire XI, Lacan donne deux pistes par rapport à l’anorexie. L’une est toujours sur le versant dialectique. Cette fois, c’est une dialectique formulée en termes d’aliénation-séparation. C’est l’articulation de l’inconscient et de la pulsion propres au Séminaire XI, je ne vais pas détailler cela ici. Il cite l’anorexie mentale, pour en faire un exemple de cette articulation ; il dit que le sujet se fait lui-même objet pour répondre à l’énigme du désir de l’Autre. Tout enfant interroge le désir de l’Autre : « Tu me dis ça, mais qu’est-ce que tu veux me dire, là, entre les lignes ? Dans tout ce que tu me dis, mais qu’est-ce que tu me veux, finalement ? » Et, dit-il, le premier objet qu’il met en jeu, c’est le fantasme de sa propre mort, de sa propre disparition. « Veux-tu me perdre, c’est ça que tu voudrais ? » L’anorexie mentale donne ici un des exemples frappants de ça. Comment l’enfant met sa propre disparition en jeu. Ça, c’est une des pistes, c’est là qu’il cite, je dirais, explicitement l’anorexie mentale, dans le Séminaire XI.

Il me semble qu’il y a d’autres pistes, dans ces passages du Séminaire XI et dans la façon dont il formalise la pulsion, grâce auxquelles on peut lire toute une série de phénomènes qu’on observe chez l’anorexique et qui se situent plutôt sur le versant d’une jouissance pulsionnelle étrange, où le rien se positive. Dans le refus de nourriture, dans le mutisme, dans l’ascétisme extrême, il y a une sorte de satisfaction dans le rien, qui est positivé comme objet. « Le rien acquiert le statut d’objet substance de jouissance qui habite le corps de l’anorexique », dit Cosenza, qui se fixe dans sa bouche et qui produit une fermeture par rapport à l’Autre. Une jouissance autistique, autodestructrice, à l’instar de la toxicomanie5 .

De nouveau le rien, ici, n’est pas un objet qui nourrit le désir, c’est un objet qui le parasite et qui le désubjective sous la forme d’une jouissance totalisante qui ne laisse plus de place à rien d’autre. « C’est un objet qui parasite le corps, réduisant le sujet lui-même à être un objet condensateur de jouissance où la parole est désactivée. » C’est le versant, aussi, par où le sujet anorexique incarne en quelque sorte cet objet a, où il peut aller jusqu’à se laisser mourir, à se faire le déchet. Et d’ailleurs la jeune fille anorexique présentifie dans son image, dans l’image qu’elle donne, justement ce qui, d’ordinaire, est recouvert par l’image. Que l’image soit une image totale, sans faille et là apparaît quelque chose d’informe et une horreur qui normalement doit être masquée et couverte par l’image. Il y aurait tout un chapitre à ouvrir ici, sur les rapports de l’anorexique à l’image dans le miroir.

Dans un article passionnant, Recalcati montre que les rapports particuliers et surprenants que souvent le sujet anorexique entretient avec son image ne relèvent pas du tout d’une difficulté cognitive, mais témoignent de sa difficulté à subjectiver le réel, irreprésentable, du corps pulsionnel, ou encore le réel insignificantisable de la sexuation6. Normalement, donc, l’image spéculaire, qui donne forme à l’informe, habille le reste qui échappe à l’image. Chez les anorexiques, dans des formes différentes, dit-il, on voit bien que quelque chose qui n’est pas symbolisé fait retour dans l’image. Par exemple, se voir grosse alors qu’on est complètement maigre. Il décrit cela comme ça, c’est quelque chose, justement, qui réapparaît et qui relève de la dimension pulsionnelle du corps ; ce qui, dans le corps, ne se réduit pas à l’image que le sujet rejette et voudrait effacer. Elle se voit grosse.

C’est comme le cas de la psychotique Giulia dont je vous parlais tout à l’heure, ce qui ne peut pas apparaître fait retour pour elle dans l’image. C’est pour cela que dans le « Je suis grosse » qui est très étonnant, on se dit « C’est complètement perturbé ! » C’est intéressant, cette lecture, montrer que quelque chose qui ne se symbolise pas, fait retour sous cette forme-là. Il fait remarquer que ce n’est sans doute pas un hasard si l’anorexie se déclenche fréquemment au moment de l’adolescence. C’est le moment où le corps se transforme, où la question de la sexualité, du rapport à l’autre sexe se pose et où, donc, l’image narcissique doit être rectifiée et à nouveau assumée. Tout ce qui du sexuel était en latence revient, ravivé, et le sujet doit se repositionner. Recalcati donne l’exemple, aussi, d’une hystérique, névrosée donc, qui dit : « ce que je vois dans ma graisse, c’est toujours le regard de ma mère chargé de reproches ». Voyez le retour du reproche de la mère qui n’arrêtait pas, quand elle était plus petite, de lui dire : « T’es pas ma fille, tu n’as pas honte, tu grossis… » Je vais passer certains exemples qui formaient une troisième petite sous-partie : « Donner à voir l’irreprésentable, l’anorexique et le miroir. » On pourra en parler dans la discussion.

 

Notes:
  1. J. LACAN, Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, 1963-1964. Paris, Seuil, 1973. []
  2. J. LACAN, Ibid., p. 164. []
  3. J.-A. MILLER, « La théorie du partenaire », Quarto, n° 77, 2002, p. 6. []
  4. J. LACAN, « Lettre aux Italiens », 1974, in Lettre mensuelle de l’École de la Cause Freudienne, p. 9, avril 1982. Repris comme « Note italienne » in Autres écrits, Seuil, 2001, p. 309. []
  5. D. COSENZA, « Anorexie », Op. cit., pp. 30-31. []
  6. M. RECALCATI, «La passion anorexique et le miroir », Op. cit. []
dimanche 1 juin 2014 · 12h28

la chute dans la vie

la chute de l’homme dans la banalité, sa « seconde chute » selon Heidegger, est une chute dans la vie (assomption meurtrière où nous sommes à la fois « les auteurs et les victimes »).

