vendredi 18 novembre 2005

corps de fer, armure de pensées

Les corps de fer et les armures de la pensée*

En 1974, Jacques Lacan soulignait, comme un trait de notre époque, la perte de la dimension amoureuse, renvoyant à  la substitution du Nom-du-Père par un ordre « rationalisé, bureaucratisé » supporté par le « être nommé-à quelque chose ». C’est-à -dire que la chute des Noms-du-Père ne produit pas un vide anarchique mais qu’elle restitue un ordre que Lacan « avec des résonances weberiennes » appelle « de fer » , véritable signe d’une « dégénérescence catastrophique ». En effet, le « nommer-à » dans cet ordre de fer est avant tout nominaliste et aspire à un fonctionnalisme radical en tant qu’il méconnaît ou délocalise le réel de l’autre, sa dimension d’objet, de reste incalculable.

Ainsi, le « politiquement correct » s’efforce-t-il aujourd’hui de réduire les relations entre l’homme et la femme à des relations de droit civil. On construit des catégories qui permettent de standardiser les opérations, mouvements et stratégies qui constituent les échanges de ces sujets, de sorte qu’ils soit prévisibles et entièrement calculables.

L’ordre de fer est un ordre qui, avant tout, exclut le père réel comme principe d’ex-sistence fondant un dire vrai. Or le Nom-du-Père est une instance qui fonde un mode de nomination qui, d’une certaine manière, apparaît sur fond d’acceptation d’une impossibilité.

Si elle procédait du Nom-du-Père, la nomination faciliterait l’ouverture vers l’usage, l’accès, la possibilité de se servir du nom mais aussi du corps. Tandis que le « nommer-à » de l’ordre de fer décerne au contraire un nom et un corps qu’il s’agit seulement de subir.

C’est d’ailleurs très tôt, en 1945, que Lacan signalait que la pente à  la folie ne doit pas nécessairement être cherchée dans la faiblesse : « il se peut qu’un corps de fer, des identifications puissantes, les complaisances du destin […], mènent plus sûrement à  cette séduction de l’être ». Cette séduction de l’être est dans le fil de ce que Lacan avancera ensuite à  propos du self, et en particulier du faux self, (cf. les Séminaires XV et XVI et Eidelberg A., Schejtman F., Soria Dafunchio N. y Ventoso J., Anorexia y bulimia. Sàntomas actuales de lo femenino, Buenos Aires, Serie del Bucle, 2003, p. 111-114.).

Les corps de fer de nombre d’anorexiques et de boulimiques répondent très bien à  cette logique intimement liée au capitalisme hypermoderne. Comme l’indiquait une analysante, il s’agissait pour elle d’avoir un corps fermé, où rien n’entrerait ni ne sortirait – elle ne mangeait pas, ne déféquait pas, n’était pas réglée, n’avait pas de relations sexuelles. Un corps stérilisé et vidé. Impénétrable, fixé par la répétition incessante d’un calcul monotone qui éradiquait toute surprise de l’existence. Modelé par le carcan d’une pensée obsessionnalisée et entièrement ritualisée. Telle est sa différence essentielle d’avec le corps de l’hystérique, soutenu – comme Lacan le formule Lacan en 1976 – dans sa modalité torique (le « tore-trique ») par « l’armature » de l’amour pour le père. Ces corps contemporains se supportent de l’armure des pensées et du « nommer-à » qui, mettant en œuvre un rejet farouche de la dimension amoureuse, prétendent effacer la fonction topologique du trou torique en affirmant un faux self sphérique, fermé, impénétrable. Qu’il s’agisse de la modalité sphère-vide anorexique ou de la sphère-boule boulimique-obèse, on aperçoit comment l’effet thérapeutique requiert une intervention qui, en introduisant la fonction de la coupure, rétablit la structure torique du corps.


* Corps et fonction paternelle, Marcelo Barros, Alejandra Eidelberg, Claudio Godoy y Mànica Gurevicz

dimanche 22 mai 2011

où un rêve me force à me souvenir d’un autre rêve (viscéral)

dimanche 22 mai

rêve hier

marrant, m’y souvenais d’un rêve que j’avais déjà fait, me rappelais d’un rêve oublié, m’en rappelais donc, avec toutes les  virgules lacunes qui y attiennent.
plusieurs personnes
2 hommes, 2 femmes ?
font, faisons des choses (plus interdites qu’interdites, le plus interdit de l’interdit) (j’ai mis entre parenthèses, parce que pas sûre que ce soit ça) .
j’accepte de le faire.
je suis couchée sur le dos.
me vois comme ça, je veux dire la caméra est là, la caméra du rêve, mais placée de façon à ce que je ne voie pas ce qui se passe dans mon ventre. je ne vois pas de mon point de vue, de mon point de vue dans le rêve, où je suis couchée sur le dos, car si je voyais de mon point de vue, d’où je suis dans le rêve, de comment je suis, je verrais tout. or, c’est très important que je ne voie pas tout, que je ne voie d’ailleurs rien du tout. je suis couchée sur le dos, sur une table d’opération, et mon ventre est ouvert, et les autres, et c’est ça la chose plus qu’interdite, les autres jouent avec tous les organes de mon intérieur, à pleines mains, ils y vont, et ça, c’est censé leur, et me, procurer du plaisir, de la jouissance. personne ne fait ça, et personne ne peut faire ça, et personne ne connaît ça, mais nous sommes une petite bande qui… moi, c’est la première fois. donc, je ne vois pas ce qui se passe, parce que la caméra est placée sous la table d’opération, du côté de ma tête, je pourrais voir ma tête, mais c’est tout. donc,  c’est très viscéral, et c’est tout ce qu’il y a de possible à en dire. si ce n’est qu’il y a une chose que je ne veux pas, je n’ose pas faire, mais je ne sais plus  très bien ce que c’est, mais que les autres font, moi, je suis novice, c’est ça, novice au fond. ils sont plusieurs, occupés dans mes tripes, eh bien, c’est possible, que ce qu’ils aimeraient, ce qui serait encore mieux pour eux, et qu’ils se font entre eux, c’est, faire des choses sexuelles, dans mon corps ouvert, ha ha. mais je ne veux pas.
voilà, c’est le rêve dont je me rappelais dans mon rêve, mais le rêve lui-même, celui où je me souvenais, je ne m’en souviens plus,
marrant.
(non relu) (parce que c’était vraiment insupportable pour moi d’écrire ces choses, ça l’est devenu, parce que je ne sais plus du tout quoi faire, de mon analyse)

 

jeudi 31 janvier 2013

De l’art invendable.

En réponse à :

J’en viens parfois à me demander s’il ne faudrait pas se mettre à fabriquer, à créer des objets d’art, de l’art, qui ne puisse pas se vendre. Est-ce possible de créer de l’art invendable. Non pas gratuit mais invendable ? Bon, je sors du sujet mais je poste quand même, je réfléchis tout haut et je partage.
EV

De l’art invendable.

Je me demandais si ça ne serait pas vendu du moment où ça porterait le nom d’art, l’estampillage, la marque.

/ Ce à quoi travaille le Museum of Everything – faire sa marque, but prôné. Mais, s’agit ici de la marque d’un musée, pour, paradoxalement, exposer des gens qui ne se revendiquent pas en tant que tels, artistes. /

Par ailleurs, il y a beaucoup d’art invendu, invendable.

La marque, le nom propre, la brand, le branding sont ce qui font vendre.

Le nom propre est ce que rien ne justifie. C’est ce qui n’est pas choisi et qui s’appose à vous, pour vous représenter. C’est un signifiant pur, complètement arbitraire, absolument vide de sens. (un prénom, lui, trouvera sa source dans le choix des parents, marque de leur désir.) Le nom propre n’est pas choisi, il vous tombe dessus et incombe à votre responsabilité. Il ne suffit pas d’avoir un nom, pour n’avoir pas à s’en faire un. Ou de vouloir en changer, s’en faire un neuf – souvent comme artiste. Houellebecq qui choisit de prendre le nom de sa grand-mère, qui l’a élevé.

Par rapport au prénom, le nom vient de la nuit des temps. Gros de ce réel là de la traversée du temps, de l’insondable origine, du « meurtre de la chose » et de l’immortalité. Le réel du nom répond du réel de la personne (persona, masque). « Un manque ici recouvre un autre manque ». Celui du nom recouvre celui du corps. Un nom n’est pas moins à (se) faire qu’un corps, ne vous est pas moins étrange.

Ceci pour chercher traquer pister ce qui, de ce signifiant pur, fait son prix.

Le prix (hypothèse) vient sur ce qui justement échappe à toute raison. Là est le désirable et le jouissif. Et alors dans sa circulation. Un nom propre circule dans le discours. Ce qu’un corps ne fait pas. Ce dont il faut avoir peur aujourd’hui, c’est de la réduction de chaque chose en pur objet de discours, en pur signifiant, séparé de toute signification, en quoi il « répond » du réel qui en réchappe toujours. La réduction au signifiant (comme objet de jouissance et de circulation) et le rejet, la forclusion du corps (quand il n’est pas lui aussi réduit à un objet de commerce).

Restaurer son prix au commerce des hommes, la gratuité. Or-  si c’était si simple –  à la gratuité vient toujours se greffer l’amour et là on est foutu (voie ouverte à tous les abus.)

Écrit au réveil, de neuf heures à 10h, sur mon téléphone, dans le noir, non relu.

jeudi 21 novembre 2013

Le corps comme objet, né au XXè siècle
— Gérard Wajcman à l'Erg

Erg, séminaire 2011, Gérard Wajcman

le corps comme objet né au xxè siècle / quel serait le maître-mot du xxI ? ça pourrait être la transparence / facebook – transparence de la vie privée, exposition de la vie privée ; wikileaks – transparence du pouvoir / sommes regardés / dans notre corps / soumis à des machines qui voient l’intérieur de notre corps « pour notre bien » _ neuro spin : voir la pensée / idée que tout peut se voir, y compris l’inconscient / projet du tout visible / vidéo surveillance / innocents en sursis / / corps lié aux machines depuis l’origine : le miroir / Le stade du miroir de JL / idée que nous naissons prématurés, débiles à la naissance / thème important pour l’histoire du christianisme / culte de l’enfant jésus, arrivé au 17ème s. , grandeur de dieu d’avoir pris l’apparence d’un être débile / corps morcelé, non unifié / ce qui nous assure de notre unité : une image / glorification du corps comme totalité _ Aristote _ conception du corps comme forme totale / âme _ forme du corps / corps unité / conception liée au miroir / c’est l’image qui nous constitue comme forme totale / / aujourd’hui plutôt corps cartésien qu’aristotélicien : corps machine – horloge avec ses rouages, corps fait de morceaux / rencontre que le corps fait avec la science / marché des organes / corps en kit / corps entré dans le marché / corps devenu marchandise / corps artificiel / cellules souches / art a aussi témoigné de ce mouvement là / sans doute depuis guerre de 14 / picasso / histoire de l’art témoigne de ce qui vaut dans le corps ce n’est plus la totalité mais des bouts  (est-ce que la danse ne s’oppose pas à ça) / (sorte de contemporanéité de la guillotine et de la photographie _ guillotine anticipe naissance du portrait photographique__livre de d arasse sur l’histoire de la guillotine) / technologie fonctionne par découpage par cadrage / exaltation du corps comme totalité : ce n’est plus le travail des artistes / dans cette évolution la science a son rôle mais aussi la guerre , guerre de 14 événement majeur /  première guerre où la technologie a dominé complètement les corps pour les faire exploser / « gueule cassée » / guerre comme morcèlement / auparavant on tuait , là on déchiquète / chambre à gaz : autre manière d’envisager le corps : le faire disparaître intégralement / avant on tuait un corps et le corps était mort ensuite rituel / chambre à gaz : mort d’une multitude de corps destinés à la disparition intégrale / cendres des camps pour construire des routes / disparition intégrale de la mémoire / absence totale / histoire de l’art marquée par ça ___ que l’absence ait pu devenir un objet fondamental de l’art après tout ça / / plus rien ne fait limite / qu’est-ce qui fait disparaître les limites aujourd’hui / NO LIMIT / scanners corporels dans les aéroports / fouille, image en 3D corps comme s’il était nu / nouvelle stratégie militaire : la géométrie inversée _ toutes les armées du monde ont adopté cette théorie , les armées sont supposées pouvoir passer à travers les maisons , stratégie développe une technologie d’imagerie extraordinaire pour voir derrière le mur ce qu’il y a , au départ de technologies d’imageries médicales1

