Jacques-Alain Miller, Lire

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« … Et donc, tout bien pesé, j’ai choisi le titre suivant : lire un symptôme, to read a symptom. Ceux qui lisent Lacan ont sans doute ici reconnu un écho de son propos dans son écrit ‘Radiophonie’ que vous trouvez dans le recueil des Autres Écrits, page 428. Il souligne là que le juif est celui qui sait lire. C’est ce savoir lire qu’il s’agira d’interroger en Israël, le savoir lire dans la pratique de la psychanalyse. Je dirais tout de suite que le savoir lire, comme je l’entends, complète le bien dire, qui est devenu parmi nous un slogan. Je soutiendrais volontiers que le bien dire dans la psychanalyse n’est rien sans le savoir lire, que le bien dire propre à la psychanalyse se fonde sur le savoir lire. Si l’on s’en tient au bien dire, on n’atteint que la moitié de ce dont il s’agit. Bien dire et savoir lire sont du côté de l’analyste, c’est son apanage, mais au cours de l’expérience il s’agit que bien dire et savoir lire se transfèrent à l’analysant. En quelque sorte qu’il apprenne, hors de toute pédagogie, à bien dire et aussi à savoir lire. L’art de bien dire, c’est la définition de cette discipline traditionnelle qui s’appelle la rhétorique. Certainement la psychanalyse participe de la rhétorique, mais elle ne s’y réduit pas. Il me semble que c’est le savoir lire qui fait la différence. La psychanalyse n’est pas seulement affaire d’écoute, listening, elle est aussi affaire de lecture, reading. Dans le champ du langage sans doute la psychanalyse prend-elle son départ de la fonction de la parole mais elle la réfère à l’écriture. Il y a un écart entre parler et écrire, speaking and writing. C’est dans cet écart que la psychanalyse opère, c’est cette différence que la psychanalyse exploite.

[…]

Lire un symptôme […] consiste à sevrer le symptôme de sens. C’est pourquoi d’ailleurs à l’appareil à interpréter de Freud – que Lacan lui-même avait formalisé, avait clarifié, c’est-à-dire le ternaire œdipien – Lacan a substitué un ternaire qui ne fait pas sens, celui du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Mais à déplacer l’interprétation du cadre œdipien vers le cadre borroméen, c’est le fonctionnement même de l’interprétation qui change et qui passe de l’écoute du sens à la lecture du hors-sens.

Quand on dit que la psychanalyse est une affaire d’écoute, faut s’entendre, c’est le cas de le dire. Ce qu’on écoute en fait c’est toujours le sens, et le sens appelle le sens. Toute psychothérapie se tient à ce niveau-là. Ça débouche toujours en définitive sur ceci que c’est le patient qui doit écouter, écouter le thérapeute. Il s’agit au contraire d’explorer ce qu’est la psychanalyse et ce qu’elle peut au niveau proprement dit de la lecture, quand on prend de la distance avec la sémantique – là je vous renvoie aux indications précieuses qu’il y a sur cette lecture dans l’écrit de Lacan qui s’appelle « l’Etourdit » et que vous trouvez dans les Autres Ecrits page 491 et suivantes, sur les trois points de l’homophonie, de la grammaire et de la logique.

La lecture, le savoir lire, consiste à mettre à distance la parole et le sens qu’elle véhicule à partir de l’écriture comme hors-sens, comme Anzeichen, comme lettre, à partir de sa matérialité. Alors que la parole est toujours spirituelle si je puis dire et que l’interprétation qui se tient purement au niveau de la parole ne fait que gonfler le sens, la discipline de la lecture vise la matérialité de l’écriture, c’est-à-dire la lettre en tant qu’elle produit l’événement de jouissance déterminant la formation des symptômes. Le savoir lire vise ce choc initial, qui est comme un clinamen de la jouissance – clinamen est un terme de la philosophie des stoïciens.

L’interprétation comme savoir lire vise à réduire le symptôme à sa formule initiale, c’est-à-dire à la rencontre matérielle d’un signifiant et du corps, c’est-à-dire au choc pur du langage sur le corps. Alors certes pour traiter le symptôme il faut bien en passer par la dialectique mouvante du désir, mais il faut aussi se déprendre des mirages de la vérité que ce déchiffrage vous apporte et viser au-delà la fixité de la jouissance, l’opacité du réel. Si je voulais le faire parler, ce réel, je lui imputerais ce que dit le dieu d’Israël dans le buisson ardent, avant d’émettre les commandements qui sont l’habillage de son réel : « je suis ce que je suis ». »

→ lire l’intervention de jacques-alain miller au congrès de la NLS en avril 2011 sur le site de l’AMP

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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