mardi 2 mai 2006

symptôme et sinthome // désir et jouissance

je suis payée pour lire :

« Cette différence, propre à Lacan, du symptôme et du sinthome, nous montre bien pourquoi nous avons aussi besoin de deux termes comme ceux de désir et de pulsion. Le désir a ses intermittences tandis que la pulsion a sa constance. Il y a du côté du désir tout un jeu de masques et il est incessamment travaillé par une négativité interne, si je puis m’exprimer ainsi, alors que, du côté de la pulsion, nous avons une positivité plus ou moins grande.

Du côté symptôme et vérité, tout repose sur le manque. Du côté sinthome et jouissance, il n’y a pas de manque.

Du côté du symptôme, c’est la répétition de la rencontre manquée, une répétition de l’évitement, tandis que du côté du sinthome, c’est la répétition de ce qui soutient le sujet dans l’être, et pourquoi tout lui est bon. Ce n’est qu’en termes économiques qu’on pourra ici parler de plus et de moins. »

Conclusion des Leçons du sinthome, Journées ECF 2005, Jacques-Alain Miller

symptôme
désir
négativité interne
manque

sinthome
pulsion
positivité
pas de manque

mardi 6 janvier 2009

Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons

même l’ignorance ne peut rien contre cela qui nous environne. tu pleurais hier soir. petit. viens encore. pleure. petit. dis. la maladie aussi nous attend. il faudra du courage, encore dire oui. nous ne sommes responsables que de nous-mêmes, c’est ce que je crois. la lumière est dedans. la lumière est dehors.

 vouloir ce qui est proche, vouloir ce qui vous arrive, même qui vous arrive à l’improviste, et vous fait mal

« La joie est l’affect spinoziste du rapport au réel, l’affect auquel on peut atteindre lorsqu’on ne croit plus aux caprices du sort, mais lorsqu’on s’égale à lui, que l’on s’accorde avec lui, sur un mode qui est proche de l’éternel retour de Nietzsche : vouloir ce qui est proche, vouloir ce qui vous arrive, même qui vous arrive à l’improviste, et vous fait mal.» Jacques-Alain Miller, « Les us du laps », 26 janvier 2000.

mardi 7 juillet 2009

(où il est question de l’abjection)

la journée d’hier s’est extrêmement bien terminée (une fois que j’ai eu fini d’écrire ici, et que je sois allée à mon rendez-vous psy).

réveillée ce matin en sursaut à quatre heures et demi en pensant à « l’abject ».  à « l’abjection » dont parle miller   dans son dernier cours de cette année, comme d’un concept auquel lacan tenait particulièrement. à cette lecture je m’étais demandée où se se situerait l’abject dans ma vie, où je situerais l’abject dans ma vie…

 » […] et ne me fit qu’une seule recommandation (à propos de l’index des Écrits) : ‘Ça doit commencer par le mot abjection’. […] et Lacan voulait que ce soit l’alpha sinon l’oméga de son enseignement. […] D’une façon générale, la jouissance a ses racines, plonge dans l’abjection. Quels sont les antonymes de ce mot ? La dignité. L’honneur. […] Dans l’expérience analytique, ce qui concerne le plus intime de la jouissance prend toujours la forme de l’aveu de ce qui mérite d’attirer mépris, opprobre, comme l’indique le dictionnaire, l’abjection étant l’extrême degré de l’abaissement. Le sujet du signifiant, celui de la parole, n’y touche, ne consent à s’avouer son rapport avec qu’en témoignant que la répulsion accompagne, est inséparable de l’attirance invincible qu’il éprouve dans ce rapport. » Jacques-Alain Miller, cours du 10 juin 2009

mardi 6 octobre 2009

Que nul n’entre dans le XXIe siècle s’il n’est hypomane…

Are Mokkelbost (b-o-r-g.org), Entity 12

La communication immédiate caractérise l’époque, pour le meilleur et pour le pire. Elle a du bon : augmentation de notre puissance d’agir, liberté croissante, agilité, faculté permanente de faire salon, mise en commun des ressources intellectuelles, la vie quotidienne vécue à plusieurs… enfer ou paradis… […]

Le pire ? Pas de doute, c’est une tyrannie. La contemplation, la méditation, la mélancolie, l’acédie, la dépression, l’otium, le loisir, la lenteur, les langueurs, le flâner, le musarder, le baguenauder, le glander, non pas seulement le dimanche de la vie de la triade sacrée Hegel-Kojève-Queneau, mais même le sacro-saint Week-end franchouillard, et, par dessus le marché, « les sanglots longs des violons de l’automne… » – toutes ces institutions augustes de la pensée, et de la sensibilité fléchissent sous les assauts incessants du signifiant toujours dispo. Que nul n’entre dans le XXIe siècle s’il n’est hypomane…