/ comment faisons-nous pour ne pas devenir plus paranoïaque /

Notes:
  1.  » Le dernier exemple concerne une nouvelle théorie militaire conceptualisée par des stratèges israéliens sous le nom de « géométrie inversée ». Issue d’une réflexion sur la guerre urbaine, au lieu de se soumettre à la topographie des villes et aux contraintes de l’architecture, et d’avancer ainsi en suivant les rues et en longeant les maisons, ils suggèrent de passer de maison en maison en traversant murs, toits et planchers. En substance, il s’agit de « dé-murer » les murs, d’opérer une « transgression des limites » et évidemment en premier lieu ce qui délimite et protège les espaces domestiques. Bien entendu on peut mettre cette stratégie en question dans ses principes, quant à ses effets destructeurs mais aussi quant à ses résultats en termes militaires, mais il est clair qu’une telle conception stratégique, qui a été adoptée par toutes les grandes armées du monde, qui consiste à passer outre ce qui naguère encore constituait des limites réelles, correspond à la culture hypermoderne du No Limit. Cela me frappe d’autant plus que le regard y est directement impliqué. Afin de limiter les victimes aux seuls combattants et de se protéger elle-même, l’armée utilise en effet un système d’imagerie portable qui associe image thermique, échographie et ondes radar afin de faire apparaître en 3D l’image des corps qui se trouvent derrière les murs des maisons.
    Ce qui s’accomplit dans ces mode de traversées, c’est une illimitation qui passe par la dissolution à la fois réelle et conceptuelle des limites. La stratégie de la « géométrie inversée » est la forme militaire de la politique hypermoderne d’effacement de toute frontière. En cela, il me semble qu’elle fait série avec la vidéosurveillance, le scanner corporel ou l’IRM. » GW, http://etudespsy.wordpress.com/entretiens-avec/gerard-wajcman/ []
dimanche 8 juin 2014

au final, il ne restera plus que le don de son corps pour signifier son existence

Cette publication est la partie 10 de 14 dans la série FLAMME ETERNELLE – une oeuvre de Thomas Hirshhorn

08-06-2014 14-47-34

là : http://www.flamme-eternelle.com/JOURNAL36.pdf

« Cinquante-deux jours à ce rythme, ce sera dur?

Dur, non, mais nécessaire. Tout d’abord, je n’ai rien d’autre à faire. Et surtout, comme l’ont démontré les Occupy Wall Street ou les manifestants sur la place Maïdan à Kiev, je vais donner mon corps, ma présence. C’est quelque chose dont je me sens capable. C’est le fait des gens qui doutent de la démocratie représentative et d’un système de délégation essoufflé. Au final, il ne reste plus que le don de son corps pour signifier son existence. Je serai peut-être fatigué, de mauvaise humeur, mais je serai là. »

samedi 12 septembre 2015

j’irais bien à la piscine

Une piscine a débordé, considérablement. Nous arrivons au bord, Jules et moi. J’ai envie de rentrer dans l’eau, voir si elle n’est pas trop froide, traverser la piscine, voir de l’autre côté. L’eau n’est pas trop froide, je peux la pénétrer, Jules heureusement ne me suit pas.

Je suis rentrée dans l’eau dont le mouvement s’est rapidement amplifié, a considérablement monté. Il y avait moyen de s’accrocher à l’eau et je le faisais. Il fallait s’accrocher très fort, en fait. Parce que l’eau vous saisissait, vous emportait, dans un mouvement tournoyant, montant considérablement, puis, soudainement se relâchant, vous relâchant, vous laissant retomber dans le vide, vous rattrapant, vous relâchant… Je songeais, je disais, que ça valait toutes les attractions foraines du monde. C’était énorme et à chaque fois différent, ne laissant pas le loisir de s’habituer au mouvement.

– Hier, Chester faisait de beaux saltos arrières. C’était vraiment comme si ça lui plaisait de se laisser entraîner physiquement par ce qu’il désirait attraper, le petit bout de peluche mauve que Jules faisait tournoyer au bout d’une sorte de cane à pêche. A un moment, Chester bondissait dans le mouvement tournoyant du bout de peluche, son corps, son grand corps pris, soulevé dans les airs, retourné vers l’arrière. Ça évoquait aussi les jeux des dauphins dans l’eau.  Il a d’ailleurs été question de cirque, hier, aussi, mais je ne sais plus à quel moment. Et j’avais songé aux peintures de mon père. A moins que je n’y ai songé ce matin, en sortant du rêve. –

L’eau avait considérablement monté, formait une immense boule, qui nous faisait monter très haut au-dessus de la terre que nous apercevions. C’était à Bruxelles, dont je reconnaissais les bâtiments étrangement reproduits à l’identique plusieurs fois et s’étirant, en de longs rayons qui irradiaient en étoile depuis la boule d’eau. J’ai peut-être reconnu l’Atomium et l’église Sainte-Marie. L’eau était aussi de l’air. C’est ce que je croyais quand je pensais que j’étais dans un rêve. Je songeais à cette matière dans laquelle je virevoltais, qui n’était que de l’air, l’air me paraissait un élément signifiant, dans les deux sens du terme: signifiant vide, rien et signifiant l’R, l’air de Mu-ller, mon nom.

– Aussi, le meurtre, la mort affreuse, il y a peu de temps d’un enfant de trois ans, mis par ses parents, son père, dans une machine à laver. –

Dans la boule, il y avait du monde. Aussi une femme, auprès de laquelle je me retrouvais quelquefois entraînée dans le mouvement tournoyant de l’eau, assez longuement. Avec qui je m’entendais bien. Avec qui j’espérais m’entendre. C’était rassurant d’être ensemble. Je me demandais si nous n’allions pas nous embrasser.

A la fin du rêve, Frédéric et Jules sont également entrés dans l’eau qu’on essayait de vider. J’étais triste pour Jules qu’il soit pris là-dedans.

À ce moment-là, différentes manœuvres sont mises en œuvre donc, pour vider l’eau, mises en œuvre par les terriens (les personnes au sol). Ces manœuvres paraissent dangereuses. Il est question d’un filet en fer ou d’une ossature en fer qui prenne la place de l’eau. L’eau soutenant en l’air les personnes et l’ossature en fer étant destinée à remplacer ce soutien. Le danger étant de se retrouver plaqué contre le fer, parce que s’il n’y a plus d’eau, son mouvement de tempête est toujours là, fait toujours rage. Un homme recherche ce danger dans une sorte de masochisme. Cherche à son corps soit plaqué contre le soutien en fer, contre la grille, de façon à en être marqué.

Pendant tout le rêve, je sais que c’est un rêve, ce qui ne fait que renforcer sa réalité. Tout le temps, je sens, je pense, je constate que ce qui arrive, m’arrive au corps. Je pense même que, comme je sais que je pense, que dans le rêve c’est d’une pensée qu’il s’agit, que mon corps s’exerce réellement aux mouvements qu’il fait (comme l’entraînement des sportifs à qui l’on recommande de penser à leurs mouvements, leur assurant que cela vaut un entraînement réel, ce qui aurait été scientifiquement prouvé.) Je pense donc que mon corps fait réellement le mouvement. Et je me dis qu’il n’y a que la jouissance, de mon corps à ce moment-là, qu’il n’y a pas moyen de penser, je me dis qu’il n’y a que la jouissance qu’il y a.

vendredi 20 mai 2016

Sur L’Envers de la biopolitique d’Éric Laurent, par François Regnault

Sur L’Envers de la biopolitique d’Éric Laurent, par François Regnault

« Vous créez un frisson nouveau »
Victor Hugo, à propos des Fleurs du mal de Baudelaire

 

Sans doute, ce livre* est-il un excellent exercice d’orientation.

« Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée », c’est une question que pose Kant en 1786, et pour laquelle il requiert la différence de la droite et de la gauche (en aucun sens politique, je vous prie de le croire). L’Envers de la biopolitique d’Éric Laurent, c’est « Comment s’orienter dans la psychanalyse ? »  En quoi, celui qui dira que si la psychanalyse ne le concerne pas alors ce livre non plus, fera l’erreur de ne pas voir que c’est justement parce que ce livre s’oriente dans la psychanalyse, qu’il peut renverser la biopolitique, laquelle aujourd’hui nous commande, nous manipule, nous asservit, nous, et au premier chef, notre corps. Qui gagnerait à l’ignorer ?

Éric Laurent n’est donc pas de ces psychanalystes – s’il y en a – qui ne lisent que des ouvrages de psychanalyse (affaire de boutique, en somme), il en lit bien d’autres. En quoi, il ne s’enferme dans aucune psychanalyse passée qui voudrait se présenter comme scolastique, encore moins ignorer les tournants de son « endroit » et les détours de son « envers ».

« Ce livre veut montrer que Lacan propose pour la psychanalyse une orientation sur le statut du corps dans notre civilisation de la jouissance. » [p.19]

En quoi encore, et j’en finis avec les en quoi, il tient compte de l’orientation que Jacques-Alain Miller donne à présent à la psychanalyse (au-moins-un à le faire s’il n’est pas le seul, comme on en conviendra) ; ce qui veut dire qu’à tenir compte du « dernier Lacan», la psychanalyse avance, comme elle a déjà avancé depuis Freud avec Lacan, et comme il convient qu’elle avance, si elle n’a pas d’avenir illusoire.

Je pense souvent à ce propos au Théâtre Nô, dont les fans occidentaux nous font croire que ce sont des cérémonies ultra-codées depuis l’origine, dont notre théâtre serait incapable, alors que sous couvert d’une fidélité supposée immémoriale, cet art japonais évolue en vérité de Maître en Maître, sans rien d’universitaire. Plût au ciel qu’il en aille toujours de même avec la psychanalyse, si elle évolue, non sous des Maîtres, elle, mais au moins d’Analyste en Analyste comme je crois et constate qu’elle fait.

lundi 23 mai 2016

le vide au corps

Enthousiasmant article de François Regnault, découvert sur Lacan Quotidien et repris ici, à propos du livre d’Eric Laurent, Sur L’Envers de la biopolitique – Une écriture de la jouissance. La bonne nouvelle en est délicieuse et j’en ai commandé le livre avant même que d’avoir terminé la lecture de l’article.

Il est rare que j’arrive à réagir à ce que je lis et qui me bouleverse. Cette fois,  je me risquerai cependant, en m’en tenant à cette seule phrase : « Corps vide au regard de la jouissance, car en tant qu’Un, il ne contient rien, c’est un sac, dont les organes sont réservés, si vous voulez, à la médecine. »

Si je puis me permettre, donc, et au risque de me montrer ridicule, il n’en va pas partout ainsi. Pour l’expérience que j’en ai, via ma pratique du taï chi  et le peu de recherche que j’ai fait, le corps, en Chine, s’il relève également du domaine de la médecine, de la médecine chinoise, inséparable de sa pensée, y est d’abord le premier lieu du souffle, du Ki.  Un lieu que tout un chacun est amené dès la naissance à investir  aussi bien imaginairement, réellement que symboliquement : on y rencontrera tant des montagnes et des fleuves, que des organes réels et des circuits ancestraux d’énergie. L’intérieur du corps y est lieu premier du réel et de sa jouissance.  Laquelle est loin de s’arrêter à celle du seul sujet. Du coup, dirait-on, elle n’en plus nécessairement mauvaise, ce que d’ailleurs pressent, prédit, l’enseignement de Jacques-Alain Miller, et qui pour ma part fait la part de la bonne nouvelle. Elle est jouissance, elle apporte le bien être, elle est voie de connaissance – laquelle en passe, sans qu’aucune primauté lui soit accordée, par le signifiant.  Et je me risquerais à dire que c’est le signifiant qui est alors instrumentalisé, dont il est usé comme outil de reconnaissance, en vue d’une cartographie du corps. Mais, un signifiant dégagé de l’idéal, de l’identification et de la maîtrise, proche de la lettre dans l’instant même de son écriture, inséparable du mouvement qui la trace et du support qu’elle affecte. Il  ne s’agit que de nommer, et de reconnaître, de ressentir  ce qui dans le corps jouit de cette nomination. Nommer et renommer, inscrire et réinscrire, connaître et reconnaître, à chaque fois pour la première fois, célébrer cette alliance « toujours nouvelle et qui n’a pas changé » où un corps reçoit  la marque du signifiant et en jouit. Chinoisement écrite, la  bonne nouvelle de Regnault,  ça donnerait : d’un autre point de vue, depuis une autre dimension : trauma est délice (pour peu que le sujet lui lâche un peu la grappe, si j’ose dire). Vide, le corps, il l’est. Il y a le vide au corps. Mais la jouissance qu’on en éprouve ne l’est certes pas.  Seulement, il  manque le terme de ce qu’elle serait, puisqu’elle n’est pas dialectique. Aussi, la médecine chinoise n’appartient-elle pas aux instruments biopolitiques du pouvoir.

mardi 30 août 2016

NUIT

3h56, rengaine qui me vient à l’esprit1   : « Je voudrais me
Je voudrais me
Je voudrais me
Tuer
Je voudrais me
Je voudrais me
Je voudrais me
Tuer »

Qu’opposer à cela ? 

