Jacques-Alain Miller, Lire

« … Et donc, tout bien pesé, j’ai choisi le titre suivant : lire un symptôme, to read a symptom. Ceux qui lisent Lacan ont sans doute ici reconnu un écho de son propos dans son écrit ‘Radiophonie’ que vous trouvez dans le recueil des Autres Écrits, page 428. Il souligne là que le juif est celui qui sait lire. C’est ce savoir lire qu’il s’agira d’interroger en Israël, le savoir lire dans la pratique de la psychanalyse. Je dirais tout de suite que le savoir lire, comme je l’entends, complète le bien dire, qui est devenu parmi nous un slogan. Je soutiendrais volontiers que le bien dire dans la psychanalyse n’est rien sans le savoir lire, que le bien dire propre à la psychanalyse se fonde sur le savoir lire. Si l’on s’en tient au bien dire, on n’atteint que la moitié de ce dont il s’agit. Bien dire et savoir lire sont du côté de l’analyste, c’est son apanage, mais au cours de l’expérience il s’agit que bien dire et savoir lire se transfèrent à l’analysant. En quelque sorte qu’il apprenne, hors de toute pédagogie, à bien dire et aussi à savoir lire. L’art de bien dire, c’est la définition de cette discipline traditionnelle qui s’appelle la rhétorique. Certainement la psychanalyse participe de la rhétorique, mais elle ne s’y réduit pas. Il me semble que c’est le savoir lire qui fait la différence. La psychanalyse n’est pas seulement affaire d’écoute, listening, elle est aussi affaire de lecture, reading. Dans le champ du langage sans doute la psychanalyse prend-elle son départ de la fonction de la parole mais elle la réfère à l’écriture. Il y a un écart entre parler et écrire, speaking and writing. C’est dans cet écart que la psychanalyse opère, c’est cette différence que la psychanalyse exploite.

[…]

Lire un symptôme […] consiste à sevrer le symptôme de sens. C’est pourquoi d’ailleurs à l’appareil à interpréter de Freud – que Lacan lui-même avait formalisé, avait clarifié, c’est-à-dire le ternaire œdipien – Lacan a substitué un ternaire qui ne fait pas sens, celui du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Mais à déplacer l’interprétation du cadre œdipien vers le cadre borroméen, c’est le fonctionnement même de l’interprétation qui change et qui passe de l’écoute du sens à la lecture du hors-sens.

Quand on dit que la psychanalyse est une affaire d’écoute, faut s’entendre, c’est le cas de le dire. Ce qu’on écoute en fait c’est toujours le sens, et le sens appelle le sens. Toute psychothérapie se tient à ce niveau-là. Ça débouche toujours en définitive sur ceci que c’est le patient qui doit écouter, écouter le thérapeute. Il s’agit au contraire d’explorer ce qu’est la psychanalyse et ce qu’elle peut au niveau proprement dit de la lecture, quand on prend de la distance avec la sémantique – là je vous renvoie aux indications précieuses qu’il y a sur cette lecture dans l’écrit de Lacan qui s’appelle « l’Etourdit » et que vous trouvez dans les Autres Ecrits page 491 et suivantes, sur les trois points de l’homophonie, de la grammaire et de la logique.

La lecture, le savoir lire, consiste à mettre à distance la parole et le sens qu’elle véhicule à partir de l’écriture comme hors-sens, comme Anzeichen, comme lettre, à partir de sa matérialité. Alors que la parole est toujours spirituelle si je puis dire et que l’interprétation qui se tient purement au niveau de la parole ne fait que gonfler le sens, la discipline de la lecture vise la matérialité de l’écriture, c’est-à-dire la lettre en tant qu’elle produit l’événement de jouissance déterminant la formation des symptômes. Le savoir lire vise ce choc initial, qui est comme un clinamen de la jouissance – clinamen est un terme de la philosophie des stoïciens.