L’appareil dit nomade, ou portable, si serviable, corvéable à merci, jamais un mot plus haut que l’autre, a fait son nid dans notre cervelle, il y a pondu ses oeufs, il y est désormais accroché comme une tique à la peau d’un chien. Alléluia ! un nouvel organe nous est poussé, Notre cher et vieux In-der-Welt-sein s’en trouve chaviré de façon irréversible. Quelque chose du rapport du Dasein à l’espace et au temps, resté intouché depuis l’origine, a été pollué, qu’aucune écologie ne nous rendra pur. Des constantes anthropologiques parmi les plus assurées, ont désormais la danse de Saint-Guy.

Le monde de la longue durée n’a pas disparu, non. Il n’est pas englouti comme l’Atlantide, non. Il est toujours là, oui. Il survit, il vivote, il papote, il tremblote, il est passé au rang de patrimoine. Il fait l’objet de tendres nostalgies, il est le ressort de résistances féroces, mais tout le monde sent bien que c’est une cause perdue, comme la monarchie héréditaire et l’Algérie française. Tout doucement, il sort de l’actualité, il s’efface, fade away… Bientôt, demain, tout à l’heure, il sera hors service, honoré, muséifié. Tel le Roi d’Egypte, c’est « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui » qui triomphe au son des trompettes d’Aîda.

Rien à voir avec l’éternel présent du « Sonntag des Lebens », où l’on se prélassait aux frais de la princesse. Quelle princesse ? Prinzessin Geschichte, la princesse Histoire, venue à bout de course, et retirée des affaires du monde. La vieille coquette entretenait dans sa thébaïde un gigolo fourbu, Herr Geistes, qui passait son temps à siroter des apéros dans un petit caboulot, en racontant les bobards de ses hauts faits. Enfin Georg Wilhelm Friedrich Hegel vint. Il prit au sérieux le vieux cabot, et se fit son amanuensis, comme le furent pour Socrate, Samuel Johnson et Napoléon, Platon, Boswell et Las Cases. Sur une île déserte, qu’emporterais-je plus volontiers ? La Phénoménologie de l’Esprit, ou Casanova, l’Histoire de ma vie ? Plus de concepts d’un côté, de femmes de l’autre. Au fond, avec la Bible, on a les deux. Voilà pourquoi ce bouquin a tant de fans.

Notre présent à nous est parcouru des secousses instantanées. Valéry disait déjà de Bossuet : « il spécule sur l’attente qu’il crée, tandis que les modernes spéculent sur la surprise ». L’instant impensable, impalpable, et informe, ne règne, ni ne triomphe, car, pour ça, il faudrait encore qu’il durât. Il fulgure. Il n’a pas plus de réalité dans le temps que le point dans l’espace. L’instant est dématérialisé, et, nous qui vivons au rythme du signal instantanée, il nous dématérialise à sa suite. La séance avec Lacan, telle que je l’imagine, n’était pas « courte », elle était instantanée, dématérialisante.

Ah ! mais… voilà pourquoi ce grand appétit de « Journées », de raouts, de fêtes – de rencontres, dit Z* : apporter son corps, trouver des corps…

Jacques-Alain MillerExtrait du Journal des Journées n°32 du mardi 6 octobre

mercredi 3 août 2011

Jacques-Alain Miller, Lire

« … Et donc, tout bien pesé, j’ai choisi le titre suivant : lire un symptôme, to read a symptom. Ceux qui lisent Lacan ont sans doute ici reconnu un écho de son propos dans son écrit ‘Radiophonie’ que vous trouvez dans le recueil des Autres Écrits, page 428. Il souligne là que le juif est celui qui sait lire. C’est ce savoir lire qu’il s’agira d’interroger en Israël, le savoir lire dans la pratique de la psychanalyse. Je dirais tout de suite que le savoir lire, comme je l’entends, complète le bien dire, qui est devenu parmi nous un slogan. Je soutiendrais volontiers que le bien dire dans la psychanalyse n’est rien sans le savoir lire, que le bien dire propre à la psychanalyse se fonde sur le savoir lire. Si l’on s’en tient au bien dire, on n’atteint que la moitié de ce dont il s’agit. Bien dire et savoir lire sont du côté de l’analyste, c’est son apanage, mais au cours de l’expérience il s’agit que bien dire et savoir lire se transfèrent à l’analysant. En quelque sorte qu’il apprenne, hors de toute pédagogie, à bien dire et aussi à savoir lire. L’art de bien dire, c’est la définition de cette discipline traditionnelle qui s’appelle la rhétorique. Certainement la psychanalyse participe de la rhétorique, mais elle ne s’y réduit pas. Il me semble que c’est le savoir lire qui fait la différence. La psychanalyse n’est pas seulement affaire d’écoute, listening, elle est aussi affaire de lecture, reading. Dans le champ du langage sans doute la psychanalyse prend-elle son départ de la fonction de la parole mais elle la réfère à l’écriture. Il y a un écart entre parler et écrire, speaking and writing. C’est dans cet écart que la psychanalyse opère, c’est cette différence que la psychanalyse exploite.