Tenter le mot « Vivre ».

Mais, nous sommes de retour à Paris, le matelas est chaud et mou et je ne sais à quoi m’appuyer, à quel endroit du corps (si ça fait sens de dire cela). 

Je viens dans le salon avec ma couette. Je vais voir si je trouve une meilleure place au sol, mais auparavant j’éteins toutes (tout ce que je peux, ce n’est pas toujours possible)  les veilleuses, toujours allumées et qui brûlent pour rien (hashtag PourRien), ce qui m’insupporte, viscéralement. L’idiotie de ces lumières rouges ou jaunes dont l’industrie veut qu’elles continuent de vriller nos nuits. Mais pourquoi (ne peut-elle pas nous restituer nos nuits noires).  

http://conseils-thermiques.org/contenu/arretez_appareils_en_veille.php

J’écris un mot rapide à A. qui m’a, me semble-t-il, parlé hier2 de séances qu’elle avait faites de « re-programmation du corps »  (je pense à la dé-programmation de ces méchantes petites phrases qui me viennent la nuit, de je ne sais où).  Il me semble qu’A disait qu’il s’agissait de déprogrammer des choses qui avaient été  utiles un moment et que le corps ne pouvait s’empêcher de répéter, cherchait ensuite à répéter, jouissait de répéter. Elle ajoutait qu’il s’agissait d’une théorie. 

2016-08-30 4:12 GMT+02:00 :
Comment s’appelle ce dont tu me parlais hier dans la rue ? L’auto-programmation ? La re-programmation ? Et comment me disais-tu que ça marche ?
C’était super de se revoir
Véronique 

5h15
Cher EL,  Je prends plume et papier pour vous écrire. Peut-être s’agit-il d’un acte magique et mes mots s’inscriront-ils alors délicatement dans votre chair (vous croyez, je l’espère, qu’elle existe), aussi vaudrait-il mieux que vous me lisiez de nuit, tout comme je vous écris.
Lettre abandonnée. 

Rengaine de 5h39 : au secours
au secours
au secours
au secours 
 
05:51 Je vous salue Marie 
05:56 De l’eau
De toute manière, je ne fumerai plus (les cigarettes de ma mère) puisque nous avons quitté Bruxelles. 
06:04 comment dit-on (prononce-t-on)  foie en anglais,  « liver » ? 

 ˈlɪvə(r

« Mais deliver-nous du mal. Amen. »
 
06:49 Couchée dans le canapé fuchsia. Décidément, je ne serai pas arrivée à lancer une relaxation. Chanson dans ma tête…. Seulement l’air, quelques paroles, chanson très chaotique, dont je ne connais ni le titre ni le groupe: …. who you really are
Who
who who
who who
who
 
08:51 réveil. Finalement endormie après entame de relaxation. Vlady, dans mon souvenir, les faisait en commençant depuis le bas du corps, depuis les pieds. Aujourd’hui, N les fait depuis le haut. Mais, peut-être qu’effectivement commencer depuis le visage est plus rapide. Je ne sais même pas si j’ai commencé depuis le visage. Je me disais, il suffit de nommer, nommer les parties du corps. Et en effet, cela suffit. 
 
09:00 Maintenant, j’ai comme le gueule de bois. Je n’ai pas bu hier.  Finalement, je n’ai pas bu à Bruxelles, seulement fumé et trop mangé (restaurants presque tout le temps). 
 
Je n’écris pas le plus important. J’écris ce qui s’écrit et qui est mûr. Ça tombe, ça se détache. Et, puis, j’écris d’abord ce qui guérit, j’écris pour guérir, ce que j’invente, je trouve pour guérir. Et puis,

je suis curieusement (affreusement, dilemnement, corneillement) tiraillée entre le temps pour le langage et le sens, le langage, le sens, la mémoire, et le temps pour ce qui n’en n’est pas,  ce qui y échappe,  ce qui permet d’y échapper. 

 
Aujourd’hui, je voudrais peut-être retourner aux mots, à cause aussi de mon frère que nous venons de revoir à Bruxelles et qui avait logé ici chez nous au début du mois. 
 
Mais, il me semble que j’ai, ces dernières années, perdu une grande partie de ma capacité à penser et à manier la langue. Je me suis vidée, petit à petit et possiblement également à l’aide des médicaments. Je me suis vidée pour n’avoir pas supporté, plus supporté de rester seule avec mes pensées. La jouissance de penser était trop grande pour arriver à m’en départir.  Et l’impératif  de n’en rien lâcher, rien donner, surtout rien,  trop importante.
 
Cette nuit je pensais : Il faut arriver à lâcher le rien pour le manque.
 

Le rien est cet objet qui fait bouchon au manque. On le voit dans cette image que je viens de donner. De la jouissance de pensée fermée sur elle-même dans la tête, bouchée, bouclée, ne laissant surtout rien s’échapper, formant l’objet rien lui-même, qui ne débouche sur rien. Rien est un nom du manque symbolique. Un nom qui appartient au langage.  L’intérêt de penser par le corps ou au départ du corps, c’est d’abord d’étendre les territoires de la pensée consciente et ensuite, surtout, que cela prenne son départ de ce qu’il y a. Qui scelle  l’objet de la jouissance de pensée (l’a-pensée). Le problème de cet objet, de ce recel par le rien, c’est qu’il s’extrait, qu’il tend à s’extraire du monde qui l’environne, à fomenter un monde pur esprit – dans un déni du corps que je ne m’explique plus. Et rien est aussi le nom d’une identification symbolique. Identification au signifiant qui manque au symbolique, au langage, pour le boucher. 

Enfin tout ça est assez imbuvable, pour ne pas dire imbitable.

Un déni du corps que je m’explique pas, disais-je. Peut-être parce qu’il est le lieu de cette jouissance de pensée sans que cette pensée en sache finalement grand chose, inconsciemment. Mais enfin, cette explication paraît un peu grossière. Peut-être parce que le corps est non seulement le siège de la jouissance de pensée mais également de bien d’autres jouissances. Ou parce que le corps a des trous et des besoins et des désirs et une vie qu’il paraît mener de son côté, dans une totale indépendance. 

Or nous pouvons le visiter de l’intérieur, nous pouvons l’apprendre, nous pouvons le ressentir, nous pouvons même lui parler, nous pouvons lui faire du bien, et nous pouvons ressentir le bien qu’il ressent de par  sa seule existence, de par son simple fonctionnement. Nous pouvons le sentir réagir à nos mots. Nous pouvons lui en apprendre de nouveaux mots et tenter de supplanter ceux qui se sont inscrits en nous, inconsciemment, et qui reviennent et pas toujours à notre plus grand  agrément (je pense à mes rengaines suicidaires bien sûr).

Enfin, il ne s’agit ici que d’une tentative de mise en boîte de phénomènes étranges que j’observe par ailleurs. 

Et que le jouissance d’un pur esprit,  la jouissance de pensée, est plutôt celle d’un corps couché, sans mouvement. Sans interaction physique avec le monde extérieur. 

D’où ma méfiance à l’égard des jeux vidéos, à cause du sentiment qu’ils ne relèvent finalement que de jeux de l’esprit. De jeux de l’esprit et de jeux de maîtrise, dont le corps est absenté.

Et je reviens à cette idée que nous vivons dans un monde qui tente à nous défaire du faire, à nous désapprendre le faire. A cette idée du monde ready-made, où notre corps n’a plus rien à faire sinon du sport, histoire de correspondre à une certaine image d’un corps maîtrisé (et dont la jouissance est maîtrisée). Où les liens du corps et du faire ont été effacés, détruits. Où les liens du corps et de la personne qui l’habite sont jours après jour supprimés.  Où ça a de moins en moins de sens d’être physiquement dans le monde, sinon comme image, et de préférence comme image d’un corps jouissant convenablement,  sautant, bondissant, dansant, courant, riant dans une parfaite maîtrise de lui-même –  quand cette maîtrise nous est retirée jour après jour que nous passons dans des bureaux idiots à des travaux idiots.  Ces lieux où nous sommes séparés de nos corps, amenés à tous devenir idiots (parce que c’est ça la jouissance phallique dont parle Lacan, c’est ça la jouissance de l’idiot : celle du manche et du pur esprit, celle du mort). 

Ceci en grande partie inspiré par le film Demain

[Écrit dans la nuit du 29 au 30 août. Et publié le 5 septembre après une nouvelle et longue et pénible nuit d’insomnie.]

 

Notes:
  1. bon d’accord,  fumé hier, 2 cigarettes, me semble-t-il. et puis, je ne sais plus si j’ai déjà parlé de ces rengaines qui me visitent inopinément la nuit, probablement. []
  2. nous étions à Bruxelles []
jeudi 13 octobre 2016

Re: langage, corps, inconscient

Que nous vivons dans un monde qui vit dans un tel mépris, déni du corps. Et qui privilégie le monde du langage au point qu’il oublie qu’en s’y transportant, en s’y installant, il entraîne avec lui son corps, en passager clandestin. 
 
La raison de ce déni, c’est que le corps obéit à des lois du langage que le langage ignore. C’est que le corps réécrit les lois du langage. L’inconscient, c’est le fruit de la réécriture des lois du langage par le corps. 
 
Le plus souvent le langage se donne comme pouvant vivre totalement en dehors du corps. C’est notre  pratique du langage privilégie cet aspect, qui est en cause. Notre pratique du langage déserte le corps, à pris le pli de déserter le corps. 
lundi 6 novembre 2017

Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 11 juin 1974, inédit

11 juin 1974

Voilà. J’ai dû faire quelques efforts pour que cette salle n’ait pas été aujourd’hui occupée par des gens en train de passer des examens et je dois dire qu’on a eu la bonté de me la laisser.

Il est évident que c’est plus qu’aimable de la part de l’Université de Paris I d’avoir fait cet effort puisque, les cours étant finis cette année…
ce que, bien sûr, moi j’ignore
…cette salle aurait dû être à la disposition d’une autre partie de l’administration qui, elle, s’occupe de vous canaliser. Voilà.

Alors, tout de même, comme ça ne peut pas se renouveler, passé une certaine limite, ça sera aujourd’hui la dernière fois de cette année que je vous parle.
Ça me force naturellement un peu à tourner court, mais ce n’est pas pour me retenir, puisqu’en somme il faut bien toujours finir par tourner court.

Moi je ne sais pas d’ailleurs très bien comment je suis niché là-dedans, parce qu’enfin l’Université, si c’est ce que je vous explique, c’est peut-être elle La femme. Mais c’est La femme préhistorique, c’est celle dont vous voyez qu’elle est faite de replis.

Évidemment, moi c’est dans un de ces plis qu’elle m’héberge. Elle ne se rend pas compte, quand on a beaucoup de plis, on ne sent pas grand-chose,
sans ça, qui sait, elle me trouverait peut-être encombrant. Bon.

Alors, d’autre part, d’autre part, je vous le donne en mille…
vous n’imaginerez jamais à quoi j’ai perdu mon temps – perdu, enfin, oui, perdu – à quoi j’ai perdu mon temps en partie depuis que je vous ai vus réunis là
…je vous le donne en mille : j’ai été à Milan à un congrès de sémiotique.

Ça, c’est extraordinaire. C’est extraordinaire et bien sûr, ça m’a laissé un peu pantois. Ça m’a laissé un peu pantois en ce sens que c’est très difficile, dans une perspective justement universitaire, d’aborder la sémiotique.

Mais enfin, ce manque même…
que j’y ai, si je puis dire réalisé
…m’a rejeté si je puis dire sur moi-même, je veux dire m’a fait m’apercevoir que c’est très difficile d’aborder la sémiotique.

Moi bien sûr, je n’ai pas moufeté parce que j’étais invité, comme ici, très très gentiment, et je ne vois pas pourquoi j’aurais dérangé ce Congrès en disant que le « sème », ça ne peut pas s’aborder comme ça tout cru à partir d’une certaine idée du savoir, une certaine idée du savoir qui n’est pas très bien située, en somme, dans l’université.

Mais j’y ai réfléchi et il y a à ça des raisons qui sont peut-être dues justement au fait que le savoir de La femme…
puisque c’est comme ça que j’ai situé l’université
le savoir de La femme, c’est peut-être pas tout à fait la même chose que le savoir dont nous nous occupons ici.