L’interprétation comme savoir lire vise à réduire le symptôme à sa formule initiale, c’est-à-dire à la rencontre matérielle d’un signifiant et du corps, c’est-à-dire au choc pur du langage sur le corps. Alors certes pour traiter le symptôme il faut bien en passer par la dialectique mouvante du désir, mais il faut aussi se déprendre des mirages de la vérité que ce déchiffrage vous apporte et viser au-delà la fixité de la jouissance, l’opacité du réel. Si je voulais le faire parler, ce réel, je lui imputerais ce que dit le dieu d’Israël dans le buisson ardent, avant d’émettre les commandements qui sont l’habillage de son réel : « je suis ce que je suis ». »

→ lire l’intervention de jacques-alain miller au congrès de la NLS en avril 2011 sur le site de l’AMP

#7468

et de nuit la pluie d’été

et toi qui dors

 

quand l’eau ruisselle / dans l’éclat géométrique des lampadaires / le vrombissement lent des voitures qui hésitent qui s’en vont / le cliquetis des griffes du chat sur le plancher / le chat est toujours

ou pas

le chat et notre enfant dort de fatigue, enfin la nuit enfin l’été et la pluie je peux fermer les yeux un instant

le campari sirupeux, la rape de la langue du chat sur le fond de la poêle

une calme fête

un court moment

je te souhaite

et je ne te réveillerai pas

#7481

je voudrais oublier partir. il faudrait pouvoir décider à un moment d’oublier. non pas mourir, mais oublier. effacer sa mémoire. savoir que l’on vit ses derniers instants avec elle, et puis pfuit. qu’elle s’efface. repartir à zéro.

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cher,

je voudrais partir une semaine, loin de vous. laisser moi partir, une semaine, à bruxelles. restez sans moi. que je sois sans vous.

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plus jeune, je rêvais d’être frappée d’amnésie.

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l’écriture fait partie de la vie de each and single living human being.

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rêvé de MHB, marie-hélène brousse. elle faisait qq chose comme me remercier pour ce site, empreintes digitales, mes retranscriptions du cours de miller. elle me parlait gentiment, m’interrogeait. je lui répondais, fis un lapsus. nous en rîmes. j’en fus complètement étonnée. ma vie bascula. elle me parlait en toute confiance. non pas comme une potentielle analyste. il était question de savoir si je ferais ou pas sans analyste avec ce lapsus. elle me présentait à d’autres analystes. ils, elle en fait, me parlaient gentiment. je craignais de ne pas me souvenir d’eux, d’oublier leur nom. j’avais craint de parler à MHB et qu’elle se propose à moi comme analyste, mais non. elle m’écoutait, avec bienveillance intérêt, elle me laissait libre.

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ensuite, rêvé de mes parents, qui se faisaient arnaquer, complètement. enlever même ce qu’ils n’avaient pas. oh, pourquoi. avaint-ils signé ça. trusted these people. non, cela n’était pas sûr, qu’ils se soient fait arnaqué. mais, moi, j’en étais sûre. le visage qui se couvrait de larmes des gens que j’accusais. les hoquets qu’ils retenaient. mais c’était trop tard. mes parents avaient signé. et même ce qu’ils n’avaient pas leur seraient enlevé. et nous n’aurions plus rien, vraiment. ma mère si excitée, d’avoir pris des « actions » (le produit de la vente) d’autant de magasins d’autant de villes qui me paraissaient inconnues, inexistantes.

ils étaient arrivés, nombreux. s’étaient introduits dans la maison, s’étaient installés dans le grand salon, autour d’une immense table aux hautes chaises, avaient convoqué mes parents. eux, dans la salle-à-manger, autour de la table, prenant doucement le thé en pijama. un peu vieux, un peu malade, mon père, surtout. et ils y étaient allés. avaient négociés avec ces hommes et ces femmes d’affaire. alors je m’étais enfuie. ne pas voir ça. j’avais bu à une table en face d’une femme qui mangeait, jolie, élégante. qui petit à petit parlait. nous buvions du champagne, rosé peut-être. elle s’avérerait être une serveuse du restaurant. élégante au moment de sa pose. je me rendrais sympathique au personnel, attendant la consommation de l’arnaque. puis mes parents seraient sortis, avec les hommes et les femmes d’affaires, heureux d’avoir tout donné, pensant s’engager dans une nouvelle vie où ils deviendraient enfin riches, ayant peine à y croire, étourdis de cela. faibles, fragiles. et tout de suite, je sais, je crois savoir, je soupçonne, la totale arnaque. et ces hommes et ces femmes d’affaires, je les injurie. d’avoir pu prendre à ceux qui avaient le moins. d’avoir plongé dans le malheur des gens sans le moindre égard, la moindre pitié, l’indifférence crasse. et eux déjà partaient, cherchaient à s’introduire dans d’autres appartements de la maison, malgré l’heure tardive de la nuit, déjà.

tout leur serait enlevé, à mes parents. tout et même plus que tout. et nous finirions à la rue.