« Nous sommes devenus des êtres individués, c’est-à-dire non divisibles en eux-mêmes et virtuellement indifférenciés. Cette individuation dont nous sommes si fiers n’a donc rien d’une liberté personnelle, c’est au contraire le signe d’une promiscuité générale. »

« Tous télé-guidés » par Jean Baudrillard

 

 

 

(l’image, sa fiction POUR échapper au réel, où nous sommes tombés)

« Plus on avance dans l’orgie de l’image et du regard, moins on peut y croire. »

« Tous télé-guidés » par Jean Baudrillard

Catherine, spectatrice, se déplaçait «déjà dans le récit de la scène […]. Il arrive que le regard se fixe sur le visible pour permettre à la conscience de se dérober; on ne peut être présent à l’intérieur d’une image»

« De l’utilité des fictions »  par Jeanne Joucla citant ici Catherine Millet dans Une enfance rêvée.

lundi 27 octobre 2014 · 13h49

malade de pensée / l’impression est toujours forte

Malade de pensée.
Cherche en ce moment à quoi me raccrocher. L’impression que me font mes lectures1  est toujours forte. Mais je ne sais que faire de cette force ni ce qu’elle signifie.
De quoi s’agit-il de quoi s’agit-il ? Que fais-je ? Peut-être cherchai-je seulement à me raccrocher au monde.
S’il me fallait parler / témoigner de ce qui
M’affecte
Torture
Le plus
Il s’agirait probablement de mes pensées
Elles qui me sont le plus familières
Elles qui sont la matière de mon malheur
Lequel ne doit pas être si grand dira-t-on dès lors
C’est que j’y suis enfermée
Et un peu plus de jour en jour
De jouir en jouir
Une forêt de pensées forêt vierge dont j’espère probablement pouvoir extraire l’une ou l’autre liane que je puisse alors tendre à un autre, autre être humain
AUTRE ÊTRE HUMAIN
Et que ferions nous alors une fois que nous serions à deux voire plus la main sur ma liane
Et la liane trahit la pensée trahit la forêt vierge

« Combien de songes, de systèmes de pensée, d’intuitions et de phrases véritablement neuves ont échappé à l’écrit? « 

C’est ce à quoi je pensais ce matin. Les pensées, elle s’abattent sur moi comme des boules de neige
Aucune ne se laisse entendre tout à fait
Toutes sont incomplètes
Me. Bombardent
Alors, cette pensée-là, en particulier, le hasard veut, ou autre chose que le hasard, le fait qu’elle se sustente de la pensée d’un autre, du résidu de la pensée d’un autre, aura voulu que je la saisisse mieux qu’une autre, à cause de son sentiment d’étrangeté ; l’étrangeté me sauve de ma mêmeté, j’aurai pu la saisir, ses mots me seront apparus plus distinctement parce qu’ils étaient d’un autre,
non totalement encore recouverts par la boue des miens, non assimilés, ces mots donc de Jouannais, que je reprenais hier ici, je m’ en suis saisie, j’ai pensé
À cela, que l’écrit est une liane, et ma pensée une forêt vierge, en 3D
Et ce passage de la 3D à la linéarité, c’est le travail justement où un artiste un auteur se distingue.

Évidemment, quiconque rendrait compte de la forêt vierge

Or, il ne s’agit pas non plus uniquement de 3D et de couches successives se superposant
Mais de bombardement de boules de neige et peut-être cette image-là me vient-elle à l’esprit à cause de ce titre d’un film Le bombardement de boulettes géantes, que je n’ai pas vu.

Et j’ai pensé que j’étais malade. Et que s’il y avait quelque chose dont je devais témoigner, peut-être, c’était de cette ma maladie.

Songeant à la 3D et aux couches successives
Me demandant comment
M’est revenu en mémoire cette installation de Bill Viola, regardée au Grand Palais l’année dernière

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Et revoyant ces photos sur Google Images, à Bill Viola, j’ai pensé que celles-ci disaient bien la sensation physique de ces pensées dans ma tête, et de ce qu’elles font à tout mon corps (dont je pourrais aussi bien ne pas sortir) (mais l’écrire vous l’écrire à un TRUMAIN est la luette est la lucarne d’où la lueur touche dans ma cellule) :

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Et celles-ci, pouvaient rendre compte de leur bombardement

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Or ici on voit que pour rendre compte de la pensée, de ma pensée, j’use d’images qui en élimine la matière tout en la lui accordant, car elle est de matière justement défaite, inconnue, cette matière des mots, où les couches seraient constituées de phrases ou de bribes de phrases, non point prises dans la linéarité qui pourtant les caractérise mais dans la planéité d’un voile léger qui en recouvrirait d’autres et seraient recouverts par d’autres, voilà l’image que celle de Viola inventait dans mon esprit pour rendre compte justement de mon état d’esprit, de ces pensées mouvantes, logeant toujours au bord du sens comme au bord du gouffre.

Et au travers de tout cela l’appel de la mort, comme la voix des loups. Mais pourquoi. C’est l’appel, comme celui des sirènes. C’est que le chant est si beau des loups, si terrible. Et que j’aime les choses terribles. Ici, se situe l’aveu. Les choses terribles et terriblement aimables n’ont pas leur place dans le monde extérieur. La pensée seule leur offre logis.
Mais cela ne suffit pas. Il faut connaître l’origine et la matière de ces chants des loups.

Notes:
  1. aussi bien que les conférences que j’écoute, dont je poste les vidéos ici. []
vendredi 25 mars 2016 · 14h18

le taï chi légèrement + rapide de MF

25/3/2016

8:37
l’attrait du sommeil au réveil

8h46
décider du caractère sacré du sommeil
se rendormir
taï chi hier, exceptionnellement avec MF,  en remplacement, l’incessance de son taï chi un petit peu rapide.

11h
tout son cours, de MF, comme ça, un poil plus rapide. comme je me coule dans son rythme, il m’apparaît que ma pratique du taï chi incorpore l’arrêt, la mort, au plus près, à chaque instant du mouvement. quand le sien m’en évoque la fuite.  cependant que j’admire, j’envie la constance de son énergie.  il me semble en être toujours au bord de la rupture.
[ d’une tentative, probablement spécieuse (mais tentante),  de rapprochement de concept de pulsion et du chi :
quand il définit la pulsion, Freud parle de konstante Kraft.  plus tard, Lacan intuitionne que le débit de cette force constante puisse être propre à chacun et fixé une fois pour toutes (idée que je trouvais détestable, c’est un peu comme chez les protestants (??), chacun son lot), tant quant à la quantité qu’à la vitesse. peut-être s’agit-il ici de quelque chose de similaire et le rythme du taï chi de chacun lui est-il foncièrement personnel. si ce n’est que c’est un rythme qui se collectivise facilement, et donc se module, pour devenir celui du groupe.]
j’aime à accélérer mon taï chi, à le régler sur celui de MF. et il me semble qu’elle ne déteste pas le mien.
la rapidité (toute relative, faut-il le répéter) de son cours permet également de retenir son esprit de vagabonder.

j’ai rêvé de MF toute la nuit. et ce matin encore.

dimanche 19 août 2018 · 18h15

Le caprice féminin, Frank Rollier (extrait)

[…]