[…]

Lire un symptôme […] consiste à sevrer le symptôme de sens. C’est pourquoi d’ailleurs à l’appareil à interpréter de Freud – que Lacan lui-même avait formalisé, avait clarifié, c’est-à-dire le ternaire œdipien – Lacan a substitué un ternaire qui ne fait pas sens, celui du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Mais à déplacer l’interprétation du cadre œdipien vers le cadre borroméen, c’est le fonctionnement même de l’interprétation qui change et qui passe de l’écoute du sens à la lecture du hors-sens.

Quand on dit que la psychanalyse est une affaire d’écoute, faut s’entendre, c’est le cas de le dire. Ce qu’on écoute en fait c’est toujours le sens, et le sens appelle le sens. Toute psychothérapie se tient à ce niveau-là. Ça débouche toujours en définitive sur ceci que c’est le patient qui doit écouter, écouter le thérapeute. Il s’agit au contraire d’explorer ce qu’est la psychanalyse et ce qu’elle peut au niveau proprement dit de la lecture, quand on prend de la distance avec la sémantique – là je vous renvoie aux indications précieuses qu’il y a sur cette lecture dans l’écrit de Lacan qui s’appelle « l’Etourdit » et que vous trouvez dans les Autres Ecrits page 491 et suivantes, sur les trois points de l’homophonie, de la grammaire et de la logique.

La lecture, le savoir lire, consiste à mettre à distance la parole et le sens qu’elle véhicule à partir de l’écriture comme hors-sens, comme Anzeichen, comme lettre, à partir de sa matérialité. Alors que la parole est toujours spirituelle si je puis dire et que l’interprétation qui se tient purement au niveau de la parole ne fait que gonfler le sens, la discipline de la lecture vise la matérialité de l’écriture, c’est-à-dire la lettre en tant qu’elle produit l’événement de jouissance déterminant la formation des symptômes. Le savoir lire vise ce choc initial, qui est comme un clinamen de la jouissance – clinamen est un terme de la philosophie des stoïciens.

L’interprétation comme savoir lire vise à réduire le symptôme à sa formule initiale, c’est-à-dire à la rencontre matérielle d’un signifiant et du corps, c’est-à-dire au choc pur du langage sur le corps. Alors certes pour traiter le symptôme il faut bien en passer par la dialectique mouvante du désir, mais il faut aussi se déprendre des mirages de la vérité que ce déchiffrage vous apporte et viser au-delà la fixité de la jouissance, l’opacité du réel. Si je voulais le faire parler, ce réel, je lui imputerais ce que dit le dieu d’Israël dans le buisson ardent, avant d’émettre les commandements qui sont l’habillage de son réel : « je suis ce que je suis ». »

→ lire l’intervention de jacques-alain miller au congrès de la NLS en avril 2011 sur le site de l’AMP

vendredi 26 avril 2013

La pudeur est la forme royale de ce qui se monnaie dans les symptômes en honte et en dégoût.

« Le désir n’a rien à voir avec l’instinct, guide de vie infaillible, qui va droit au but, qui conduit le sujet vers l’objet dont il a besoin, celui qui convient à sa vie et à la survie de l’espèce. Même si l’on cherche son partenaire dans la réalité commune, l’objet du désir se situe dans le fantasme de chacun. Le Séminaire1,  cherche à expliciter la dimension du fantasme : à ce niveau-là, il y a entre le sujet et l’objet un ou bien – ou bien.