#7488

hier vu gentil docteur g. qui souligne le lien entre « tumeur » et « suicide » – les angoisses dont je dis qu’elles ne me prennent que quand je fume, cela découvert récemment, liées je dis, liées je crois à ma maladie aux dents qui se propage à la mâchoire, aux oreilles, à la gorge, puis, au cerveau. le moment de la propagation au cerveau est le moment faux. ça n’est pas à proprement parler au cerveau (c’est à l’alma mater, la dure mère, les méninges). la conviction qui me prend alors d’avoir la maladie de la mort, une tumeur, un cancer. d’être celle qui sait qu’elle va mourir, qu’elle meurt. le sentiment physique que j’en ai. et le désir insoutenable qui me vient que ma tête soit fracassée. crâne.  et alors la pensée du suicide qui revient. cela que je lie maintenant à la cigarette, et à ma maladie des gencives. la certitude liée à cela. ce sentiment que tous les os de ma tête sont malades.

alors il suffirait d’arrêter de fumer. mais l’addiction.

fume dents mâchoire os oreilles crâne maladie mort tumeur marteau fracasse fracasse encore refracasse meurs meurs meurs vrille . mortitude . tumeur suicide certitude finir

seule possibilité de doute : s’il n’y avait rien pas de maladie pure invention névrotique. mais il n’y a pas de doute. il y a la présomption du doute de l’autre. et qui est l’autre. l’autre est le langage.

j’ai le sentiment physique de la mort, dans mon crâne. mais pourquoi faut-il que ça se retourne contre moi pourquoi faut-il que ça vienne à s’accompagner de ce fantasme masochiste de la tête fracassée. fracassée encore et à nouveau?

j’ai la maladie de la mort, et c’est un cancer, et c’est une tumeur, au cerveau. je le sens. je le sais. je le sais physiquement.

la certitude liée à cela que si je racontais à un médecin le pressentiment de ma maladie le sentiment physique de ma maladie la connaissance de ma maladie en dehors et malgré l’absence de diagnostic médical il ne me croirait pas il ne m’écouterait pas. le sentiment que c’est pourtant la dernière l’ultime des choses que j’aie à dire : cette présomption de ma mort. avoir été celle qui aura su qu’elle mourait dans son corps et contre et en dépit l’opinion générale et médicale. le point de délire. cela que je suis seule à savoir que nul ne peut croire. mais pourquoi est-ce que cela se retourne contre moi? pourquoi le fracassement du crâne des os du crâne de la mâchoire ? quelle traduction? quelle déviation? pourquoi la tumeur devient-elle suicide? nécessité de suicide? Dr G dit ce sont les mêmes signifiants. je m’applique la tumeur. mais c’est idiot. je meurs et c’est bien comme ça. pourquoi la violence et ces gestes de fracas pourquoi m’appliquer à moi-même ce dont je supposerais que l’autre veut m’appliquer m’applique : tu meurs. non, je meurs. point barre. où je reçois de l’autre mon propre discours sous sa forme inversée / jamais rien compris à ce truc. il n’y a pas d’explication. « ça parle. et ça sait pas. »

j’ai toujours fait cas du cerveau. je ne dis pas ça en conscience mais en mon âme et inconscience.

au moins les cervelles fraîches c’est tendre. je me donne. je madonne. je bedonne. je badine. avec la mort.

 

 

j’écris tout cela non pour être lue, mais pour me lire.

fracassemeur.

Sans titre

plus tard, tu me demandes

ce que je fais

je fais ce que je veux

puis je tremble

voilà, ce que je fais

.

cela est juste et bon

.

puis je prends un demi-solian

.

et ça devient mauvais

C’est ce qu’on découvre, c’est ce qui se dénude dans l’addiction, dans le «un verre de plus» …

L’addiction, c’est la racine du symptôme, qui est fait de la réitération inextinguible du même Un. C’est le même, c’est-à-dire précisément ça ne s’additionne pas. On n’a jamais le « j’ai bu trois verres donc c’est assez », on boit toujours le même verre une fois de plus. C’est ça la racine même du symptôme. C’est en ce sens que Lacan a pu dire qu’un symptôme c’est un et cætera. C’est-à-dire le retour du même événement. On peut faire beaucoup de choses avec la réitération du même. Précisément on peut dire que le symptôme est en ce sens comme un objet fractal, parce que l’objet fractal montre que la réitération du même par les applications successives vous donne les formes les plus extravagantes et même on a pu dire les plus complexes que le discours mathématique peut offrir.