A la fin du paragraphe, Kant note entre parenthèses quatre mots en latin : « Sic volo, sic jubeo », « Ainsi je le veux, ainsi je l’ordonne », dont J.-A. Miller retrouvera l’origine chez Juvénal. À Rome à partir du premier siècle (années 90), Juvénal écrit une série de satires dans lesquelles il dénonce l’hypocrisie des puissants, les mauvais exemples que donnent les parents à leurs enfants, la corruption et la luxure de la société impériale. Dans la satire VI, il s’en prend avec véhémence à la femme mariée, dépeinte comme étant toujours insupportable, sinon dépravée. Il tente de dissuader un ami qui songe à se marier et, entre autres exemples, rapporte cette saynète entre une femme et son mari, sans en préciser le contexte : « Cet esclave, en croix ! » ordonne la femme à son mari, lequel rechigne à obtempérer, pas tant par humanité que par souci de son patrimoine humain. Il essaie de discuter : « Mais quel crime a-t-il commis pour mériter un tel supplice ? Où sont les témoins, le dénonciateur ? On ne saurait prendre trop de temps quand il y va de la mort d’un homme ! ». Ce à quoi elle réplique : « oh le sot ! Un esclave, est-ce donc un homme ? Il n’a rien fait, soit ! Mais je le veux ! Je l’ordonne ! Hoc volo, sic jubeo – Comme raison, que ma volonté suffise ! »1

Le caprice mortifère de la matrone de Juvénal renvoie directement au surmoi dont Freud soulignait la parenté avec l’impératif kantien. Il s’agit donc d’un surmoi qui se situe dans une autre dimension que celle du surmoi qui interdit, dimension que Freud avait précédemment développée. Depuis Lacan nous concevons le surmoi comme une instance qui pousse à la jouissance, qui « pousse au crime » écrit Eric Laurent.  J.-A. Miller, dans sa « Théorie du caprice», pointe « l’affinité de la femme et du surmoi »2  que vérifie la saynète racontée par  Juvénal.  

Lacan fera de la Sphinge  (version féminine du Sphinx) une incarnation du surmoi féminin,  la  surmoitié d’Œdipe qui lance – dans la version du mythe créée par Lacan – un « tu m’as  satisfaite  petithomme »  (( 20 LACAN J., « L’étourdit »,  Autres Écrits, Seuil, 2001, p. 468. )) , qui apparaît comme un défi, « une exigence de jouissance distincte  de la jouissance phallique. » 3 Bien sûr, à travers Œdipe, chaque  petithomme  est interpellé par  cette exigence mortifère qui, selon la lecture qu’Eric Laurent fait de ce passage de  « L’étourdit », à la valeur d’un impératif lancé à  l’homme :  « Fais toi l’ami des femmes ». Pour  vraiment les comprendre,  fais-toi femme toi-même, essaye de t’approcher de l ’Autre  jouissance. C’est à ce propos que Lacan convoque le devin Tirésias : «…tu sauras même vers  le soir te faire l’égal de Tirésias… ».

Le point important, me semble-t-il, éclaire ce fait que «  la voix du surmoi féminin (…) s’origine (…) de son Autre jouissance qui lui est propre ». Eric Laurent démontre l’issue de ces appels de la  surmoitié  « à jouir davantage».  Loin d’y voir le  destin de chaque petithomme , « la psychanalyse consiste plutôt à soutenir que  la voix de la  surmoitié n’est mortifère que pour celui qui refuse d’affronter l’originalité de la position  féminine ».   

(…)

La thèse proposée par J.-A. Miller est que  « le principe de cette volonté», de ce  « je veux », « c’est  un  énoncé  qui  est  un  objet  détaché  et  qui  mérite  d’être  qualifié  d’objet petit a,  le caprice-cause  de  ce  qu’il  y  a  à  faire»,  « qui  en  l’Autre  divise  le  sujet».  La  matrone  de Juvénal demande la mort de l’esclave mais  « c’est son mari qu’elle veut diviser, elle veut lui faire  sacrifier  son  bien,  à  savoir  un  de  ses  esclaves,  pour  son  caprice  à  elle»  et,  de  fait,  il doute.  De  la  même  manière,  la  Reine  fait  tourner en bourrique  le  Roi  falot  du  pays  des Merveilles  et  Lucinde  veut  faire  plier  son  père,  cela  afin  qu’ils  sacrifient  leur  pouvoir  au caprice  de  chacune.  Cette  volonté  de  diviser  l’Autre,  Lacan  l’identifie  à  la  volonté  de  la pulsion, laquelle est acéphale et se manifeste « comme volonté-de-jouissance»4  , traduit J.-A. Miller.

Peut-on qualifier cette volonté de diviser le partenaire, de perversion ? De Kant à Sade5, il y a une  parenté  manifeste,  marquée  par  le  fait  que  Lacan  introduise  ce  concept  de  volonté-de-jouissance  lorsqu’il  écrit  le  schéma  du  fantasme  sadien  et  dégage  que  c’est  la  volonté  qui semble  dominer  toute  l’affaire.  Le  pervers  s’emploie  explicitement  à  angoisser  l’Autre  «en bouchant  le  trou  dans  l’Autre» ;  si  le  partenaire de  la  patiente  que  j’évoquais  semble  bien avoir  été  angoissé  par  la  «trituration »  de  sa  compagne,  il  ne  me  paraît  pas  certain  que l’époux  de  la  Matrone  de  Juvénal  soit  angoissé,  pas plus  que  le  Roi  d’Alice  ou  le  père  de Lucinde : ils sont simplement divisés, déroutés dans leur prétention à gouverner.  J.-A. Miller propose que «cette volonté-femme veut séparer le  sujet de son avoir […] de ses idéaux». Il tire  le  caprice  féminin  du  côté  de  la  maîtrise  du  signifiant-maître, sans  en  faire  une  position perverse, ni une posture hystérique pour occuper la place du S1. 

Le « hors la loi » ou le « sans limite »  de  cette  volonté-femme  est  différent  du  «être  contre»  de  l’hystérique,  dont « l’expérience  historique  est  faite ».  Aujourd’hui,  les  femmes  peuvent  tout  à  fait  légalement« commander  avec  le  signifiant-maître  en  main »  –  et  J.-A.  Miller  voit  là  une  nouveauté  à encourager. 

Pour  conclure,  avançons  qu’avec  J.  Lacan  et  J.-A.  Miller,  s’opère  une  réhabilitation,  ou  tout du  moins  une  revalorisation  du  surmoi  féminin.  Freud  situait  cette  instance  plutôt  du  côté masculin,  au  point  qu’il  apparaissait  « même  douteux  que  la  femme  soit  dotée  d’un surmoi»6.

Je  propose  que  le  caprice  puisse  être  envisagé  selon  deux  registres.  Le  premier  serait  de considérer  le  caprice  spécifiquement  féminin  comme un  fantasme  masculin,  tout  comme  le masochisme dit féminin et décrit par Freud.  L’autre registre, qui n’est pas antinomique au premier mais, me semble-t-il, supplémentaire – tout comme l’Autre Jouissance est supplémentaire à la jouissance phallique – serait de poser que  tout  ce  qui  se  manifeste  comme  volonté,  telle  que  définie  avec  J.-A.  Miller,  comme relevant d’une jouissance sans limite, hors la loi, puisse être rangé du côté droit du tableau de la  sexuation.  Cette  volonté-de-jouissance  se  réfère  donc  au  féminin,  même  si  elle  émane éventuellement  d’un  homme.  C’est  le  versant  pulsionnel  du  caprice,  qui  n’exclue  pas  sa dimension  mortifère,  sans  que  la  folie  d’une  Médée soit  en  jeu,  puisque  dans  le  fond,  toute pulsion  tend  vers  la  pulsion  de  mort. Fort  heureusement,  J.-A.  Miller  nous  rappelle  que  du côté du vivant, « le caprice est au principe des plus grandes choses ».