Au niveau de ce que l’on a appelé la connaissance, les deux, sujet et objet, sont adaptés l’un à l’autre, il y a coaptation, coïncidence, voire fusion intuitive des deux. Dans le fantasme, en revanche, il n’y a pas cet accord, mais une défaillance spécifique du sujet devant l’objet de sa fascination, un certain couper le souffle. Lacan parle de fading du sujet, du moment où celui-ci ne peut pas se nommer. C’est représenté dans le roman par le fait que les personnes ne sont pas nommées, restent anonymes, et que la qualité de père et celle de fille ne sont exprimées que de la façon la plus fugitive. Il y a seulement la fameuse « différence des sexes».
Il y a dans le Séminaire une phrase qui dit : « La pudeur est la forme royale de ce qui se monnaie dans les symptômes en honte et en dégoût». Entendons que la pudeur est la barrière qui nous arrête quand nous sommes sur le chemin du réel.
Une semaine de vacances va au-delà de la barrière de la pudeur, et s’avance dans la zone où c’est habituellement le symptôme qui opère, par la honte et par le dégoût.
Là, on rencontre un père, le Il du roman, qui hait le désir : ce qui l’occupe, c’est la jouissance. On le mesure à ce qui provoque son éclipse à la fin : Elle lui raconte un rêve, soit un message de désir à décrypter, et aussitôt l’humeur de Il change : il est outré, vexé, furieux, il se tait, il boude. Le désir, sous la forme du rêve, vient gâcher la fixité de sa jouissance. Fixité que supporte la répétition, dont Camille Laurens explore par ailleurs les pouvoirs. Ici, la jouissance revient comme une mélopée insistante. Le clivage entre désir et jouissance est rendu palpable, la jouissance étant une boussole infaillible, à la différence du désir. »
Jacques-Alain Miller, « Nous n’en pouvons plus du père », Lacan Quotidien n° 317, http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2013/04/LQ317.pdf

Notes:
  1. Il s’agit du séminaire à paraître en juin 2013, Le désir et son interprétation, texte établi par Miller J.-A., La Martinière & Le Champ freudien []
vendredi 30 janvier 2015

les bonnes intentions que Lacan n’avait pas

Tandis que Lacan, lui, il étend son « je suis méchant » à la position du sujet, je ne dirais pas de l’inconscient, mais à proprement parler il l’étend au sujet de la pulsion.

Cette « inversion de la paranoïa », si on l’isole ainsi, permet de mettre en série nombre d’énoncés de Lacan avec lesquels il jouait à surprendre, scandaliser, émouvoir son auditoire. Par exemple, quand il lui arrive de dire « Je n’ai pas de bonnes intentions » et même « à la différence de tout le monde », il parade en être méchant. N’oublions pas que les bonnes intentions, on dit que l’enfer en est pavé, on n’a pas attendu Lacan pour s’en méfier de la bonne intention. La bonne intention s’établit sur la supposition que je connais ton bien. C’est en raison de cette supposition gratuite, hasardeuse, cette supposition qui nie l’absolue altérité, c’est en fonction de cette supposition que je peux imaginer que mon intention est bonne, et par-là déployer à l’endroit de cet Autre que je crois connaître comme ma poche, tous les ménagements voire m’offrir à me sacrifier ou du moins au moins à me contraindre. À cet égard, ne pas avoir de bonnes intentions est de l’ordre de la salubrité. Ça veut dire : je ne préjuge pas de ce qu’est ton bien. Et pour l’analyste, il faut bien dire que c’est de tous les instants qu’il a à se méfier de ses bonnes intentions puisqu’on vient lui demander son aide et qu’il est par fonction préposé à faire le bien de l’Autre, il est requis dans cette fonction. C’est le fruit d’une discipline que de ne pas s’autoriser de cette présomption pour commencer par s’abstenir du savoir du sens commun.

C’est d’autant plus essentiel quand ce qui est en question, c’est le choix d’objet du patient, quand l’affaire concerne le lien que le patient a noué avec un partenaire : mari, épouse, concubin, compagne, et qu’il vient s’en plaindre, ou même s’il ne s’en plaint pas que l’analyste est conduit comme invinciblement à désapprouver, à considérer que, de toute évidence, il y a là un lien nocif ou pathologique et que, d’une façon ou d’une autre, il s’emploierait à le dénouer, à l’aider à se dénouer. Or c’est là que s’impose le précepte « Tu ne jugeras point » où il importe que l’analyste ne fasse pas confiance à ses préjugés de sens commun, et que si deux se sont retrouvés il vaut mieux partir de l’idée qu’il y a un niveau où ces deux-là se conviennent. Là, c’est toujours dans ce registre que la bonne intention de l’analyste s’expose à des retours qui surprennent, que de voir que débarrassé du partenaire, le sujet se trouve réduit ou à l’errance ou à un malaise, un malheur encore plus intense.