Le savoir dont nous nous occupons ici – je pense vous l’avoir fait sentir – c’est le savoir en quoi consiste l’inconscient, et c’est en somme là-dessus que je voudrais clore cette année.
Je ne me suis jamais attaché à autre chose qu’à ce qu’il en est de ce savoir dit inconscient.

Si j’ai par exemple marqué l’accent sur le savoir
en tant que le discours de la science peut le situer dans le Réel, ce qui est singulier et ce dont je crois avoir ici articulé en quelque sorte l’impasse, l’impasse qui est celui [ Sic ] dont on a assailli NEWTON pour autant que, ne faisant nulle hypothèse…
nulle hypothèse en tant qu’il articulait la chose scientifiquement
…eh bien, il était bien incapable, sauf bien sûr à ce qu’on le lui reproche, il était bien incapable de dire où se situait ce savoir grâce à quoi enfin le ciel se meut dans l’ordre qu’on sait, c’est-à-dire sur le fondement de la gravitation.

Si j’ai accentué, ce caractère – dans le Réel –
d’un certain savoir, ça peut sembler être à côté de la question en ce sens que le savoir inconscient, lui, c’est un savoir à qui nous avons affaire – et c’est en ce sens qu’on peut le dire dans le Réel – c’est ce que j’essaie de vous supporter cette année de ce support d’une écriture…
d’une écriture qui n’est pas aisée, puisque c’est celle que vous m’avez vu manier plus ou moins adroitement au tableau sous la forme du nœud borroméen
…et c’est en quoi je voudrais conclure cette année.

C’est à revenir sur ce savoir et à dire comment il se présente, je ne dirais pas tout à fait dans le Réel,
mais sur le chemin qui nous mène au Réel.

De ça, il faut tout de même que je reparte, de ce qui m’a été également présentifié…
présentifié dans cet intervalle
…c’est à savoir qu’il y a de drôles de gens, enfin, des gens qui continuent…
dans une certaine Société dite Internationale
…qui continuent à opérer comme si tout ça allait de soi.

C’est à savoir que ça pouvait se situer dans un monde comme ça, qui serait fait de corps…
de corps qu’on appelle vivants, et bien sûr y a pas de raison qu’on les appelle pas comme ça, n’est-ce pas
…qui sont plongés dans un milieu, un milieu qu’on appelle « monde » et tout ça, en effet, pourquoi
le rejeter d’un coup ?

Néanmoins, ce qui ressort d’une pratique…
d’une pratique qui se fonde sur l’ex-sistence de l’inconscient
…doit tout de même nous permettre de décoller
de cette vision élémentaire qui est celle de…
je ne dirais pas du moi, encore qu’il s’en encombre
et que j’aie lu des choses directement extraites
d’un certain congrès qui s’est tenu à Madrid où par exemple, on s’aperçoit que FREUD lui-même, je dois dire, a dit des choses aussi énormes, aussi énormes que ça que je vais vous avancer : que c’est du moi…
le moi c’est autre chose que l’inconscient, évidemment ce n’est pas souligné que c’est autre chose.

Il y a un moment où FREUD a refait toute sa Topique n’est-ce pas, comme on dit :
il y a la fameuse seconde Topique qui est une écriture simplement, qui n’est pas autre chose que quelque chose en forme d’œuf, forme d’œuf qui est tout à fait d’autant plus frappante
à voir, cette forme d’œuf, que ce qu’on y situe comme le « moi » vient à la place où sur un œuf…
ou plus exactement sur son jaune, sur ce qu’on appelle le vitellus
…est la place du point embryonnaire.

C’est évidemment curieux, c’est évidemment très curieux
et ça rapproche la fonction du moi de celle où, en somme, va se développer un corps, un corps dont c’est seulement le développement de la biologie qui nous permet de situer dans les premières morulations, gastrulations, etc., la façon dont il se forme.

Mais comme ce corps…
et c’est en ça que ça consiste,
cette seconde Topique de FREUD
…comme ce corps est situé d’une relation au « ça »,
au « ça » qui est une idée extraordinairement confuse : comme FREUD l’articule c’est un lieu, un lieu de silence, c’est ce qu’il en dit de principal.

Mais à l’articuler ainsi, il ne fait que signifier que ce qui est supposé être « ça » : c’est l’inconscient quand il se tait. Ce silence, c’est un taire.

Et ce n’est pas là rien, c’est certainement un effort, un effort dans le sens, dans un sens peut-être un peu régressif par rapport à sa première découverte,
dans le sens disons de marquer la place de l’Inconscient.

Ça ne dit pas pour autant ce qu’il est, cet Inconscient, en d’autres termes, à quoi il sert.

Là, il se tait : il est la place du silence.

Il reste hors de doute que c’est compliquer le corps, le corps en tant que dans ce schème, c’est le moi,
le moi qui se trouve, dans cette écriture en forme d’œuf, le « moi » qui se trouve le représenter.

Le moi est-il le corps ?

Ce qui rend difficile de le réduire au fonctionnement du corps, c’est justement ceci :
que dans ce schème il est censé ne se développer que sur le fondement de ce savoir, de ce savoir en tant qu’il se tait,
et d’y prendre ce qu’il faut bien appeler sa nourriture.

 

Je vous le répète :
c’est difficile d’être entièrement satisfait de cette seconde Topique parce que ce à quoi nous avons affaire dans la pratique analytique
…c’est quelque chose qui semble bien se présenter d’une façon toute différente.

C’est à savoir que cet inconscient, par rapport à ce qui couplerait si bien le moi au monde…
le corps à ce qui l’entoure,
ce qui l’ordonnerait sous cette sorte de rapport qu’on s’obstine à vouloir considérer comme naturel
…c’est que par rapport à lui, cet inconscient se présente comme essentiellement différent de cette harmonie – disons le mot – dysharmonique.

Je le lâche tout de suite, et pourquoi pas ?

Il faut y mettre l’accent.

Le rapport au monde est certainement…
si nous donnons son sens, ce sens
effectif qu’il a dans la pratique
…est quelque chose dont on ne peut pas ne pas tout de suite ressentir que, par rapport à cette vision toute simple en quelque sorte de l’échange avec l’environnement, cet inconscient est parasitaire.

C’est un parasite dont il semble qu’une certaine espèce, entre autres, s’accommode fort bien, mais ce n’est que dans la mesure où elle n’en ressent pas
les effets qu’il faut bien dire, énoncer pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire pathogènes.

 

Je veux dire que cet heureux rapport, ce rapport prétendu harmonique entre ce qui vit et ce qui l’entoure, est perturbé par l’insistance de ce savoir,
de ce savoir sans doute hérité…
ce n’est pas un hasard qu’il soit là
…et cet être parlant…
pour l’appeler comme ça, comme je l’appelle
…cet être parlant l’habite, mais il ne l’habite pas
sans toutes sortes d’inconvénients.

Alors s’il est difficile de ne pas faire de la vie
la caractéristique du corps.

Parce que c’est à peu près tout ce que nous pouvons en dire, en tant que corps, il est là, et il a bien l’air de se défendre.

De se défendre contre quoi ?

Contre ce quelque chose auquel il est difficile de ne pas l’identifier, c’est-à-dire ce qu’il en reste, de ce corps, quand il n’a plus la vie.

C’est à cause de ça qu’en anglais on appelle le cadavre corpse, autrement, quand il vit, on l’appelle body. Mais que ce soit le même, ça a l’air satisfaisant comme ça, matériellement.

Enfin, on voit bien que ce qu’il en reste,
c’est le déchet, et s’il faut en conclure que la vie, comme disait Bichat : 
«  c’est l’ensemble des forces qui résistent à la mort ».
C’est un schéma…
c’est un schéma malgré tout…
c’est un schéma un peu grossier.
Ça ne dit pas du tout comment ça se soutient, la vie.

Et à la vérité, à la vérité, il a fallu en arriver fort tard dans la biologie, pour qu’on ait l’idée
que la vie, c’est autre chose…
c’est tout ce que nous pouvons en dire
…c’est autre chose que l’ensemble des forces qui s’opposent à la résolution du corps en cadavre.

Je dirais même plus : tout ce qu’il peut y avoir qui nous laisse espérer un peu autre chose…
à savoir de ce que c’est que la vie
…nous porte tout de même vers une toute autre conception.
Celle dont j’ai cette année essayé de placer quelque chose en vous parlant d’un biologiste éminent :
de JACOB dans sa collaboration avec WOLLMAN,
et de ce qui, d’ailleurs, bien au-delà…
c’est par là que j’ai essayé
de vous en donner une idée
…ce qui, bien au-delà se trouve être ce que nous pouvons articuler du développement de la vie,
et nommément ceci auquel les biologistes arrivent : que grâce au fait qu’ils peuvent y regarder d’un peu plus près qu’on ne l’a fait depuis toujours,
que la vie se supporte de quelque chose dont
je ne vais pas – quant à moi – franchir le pas,
et dire que ça ressemble à un langage,
et parler des messages qui seraient inscrits dans les premières molécules et qui pourraient faire des effets évidemment singuliers, des effets qui se manifestent dans la façon dont s’organisent toutes sortes de choses qui vont aux purines, ou à toutes sortes de constructions chimiquement repérées et repérables.

Mais enfin, il y a certainement un désaxement profond qui se produit et qui se produit d’une façon dont il est pour le moins curieux que ça vienne à remarquer que tout part de quelque chose d’articulé, jusques et y compris une ponctuation.

Je ne veux pas m’étendre là-dessus.

Je ne veux pas m’étendre là-dessus, mais après tout, c’est bien parce que je n’assimile nullement cette sorte de signalétique dont se sert la biologie,
je ne l’assimile nullement à ce qu’il en est du langage, contrairement à la sorte de jubilation qui semble avoir saisi à ce propos, le linguiste qui se rencontre avec le biologiste, lui serre la main et lui dit : nous sommes dans le même bain.

Je crois que des concepts…
par exemple, comme celui de « stabilité structurelle »
…peuvent – si je puis dire – donner une autre forme de présence au corps.

Car enfin ce qui est essentiel ce n’est pas seulement comment la vie s’arrange avec soi-même pour qu’il se produise des choses qui sont capables d’être vivantes, c’est que tout de même, le corps a une forme, une organisation, une morphogenèse, et que c’est une autre façon aussi de voir les choses, à savoir : qu’un corps ça se reproduit.

Alors, c’est pas pareil quand même, c’est pas pareil que la façon dont à l’intérieur, ça communique,
si on peut dire. Cette notion de communication qui est tout ce dont il s’agit dans cette idée des premiers messages grâce à quoi s’organiserait la substance chimique, c’est autre chose.

C’est autre chose et alors, c’est là qu’il faut faire le saut et nous apercevoir que des signes sont donnés dans une expérience privilégiée, qu’il y a un ordre, un ordre à distinguer, non pas du Réel, mais dans le Réel,
et qu’il s’origine, s’originalise d’être solidaire
de quelque chose qui, malgré nous, si je puis dire, est exclu de cet abord de la vie, mais dont nous ne nous rendons pas compte.

C’est ça sur quoi cette année j’ai voulu insister : que la vie l’implique, l’implique imaginairement si on peut dire. Ce qui nous frappe dans ce fait qui est celui auquel a adhéré vraiment ARISTOTE…
qu’il n’y a que l’individu qui compte vraiment
…c’est que sans le savoir, il y suppose la jouissance.

Et ce qui constitue l’Un de cet individu,
c’est qu’à toutes sortes de signes…
mais pas de signes dans le sens où
je l’entendais tout à l’heure, de signes que donne cette expérience privilégiée que
je situais dans l’analyse, ne l’oublions pas
…il y a des signes dans son déplacement, dans sa motion, enfin, qu’il jouit.

Et c’est bien en ça qu’ARISTOTE n’a aucune peine à faire une éthique, c’est qu’il suppose, c’est qu’il suppose èdoné (ἡδονή ), que èdoné n’avait pas reçu ce sens que plus tard il a reçu des épicuriens; èdoné dont il s’agit, c’est ce qui met le corps dans un courant qui est de jouissance.

Il ne peut le faire que parce qu’il est lui-même dans une position privilégiée, mais comme il ne sait pas laquelle, comme il ne sait pas qu’il pense ainsi la jouissance parce qu’il est de la classe des maîtres, il se trouve qu’il y va tout de même, à savoir que seul celui qui peut faire ce qu’il veut, que seul celui-là a une éthique.

Cette jouissance est évidemment liée bien plus qu’on ne le croit à la logique de la vie.
Mais ce que nous découvrons, c’est que chez un être privilégié…
aussi privilégié qu’ARISTOTE l’était
par rapport à l’ensemble de l’humain
…chez un être privilégié, cette vie si je puis dire, se varie, ou même s’avarie, s’avarie au point de se diversifier… dans quoi ?