Franck Rollier

https://www.lacan-universite.fr/wp-content/uploads/2011/01/Carnet-de-route-9.pdf

Notes:
  1. JUVENAL., « Satires », p 67, Les belles lettres, Paris, 2002. []
  2. 19 MILLER J.-A., « Théorie du caprice », Quarto, n° 71, p. 6-12. , p. 11.   []
  3.  21 LAURENT E., « Positions féminines de l’être », Quarto, N° 90 « La femme et la pudeur », pp. 28-33. []
  4. 22. LACAN J., « Kant avec Sade », Écrits, Seuil, p. 775. []
  5. 23 MILLER J.-A., « Théorie du caprice», op. cit, p. 10. []
  6. 24 MILLER J.-A. : « Un répartitoire sexuel », La cause Freudienne, N° 40. []
vendredi 9 octobre 2020 · 14h09

L’Un tout seul avec Parménide

L’Un tout seul avec Parménide

Par Dominique Rudaz

De ce qui est, de ce qu’il y a

La question de l’ontologie, de ce qui est, et de l’existence, de ce qu’il y a, est centrale dans notre expérience analytique, puisque la position que nous prenons par rapport à notre pratique varie singulièrement selon qu’on l’ordonne à ce qui est ou à ce qu’il y a[1]. Si, comme Miller nous explique, « le secret de l’ontologie »[2] est que l’être n’est que du semblant, si l’être ne tient qu’au discours, à ce qui est dit (l’être de langage), alors qu’est-ce qu’il y a, qu’est ce qui existe en deçà ?

Ce qu’il y a, ce qui existe, ce qui est du réel et non pas du semblant est noué au signifiant. C’est ce qui du signifiant s’imprime, s’inscrit, se marque sur le corps et qui « commémore une irruption de jouissance inoubliable »[3] : ce qu’il y a, c’est la rencontre matérielle d’Un signifiant et du corps ; le choc contingent et singulier, à prendre au cas par cas, du langage sur le corps[4]. Cependant, soyons attentifs au fait que ce signifiant n’est pas celui qui note la parole, le signifiant rhétorique, le signifiant qui renvoie à un autre signifiant et qui nous fait entrer dans la machinerie signifiante, avec ses effets de signifié. Ici c’est le signifiant en tant que Un, l’Un tout seul : c’est l’ « essaim »[5], le S1 sans le S2 qui répondrait et qui ferait sens, voire fonction, copule : justement, ça ne copule pas ! Nous sommes dans ce qui résonne et qui s’itère en boucle comme la pulsion, qui est « l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire »[6]. La rencontre contingente du signifiant Un et du corps, c’est « (…) l’événement originaire et en même temps permanent, c’est-à-dire qu’il se réitère sans cesse, (…) [c’est] la réitération inextinguible du même Un »[7].

jeudi 1 février 2024 · 19h21

La disparate

par Jacques-Alain Miller, Quarto, n° 57, 1995, p. 24-29.

Je m’interroge cette année, dans mon cours du département de psychanalyse, sur le mode de jouissance. J’aimerais arriver à en faire une catégorie usuelle dans la psychanalyse, pour autant que le mode de jouissance du sujet ait été prouvé par le psychanalyste, dans l’expérience à laquelle il préside, comme une résistance – en tout cas, c’est cet usage qui me paraît le plus intéressant. Il me semble que lorsque le psychanalyste d’aujourd’hui en parle, c’est communément parce qu’il doute de pouvoir contribuer à ce que ce mode de jouissance change pour le sujet dont il a la charge. L’analyste d’aujourd’hui admet que pour un sujet son mode de jouissance peut s’isoler, mais il n’est pas sûr qu’il puisse se modifier, ou en quel sens il peut se modifier. Je parle là de ce qui me semble être des évidences communes.

Le mode de jouissance me semble marqué d’une formule en définitive assez précise : d’un « une fois pour toutes» – c’est une modalité temporelle très précise, qui est celle de l’irréversible. Peut-être ce que l’on admet au titre de structures cliniques ne fait-il qu’habiller un mode typique de jouissance, déterminé une fois pour toutes. Peut-être est-ce dans la structure clinique dite de la perversion que cet « une fois pour toutes » apparaît dans une sorte d’évidence et, si j’ose dire, dans sa glorieuse permanence – glorieuse et éventuelle malheureuse permanence –, cette permanence devant quoi les pouvoirs de la parole défaillent. La parole, lorsqu’elle est confrontée au « une fois pour toutes » où se détermine le mode pervers de jouissance, se trouve réduite à l’impuissance. Et il paraît là assez évident qu’elle ne peut pas aller plus loin que de réconcilier le sujet avec son mode de jouissance. À cet égard, s’il y a une mutation, elle concerne le sujet et elle laisse intact le mode de jouissance, à moins qu’on ne donne au mode de jouissance une définition qui inclut le sujet.

Voici le jeune homosexuel. Il n’a jamais pensé qu’aux garçons. Une séduction l’a initié. Il s’interroge sur la déviance de son mode de jouissance. Il sait qu’elle le voue à la marge : il craint la réprobation sociale, il se dissimule, il éprouve de l’angoisse. Il vient vous trouver. Comme analyste, vous ne lui promettez certainement pas la guérison, pour autant que vous la promettez à personne-vous pouvez tout de même à l’occasion, confronté à certains symptômes gnon vous amène et à l’inquiétude du sujet, vous avancer en affirmant que c’est traitable par l’analyse, qu’il y a indication d’analyse. Dans le cas du jeune homosexuel, je crois que vous ne promettez certainement pas la guérison de ce que lui-même d’ailleurs n’éprouve pas comme une maladie, mais bien comme une sorte de vocation, comme un appel, connue sa «vraie nature ». Mais il ne vous est pas interdit de penser que l’angoisse qui s’attache à ce mode de jouissance, vous saurez la faire passer. Vous ne voulez pas autre chose que de le réconcilier avec le fait de son mode de jouissance. Le sujet vous imputera peut-être de vouloir autre chose, de vouloir modifier, normaliser son mode de jouissance. À mon avis, il faut sérieusement se garder de le lui faire accroire, si vous voulez qu’il poursuive son élaboration auprès de vous. Il faudrait plutôt le rassurer sur votre neutralité quant à son mode de jouissance : «c’est la perversion, direz-vous, on n’y peut rien, on n’y peut mais. »

Mais l’hystérie ? Vous permettrez sans doute au sujet hystérique de se défaire de beaucoup de ses symptômes. Mais l’hystérie elle-même, pensez-vous la faire passer ? Lacan au moins vous interdit de le croire : l’hystérique guérit de ses symptômes, mais l’hystérie elle-même ne se guérit pas. Ce qui demeure, c’est ce qu’on peut appeler le mode de jouissance.