« On pourrait dire en un sens qu’il n’y a qu’une personne analysée qui puisse raconter sa vie d’une façon plausible,

…puisque l’analyse est censée lui avoir permis de lever les refoulements responsables des blancs ou des incohérences dans la trame de l’incessant monologue du moi. Mais une fois complétée de cette manière, votre vie n’est plus racontable au tout-venant. Le démon de la Pudeur se dresse : il faut mentir, ou être indécent. Et puis, l’analyse fait éclater la biographie, elle polymérise la vérité, elle ne vous en laisse que des fragments, des éclats. »

→ Extrait de  l’intervention de jacques-alain miller au congrès de la NLS, 3 avril 2011

C’est ainsi que Joseph Jacotot se trouva par hasard, dans les années 1820, enseigner à des étudiants flamands dont il ne connaissait pas la langue et qui ne connaissaient pas la sienne,

C’est ainsi que Joseph Jacotot se trouva par hasard, dans les années 1820, enseigner à des étudiants flamands dont il ne connaissait pas la langue et qui ne connaissaient pas la sienne, par l’intermédiaire d’un ouvrage providentiel, un Télémaque bilingue alors publié aux Pays-Bas. Il le mit entre les mains de ses étudiants et leur fit dire par un interprète d’en lire la moitié en s’aidant de la traduction, de répéter sans cesse ce qu’ils avaient appris, de lire cursivement l’autre moitié et d’écrire en Français ce qu’ils en pensaient . Il fut, dit-on étonné de voir, comment ces étudiants auxquels il n’avait transmis aucun savoir avaient, sur son ordre, appris assez de Français pour s’exprimer très correctement, comment donc il les avait enseignés sans pour autant rien leur apprendre.

Il en conclut que l’acte du maître qui oblige une autre intelligence à s’exercer était indépendant de la possession du savoir, qu’il était donc possible qu’un ignorant permette à un autre ignorant de savoir ce qu’il ne savait pas lui-même, possible qu’un homme du peuple illettré permette par exemple à un autre illettré d’apprendre à lire. C’est là le deuxième niveau de la question, le deuxième sens de l’expression « maître ignorant » : un maître ignorant n’est pas un ignorant qui se pique de jouer les maîtres. C’est un maître qui enseigne – c’est-à-dire qui est pour un autre cause de savoir – sans transmettre aucun savoir . C’est donc un maître qui manifeste la dissociation entre la maîtrise du maître et son savoir, qui nous montre que ce qu’on appelle  » transmission du savoir  » comprend en fait deux rapports intriqués et qu’il convient de dissocier : un rapport de volonté à volonté et un rapport d’intelligence à intelligence .

Si l’explication est en droit infinie , c’est parce que sa fonction essentielle est d’infinitiser la distance même qu’elle se propose de réduire. La pratique de l’explication est tout autre chose qu’un moyen pratique au service d’une fin .

traversée

paris X, 10 du 8, 9h15


paris, ce matin
d’août.

12h42

trouver le courage d’avancer dans l’angoisse même.

12h46

un
pied
devant
l’autre
tête baissée.

travaux d’août (la jouissance qu’il ne faut pas, les à-moitiés)(les pas de la tortue)(mon fils achille)(l’infernal)

paris 10, 11 du 8, 8h31

what is it i like the most
daydreaming sleeping dreaming?

what have i been doing all these years?

23h49

Total crash de mon gros PC ce matin. Et CDs d’instal (lation), pour la réparation, introuvables. Je suis sur le portable. Travaux d’aménagement à avancer, travaux de peinture. Un an après le déménagement,  toujours pas déballé mes cartons. Mes vêtements dans les rayons de la bibliothèque restée vide. Si je jetais mes livres? Si c’était ça qui était juste : des vêtements plutôt que des livres? Aucun des 14 cartons de livres ouvert. Sauf celui des bouquins de psychanalyse. De nouveaux livres achetés.