Eh bien, c’est de ça qu’il s’agit, justement :
il s’agit des « sèmes », à savoir de ce quelque chose qui s’incarne dans lalangue.

Car il faut bien se résoudre à penser que lalangue est solidaire de la réalité des sentiments qu’elle signifie. S’il y a quelque chose qui nous le fait vraiment toucher, c’est justement la psychanalyse.

Qu’« empêchement »…
comme je l’ai dit dans un temps dans mon séminaire sur L’Angoisse dont je peux regretter qu’après tout il ne soit pas déjà là à votre disposition
…qu’« empêchement », « émoi »…
« émoi » tel que je l’ai bien précisé :
« émoi » c’est retrait d’une puissance
…qu’« embarras », soient des mots qui ont du sens, eh bien, ils n’ont de sens que véhiculés sur les traces que fraye lalangue.
Bien sûr, nous pouvons projeter comme ça sur des animaux ces sentiments. Je vous ferai remarquer seulement que si nous pouvons, « empêchement », « émoi »,
« embarras », les projeter sur des animaux,
c’est uniquement sur des animaux domestiques.

Que nous puissions dire qu’un chien ait été ému, embarrassé ou empêché dans quelque chose, c’est dans la mesure où il est dans le champ de ces « sèmes », et ceci
par notre intermédiaire.

Alors je voudrais quand même vous faire sentir ce qu’implique l’expérience analytique :
c’est que, quand il s’agit de cette sémiotique,
de ce qui fait sens et de ce qui comporte sentiment,
eh bien, ce que démontre cette expérience,
c’est que c’est de lalangue – telle que je l’écris – que procède ce que je ne vais pas hésiter à appeler l’animation …
et pourquoi pas ? Vous savez bien que je ne vous barbe pas avec l’âme : l’animation, c’est dans le sens d’un sérieux trifouillement, d’un chatouillis, d’un grattage, d’une fureur, pour tout dire
…l’animation de la jouissance du corps.

Et cette animation n’est pas notre expérience,
ne provient pas de n’importe où.
Si le corps, dans sa motricité, est animé…
au sens où je viens de vous le dire, à savoir que c’est l’animation que donne un parasite, l’animation que
peut-être moi je donne à l’Université par exemple
…eh bien, ça provient d’une jouissance privilégiée, distincte de celle du corps.

Il est bien certain que pour en parler, enfin, on est plutôt dans l’embarras parce que l’avancer comme ça, c’est risible, et c’est pas pour rien que ce soit risible : c’est risible parce que ça fait rire.

Mais c’est très précisément ça que nous situons dans la jouissance phallique. La jouissance phallique, c’est celle qui est en somme apportée par les « sèmes », puisque aujourd’hui
à côté de… puisque aujourd’hui, tracassé comme
je l’ai été par ce Congrès de sémiotique,
je me permets d’avancer le mot « sème ».
C’est pas que j’y tienne, vous comprenez, parce que je ne cherche pas à vous compliquer la vie.
Je ne cherche pas à vous compliquer la vie,
ni surtout à vous faire sémioticiens.
Dieu sait où ça pourrait vous mener !
Ça vous mènera d’ailleurs dans l’endroit où vous êtes, c’est-à-dire que ça ne vous sortira pas de l’Université.

Seulement, c’est quand même là ce dont il s’agit :
le « sème », c’est pas compliqué, c’est ce qui fait sens.

Tout ce qui fait sens dans lalangue s’avère lié à l’ex-sistence de cette langue, à savoir que c’est en dehors
de l’affaire de la vie, du corps, et que s’il y a quelque chose que j’ai essayé de développer cette année devant vous…
que j’espère avoir rendu présent, …c’est que c’est pour autant que cette jouissance phallique, que cette jouissance sémiotique se surajoute au corps…
ça va durer longtemps ?
se surajoute au corps qu’il y a un problème.

Ce problème, je vous ai proposé de le résoudre,
si tant est que ce soit une complète solution,
mais de le résoudre simplement, enfin, du constat
que cette sémiosis patinante chatouille le corps
dans la mesure…
et cette mesure, je vous la propose comme absolue …dans la mesure où il n’y a pas de rapport sexuel.

En d’autres termes, dans cet ensemble confus que seul le sème, le sème une fois qu’on l’a lui-même un peu éveillé à l’ex-sistence, c’est-à-dire qu’on l’a dit comme tel,
c’est par là, c’est dans la mesure où le corps parlant habite ces sèmes qu’il trouve le moyen de suppléer au fait que rien, rien à part ça, ne le conduirait vers ce qu’on a bien été forcé de faire surgir dans le terme « autre »,
dans le terme autre qui habite lalangue et qui est fait pour représenter ceci justement : qu’il n’y a avec le partenaire – le partenaire sexuel – aucun rapport autre que par l’intermédiaire de ce qui fait sens dans lalangue.

Il n’y a pas de rapport naturel, non pas que s’il était naturel, on pourrait l’écrire, mais que justement on ne peut pas l’écrire parce qu’il n’y a rien de naturel dans le rapport sexuel de cet être qui se trouve moins être parlant qu’être parlé.

Que imaginairement – à cause de ça – cette jouissance dont vous voyez qu’en vous la présentant comme phallique,
je l’aie qualifiée de façon équivalente comme sémiotique, bien sûr, c’est évidemment parce qu’il me paraît tout à fait grotesque de l’imaginer ce phallus, dans l’organe mâle.

C’est quand même bien ainsi que dans le fait que révèle l’expérience analytique, il est imaginé.
Et c’est certainement aussi le signe qu’il y a,
dans cet organe mâle, quelque chose qui constitue
une expérience de jouissance qui est à part des autres.

Non seulement qui est à part des autres, mais qui
– les autres jouissances – la jouissance qu’il est ma foi tout à fait facile d’imaginer, à savoir qu’un corps, mon Dieu, c’est fait pour qu’on ait le plaisir de lever un bras et puis l’autre, et puis de faire de la gymnastique, et de sauter, et de courir, et de tirer, et de faire tout ce qu’on veut, bon.

Il est quand même curieux que ce soit autour de cet organe que naisse une jouissance privilégiée.
Car c’est ce que nous montre l’expérience analytique, c’est à savoir que c’est autour de cette forme grotesque
que se met à pivoter cette sorte de suppléance que
j’ai qualifiée de ce qui, dans l’énoncé de FREUD,
est marqué du privilège, si on peut dire, du sens sexuel, sans qu’il n’ait vraiment réalisé…
quoique tout de même, ça le chatouillait, lui aussi et il l’a entrevu, il l’a presque dit dans Malaise dans la Civilisation
…c’est à savoir que :
le sens n’est sexuel que parce que le sens se substitue justement au sexuel qui manque.

Tout ce qu’implique son usage, son usage analytique du comportement humain, c’est ça que ça suppose :
non pas que le sens reflète le sexuel, mais qu’il y supplée.
Le sens, il faut le dire, le sens comme ça quand
on ne le travaille pas, eh bien, il est opaque.
La confusion des sentiments, c’est tout ce que lalangue est faite pour sémiotiser. Et c’est bien pour ça que tous les mots sont faits pour être ployables à tous les sens.

Alors, ce que j’ai proposé, ce que j’ai proposé dès le départ de cet enseignement, dès « Le discours de Rome », c’est d’accorder l’importance qu’elle a dans la pratique, dans la pratique analytique, au matériel de lalangue.
Un linguiste, un linguiste bien sûr est tout à fait introduit d’emblée à cette considération de la langue comme ayant un matériel.

Il le connaît bien, ce matériel :
c’est celui qui est dans les dictionnaires,
c’est le lexique,
c’est la morphologie aussi, enfin,
c’est l’objet de sa linguistique.

Il y a quelqu’un qui, naturellement est à cent coudées au-dessus d’un tel congrès que celui que je vous ai dit : c’est JAKOBSON.
Il a comme ça un petit peu parlé de moi, comme ça en marge, pas dans son discours d’entrée, mais tout de suite après il a tenu à bien préciser que l’usage que j’avais fait de DE SAUSSURE, et derrière DE SAUSSURE…
j’en savais assez pour le savoir quand même
…des stoïciens et de saint AUGUSTIN.

Pourquoi pas ? Je ne recule devant rien.
C’est bien sûr que ce que j’ai emprunté à SAUSSURE simplement et aux stoïciens sous le terme de signatum, ce signatum c’est le sens, et qu’il est tout aussi important que cet accent que j’ai mis sur le signans

Le signans a l’intérêt qu’il nous permet dans l’analyse d’opérer, de résoudre…
encore que comme tout le monde nous ne soyons capables que d’avoir une pensée à la fois
…mais de nous mettre dans cet état dit pudiquement « d’attention flottante », qui fait que justement quand le partenaire là, l’analysant, lui en émet une, une pensée, nous pouvons en avoir une tout autre,
c’est un heureux hasard d’où jaillit un éclair.

Et c’est justement de là que peut se produire l’interprétation, c’est-à-dire que à cause du fait que nous avons une attention flottante , nous entendons ce qu’il a dit quelquefois simplement du fait d’une espèce d’équivoque, c’est-à-dire d’une équivalence matérielle, nous nous apercevons que ce qu’il a dit…
nous nous apercevons
parce que nous le subissons
…que ce qu’il a dit pouvait être entendu tout de travers.

Et c’est justement en l’entendant tout de travers que nous lui permettons de s’apercevoir d’où ses pensées,
sa sémiotique à lui, d’où elle émerge :
elle n’émerge de rien d’autre que de l’ex-sistence de lalangue. Lalangue ex-siste ailleurs que dans ce qu’il croit être son monde.

Lalangue a le même parasitisme que la jouissance phallique,
par rapport à toutes les autres jouissances.
Et c’est elle qui détermine comme parasitaire dans le Réel
ce qu’il en est du savoir inconscient.
Il faut concevoir lalangue… et pourquoi pas parler de ce que lalangue serait en rapport avec la jouissance phallique
comme les branches à l’arbre.

C’est pas pour rien…
parce que quand même, j’ai ma petite idée
…c’est pas pour rien que je vous ai fait remarquer que ce fameux arbre de départ là, celui où on a cueilli la pomme,
on pouvait se poser la question s’il jouit lui-même tout comme un autre être vivant.

Si je vous ai avancé ça, c’est pas tout à fait sans raisons, bien sûr. Et alors, disons que lalangue, n’importe quel élément de lalangue, c’est au regard de
la jouissance phallique un brin de jouissance. Et c’est en ça que ça étend ses racines si loin dans le corps.

Bon, alors ce dont il faut partir…
vous voyez, ça traîne, il est tard, bon
…c’est de cette forte affirmation :
que l’inconscient n’est pas une connaissance : c’est un savoir, et un savoir en tant que
je le définis de la connexion de signifiants. Premier point.

Deuxième point : c’est un savoir dysharmonique, qui ne prête d’aucune façon
à un mariage heureux, un mariage qui serait heureux. C’est impliqué dans la notion de mariage, c’est ça qui est énorme, qui est fabuleux :
qui est-ce qui connaît un mariage heureux ?

Non ? … Mais enfin passons.

Néanmoins, le nom est fait pour exprimer le bonheur.

Oui, le nom est fait pour exprimer le bonheur
et c’est celui qui m’est venu pour vous dire
ce qu’on pourrait imaginer d’une bonne adaptation, d’un emboîtement, enfin de quelque chose qui ferait que ce que je vous ai dit de la vie, de la vie du corps chez celui qui parle, ça pourrait se juger d’un juste, d’un noble échange entre ce corps
et son milieu, comme on dit, son Welt à la noix. Ouais…

Quand même, ces remarques ont leur importance historique, parce que vous verrez, vous qui me survivrez, vous le verrez : tout ce qui a commencé de se balbutier en biologie donne bien l’impression que la vie n’a rien de naturel. C’est une chose folle.

La preuve, c’est qu’on y a foutu la linguistique ! C’est énorme, enfin.

Elle réservera des surprises cette vie, quand on aura cessé de parler comme des sansonnets, à savoir de s’imaginer que la vie ça s’oppose à la mort.

C’est absolument dingue, cette histoire !

D’abord, qu’est-ce que nous en savons ?
Qu’est-ce qui est mort ?

Le monde inanimé, que nous disons.

Mais, c’est parce qu’il y en a une autre conception de l’âme que celle que je vous représentais maintenant, à savoir que l’âme, c’est ce qui… c’est un crabe.

Alors, je vais vous dire : au point où nous en sommes c’est paradoxal.