« Mode de jouissance » veut dire au moins que la jouissance ne se dit pas en un seul sens, comme l’être au sens d’Aristote. La jouissance est diverse, elle se dit en plusieurs sens et elle s’obtient de montages divers. Ces montages, Freud les a baptisés du nom de « pulsions ». Les pulsions sont des modes de jouissance, qui se rencontrent chez tous les sujets, dans des intensités variables. Freud a pu dire que la théorie des pulsions constituait une mythologie et que ses pulsions étaient des êtres mythiques, grandioses dans leur indétermination. Il est notable que Freud n’ait pas dit de ces pulsions, que nous ne sommes jamais sûrs de voir clairement, qu’elles étaient des hypothèses. Il les a qualifiées de mythes. Pourquoi dire « mythes » et non pas « hypothèses » ? Sans doute pensait-il à Éros et Thanatos, à ces références auxquelles il avait eu recours pour aller au-delà de ce que l’expérience permet d’observer. Sans doute voulait-il signaler ainsi que nous ne supposons pas les pulsions comme on peut supposer des hypothèses ou les forger, mais bien qu’elles s’imposent à nous. Même si nous ne savons qu’en faire, nous sommes contraints d’admettre que le sujet est serf d’une volonté de jouissance et, dans la pulsion, serf d’une volonté de jouissance qui n’est pas seulement un Wunsch, qui n’est pas simplement un désir qui se réalise en rêve. Que le mot de « mythe » ait été ici écrit par Freud, c’est sans doute assez pour nous justifier d’aller chercher une référence chez celui qui a renouvelé en notre temps la signification du mythe. J’ai nommé Claude Lévi-Strauss.

Au terme de sa prodigieuse enquête intitulée Mythologiques en quatre volumes et qui étudie des centaines et des milliers de mythes. Lévi-Strauss tire cette sorte de conclusion dans L’homme nu, le quatrième tome : « Pour tout système mythologique, il n’y a qu’une séquence absolument indécidable, qui se réduit à l’énoncé d’une opposition ou, plus exactement, à l’énoncé de l’opposition comme étant la première de toutes les données.»11 De cette énorme masse qu’il a formalisée, le voilà à la fin du quatrième volume dire qu’en définitive, la matrice, le noyau de tout système mythologique, c’est l’énoncé d’une opposition, indécidable dans la mesure où on ne peut pas lui assigner une valeur de vérité : on peut seulement dire : « cela est », « c’est là ». De ce qu’il lui semble constater au terme de son enquête, il suppose alors qu’il existe comme un appareil de savoir prédominé, fait avant tout d’oppositions, et qui s’enclenche suivant un programme inné quand les contingences en fournissent l’occasion. « Un appareillage d’oppositions, en quelque sorte monté d’avance dans l’entendement, fonctionne quand des expériences récurrentes actionnent la commande comme ces conduites innées qu’on prête aux animaux. »

A partir de ce noyau d’oppositions qu’il voit au mythe, il a une vision du mythe qui est essentiellement plurielle. Ce qui l’intéresse, ce ne sont pas ces mythes chacun unique, comme nous avons dans la psychanalyse, et qui sont par nous montés en épingle pour rendre compte de ceci ou de cela. Ce qui intéresse Lévi-Strauss, ce sont les mythes, les paquets de mythes, les mythes au pluriel. Il les conçoit comme s’engendrant les uns à partir des autres en fonction de cette opposition initiale : « C’est en appliquant systématiquement des règles d’opposition que les mythes naissent, surgissent, se transforment en d’autres mythes. » Il y a toute une végétation mythologique qui est au fond assez proche de ce que nous trouvons dans l’observation du petit Hans, et le point de vue que Lacan adopte là-dessus est, en raison de la clinique dit cas, la perspective lévistraussienne, d’ailleurs antérieure à L’homme nu.

Lévi-Strauss conclut par une sorte de loi du mythe qui est le binarisme, l’opposition binaire. C’est ainsi qu’on pourrait dire que pour Lévi-Strauss, le mythe est la forme épique donnée à la structure linguistique de Jakobson, « Pour qu’un mythe soit engendré par la pensée et engendre à son tour d’autres mythes, il faut et il suffit qu’une première opposition signifiante s’injecte dans l’expérience. D’où il résultera que d’autres oppositions s’engendreront à la suite. » Voilà la loi lévistraussienne du mythe ou des mythes. On pourrait s’arrêter là.

Néanmoins Lévi-Strauss dit quelque chose d’un peu différent à la page 539, où il ne parle plus simplement d’opposition. « Nous avons vérifié sur plusieurs centaines de récits en apparence très différents les uns des autres et chacun pour son compte fort complexe, que ces centaines procèdent d’une série de constatations en chaîne : il y a le ciel, il y a la terre. Entre les deux, on ne saurait concevoir de parité. Par conséquence, la présence sur terre de cette chose céleste qu’est le feu constitue un mystère. Enfin et du moment que le feu du ciel se trouve maintenant ici-bas au titre du foyer domestique, il a bien fallu que de la terre on fût allé au ciel pour l’y chercher. » 22 Il n’est pas là seulement question d’opposition. Il est question exactement de disparité.

C’est ce qui apparaît un peu plus tard lorsqu’il dit : « la séquence absolument indécidable se ramène, sinon à l’affirmation décidable qu’il y a un monde, au moins à celle que cet être du monde consiste en une disparité. » Voilà le mot que je retiens, qui n’est pas tout à fait le mot d’« opposition ».

Qu’est-ce qu’une disparité ? C’est sans doute une opposition, mais où il entre de l’inégal, où il entre une asymétrie. Le plus souvent. Lévi-Strauss note ses oppositions par [ + ] et [-], qui sont des termes réciproques et réversibles, par exemple, au regard de l’addition: [+] ajouté à [+] donne [ + ], [-] ajouté à [-] donne [-]. Mais ce ne sont pas des termes réciproques et réversibles au regard de la multiplication : [ + ] multiplié par [ + ] donne [ + ], mais [-] multiplié par [-] donne aussi [ + ], selon nos règles de fonctionnement.

Nous disons simplement que la disparité nomme l’asymétrie dans l’opposition. En effet, le haut et le bas, le ciel et la terre, ce n’est pas une opposition, c’est une opposition qui inclut une disparité. Et ainsi, la différence sexuelle telle qu’on l’appelle est toujours en définitive dotée d’une signification hiérarchisée dans le mythe. C’est un mythe dont déjà la petite Sandy, dont Lacan reprend l’exemple dans Le Séminaire. Livre IV, fait l’expérience cruelle : « peut-être que toutes les femmes sont malades », se demande-t-elle à deux ans et demi.