Ces livres que j’ai. Ca me fait toujours un problème. Orgueil ? Stupidité ? Désir ? Désir de désir ? Souvenirs ? Souvenirs matériels ?

En vérité je n’aime rien tant que rien n’avoir. Et même mes livres me paraissent de trop.

Pense que F, lui, n’aime rien tant que de réparer des PC, à quoi il est occupé.

Passée au travers de l’angoisse hier. Pour une fois pu provoquer une chance, un bonheur. Ai commencé les travaux. Rêvant de travaux ultérieurs, d’étagères à construire. Utilisant des outils ayant encore appartenu à mon père. Cet amour. Remémorant les travaux du passé. Souriant au souvenir du « Ne me quitte pas » si glamorousement chanté en anglais par Marc Almond, « If you go away », ma voix essayant de se superposer à la sienne, moi perchée sur une échelle dans un appartement encore vide, ayant pour la première fois de ma vie détapissé, mes premiers vrais travaux, gaillardement entrepris, seule, à un 4° ou un 5° étage de l’avenue Paul Deschanel. D’un très joli appartement. Mon premier appartement. Trois pièces en enfilade, à la belge. Un déménagement fait en grande partie à vélo. Sauf pour ce qui est des livres, qui n’avaient pas alors encore de bibliothèques, arrivés en voiture, montés à pied (sans ascenseur). Empilés au sol, le long des murs. (Ensuite, je m’étais mise à décaper. Décaper la peinture. Celle de meubles. Du plancher. Le plancher des 3 pièces en enfilade.)

Et plus tard, pour gagner de l’argent, j’avais repeint toute la cage d’escaliers chez mes parents, une folie. Cette sorte de rancœur, alors. Moi, sur cet échafaudage. Raclant et enduisant. Une maison qui comptait plus de pièces que le château de Sabine.

Mais cette fois, pas d’angoisse. Une fois que je l’ai pénétrée, ainsi que je le disais hier, elle s’est dissipée. Il faut dire que j’ai exigé de F qu’il travaille à la maison, que je ne sois pas seule face à tout ça. Et je n’ai heureusement plus cette impression de mal faire à chaque geste que je fais.

J’ai donné aujourd’hui une couche à l’une des deux portes à double-battants de la « salle de vie ». J’ai fait ce qu’il fallait. J’avais scotché hier chacune des petites vitres avec ce tape que j’aime bien, à cause justement des souvenirs. Des souvenirs de travaux bien faits et des conseils qui les avaient accompagnés, en compagnie de mes parents, de Marc aussi qui m’avait appris qu’il fallait commencer par 1/ laver les murs à la lessive Saint Marc, 2/ et puis les rincer. Je n’ai pas eu peur de mal faire. Et j’ai aimé les deux coulées, plus bas sur la porte, tandis que j’étais sur l’échelle, que je n’ai pas effacées. Je me suis souvenue de Vincent, rencontré plus tard, à Saint-Gilles, peintre en bâtiment, qui me disait « Quand t’es sur l’échelle, t’en descends pas, tu fais tout ce que tu peux, aussi loin que tu peux, d’où tu es, tu ne passes pas ton temps à monter et à redescendre ». J’ai été contre ma nature et du haut de l’échelle d’où je peignais le haut du premier battant, j’ai commencé le haut du deuxième battant, qui était à ma portée. Parce que, je ne sais pas quelle est cette nature, je me suis déjà beaucoup interrogée sur elle, mais ma nature me porte plutôt à  ne naturellement faire les choses qu’à moitié. Aussi, hier, comme je commençais, je m’étais dit : « Et je ferai les choses lentement. Aussi lentement que je le veux. Ce sera très lent, ce sera très bien. » Puis aujourd’hui, ce souvenir de Vincent,  son conseil que je me retrouve à suivre, et tout d’un coup la porte est peinte. Et je décrète qu’il lui faudra une deuxième couche demain. Ouf. La chose n’est terminée qu’à moitié.