Le bonheur pour un analyste, ça n’a rien à voir avec se sentir bien, être heureux. Il y a un niveau où le sujet est heureux et qui n’a rien à voir avec aucun bien-être. Le bonheur se trouve au niveau de la pulsion et au niveau d’une expérience dont on doit supposer qu’elle satisfait puisque tout est bon pour qu’elle se répète et rien n’implique que cette expérience s’éprouve comme bien-être. Le bonheur repose sur l’égoïsme de la pulsion, qui trouve sa satisfaction en elle-même sur le modèle d’une boucle. C’est ainsi que Lacan avait donné comme paradigme de la pulsion le propos de Freud sur la pulsion orale dont la satisfaction évoquait la bouche qui s’embrasse elle-même. La subversion freudienne du sujet conduit à poser la solitude du sujet au niveau de sa jouissance. Et cette solitude du sujet au niveau de sa jouissance est corrélative de sa méchanceté foncière. La pulsion n’est pas humaniste, si je puis dire.

Vie de Lacan, Jacques-Alain Miller

(en réponse à ça )

dimanche 8 mars 2015

«Un répartitoire sexuel» par Jacques-Alain Miller – I

J’ai terminé le cours de la dernière fois par un dialogue que m’apportait l’actualité. Une dame dit – Je suis prête à tout. Et le monsieur répond, en manière d’objection – Plutôt à pas tout.

L’apologue de la dame au volant

Cela m’a été illustré il y a un instant, au moment où je me précipitais vers ce lieu, conduit par une dame. J’arrive un tout petit peu plus tard que je n’arrive en retard d’habitude. C’est que nous avons été arrêtés par la police.

Je suis encore sous le coup de la surprise de l’énumération qui est sortie de la bouche du Pandore de service, qui, sautant au bas de sa petite camionnette, dans un bel uniforme, a énuméré à ma compagne une liste impressionnante des infractions qu’elle venait de commettre depuis un kilomètre – d’avoir doublé à gauche, coupé la route de la camionnette policière, changé de file continûment, jusqu’à ce que, finalement, ils réussissent à la rattraper, et à signaler que le retrait de permis de conduire s’imposait. Ce qui n’a rencontré aucune objection, que sourire, que désolation, que soumission. Et, à ma stupéfaction, après le savon qui a été là passé – moi, je me faisais tout petit, me réservant, si nous étions emmenés, d’alléguer la désolation qui se serait répandue dans cette salle, et la mauvaise image qui en serait résultée pour les forces de l’ordre –, on s’en est tiré.

C’est sans doute que j’étais conduit par une dame presque prête à tout pour me livrer à vous, qui s’était fort heureusement, tout de même, arrêtée avant de passer un feu rouge. Délit qui, évidemment, n’aurait permis aucune indulgence de la part des puissances supérieures.

lundi 9 mars 2015

«Un répartitoire sexuel» par Jacques-Alain Miller – II

Je m’aperçois que je ne me suis pas interrogé sur pourquoi j’avais reçu spécialement un grand nombre de lettres depuis la semaine dernière, des lettres commentant ce que j’avais pu dire, ou me reprenant sur un certain nombre de points. J’avoue que j’ai laissé ça un peu de côté.

Certaines de ces lettres abondaient dans mon sens, d’autres m’interprétaient, ce à quoi j’avais prêté le flanc, en contant, en commençant, une anecdote personnelle. On a vu que, derrière le héros professant, il y avait une femme qui conduisait – ce qui est tout à fait exact, comme je l’avais moi-même indiqué. J’ai eu aussi un message du monsieur de l’histoire, où à la fois il se reconnaissait tout en disant que ce n’était pas lui, mais qu’il avait été en fait coincé entre deux dames, et que ce qu’il avait dit était tout à fait innocent, et que c’était ces deux viragos, si je puis dire, qui avaient donné à sa remarque, son objection du pas-tout, un sens qu’il était lui-même très loin de vouloir lui attribuer.

C’est une occasion pour moi de dire que je n’ai fait une histoire de cette anecdote qu’en m’abstenant de connaître les tenants et les aboutissants de l’histoire. J’en ai fait simplement une bonne histoire, et personne n’est tenu de se reconnaître dans ces personnages que j’ai seulement essayé d’élever à la dignité de paradigme. Il est certain que si l’on entre dans le détail, c’est beaucoup plus complexe – et de toute façon, tout le monde est innocent.

I DES PORTRAITS PSYCHOLOGIQUES CONTRASTES

Je me suis risqué la dernière fois à présenter, par une audace qui aujourd’hui me paraît répréhensible, un répartitoire sexuel, en partie double, et affectant à l’homme et à la femme des attributs contrastés. Je ne l’ai fait qu’en manière d’ironie, et spécialement en ce qui concernait le registre de la psychologie qui pouvait être reconnu à l’une et l’autre de ces positions sexuelles. J’espère que cette ironie a été sensible dans le fait que j’ai fait apparaître, au niveau psychologique, une inconsistance, qui a pu, d’après ce qu’on m’a écrit et que j’ai lu, troubler l’auditoire.

jeudi 19 mai 2016

le monde

Qu’est-ce qui est le réel ? Cette  question est devenue instante dans  la philosophie à partir de  Descartes. Celui qui a eu là-dessus l’aperçu le plus net, le plus  clair, le mieux centré, c’est le  nommé Heidegger, dans un article  de 1938 qui s’appelle  « L’époque des  conceptions du monde » et qui  souligne que c’est à partir  de Descartes qu’à proprement  parler le monde est devenu une  image conçue, une image conçue  par le sujet 1 , et que c’est à partir de Descartes que tout  ce qui est là, le discours  philosophique nous invite à  le rassembler.