C’est paradoxal, je dis ça parce que j’ai lu un petit papier torchon qui s’est émis là dans le dernier congrès de la Société de Psychanalyse et qui témoignait de ceci qui est pour le moins paradoxal :
c’est que pour ce que je suis en train de rejeter,
à savoir qu’il y ait connaissance, qu’il y ait la moindre harmonie de ce qu’on situe de la jouissance, de la jouissance corporelle avec ce qui entoure.

Mais il y a qu’un endroit où ça puisse se produire, cette fameuse connaissance, enfin un endroit à mon sens, et vous le devinerez jamais :
c’est dans l’analyse elle-même.

Dans l’analyse, on peut dire qu’il peut y avoir quelque chose qui ressemble à la connaissance.
Et j’en trouve le témoignage dans ceci :
qu’à propos du papier, du papier torchon dont je vous parle, où il s’agit du rêve, c’est absolument merveilleux l’innocence avec laquelle ça s’avoue.

Il y a une personne…
et une personne dont je m’étonne pas du tout que ce soit cette personne-là, parce que quand même il a reçu une touche d’un petit coup de fion
que je lui ai donné dans le temps [ Rires ]
…c’est que tout est centré autour de ceci qu’il voit se reproduire dans un de ses rêves une note,
une note à proprement parler sémantique…
à savoir que ça n’est que vraiment là
comme noté, articulé, écrit
…il voit se reproduire dans un de ses rêves une note sémantique du rêve d’un de ses patients.

Il a bien raison de foutre co-nnaissance dans son titre. Cette espèce de mise en co-vibration, en co-vibration sémiotique, en fin de compte, c’est pas étonnant qu’on appelle ça comme ça pudiquement : le transfert.
Et on a bien raison aussi de ne l’appeler que comme ça. Ça, je suis pour.
C’est pas l’amour, mais c’est l’amour au sens ordinaire, c‘est l’amour tel qu’on se l’imagine. L’amour, c’est évidemment autre chose. Mais pour ce qui est de l’idée, si je puis dire, qu’on se fait de l’amour, on fait pas mieux que dans cette sorte de connaissance analytique.

Je suis pas sûr que ça mène loin, c’est bien aussi d’ailleurs pourquoi ça reste dans le marais, toute l’expérience analytique.

C’est pas de cela qu’il devrait s’agir.
Il doit s’agit d’élaborer, de permettre à celui que j’appelle l’analysant d’ élaborer, d’ élaborer ce savoir,
ce savoir inconscient qui est en lui comme un chancre,
pas comme une profondeur, comme un chancre !

Ça, c’est autre chose, bien sûr, c’est autre chose que la connaissance. Et il y faut une discipline évidemment un peu autre qu’une discipline philosophique, n’est-ce pas ?

« si plein, si rond (un seul pour deux) le rêve des Mortimer qu’en vain les Eugène cherchent, pour y pénétrer, une issue. »

Il y a un machin de COCTEAU…
parce que de temps en temps je ne vois pas pourquoi je cracherais sur les écrivains,
ils sont plutôt moins cons que les autres
…il y a un machin de COCTEAU qui s’appelle Le Potomak où il a créé quelque chose, dont je ne vais pas me mettre à vous dire ce que c’est : les Eugène.
Mais il y a aussi là-dedans les Mortimer.
Les Mortimer n’ont qu’un seul cœur, et c’est représenté dans un petit dessin où ils ont un rêve en commun.

C’est quelqu’un dans le genre de mon psychanalyste de tout à l’heure, celui que je n’ai pas nommé : entre l’analysant et l’analyste, c’est comme chez les Mortimer.

C’est pas fréquent, c’est pas fréquent, même chez les gens qui s’aiment, qu’ils fassent le même rêve. Ça c’est même très remarquable. C’est bien ce qui prouve la solitude de chacun avec ce qui sort de la jouissance phallique. Ouais… Bien.

Alors quand même…
il ne me reste plus qu’un petit quart d’heure
…je voudrais quand même faire quelques remarques sur la portée…
parce que ça a semblé frapper comme ça un copain
qui est là au premier rang, je lui ai lâché ça comme ça au cours d’un dîner et j’ai eu la surprise de voir que ça le comblait de plaisir.
Alors je me suis rendu compte à quel point je m’explique mal [ Rires ] :

Parce que moi je vous avais écrit au tableau  : ∃x  tel que Non Phi de x . Ce qui veut dire : « il faut qu’il y en ait un qui dise non à la jouissance phallique». Grâce à quoi, et seulement grâce à quoi : , « il y en a des « tous » qui disent oui ».
Et je vous ai mis en face… j’ai dû prêter à confusion… : « qu’il y en a d’autres chez qui il n’y en a pas qui disent non ».
Seulement ça a pour curieuse conséquence que chez ces autres, enfin, y a pas de « tout » qui dise oui: Pas-tout x phi de x.

Ça, c’est l’inscription, c’est la tentative d’inscription dans une fonction mathématique, de quelque chose qui use des quanteurs.

Et il y a rien d’illégitime…
je ne vais pas plaider ça aujourd’hui
parce que nous n’avons plus le temps
…il y a rien d’illégitime à cette quantification du sens.

Cette quantification relève d’une identification.
L’ identification relève d’une unification.

Qu’est ce que je vous ai écrit autrefois dans les formules des quatre discours ?

Un S1 qui vient se ficher, qui vient pointer dans un S2. S1 → S2 . Qu’est-ce que c’est qu’un S1 ? C’est un signifiant, comme la lettre l’indique. Le propre d’un signifiant – c’est un fait de langue auquel on ne peut rien -, c’est que tout signifiant peut se réduire à la portée du signifiant Un.

Et c’est en tant que signifiant Un …
       je pense que vous vous souvenez autrefois de mes petites parenthèses : S1 S2 entre parenthèses,
       et il y avait des S1 qui se refoutaient devant, etc.
…pour exprimer l’affaire que je définis, pour faire que le signifiant ça soit ce qui domine dans la constitution du sujet :
un signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant.

Bon alors, alors Toute lettre x, et quelle qu’elle soit, ça veut dire cet Un comme indéterminé. C’est ce qu’on appelle dans la fonction, dans la fonction
au sens mathématique, l’argument. C’est de là que je suis parti pour vous parler de l’identification.

Mais s’il y a une identification, une identification sexuée, et si d’autre part je vous dis qu’il n’y a pas de rapport sexuel, qu’est-ce que ça veut dire ?

Ça veut dire qu’il n’y a d’identification sexuée que d’un côté, c’est-à-dire que tous ces épinglages dits fonctionnels de l’identification, ils sont à mettre…
        et c’est en ça que le copain en question manifestait sa vive satisfaction, c’est
        parce que je le lui ai dit comme ça appuyé, au lieu qu’à vous, je vous ai laissés dans la mélasse
…c’est que toutes ces identifications sont du même côté. Ça veut dire qu’il y a qu’une femme qui est capable de les faire.

Pourquoi pas l’homme ? Parce que vous remarquez que je dis bien sûr une femme, et puis je dis « l’homme ».

Parce que l’homme…
        l’homme tel que l’imagine La femme,
       c’est-à-dire celle qui n’existe pas,
       c’est-à-dire une imagination de vide
…l’homme lui, il est tordu par son sexe.
Au lieu qu’une femme peut faire une identification sexuée.

Elle a même que ça à faire, puisqu’il faut qu’elle en passe par la jouissance phallique qui est justement ce qui lui manque. Je vous dis ça parce que je pourrais le moucheter d’un repérage de mes quatre petits épinglages, là : 

Qu’est-ce que ça veut dire pour la femme, puisque vous avez pu croire qu’avec ça, ce que je désignais c’étaient tous les hommes ? Ça veut dire l’exigence que la femme montre – c’est patent – que l’homme soit tout à elle. Je commence par là, parce que c’est le plus marrant. Il est dans la nature d’une femme d’être jalouse, dans la nature de son amour.

Quand je pense qu’il va falloir que d’ici dix minutes, je vous explique aussi ce qu’est que l’amour ! C’est ennuyeux d’être bousculé à ce point-là. Bon.

Le « pas toutes » dont j’ai inscrit l’autre rapport au Φx, c’est par quoi ce même amour, l’amour dont il s’agit et que je mets là comme ça, généreusement tout entier du côté des femmes, il faut quand même y mettre,
si je puis dire, une pédale [ Rires ], je veux dire par là, que c’est « pas toute » qu’elle aime : il lui en reste un bout pour elle, de sa jouissance corporelle.
C’est ça que ça veut dire, le . le pas-toutisme. Bon.

Et puis après le ∃x, l’ex-sistence du x qui est celui où se situe Dieu. Il faut être plus tempéré, faut pas se monter le bourrichon avec ces histoires de Dieu, c’est tout de même pas parce qu’il y a du savoir dans le Réel que nous sommes forcés de l’identifier à Dieu.

Je m’en vais vous en proposer moi, une autre interprétation : – c’est le lieu de la jouissance de la femme, qui est beaucoup plus lié au dire qu’on ne l’imagine. Il faut bien dire que sans la psychanalyse, je serais là-dedans comme un béjaune , comme tout le monde.

Le lien de la jouissance de la femme à l’impudence du dire, c’est ce qui me parait important à souligner. Je n’ai pas dit l’impudeur. L’impudence, c’est pas pareil, c’est pas pareil du tout.

Impudence : A. − Attitude d’une personne qui agit volontairement d’une manière jugée offensante, effrontée, ou contraire à la bienséance. Synon. culot, toupet (fam.).V. aplomb 

B. − Rare. Acte impudent. Il a mérité d’être châtié pour ses impudences (Ac.).
 

Et le, barrés tous les deux, c’est en quoi la femme n’existe pas, c’est-à-dire ce en quoi sa jouissance ne saurait être fondée de sa propre impudence.

Je vous livre ça comme ça.
C’est… je dois convenir que c’est…
je vous trouve patients
…ça, c’est des coups de massue que je vous colle
sur le zinzin.

Mais enfin, comme je suis un tout petit peu bousculé, je voudrais quand même conclure sur ce fait que l’inconscient comme savoir dysharmonique est plus étranger à une femme qu’à l’homme.

C’est marrant que je vous dise un truc pareil ! [ Rires ]

Et alors, et alors, qu’est-ce qui va en résulter ?
Qu’est-ce qui va en résulter: c’est qu’il y a quand même le côté femme. C’est pas parce qu’il est plus étranger qu’il est pas étranger à l’homme aussi.

Il lui est plus étranger à elle parce que ça lui vient de l’homme, de l’homme dont j’ai parlé tout à l’heure, de l’homme dont elle rêve.

Parce que si j’ai dit que l’homme existe, j’ai bien précisé que c’est dans la mesure où c’est lui qui, par l’inconscient, est le plus chancré, échancré, même.

Mais une femme conserve, si je puis dire, un petit peu plus d’aération dans ses jouissances.
Elle est moins échancrée contrairement à l’apparence.
Et c’est là-dessus que je voudrais terminer.

Je voudrais terminer sur ceci qui est extrait de PEIRCE :
c’est qu’il s’est aperçu quand même que la logique, la logique aristotélicienne, c’est une logique purement prédicative et classificatoire, alors
il s’est mis à cogiter autour de l’idée de la relation, à savoir ce qui est parfaitement, ce qui va de soi,
ce qui est « du billard », du billard concernant…
non pas l’épinglage fonctionnel à un seul argument que je viens de vous donner pour être celui de l’identification en en remettant la chose dans la poche de la femme
…il s’est mis à cogiter autour de x R…
R, signe d’une relation idéale, vidée,
il ne dit pas laquelle
…R et y : x R y, une fonction à deux arguments.

Qu’est-ce que c’est…
à partir de ce que je viens de vous avancer aujourd’hui
…qu’est-ce que c’est que la relation savoir ?
Il y a une chose très très astucieuse qui est notée dans PEIRCE…
vous voyez, je rends hommage à mes auteurs
…quand j’y fais une trouvaille, je la lui rends.

Je la lui rends comme ça, je pourrais aussi bien
ne pas la lui rendre.
Autrefois, j’ai parlé de métaphore et de métonymie, et tous les gens se sont mis à pousser les hauts cris, sous prétexte que je n’avais pas dit tout de suite que
je devais ça à JAKOBSON.

Comme si tout le monde ne devait pas le savoir ! Enfin, c’était LAPLANCHE et LEFEBVRE-PONTALIS qui ont poussé les hauts cris autour de ça.
Enfin, quel souvenir ! C’est le cas de le dire !

Si ce que je vous dis aujourd’hui, ce que je vous avance, est fondé, le savoir ça n’a pas de sujet.

Si le savoir c’est foutu dans la connexion de deux signifiants et que ce n’est que ça, ça n’a de sujet qu’à supposer qu’un ne sert que de représentant du sujet auprès de l’autre.