J’aime ce mot de « disparité » – défaut de parité, hétérogénéité, dissonance, dysharmonie. Même le mot « disparate », qui peut être adjectif ou substantif féminin, et qui a les meilleures références – Madame de Sévigné, le père André –, et qui désigne précisément ce qui n’est pas en accord, en harmonie avec un contexte, ce qui peut, c’est même un sens originaire, être extravagant. Le Robert cite Madame de Genlis : « Un contraste est agréable, une disparate est toujours choquante. »

Pourquoi ne pas dire que la jouissance est toujours la disparate ? Elle n’est jamais comme il faut. Nous pourrions aussi essayer de formuler un principe comme Lévi-Strauss : « là où il y a disparate, il y a jouissance ».

Ce pourrait être le principe d’une esthétique. Peut- être trouverait-on dans ce principe de la disparate le ressort du goût affirmé par Lacan pour le baroque, car le baroque est le nom d’une sublimation qui n’efface pas mais qui célèbre la disparate, tandis que mérite le nom de classique l’art qui résorbe la disparate dans l’harmonie. Peut-être le Romantisme, qui est vraiment notre philosophie du XIXe siècle3, peut-il être classé comme le retour du baroque, pour autant qu’il préserve toujours la place de la disparate, ne serait-ce que sous la forme de l’anacoluthe, cette rupture de construction dont Barthes signalait la présence constante dans La vie de Rancé. Si Stendhal qualifiait la politique de « coup de pistolet tiré au concert », il ne manquait pas, ce coup de pistolet, de le tirer régulièrement dans Le rouge et le noir comme dans La chartreuse de Parme, sans parler de Lucien Leuwen, oh c’est une véritable canonnade qu’il fait entendre. Dans le Romantisme, on a la place ménagée pour la disparate.

Mais laissons l’esthétique et cherchons dans notre clinique le témoignage de cette disparate. Ce témoignage, nous le trouvons dès l’entrée en analyse, qui peut bien être justifiée par les raisons les plus diverses – puisque justification il y a et que l’analyste exige qu’on lui dise le pourquoi. Qu’exigeons-nous en tant qu’analystes ? Que ces raisons se présentent toujours sous les espèces du symptôme, c’est-à-dire qu’une disparate se fasse jour à travers ces raisons. S’il n’y a pas de la disparate dans les raisons qu’on nous amène, nous sommes bien embêtés, de ne plus savoir quoi faire. Peut-être peut-on dire qu’il n’est point de demande que nous consentions à recevoir à moins qu’elle ne se fonde d’une disparate.

Encore faut-il que cette demande prenne forme de question – c’est tout un chemin que celui qui va de la demande à la question. Que la demande passe à la question, cela veut dire qu’elle ne stagne pas sous forme de la plainte, ce qui veut dire que les symptômes finissent par apparaître comme des phénomènes de savoir et que se pose la question : « Pourquoi ? Qu’est-ce que cela veut dire ? » Ces phénomènes de savoir, on peut les ranger sous la rubrique de l’énigme.

La disparate peut apparaître dans la pensée ou dans le corps comme une présence insistante de pensées qui m’encombrent, comme la perte inopinée de la maîtrise d’une partie du corps, ou encore comme le tourment que peut m’apporter l’intrusion d’un Autre, par exemple dans le champ du désir du partenaire. Ce que l’hystérique surtout nous apprend, c’est que la disparate qui fait énigme c’est la jouissance, par excellence. Les récits de séduction, de viol, d’abandon, le père qui n’est pas assez là pour interdire ou qui serre lui-même de trop près la fille, illustrent un fait constant, que l’on peut dire primaire, que la sexualité se présente essentiellement toujours par sa face de traumatisme, par son côté disparate, au moins. Ce n’est jamais la bonne: mesure – c’est trop, ce n’est pas assez quant à la quantité, c’est trop tôt ou trop tard quant au temps, ce n’est pas à la bonne place quant au lieu. On peut énumérer ainsi tontes les modalités de l’insatisfaction – bref, ce n’est jamais la bonne. Et quand c’est la bonne, comme il peut arriver dans la perversion au gré du sujet, d’un côté, elle est réprouvée, de l’autre, il faut que ce soit trop pour être juste assez.

C’est ce qui fait la tromperie fondamentale de l’oracle de Delphes, si présent dans les mythes antiques. Sa tromperie quant à la jouissance, quand cet oracle formule comme un principe : « Rien de trop ». C’est un principe qui est trompeur quant à la jouissance. J’évoque l’oracle parce que le trop, l’excédent, le plus-de-jouir se traduit dans le savoir en termes d’énigme. D’où le rêve de jouir sans se poser de questions – ce qui d’ailleurs n’est pas impossible, mais un moment. Ça ne dure pas. La question refoulée revient et se fait d’autant plus terrible.

Ne serait-ce pas cela, au moins pour nous, la disparité originelle ? Celle que le signifiant met au principe du mythe. Non pas l’opposition signifiante, non pas le binarisme tranquille, mais la disparité entre le signifiant et la jouissance, cette disparité où la jouissance fore sa place dans le signifiant. Ce serait dire qu’il n’y a pas de signifiant de la jouissance, qu’il n’y a pas de signifiant qui lui soit adéquat – il ne manque pas de prétendants à être le signifiant de la jouissance, mais il n’y a pas à proprement parler de signifiant de la jouissance, il n’y a pas de signifiant qui puisse résorber la disparate de la jouissance. Cela veut dire qu’il n’y a pas de signifiant qui la calcule, pas de signifiant qui la compute, bien que Freud ait rêvé d’une libido qui serait une constante – mais c’est qu’il en trouvait le symbole dans le phallus.

S’il n’y a pas de signifiant de la jouissance, alors la conséquence est bonne qui pose la fatalité du factice, qui pose qu’il y a dans le monde « quelque chose de plus que ta philosophie, Horatio », qui pose même qu’il se pourrait bien qu’il y ait « quelque chose de pourri au royaume de Danemark », sans que l’on sache très bien si c’est la vraie vie qui est ailleurs, ou peut-être seulement un cadavre dans le placard.

Il n’y a pas de signifiant de la jouissance, c’est ce qui est au principe de l’hystérie, qui ne sait pas seulement ne pas savoir, mais qui sait encore qu’il y a mensonge, qu’il y a tromperie sur la marchandise, qu’il y a erreur sur la personne, que les dés sont pipés. Il n’y a pas de signifiant de la jouissance, ce n’est pas moins au principe de la laborieuse obsession, qui s’évertue à réitérer son effort d’inscrire la jouissance dans le signifiant sans y parvenir davantage qu’Achille à rattraper la tortue. L’effet de faux qui s’ensuit du manque de signifiant de la jouissance ouvre ici à une vérification infinie. C’est sans doute parce que le signifiant ment ou qu’il manque la jouissance qu’en tant qu’analyste, vous incarnerez plus facilement le savoir à rester muet plutôt qu’à bavarder. Et quand vous avez à parler en tant qu’analyste, il me semble qu’il faut encore que votre parole n’annule pas votre silence mais qu’elle l’entoure, qu’elle l’abrite, qu’elle protège votre silence, qu’elle préserve la place de ce qui ne peut se dire. C’est très curieux qu’on appelle cela l’interprétation. On l’appelle interprétation sans doute par antiphrase, alors que c’est une énigme. Au fond, l’interprétation de l’énigme dans la psychanalyse, c’est encore une énigme : c’est l’énigme reportée, transformée, traduite, et peut-être par un système comme ceux qu’évoque Lévi- Strauss. Sans doute, dans la traduction d’une énigme en une autre, y a-t-il effet de sens.