Il me faut quant à moi toujours faire les choses une à une et par quartier. Jules ne fonctionne pas du tout comme ça. Il m’apprend des choses. J’essaie de faire comme lui. Lui, à la laverie, ne ressort pas les vêtements les uns après les autres, il tente de les prendre tous. Voilà. c’est beaucoup plus efficace. Dramatiquement. Et dans l’autre sens, ça marche aussi. On peut essayer d’enfourner dans une machine toute une lessive à la fois. Si mon fils de 6 ans peut s’attaquer à ce genre de monstruosité, je peux faire ça aussi. Et il ne faut surtout pas que je contredise cela chez lui. Il faut bien, qu’il y ait des gens, qui aillent un peu vite. Un peu vitement comme disait ma grand-mère.

Alors, je me suis souvenue d’une séance avec D, où je m’étais demandée à haute voix s’il ne s’agissait pas chez moi d’une façon de rester à l’intérieur de la limite, une avancée façon tortue. Et ça lui avait terriblement plu. C’était il y a 10 ans peut-être. 20? Aujourd’hui ça me gêne moins. Ce qui me gêne c’est de n’être pas sûre du pourquoi et du comment. Parce que la limite, pour moi, elle est assez insupportable à franchir. Alors je ne sais pas s’il faut mettre ça du côté de la jouissance féminine, de l’infinitisation de l’espace ouvert entre 0 et 1. Ou de l’obsessionnel. Car ça n’est pas pareil.

Et hier matin je m’étais dit, après avoir une fois de plus rêvé de travaux, je m’étais dit, je ne cesse de rêver de travaux, or moi, j’en ai encore plein, à faire, des travaux.

Hier je lisais que ce qui se découvre dans une analyse, c’est comment l’impuissance est ce qui vient recouvrit l’impossible.  Comment le sentiment de l’impuissance vient recouvrir le sentiment de l’impossible. Mon sentiment d’impuissance recouvre mon incapacité, l’impossible même de ressentir l’impossible. Et l’impossible est l’un des noms de la jouissance.

La jouissance est une limite dit Lacan dans Encore, un saut.
Je ne sais pas ce qui rend possible ce moment du saut.
En-deçà du saut, du passage à la limite, dans les pas de la tortue, qui avance dans l’infinitésimal, l’infinie division par deux, c’est aussi une jouissance, c’est l’Autre jouissance, c’est le champ dit par la Lacan de la jouissance féminine.
Sortir de ce champ constitue  un forçage. Je ne sais pas. Mais la sortie est pour moi angoissante. L’entrée est angoissante. Et la sortie est angoissante. L’entrée est angoissante parce que je sais qu’il n’y a peut-être pas de sortie. Donc, ce que je pense être le «champ dit de la jouissance féminine» n’est peut-être pas celui auquel Lacan pensait. Mais un autre. Le passage, le saut à la limite auquel je pense, le « forçage » est celui qui va entériner un accomplissement, l’accomplissement d’un désir. Or, c’est pour moi ce qui est impossible, littéralement, inadmissible, la chose impossible à admettre. Un désir doit rester non pas interdit mais inassouvi, informulé. Donc, ce moment que je désigne comme celui du passage à la limite, est le moment où le désir s’accomplit, prend forme, se montre. Une porte est peinte dans la couleur que je voulais. Une paire de chaussure est achetée. Et tout de suite : «Ce n’est pas ça». «Ce n’est pas ça» que Lacan applique à la jouissance, qui est toujours celle qu’il ne faut pas, qui appelle toujours pour lui un «Ce n’est pas ça », s’applique pour moi au moment du désir, de l’accomplissement. Et l’accomplissement du désir pourrait servir également à désigner la jouissance. Est-on ou pas d’accord? Cela je ne le saurai jamais. Il y a la jouissance dans l’oubli du désir, dans le faire même, et il y a celle du moment où la chose est faite, est là. Et désir et jouissance sont pour moi à ce point immixés que je n’arrive pas du tout à penser ces choses.