Il y a quand même quelque chose d’assez curieux là: c’est que la relation, si vous écrivez : x R y
dans cet ordre, en résulte-t-il que x est relaté à y ?
Pouvons-nous de la relation supporter ce qui s’exprime dans la voie active ou passive du verbe ?

Mais, ça va pas de soi. C’est pas parce que j’ai dit que les sentiments sont toujours réciproques…
car c’est ainsi que je me suis exprimé
dans le temps, devant des gens qui comme d’habitude n’entendent rien à ce que je dis
…c’est pas parce qu’on aime qu’on est aimé.

J’ai jamais osé dire une chose pareille !
L’essence de la relation, si en effet quelque effet en revient au point de départ, ça veut simplement dire que quand on aime on est fait énamoré.

Et quand le premier terme, c’est le savoir ?
Là, nous avons une surprise, c’est que le savoir, c’est parfaitement identique – au niveau du savoir inconscient – au fait que le sujet est su.

Au niveau du sens en tout cas, c’est absolument clair : le savoir c’est ce qui est su.

Alors essayons quand même de tirer quelques conséquences de ceci que ce que l’analyse nous montre, c’est que ce qu’on appelle le transfert, c’est-à-dire ce que j’ai appelé tout à l’heure l’amour…
l’amour courant, l’amour sur lequel on s’assoit tranquillement, et puis pas d’histoires
c’est pas tout à fait pareil que ce qui se produit quand émerge la jouissance de la femme.

Mais, que voulez-vous, ça, ça sera… je vous réserverai ça pour l’année prochaine.

Pour l’instant, essayons bien de saisir que ce que l’analyse a révélé comme vérité, c’est que l’amour…
l’amour dont j’ai parlé tout à l’heure
…l’amour se porte vers le sujet supposé savoir, et alors qu’est ce qui serait l’envers de ce sur quoi j’ai interrogé la relation de savoir ?

Eh bien, ça serait que le partenaire dans l’occasion, est porté par cette sorte de motion qu’on qualifie de l’amour.

Mais, si le x de la relation qui pourrait s’écrire comme sexuelle, c’est le signifiant, en tant qu’il est branché sur la jouissance phallique, nous avons tout de même à en tirer la conséquence.

La conséquence, c’est ça :
si l’inconscient est bien ce dont je vous ai dit aujourd’hui le support, à savoir un savoir,
c’est que tout ce que j’ai voulu vous dire cette année à propos des non-dupes qui errent, ça veut dire que
« qui n’est pas amoureux de son inconscient erre ».

Ça dit rien du tout contre les siècles passés.
Ils étaient tout autant que les autres amoureux de leur inconscient, et donc ils n’ont pas erré.

Simplement, ils ne savaient pas où ils allaient,
mais pour être amoureux de leur inconscient,
ils l’étaient!

Ils s’imaginaient que c’était la connaissance.
Car il y a pas besoin de se savoir amoureux de son inconscient pour ne pas errer, il n’y a qu’à se laisser faire, en être la dupe.

Pour la première fois dans l’histoire, il vous est possible, à vous d’errer, c’est-à-dire de refuser d’aimer votre inconscient, puisque enfin vous savez ce que c’est : un savoir, un savoir emmerdant.

Mais c’est peut-être dans cette erre (e,deux r,e)…
vous savez, ce truc qui tire, là,
quand le navire se laisse balancer
…c’est peut-être là que nous pouvons parier de retrouver le Réel un peu plus dans la suite,
nous apercevoir que l’inconscient est peut-être sans doute dysharmonique, mais que peut-être il nous mène à un peu plus de ce Réel qu’à ce très peu de réalité qui est la nôtre – celle du fantasme – qu’il nous mène au-delà : au pur Réel.

[ Aplaudissements ]

 

Source : http://www.valas.fr/Jacques-Lacan-les-non-dupes-errent-1973-1974,322

mercredi 9 juin 2021

lun. 28 juin, après-midi – la nature de mon corps

après-midi. je reprends l’écriture des nuits.

nuit de samedi à dimanche,

cette nuit, éveillée tôt mais plus tard qu’hier.
ça continuait à penser la nuit précédente.
ça rêvait, 2 rêves.
il s’agit de la nature de mon corps.

je me réveille vers 5 heures, petit à petit mes pensées se relèvent, se mettent en branle, je rentre dans ce que je connais, un mâchage et rabâchage qui n’en finit pas. dont j’essaie de trouver l’issue de secours.

je n’arrivais pas à ne pas penser à Rachel et au tai chi.
s’agissant des pensées vis-à-vis de Rachel, je suis sûre qu’il s’agit, quand j’ai ce genre de pensées revanchardes, accusatrices, « parano », d’une forme d’appui que je recherche, qui s’impose à moi dans certaines circonstances, que je ne parviens pas encore à déterminer. c’est une pensée paranoïaque dont j’ignore l’office, qui s’impose au détriment de toute autre, qui n’est pas seulement de pure jouissance. j’ai encore besoin d’en vouloir à Rachel. j’ai encore besoin de souffrir d’elle, de rêver de vengeance, de penser avec peine à tout ce qui s’est passé. probablement face à certaines angoisses, à certain évidement, j’use de ce recours à un Autre méchant. il me semble qu’il y a là une forme de facilité. mais aussi une indéniable contrainte. j’ai beau ne pas vouloir prendre ces pensées au sérieux, je n’ai guère le choix. tous mes efforts se sont alors centrés là-dessus, me détacher de ces pensées accusatrices. toujours est-il qu’il est également devenu nécessaire de penser à ce que Rachel a été pour moi, avant la rupture d’il y a un an. et c’est maintenant que ça se pense. jusqu’à présent, je l’ai chassé, escamoté. avec P, le nouveau professeur, j’ai essayé de donner une prolongation à cette relation, jusqu’à que j’arrive à aujourd’hui, maintenant, où je me rends compte que ce n’est définitivement plus possible. ce qui s’est précipité avec la lecture de Millot, les douleurs lombaires, la solitude, la fin des cours, le fait que je n’irai pas au stage.

c’est pourquoi, j’essayais de penser au tai chi, à ce qu’avait été son office pendant des années, à ce qu’il en resterait si je n’y suivais plus un maître, pour le dire grossièrement. que reste-t-il du tai chi, s’il n’est pas pris dans l’écolage et dans l’amour d’un maître.

est-ce qu’il n’en reste rien.
qu’en restait il, à ce moment-là, d’insomnie.
que pouvais-je encore en retirer.
quelle avait été sa fonction, son apport. indépendamment du confort de « la voix de son maître ».
le tantien, qu’en reste-t-il ? est-il voulu ?
le centre ?
pouvais-je encore agir par lui ?
quel intérêt ?

j’ai fait plusieurs tentatives d’exercices respiratoires et autres. me souvenant combien ils m’avaient déjà aidée lors de nuits d’insomnie.
concentration sur les points,  les repères, tentative de faire ces exercices « d’appui d’inspir sur le tantien » pour faire gonfler, respirer, disparaître un coin du corps. tentative de laisser faire, sans intervenir. pensé à l’expansion du corps. jusqu’où ? je ne me souviens plus. la veille prise dans les limites du jardin. cette nuit… dans des limites reculées bien au-delà, sans qu’il y ait vraiment une sensation d’infini. (non, il n’y a pas eu de point auquel j’ai pensé, je crois, qui n’ait existé, dont les coordonnées n’auraient pu trouver à être écrites. ce qui est idiot, peu probable.)
pensé aux mystiques de Millot.
puis-je, dans une voie autre que celle du tai chi, penser  « Dieu », utiliser l’évocation du nom de  Dieu ? dans une tentative magique d’évoquer, dans un nom, le réel que je le suppose recouvrir, réel de ce qui manque au nom, absence même de Dieu? n’ai ressenti aucune révélation, sensation extraordinaire. que puis-je utiliser de Millot, de la pensée de Vlady ? s’agit-il de rejoindre La Vie comme il disait ? est-ce du bonheur ? y a t il « une pensée du corps », le corps a-t-il quelque chose à me dire ? non, non, non et re-non, répondais-je, m’appuyant d’une pensée critique des propositions de Rachel qui là me paraissaient ridicules. qu’est-ce qui se garde, est à jeter, s’invente, disparaît ? et alors, à un moment, au coeur de ces pensées dont aucune ne se soutenait d’une circulation, d’un parcours dans ce corps étendu, à un moment donné, cette certitude atteinte d’un nouage réel / symbolique, de réaliser cela, point par point en mon corps, de façon satisfaisante et rassurante, dans un corps aux limites  fluctuantes, sans qu’elles soient infinies. de façon satisfaisante et rassurante. je me suis donc endormie. 

et il y a eu deux rêves qui s’occupait de cette proposition, l’exploitait.

du premier, je ne sais plus rien.
du second…

j’étais fâchée que Nathalie (amie d’enfance) soit fâchée sur moi. je lui expliquais qui j’étais. je lui disais (pour m’excuser, pour me faire pardonner), que j’étais bipolaire et je lui parlais de ça, dans quoi je venais de m’endormir, de ce nouage réel / symbolique, dans un corps aux limites variables et tout à fait viable.

ce corps…. il ne s’agit pas de délire. il s’agit, pour échapper aux pensées, d’augmenter ma perception du corps en passant par des techniques apprises en tai chi. perception augmentée. d’augmenter la sensation. sensation augmentée. on rentre alors, je rentre alors, puisque je me suis aperçue que mon ressenti n’est pas universellement partagé, dans une perception autre des limites de mon corps, une perception qui serait plus proche de celle de l’inconscient. parce qu’il y a bien un endroit, au niveau de l’inconscient, où à un moment, je suis le jardin, ou je suis la piscine, ou je suis la maison de ma belle-mère. ce n’est qu’une question de dimensions, de passage d’une dimension à l’autre dont je me rends consciente, que je recherche. que je cherche ou que je subis, d’ailleurs, selon. mais, ce matin, avoir la sensation d’être le jardin me donne des limites et me permet de penser ce qui m’arrive parfois de façon inexplicable. c’est différent de ce qui se passe lorsque j’outrepasse ces limites…. à écrire ceci, je m’aperçois que la maison de ma belle-mère m’a offert un abri imaginaire, un repos, jamais ressenti ailleurs et menacé (réellement, pas dans mon imagination paranoïaque, depuis qu’elle n’est plus là pour en prendre soin). cette maison, ça a surtout été son jardin.

un corps non-infini, mais vaste (où cela reste inscriptible, à moins que ce ne soit l’inscription qui n’ordonne l’infinitisation) : c’est ce qui me sépare des mystiques de Millot : l’infini n’est pas atteint (je ne sors pas du lieu d’une écriture possible). au contraire, il s’agit plutôt d’une pensée des limites, même si elles sont hors-limites. je connais l’infini. il n’est pas atteint. éventuellement souhaitable. mais les limites ici outrepassées me préservent d’une impensable dissolution. une façon peut-être d’apprivoiser l’infini.

dans le rêve, jexigeais alors d’être ramenée quelque part. je sentais bien qu’il y avait une forme de chantage dans l’aveu que je venais de faire (bipolaire ça veut dire : qui peut se suicider à tout instant), mais je voulais le pardon, je voulais récupérer son amitié.

je me retrouve avec elle et ses amis dans un taxi. le chauffeur parle des bipolaires, dit qu’il en a connu, lui aussi. Nathalie a dû lui dire : je connais quelqu’un qui est bipolaire sans lui dire que c’était moi (comme quand on dit : j’ai un ami qui… sans dire que c’est soi l’ami….) 

arrivés au lieu dit de la Cage aux ours (une place qui donne sur une rue d’habitation de mon adolescence, où il y avait plusieurs arrêts de tram, dont j’ai souvent rêvé), un incident impose que nous soyons séparés. cette séparation est acceptable et acceptée.

je dois continuer dans un taxi seule. dans ce « taxi », je suis debout, le chauffeur est dans mon dos, debout lui aussi. c’est très agréable. il me serre. c’est délicieux. je voudrais qu’il me désire, qu’il m’aime.
nous roulons dans ma rue. 

Je me réveille.
je me réveille, je pense au rêve, je me rendors aussitôt profondément.