Dans un discours, cela ne peut s’atteindre sans détours, car l’objet dont il s’agit est identique à ces détours eux-mêmes. C’est ce que Lacan notait des complications de tel rêve rapporté par Freud dans la Traumdeutung : ici, l’objet est identique aux détours. Cela me paraît précisément vrai dans ce dont il s’agit dans les rapports du signifiant et de la jouissance : on ne peut pas faire l’économie des détours. Si vous ne faites pas l’interprétation par énigme, elle se fera finalement le plus souvent entendre comme insulte.

La jouissance ne peut être cernée dans un discours qu’à faire sa place à la disparate. Il me semble qu’il y a là le paradoxe d’une structure à disparate qui impose sa logique, quoi qu’en ait le théoricien de la psychanalyse: il n’y a pas de théorie de la jouissance sans un terme disparate.

Lacan va dans un premier temps tenter de théoriser la jouissance en tant que libido selon Freud : libido du moi qui flue vers les objets et qui peut revenir sur le moi. Le site premier de la libido freudienne chez Lacan c’est, je l’ai développé dans mon cours, le rapport a – a’, l’axe imaginaire. Voilà selon toute apparence, c’est pourquoi il est séduisant, un schéma de réversibilité, un schéma qui est tout le contraire de la disparité. C’est un schéma, au contraire, d’opposition entre a et a’, mais où on suppose avec Freud que la libido va d’un côté et de l’autre et se distribue. Mais en fait, on constate que la théorie de l’antinomie se reporte sur les deux termes, à savoir qu’ils sont liés par un « toi ou moi » mortel. En définitive, on théorise cette relation comme agression, agressivité, intention agressive et, même si ça a l’air réversible et réciproque, il y a une disparité fondamentale entre les termes, puisque l’un est toujours de trop. Ainsi, même au moment où semble s’établir la paix duelle de la libido, la pulsion de mort accompagne Éros comme son ombre et marque que la jouissance reste impensable comme harmonie.

Deuxièmement, il est venu à Lacan d’incarner la jouissance dans le phallus comme symbole de la libido. Et ce symbole, il le dit dans Le Séminaire, Livre IV, être un élément tiers et médiateur. Mais en fait, dans son élaboration, il ne le découvrira pas du tout comme un élément médiateur, mais bien comme un élément disparate parce qu’exactement sans pair : lui élément disjoint et disparate, au fond peut-être assez semblable à ce feu du ciel tombé sur la terre, puisque le phallus selon Lacan est un Janus, à la fois imaginaire et symbolique, et peut-être aussi bien ni… ni. En effet au cours du travail même de Lacan, la logique de la jouissance lui impose de faire de ce phallus un terme trop à part pour être vraiment inclus dans l’imaginaire du corps : la jouissance fait le phallus hors-corps, et pas non plus à sa place dans le symbolique comme signifiant de la jouissance, parce qu’en définitive, réfractaire à la barre de la négation.

Troisièmement, plus près sans doute de la disparate de la jouissance, est l’invention du symbole de l’excès, du trop comme tel, symbole paradoxal puisque ce n’est pas un signifiant mais qu’il est coordonné à lui: c’est le symbole dit petit a. Certainement, ce que Lacan a appelé la structure du discours nous donne l’exemple d’une structure à disparate, puisque les trois termes St. Si, sont

homogènes c’est simplement une case vide – alors que le terme petit a, lui, est disparate par rapport aux trois autres. Je ne développerai pas l’écriture des discours ni ces ternies, j’attirerai seulement l’attention sur des conséquences qui ne sont peut- être pas toujours exactement aperçues.

Il me semble que la structure comme disparate du discours implique, premièrement, que la jouissance au sens de Lacan n’est pas la libido au sens de Freud. D’abord parce que la jouissance au sens de Lacan n’est pas une énergie : elle n’est pas constante et elle n’est pas, même mythiquement, numérable, dénombrable.

Deuxièmement, cela implique que l’on distingue le mode phallique de jouissance et les autres modes, non phalliques. En effet, c’est le mode phallique de la jouissance qui fait croire que la jouissance a un symbole et sans doute en a-t-elle un, mais il est seulement de semblant.

Troisièmement, cette structure à disparate implique la conjonction de la répétition et de la jouissance. Cela ne va pas du tout de soi dans l’enseignement de Lacan, parce qu’on peut dire qu’au contraire, son point de départ était que la répétition est symbolique tandis que la jouissance est imaginaire, et que c’est à proprement parler pour lui au départ capital de souligner que l’inconscient est mémoire. À l’autre terme de son enseignement, il est conduit à formuler que c’est la pulsion qui est mémoire. Dans Le Séminaire VII, L’éthique de lu psychanalyse, qui sert souvent de référence, on trouve la notion d’une antinomie entre mémoire et satisfaction. Il formule que « la remémoration est rivale des satisfactions qu’elle est chargée d’assurer »4 C’est là formuler fort bien les leçons des Cinq essais sur la théorie de la sexualité, à savoir que la mémoire inconsciente, la mémoire des premiers objets d’investissement libidinal fait obstacle à la jouissance libre des objets nouveaux, de l’autre côté de la période de latence. C’est donc formuler que la mémoire inconsciente est obstacle à la jouissance – trop de mémoire nuit. Et certes, on pourrait dire que l’objet perdu est dit perdu par antiphrase, dans la mesure où il n’a jamais été autant là que depuis qu’il a été perdu. On peut dire que la mémoire inconsciente est un obstacle à la jouissance qui serait la bonne.

Mais si on considère que la disparate est interne à la jouissance, que ça ne va jamais dans le jouir, alors, ce qui semble faire obstacle à la jouissance, c’est le chemin lui-même. C’est-à-dire, pour être plus précis, que l’interférence de la mémoire inconsciente dans la « bonne jouissance » fait partie intégrante des conditions de la jouissance effective. C’est elle qui détraque la jouissance qui serait la bonne.

Il semble que cette conjonction de la répétition et de la jouissance est quelque chose qui reste à penser dans ses conséquences, dans la mesure où elle fait de la pulsion la mémoire par excellence, où on verrait que la pulsion est tenue beaucoup plus serrée par la mémoire que le désir qui a sa marge et ses jeux. Cela fait une grande difficulté que cette connexion, cette conjonction de la répétition et de la jouissance, parce qu’on a pris l’habitude de penser la jouissance en termes de fixation, et on met donc ses espoirs dans le signifiant, dans la chaîne signifiante, dans la mobilité du signifiant, dialectique, logique. Si la jouissance est fixation, et le signifiant, mobile, on peut légitimement espérer traiter la jouissance par le signifiant.