Le discours  philosophique nous invite au rassemblement de tout ce qui  est, au rassemblement de ce qu’on appelle en terme  technique l’étant (pas avec un  g ,  avec un  t , les canards, c’est nous).  Tout ce qui est, à partir de  Descartes – au moins pour les  philosophes, mais c’est solidaire de  tout un ensemble – devient  dans et  par la représentation.

Pour en saisir la nouveauté, il  faut penser que l’idée de  se  représenter, l’idée du monde  comme  représentation au sujet était  tout à fait absente de la philosophie  scolastique et  de  l’idéologie médiévale, où si le  monde se soutenait, c’était en tant  que créé par le Créateur, avec un  grand  C . Ce n’était pas un monde  représenté  par et  pour le sujet,  c’était un monde créé  par et aussi  pour la divinité, et plaçant sous le  signifiant Dieu la cause suprême.  

Notes:
  1. Heidegger emploie le mot de  Bild, qui est à  proprement parler l’image spéculaire ; quand on parle de l’image  originaire, on dit  Urbild []
samedi 3 décembre 2016

de l’objet du désir à sa cause (la jouissance)
— du saumon à l'huître

Jacques-Alain Miller, La clinique lacanienne, cours du 27 janvier 1981

SOURCE : http://jonathanleroy.be/wp-content/uploads/2016/01/1981-1982-Scansions-dans-lenseignement-de-Jacques-Lacan-JA-Miller.pdf

Extrait :

Nous pourrions nous en tenir là, si nous n’avions la reprise par Lacan du concept de métonymie non plus à partir du désir, mais à partir de la jouissance. Nous avons pendant des années fait valoir le désir comme métonymie, alors que “Radiophonie” fait valoir que ce qui est en jeu dans la métonymie, c’est la jouissance.

Je dirais que ce texte, qui n’est pas le dernier mot de la théorie de Lacan, est pourtant un passage tout à fait obligé pour atteindre la suite de son enseignement. Il formule que le métabolisme de la jouissance n’est rien d’autre que la métonymie du désir. Ce que résume cette formule, c’est tout le paradoxe que nous avons à situer.

Reprenons cette fameuse expression de « passion du signifiant ». Nous avons une phrase de Lacan qui est la suivante :

“Sous ce qui s’inscrit glisse
la passion du signifiant
[c’est-à-dire]
la jouissance de l’Autre.”

Ce que dit cette phrase est pour nous un paradoxe par rapport à l’enseignement antérieur de Lacan. Ce que nous avions appris de la passion du signifiant, c’est qu’elle glisse sous ce qui s’inscrit dans la chaîne signifiante. Mais qu’est-ce que nous appelions jusqu’à présent la passion du signifiant ? Nous pouvions dire que la passion du signifiant c’est la castration, c’est moins-phi. Nous pouvions admettre que la passion du signifiant, c’est aussi bien le signifié comme effet du signifiant, que c’est le désir en tant qu’il est soumis au glissement indéfini des signifiants. On voit que toute cette construction de Lacan autour de la passion du signifiant ne permet que de mettre des termes négativés. Vous saisissez alors le paradoxe qu’il y a à dire que cette passion du signifiant sous ce qui s’inscrit est la jouissance de l’Autre. A un certain moment, Lacan cesse de mettre l’’accent sur le caractère dissolutif du signifiant de façon univoque, et réintroduit foncièrement une positivité dans son articulation. Là où toutes ses constructions étaient faites de négativités articulées les unes aux autres, il réintroduit une positivité qui est la jouissance de l’Autre. C’est vraiment là une novation.

Il en donne heureusement un exemple. C’est un exemple qui vient exactement pour faire comprendre l’expression de cause du désir, expression qui figure déjà dans “La signification du phallus”, mais qui est restée longtemps en attente dans cet enseignement. Disons que c’est au niveau de ce que Lacan appelle cause du désir, que toute la positivité dont est capable la condition humaine dans l’expérience analytique se trouve concentrée. Et c’est au niveau de l’objet du désir que toutes les négativités peuvent trouver leur place.