Nathalie : beaucoup rêvé d’elle fâchée. elle qui ne l’a jamais été. l’ai connue à l’école alors que j’avais six, sept ans ans, jusqu’à mes quinze, seize ans.

la dernière fois que j’ai vue, l’analyste, je lui ai parlé de ce que j’étais arrivée en analyse disant que je voulais être impardonnable. que je voulais rejoindre ce point-là, cet endroit-là. je l’ai dit alors sans savoir ce que je voulais dire.

j’exige d’être ramenée quelque part : à certains égards, je suis sans lieu, je n’arrive pas à me trouver un lieu actuel. je n’ai de lieu que dans le passé. là, il devait s’agir d’une des maisons de mon enfance. l’une des grandes maisons de mon enfance. Outrée, c’est une forme retrouvée, c’était une forme retrouvée de maison d’enfance, un lieu d’autrefois devenu actuel. une actualité augmentée du jardin, du dehors, de la nature, de la protection du regard. le jardin ayant été totalement fermé au monde extérieur. offrant un abri (pour le corps) exceptionnel, jamais connu, inédit, parfait.

l’incident Cage aux Ours : évoque de très loin un incident de cheval, de carriole, dans le cas de Freud, du petit Hans. quelque chose se soulève, dans la rue, se renverse, saute, explose.

Envoyé à l’analyste mercredi 30 juin, à 8h.

mardi 27 juillet 2021

mar. 27 juillet :: dedans dehors (d’inanité sonore)

Rentrés hier à Paris. Réveillée ce matin à 7 heures. Plein de rêves, plein de rêves. Traîné puis levée pour écrire et réinscrite réseaux sociaux, ça fait 2 heures que j’y.

Ca fait 2 heures que j’y.

Tout le monde dort, une fenêtre du salon ouverte sur le ciel blanc. Bruits qui résonnent dans ce qui s’entend encore du silence : c’est le matin, c’est les vacances. Mardi 27 juillet. Du dehors, l’air n’est pas tout à fait le même qu’au dedans. Il y aurait quelque chose à en dire, mais je ne trouve pas quoi. De la conscience de cette frontière, à quelques mètres de moi. Dedans dehors. Je songe une fois de plus à la joie de Proust qui écoute, guette ravi depuis sa chambre les bruits de la rue et nous les décrits. Il y a quelque chose de ça. N’était-ce la stridence de certains bruits parfois, qu’il faut supporter, accepter, intégrer. Le rugissement d’un camion. Ici, pas de marché, pas de marchand, de passant quotidien que l’on reconnaîtrait, rue anonyme. Des voix, des dialogues, pourtant, qui sont comme de toute éternité, même en langue étrangère, et tiens, voila du français, cet accent ! Ceci ne s’entend qu’au matin. Et que grincent les pneus d’un vélo dans la descente. – Allez, bonne chance ! – Bon courage ! Avec leur métier, leur âge tout inscrit dans leur voix, comme hier le lierre pris dans les branches blanches du vieux poirier. Chair, rocaille. Si l’on ne distingue ce qui se dit, un soupir s’entend. Dedans, dehors. Qu’est-ce qui me vaut ce qui s’apparenterait à de la joie. Une joie bien calme, qui ressemble au silence, au recueil. – Ce pays de merde ! Voix reconnue d’un clochard. Et l’absence de soleil. Qui ne se lèvera pas du jour, cela se laisse aisément prédire. Les deux amis qui passent en parlant. Les pas de ceux que je n’entends pas. 9h30. Quelle cloche sonne ? De Belzunce. Qu’est-ce qui nous vaut la joie, la joyance? Est-ce d’être seule, ce vol aux dormeurs, ce vol aux surveilleurs? Comment on sait si peu de soi et de ses raisons. Faut-il le savoir ? Le bus électrique se signale d’un son de cloche qui ressemble à celui des trams bruxellois. Ou s’agit-il seulement de cet état d’être, en extension, en élargissement. En neutre élargissement. Car le mot de joie est trop connoté, a trop pris parti, pour parler de cet instant qui n’est pas loin de se satisfaire de cela seulement qui résonne, se transmet, se répercute. Les voies sonores, l’épaisseur trouée du silence.

(l’air, vecteur, est cela qui vous enseigne)

*

Lu hier, de Bernard Lecoeur :

« L’identification contribue à transformer ce qui est de l’extérieur en intérieur. C’est une façon d’aménager l’espace, d’y introduire une certaine vérité qui n’est autre que celle du corps. L’identification participe à la mise en place de lieux, le lieu de «l’un comme tel [devient celui de] l’Autre » [1].
[1] Lacan J., Le Séminaire, livre IX, « L’identification », leçon du 29 novembre 1961, inédit.« 

https://www.hebdo-blog.fr/identification-a-distance/

qui se répercute ici sans que j’y comprenne rien.
De l’Un devient de l’Autre. Ce qui se répercute : de l’Autre. L’humanité.
De lieu : Disons : de corps étendu. Sa vérité ai-je tellement envie d’ajouter.

… au salon vide : nul ptyx
Aboli bibelot d’inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s’honore.)

Je ferme la fenêtre le bruit, retourne me coucher
jusqu’à ce que tous se lèvent et que je puisse
à mon tour faire du bruit.

lundi 14 novembre 2022

une force

il y a en moi une force qui me pousse à ne pas faire ce que je dois, et qui a dominé toute me vie, à ne pas faire ce que je dois et à me haïr. à me haïr et à me supprimer.
(tentative d’articulation : je ne fais pas ce que je dois pour pouvoir me haïr)
c’est la force la plus insidieuse qui soit, la plus dissimulée.
je ne pense pas qu’elle s’exerce chez les autres de la même façon, ni qu’elle se soit exercée également en moi tout au long de ma vie. elle m’a cependant toujours rattrapée.
je pense que je peux exprimer ceci à l’âge que j’ai, à 59 ans (je pense que cette force-même s’y oppose, et que je suis en cette période en position de force vis-à-vis d’elle. )
tout au long de ma vie, je me serai battue pour mettre en place des stratagèmes divers et variés pour la contrer.
ces stratagèmes n’obéissent à rien de connu (de l’ordre de l’ordre, de la morale ou de la discipline). me semble-t-il. (en fait, je ne sais pas grand chose d’eux, je constate que je suis actuellement arrivée à une forme d’équilibre, de balance.)
quand sa menace se fait trop forte, souvent, me semble-t-il, j’écris. en dernier recours. car écrire entraîne une satisfaction de moi-même que je ne peux pas longtemps maintenir. que mon besoin de haine de moi vient rapidement contrecarrer.
(tout cela aujourd’hui, je le connais. j’écris, je ne pourrai pas écrire longtemps, il va falloir que j’oublie, que j’arrête, je ne vais pas rester dans ce confort, d’être celle qui écrit, je dois juste attendre le moment où,je pourrai y retourner. il n’y a là derrière rien d’autre que cette force d’inertie qui… ne veut pas que je puisse m’identifier à quoi que ce soit. c’est pourquoi aujourd’hui, il est temps que j’arrive à tracer les contours, même en creux, d’une identification, de ce que j’appelle une identification, c »est-à-dire quelque chose de l’ordre d’une forme, même en creux, car, à force de me fréquenter, je peux dire que je le sens finalement : il y en a une, de forme, identifiable.)
je voudrais aussi pouvoir l’écrire d’une écriture qui apprenne à faire place à la légèreté, je tiens à dédramatiser ce qui a pourtant toutes les allures d’un drame.
l’écriture n’est pas le seul stratagème, il y en a d’autres.
ce dont je parle, cette force de la haine de soi, de la haine de moi, des haïsseurs de soi, il m’est arrivé de l’attribuer à une maladie, celle répondant au doux nom de mélancolie.
ce nom est-il nécessaire, cette classification?
ce diagnostic.
ce diagnostic m’a emmenée à pouvoir écrire ce que j’écris ici. il n’a pas expliqué. il ne m’a pas expliqué.
par sa prise en compte d’une mortelle haine de soi, faisant partie de son pathologie, qu’il tirait enfin  dans la lumière.

//

maintenant, maintenant, ce matin  sept heures, assise dans le canapé dans la maison endormie, je vais dire des choses étranges. la force derrière cette haine de soi, l’intelligence à l’œuvre, la forme d’intelligence à l’œuvre, qui n’est rien de connu, seulement éprouvé, subi, a quelque chose à voir avec la santé, la santé physique. et l’alimentation. là, commence le délire, j’entends les commentaires. c’est de l’ordre de la conviction, de la certitude. signature de plus du délire. et pourtant.
j’écris ici, rompue, couchée sur le dos, cassée. bien plus cassée physiquement que mentalement.
et convaincue que c’est par l’alimentation que je pourrai me soigner. et l’exercice.
(dos cassé, calculs aux reins, ostéoporose, arthrose, etc.)
//–
or,
il n’y a pas toujours eu la maladie. physique. mentale, toujours.
il faut donc que je tienne compte de ça. la maladie physique est récente, liée à la d’échéance de l’âge.
longtemps le corps a été plus fort (que les excès).
n’a pas eu sa part dans le débat, s’est tu.
et si c’était maintenant qu’il déchoit, qu’il s’entend, se fait entendre, maintenant qu’il arrive à capter l’attention, qu’il est entendu, répondu.
que ce soit au moment où ses forces déclinent, qu’elles ne sont plus prises comme allant de soi, qu’elles se mettent à exister. ce qu’il en reste. qu’elles ne sont plus « naturelles », négligeables. la force silencieuse à l’œuvre jusque là.
et que ce soit en commençant à faire attention, que j’ai commencé à rentrer dans une forme de dialogue avec mon corps, que j’ai commencé à le soigner, à me soigner.
//–
faux.
il y a toujours eu mon corps. sa manifestation. son écoute. ses perturbations. moins dans la maladie que dans l’angoisse. sa manifestation dans l’angoisse.
la maladie physique a peut-être servi à mettre des mots, à établir des lois, à détecter des causes et des effets, avec l’effet d’apaisement connu.
d’apaisement de l’angoisse.
//–
alors, mauvaise piste ?
il y a eu le corps haï.
il y a tellement eu le corps haï.
Je l’oubliais.
Je me suis haïe (et adorée) d’abord par le corps.
la mauvaise image, l’outre.
ainsi fut ma jeunesse.
l’outre pleine. l’outre débordante. l’outre à viscéralement haïr. du dedans.
et son image. jamais la bonne, insaisissable. manquante, absente. en moi provoquant l’effroi.
j’écrivais : adorée. y eût-il l’adoration? c’est lacan qui dit ça (l’homme adore parce qu’il croit qu’il l’a).
l’incompréhensible, c’est qu’il y a eu ce sentiment, cette conscience d’être belle. et son contraire. il y a eu ce sentiment de triomphe. étrange, non. oui, de triomphe. de grandeur. de joie, de confort, physique. en particulier, lorsque je marchais dans la rue. de conquête.
(cela arrivait dans les moments de nécessité, où je n’avais pu échapper à une obligation sociale et où il fallait ça pour me faire sortir de chez moi, le rendre possible. je n’en fais pas l’aveu sans honte. mais, sans avoir atteint cet état-là de confiance physique en moi, je ne serais pas sortie. tous les jours il n’en allait pas comme ça. je ne parle pas des sorties usuelles pour l’école ou le boulot. des occasions, je parle. les grandes. est-ce que je dis la vérité? jusqu’à un certain point oui, parce que je me souviens l’avoir déjà analysé, écrit, à un moment où ce sentiment pouvait encore exister. je me souviens de ma grande complicité avec mes jambes, entente, jouissance, joie. et celle de ma taille élevée qu’élevaient encore des talons hauts. mais pour affronter du monde, il fallait ça. aucune simplicité possible. du grand apprêt, harnachement. et alors, flotter.)
//–
c’est que longtemps je n’ai eu de présence au monde possible que par la séduction. d’autre présence, intelligence, vie.
//–
quand la séduction m’a quittée
il a fallu tout réinventer
j’ai dû apprendre à compter sur moi par où je n’avais jamais compté
soulagement à la fois que mort
or quelque chose de la haine de soi s’accomplissait et n’était plus à accomplir en corps.
probablement je suis encore moins sortie dans le monde
tout en le trouvant plus facile
car : invisible, devenue.
//
enfin donc, corps: première matière de la haine de soi.
et aujourd’hui : première matière de la connaissance de soi, de la guérison de soi.
//–
j’ajoute: il y a eu (à l’aube de la fin du monde, du corps) la pratique du tai chi, la rencontre d’un corps qui ne doive pas se réduire à l’image, qui prenait consistance, corps, vie, via une pratique physique et la connaissance intime de trajets, de circuits que la médecine chinoise y inscrit/lit. une connaissance du dedans, un dessin interne, neutre, de seule circulation, flux, jouissance. une nouvelle géographie, une nouvelle cartographie.
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beaucoup est dit.

retour à la haine de soi.
qui a peut être toujours à voir avec le devoir et le faire.
qui maintient dans le devoir et l’impossible faire (l’impossibilité du fer).
Ça ne sonne pas bien.
ce n’est donc probablement pas juste.
Je vais donc en rester là pour aujourd’hui.

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