Déjà Lacan avait attiré notre attention sur le fantasme comme coalescence du signifiant et de la jouissance. En vrai c’est bien pire comme perspective : c’est le signifiant complice de la jouissance. C’est l’ordre signifiant qui appelle le savoir comme moyen de la jouissance, solidaire de la jouissance. C’est connu lorsqu’on découvre à la fin du roman que c’est le directeur de la police qui est ce fou meurtrier qu’on cherche depuis le début. C’est d’ailleurs exactement la découverte que vous fait faire Lacan à propos du surmoi : vous croyiez que le surmoi était là pour interdire la jouissance, et Lacan vous découvre qu’au contraire, c’est le surmoi qui supporte l’impératif catégorique de la jouissance.

Je dis que cette perspective reste à mesurer, à prolonger, parce qu’elle nous pose la question des moyens, des perspectives de la pratique analytique. Sommes-nous bien sûrs que l’analyse soit une entreprise épistémique, qu’elle se fasse pour le savoir ? Ne nous vient-il pas le soupçon qu’elle se fait pour la jouissance ? Après tout, ce que Freud a appelé névrose de transfert était sans doute une façon de le découvrir. Cela ne nous inquiète-t-il pas parfois, le « jouir par l’analyse » ? Est-ce un phénomène marginal, limite, ou est-ce un phénomène central ? Il me semble que pour Lacan c’était un phénomène central et qu’il en avait changé sa définition de l’inconscient en faisant de l’inconscient, si je puis dire, du signifiant à jouir.

  1. Cl. Lévi-Strauss. Mythologiques. Tome IV. « L’homme nu », pp. 538-540. ↩︎
  2. Ibidem, p. 539. ↩︎
  3. Chez les Allemands, on suit la philosophie du XlXe siècle chez les philosophes. En Franco on suit la grande philosophie essentiellement chez les poètes et les artistes, et spécialement chez les Romantiques. ↩︎
  4. J. Lacan. Le Séminaire, Livre VII, L’Ethique de la psychanalyse. Seuil. Paris, p. 262. ↩︎
dimanche 13 octobre 2024 · 07h02

vis ma vie de blog, transe, carcan et parataxe

13 oct 24

7h 22, éveillée depuis 3h du mat, je vais bientôt me recoucher. Découragée par la façon dont je fais avancer le travail sur le blog. Hier, attardée toute la journée sur… le mois de janvier 2023! Cela en dépit des décisions et du travail de la veille, cela probablement parce que je venais d’importer ce mois dans le blog depuis Evernote (via Diarium). Quelque chose attire mon attention, je n’y résiste pas. Ce peut être n’importe quoi à proprement parler : c’est pur et simplement l’impulsion de la pulsion et je je m’empare de  strictement n’importe quel objet : qu’il s’agisse d’un problème de fond ou de forme, il faut que je m’y attelle sans tarder. Cela me met dans un état de transe que rien n’arrête. Cela n’est pourtant pas tout à fait sans cause particulière, cela n’est pas tout à fait indifférent, me dis-je pour me rassurer, (cela peut-être se rattache-t-il à un projet plus grand que moi, qui me dépasse, peut-être faut-il que j’y croie, à ce qui en moi serait plus grand que moi, quoi donc, sinon : tu vas mourir et il ne restera rien de toi), il s’agissait tout de même, hier comme la veille, d’un regard en arrière, d’un regard sur ce que j’ai pu écrire, voulu écrire, d’un sentiment d’effroi à voir le peu qui reste, à voir tout ce qui est perdu et la prise alors démesurée d’une envie de compléter, d’aboutir à quelque chose qui soit, in fine, tout simplement, lisible. Puis, quand la nuit vient, la tristesse m’envahit, le désarroi, le sentiment d’avoir été menée par le bout du nez, de n’avoir pas vu le jour passer, de m’être une fois de plus laissé dériver, désamarrée.  Comment y consentir, à cette façon d’avancer dans la dérive ? Ou comment ne pas écouter le jugement que je porte sur moi et mener le projet jusqu’au bout, dans la dérive mais les rives de ce blog. Comment consentir à cette jouissance plus forte que moi. Pourquoi ne pas y consentir. C’est que le projet est démesuré. Je me rassure, je me dis :  commence par un mois, commence par une semaine, choisis un seul sujet, fixe-toi une année. Cela déjà, sera bien. Or je sais que je ne peux compter sur cet engagement. 

l’objet blog

Dès que j’ai cet objet du blog en main, dès que je me mets à le manipuler, tout m’y intéresse, tout m’appelle. Je n’ai aucun sens d’aucune priorité, valeur. Cette nuit, avant que je ne me lève, j’étais une fois de plus tenue éveillée à la pensée de sa mise en page. Je rêve maintenant de quelque chose de beaucoup plus épuré, je rêvais de noir et blanc, je voyais  ce que je voulais, touy en étant posséder âr  que l’envie d’ajouter encore des images. Il faut probablement que je parle de la virtualité de cette objet, de ses possibles, de l’impossible de ses possibles, et e ses modifications constantes. Mais pour en dire quoi? Et c’est parce qu’il s’offre à être perpétuellement retravaillé, je rêve de le voir imprimé, fini. Mort terminé détaché. Détaché de moi, sorti de ma tête, manipulable par les autres. Si je pouvais arriver à ça.  Une petite part, l’en détacher, en faire une petite publication séparée, qui existe dans le monde, qui puisse être tenu en main, qui prenne de la place, physiquement, que je puisse envoyer à des amis, etc.

Je songeais cette nuit aussi à cette notion découverte hier dont j’oublie à l’instant le nom, à propos de la révolution induite à la littérature par Mallarmé. Le parataxe… Donner forme au manque de liens de coordination, de subordination. Accepter la juxtaposition d’éléments disparates. C’est là me disais-je que le carcan WordPress est pesant, qui voudra tout afficher à l’intérieur d’un modèle, qui supporte de moins en moins les personnalisations des uns et des autres (comme ce que dénonce Olia Lialina depuis des années), car on voudrait que ce vide qui relie les choses les unes aux autres s’affiche, se voie. On voudrait aussi que l’espace qu’il prenne soit lié aux particularités des éléments qu’il sépare et relie. Comment afficher la disparité, comment laisser la place au vide. Comment le supporter au coeur même de sa vie. Je songe donc à ce carcan de WordPress et je suis découragée. Carcan que j’ai recherché, voulu, voulu imposer à l’espace de l’écriture. Espace de l’écriture sur écran. Espace devenu immaitrisable aujourd’hui, à cause de la diversité de taille des écrans et des navigateurs. Et je me dis qu’il ne me reste que le papier. 

Il reste le papier : Je n’y arrive pas. Je n’arrive pas à sortir de cette boule de blog un extrait, à m’en séparer, à le faire exister ailleurs, IRL. Le blog, c’est ma poche.

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