La positivité, elle, se situe dans l’en-deçà du désir. Nous pouvons dire cela en nous recommandant des passages de Lacan sur l’au-delà et l’en-deçà de la demande.

Voilà le passage de “Radiophonie” où Lacan nous donne peut-être le moyen d’approcher la difficulté :

“J’ai montré en son temps que l’huître à gober qui s’évoque de l’oreille que Bel-Ami s’exerce à charmer, livre le secret de sa jouissance de maquereau. Sous la métonymie qui fait muqueuse de cette conque, plus personne de son côté pour payer l’écot que l’hystérique exige, àsavoir qu’il soit la cause de son désir à elle par cette jouissance même.”

C’est extrêmement éclairant. Vous connaissez peut-être Bel-Ami. C’est un roman de Maupassant, un roman qu’il faut lire. C’est un roman très symbolique de la société française, puisque ça décrit un homme qui réussit par les femmes. Ce roman est l’histoire d’une ascension sociale par les femmes. Ce type d’ascension a la réputation d’être le plus sûr. Qu’est-ce que Stendhal raconte d’autre avec Julien Sorel ? Julien Sorel a aussi, d’une certaine façon, un côté Bel-Ami. Seulement, avec Maupassant, on est un peu loin du romantisme. C’est un roman qui est écrit sans fioritures. Si on le résume, on ne voit qu’un personnage qui saute de femme en femme jusqu’à réussir. Ce que Lacan est allé cueillir dans ce roman, ce n’est rien de plus qu’un petit paragraphe. Il y a un déjeuner où un couple, une femme et Bel-Ami sont présents. Ce dernier vise évidemment la femme du mari. Vous avez alors ce passage :

“Les huîtres d’Ostende furent apportées, mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées en des coquilles et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons salés.”

Ce que Lacan isole, ce sont les huîtres d’Ostende, mignonnes et grasses, semblables à de petites oreilles enfermées dans des coquilles. Ce qui l’intéresse, c’est la comparaison “semblables à de petites oreilles”.  Il fait de cette comparaison la clef de toute la relation de séduction. Il attribue cette comparaison à Bel-Ami lui-même et il en fait exactement non pas une métaphore, mais une métonymie. Il y a la conque de l’huître enfermant, comme une petite perle, la petite oreille délicate qu’il s’agit de charmer. Admettons que ce soit une métonymie. En tout cas, ce n’est certainement pas une métaphore. C’est une métonymie au moins par la forme commune de l’oreille et de l’huître qui est là impliquée.

Voyons comment Lacan situe cette métonymie.

Il nous dit que l’usage de cette métonymie signale la jouissance propre de Bel-Ami, jouissance qui est de faire, de cette oreille de la femme, l’agalma précieuse à la recherche de quoi il est. Lacan voit dans cette métonymie le signe de la jouissance propre de Bel-Ami qui le rend susceptible d’être la cause du désir de la femme. C’est la jouissance de Bel-Ami, comme en témoigne la ravissante métonymie qu’il produit, qui va être susceptible d’être cause du désir pour la femme dont il s’agit. Nous avons alors la résolution de la phrase de Lacan que je citais :

“Sous ce qui s’inscrit glisse la passion du signifiant [c’est-à-dire] la jouissance de l’Autre.”

Cette métonymie apparaît au fond comme doublement référée. D’un côté, elle peut être référée au désir de la personne à charmer, au désir de cette femme. Et d’un autre côté, elle est référable à ce qui n’est pas désir mais jouissance. C’est une lecture tout à fait contraire à celle que Lacan aurait pu faire avant. Pensez à la belle bouchère, à ce fameux rêve d’hystérique. Là aussi la jouissance s’incarne dans un produit de la mer, à savoir le saumon. Pour la belle bouchère, ça se passe entre le saumon et le caviar, et ici ça se passe entre l’huître et l’oreille.

Tout ceci n’est évidemment pas une démonstration. J’essaye simplement de saisir ce que Lacan a voulu signaler. La jouissance de l’Autre qu’est Bel-Ami opère comme cause du désir pour l’hystérique.

La métonymie peut être référée au désir de l’hystérique d’être une petite chose précieuse. Qu’est-ce que l’expérience analytique fait miroiter pour l’hystérique, sinon cela : d’être une petite chose précieuse, une petite perle. A cet égard, un commentaire de la métonymie est possible sur le versant du désir de l’hystérique.

Mais dans cette histoire, qui met l’accent non plus sur le désir de l’hystérique mais sur ce qui fait la cause de jouissance, se résume toute la seconde bascule de l’enseignement de Lacan.