Or, le moment du faire, dans l’infinitisation de la division, dans la perpétuelle remise du moment de la finition, n’est pas toujours délicieux, il arrive qu’il soit plutôt infernal. Vécu comme absolument impossible, dans un perpétuel questionnement sur ce qu’il y a à faire, sur ce que je devrais faire, et dans un perpétuel sentiment que ce que je fais est mal, n’est pas ce qu’il faut faire. Ça c’est ce qui m’a empêché de faire pendant toute cette année. Et là, je pressens qu’il y a quelque chose qui s’immisce qui est de l’ordre du sentiment du devoir, l’enfer du devoir, et que ce devoir, cette obéissance, ce désir d’obédience, est ce qui ment, est ce qui vient à la place d’autre chose. Un peu comme quand je disais l’impuissance est venue recouvrir l’impossible. C’est un moment où j’entreprends quelque chose, le plus souvent forcée, et à force de l’avoir remise, alors que je suis dans un sentiment trop important d’un Autre qui voudrait que je fasse cette chose. A un moment où d’avoir déjà trop procrastiné, c’est-à-dire de mettre mise sous la coupe d’un Autre que je fais ainsi exister, je suis en trop grand conflit avec cet Autre que ma procrastination même a mise au monde. Je veux une chose, il faut le faire, je ne le fais pas, d’ailleurs je ne sais pas par où commencer, ni je ne sais comment, je remets de le faire donc je dois le faire, c’est l’enfer. Et là, c’est la mécanique obsessionnelle de non reconnaissance du désir. Me dis-je. Je n’assume pas mon désir, je le postpose, je l’attribue à l’Autre. Ce n’est pas moi qui veut, c’est l’Autre. Et la chose que je voulais se transforme en obligation, me confine dans un sentiment d’impuissance et d’angoisse. Le doute m’envahit. Faut-il que je peigne maintenant vers la droite ou vers la gauche. N’aurais-je pas dû commencer par le bas. Etc. Donc il faut pouvoir avant d’entreprendre une chose au moins au minimum soutenir et défendre le désir qui la soutient. Si ce désir ne s’assume pas, la chose devient infernale. C’est encore la jouissance. Mais infernale.

1. BAPTISTE

Andrea Mantegna (Isola di Carturo, vers 1431 - Mantoue, 1506) La Crucifixion, dite Le Calvaire

Une certaine entrée, rue de Vercingétorix. A vérifier. Peut-être.

Avec le temps, j’étais allée.

Elle s’était réveillée, ce matin-là, rideaux ouverts, se demandant, s’il n’était pas plus simple que ça, d’être femme. Dans le lever, marcher dans l’espace dont quelques chiffres sont donnés, connus : quatre mètres sur cinq, hauteur six. Quatre fois cinq fois six, égale cent-vingt mètres cube – chiffre d’apparence anodine, qui de rester en laisse en cette histoire ne devrait être cru laissé-pour-compte. Dont il est impossible de dire, dès ce premier abord, s’il restera diviseur – et reçue la portion congrue, tout était parti de là, tout d’elle, et ce matin sans hasard reprenait bien lointain matin, un bien lointain matin. Ou s’il deviendra quotient – 1, 2, 0, la faisant devenue, revenue. D’évidence toujours dividende – avec sa césure  y jouant office de centre, d’où il renaît toujours inlassablement, parcouru d’invisibles ouvertures sur l’infini. Et je ne sais comment il pourrait, il m’aurait, laissée en reste, comme si aucune jamais division n’aurait plus lieu, et qu’elle, que je, me flatterais de rester indivisible. Spéculations.

Couloirs. Glissades. Quand est-ce que  ça avait commencé? Est-ce qu’il  ne semblait pas que beaucoup de choses avaient changé, et c’était sans inquiétude. Elle allait la tête la première – c’est une image. La tête la première avançait dans l’inconnu. Encore une image : la tête la première « fourrageait ».

Nous pourrions devenir fourmis… Comme l’herbe est haute et belle et verte, j’aperçois le ciel, je ne sais pas quand la prairie s’arrête et où commence le champ aux blés d’or, celui à la danse si différente, je suis une très grande fourmi, je vois beaucoup de choses, j’ai de très bons yeux, aujourd’hui le ciel est radieux, c’est le matin et la rosée sèche lentement, s’il a fait mauvais hier, je n’en sais rien, je suis une fourmi, grande oui, mais une grande fourmi reste petite…

Couloirs, glissades, allez va ma tête, ma douce, fourrage. Ajouter que ce fourragement de la tête semble se faire dans un vagin.

Les épis de blés d’or, inconnus à la fourmi. La fourmi avance dans l’oubli.

Comme tu avancerais, écartant des mains, des bras, des jambes, du corps, de souples rideaux de velours couleurs de l’automne, tu connais ces noirs, ces bleus, ces rouilles violettes, tu avances dans la moire, tout est velours. Tu es bien. Ces rideaux, comme les cheveux d’une femme que tu ne connais pas, sans les dangers.

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