C’est bien aussi la question que pose le maniement de la position de l’analyste dans l’expérience analytique, à savoir se faire cause du désir et, pour se faire cause du désir, témoigner de sa jouissance. Comme disait Lacan, il ne faut pas que l’analyste s’y laisse prendre. Structuralement, l’analysant est persuadé que l’analyste jouit. C’est aussi bien la valeur du paiement de la séance que d’effacer, au moment où doit s’achever l’illusion qu’est toute séance analytique, ce qui n’a été qu’une apparence, au fond structurale, du plus-de-jouir.

A la semaine prochaine.

Jacques-Alain Miller

po(l)issonneries

Jacques-Alain Miller, La clinique lacanienne, cours du 27 janvier 1982

SOURCE : http://jonathanleroy.be/wp-content/uploads/2016/01/1981-1982-Scansions-dans-lenseignement-de-Jacques-Lacan-JA-Miller.pdf

Je vais aujourd’hui vous amuser un petit peu. Je suppose que je vais m’amuser aussi. J’ai un très gros rhume et j’ai pris ce qu’il fallait pour que ça ne paraisse pas. Il n’empêche que cela ne m’a pas mis forcément de bonne humeur.

Je voulais faire un cours sur l’huître mais je n’ai pas eu le temps de faire l’enquête qu’il fallait pour traiter ce sujet, à savoir d’abord d’aller en manger, puis d’introduire l’érudition nécessaire pour que ça devienne amusant.

Je voulais parler de l’huître, puisque Lacan lui-même nous a invités à trouver un rapport entre l’huître et l’hystérique. Si nous étions un peu jungiens, ça nous conduirait tout droit à étudier la signification érotique des poissons et des fruits de mer. Il ne fait aucun doute qu’on la trouverait. On peut trouver une signification érotique à tout. C’est ce que veut dire la signification du phallus. Ces fruits de mer sont évidemment le secret de l’affaire de la belle bouchère qui ne rêve que de caviar et de saumon. Elle nous présente, de façon sommaire et concrète, le désir d’autre chose, autre chose que ce qu’elle a dans la boucherie. Ça fait que l’on pourrait essayer de partir d’une condensation, et parler par exemple de “l’hystéruître”. Ça nous conduirait à étudier la métaphore, puisque c’est sous ce registre que Lacan reprend la condensation. Mais il s’agit ici pour nous de la métonymie de l’huître.

métaphore/métonymie II. chabert et le reste de saumon de belle bouchère

 Jacques-Alain Miller, La clinique lacanienne, cours du 3 février 1982

SOURCE : http://jonathanleroy.be/wp-content/uploads/2016/01/1981-1982-Scansions-dans-lenseignement-de-Jacques-Lacan-JA-Miller.pdf

Extrait :

La belle bouchère, donc.  Elle nous embarrasse.  Elle nous embarrasse parce que toute l’analyse du désir de l’hystérique est là présentée comme une affaire de signifiants. Dans son désir, elle est tout entière une affaire de signifiants.

Vous vous souvenez avec quel brio Lacan resserre sa métaphore et sa métonymie.

Il fait valoir que dans le rêve, qui est très bref, tout tourne autour du saumon, du signifiant saumon qui, puisque la belle bouchère précise que c’est en fait du caviar qu’elle désire, est un signifiant substitué au caviar. Il y a donc là métaphore.

Du côté de la métonymie, il faut passer par une double détente. Qu’est-ce que c’est que le caviar comme signifiant? C’est un signifiant qui dans l’existence de la patiente a pour signifié le désir insatisfait, insatisfait simplement parce qu’elle se refuse au moyen de le satisfaire. Elle dit bien qu’elle pense au caviar, mais que, étant donné son prix, elle se refuse à se le faire acheter. C’est pourtant à sa portée de bouchère. Les bouchers peuvent aller acheter des choses à la poissonnerie. Nous avons donc ce désir insatisfait, et Lacan présente alors les choses en disant que ce rapport est un rapport de métonymie entre le désir comme insatisfait et le désir de caviar. Ça demande, pour être convaincant, d’être supporté par la rhétorique de Lacan.

C’est un exemple amusant, qui montre
d’un côté cette métaphore du saumon substitué au caviar,
et de l’autre côté la métonymie du désir insatisfait en rapport au caviar.

Vous me direz que c’est tiré par les cheveux, mais ça ne me dérange pas.

Dans toute cette affaire, et jusqu’à la fin, le saumon est bien la seule chose qui figure dans le rêve, et il est traité par Lacan, tout du long, comme un simple signifiant de substitution, un signifiant de substitution du caviar.

Ce qui donc apparaît comme la cause du désir dans ce rêve, c’est le manque-à-être.

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