Gravity, la voix incorporée par Dominique Corpelet

11 novembre 2013 | novembre 2013 | Cut&Paste, psychanalyse |

 At 372 miles above the earth there is nothing to carry sound, no air pressure, no oxygen. Life in space is impossible.

Ainsi s’ouvre le dernier film d’Alfonso Cuaron, Gravity : « Dans l’espace, il n’y a rien pour porter le son….» Cet incipit signifie-t-il que la voix est indispensable à la vie humaine, au même titre que l’oxygène et la pression atmosphérique ?
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Les points sur le U

15 novembre 2013 | novembre 2013 | Les points sur le U | , , , , , , , , , , , , , , , |

Je m’étais couchée raisonnablement tôt, après une journée particulièrement banale –  j’avais dû regarder quelques épisodes de série ( la finale d’Enlightened), je n’avais pas eu envie de lire, cela je m’en souviens, et je m’apprêtais à m’endormir dans un sentiment inhabituel de satisfaction. Soudain, couchée sur le côté – c’est autre chose. Une sensation dont j’aurais probablement tout oublié si je n’avais rapidement jeté ces quelques notes le lendemain matin– des mots que la nuit-même je m’étais répétés, anxieuse de les retenir, même si je les notai ensuite un peu à contrecœur, consciente encore de tout ce qui s’y perdait  :

« Nuit
Corps sous couette, souffrance vide
corps & mots
Certain souvenir
Des mots
S’en viennent, s’en vont

— L’idée d’un livre, l’intituler « Trauma » et qu’il n’y soit jamais raconté. –

Trauma. Tréma. Umlaut.1
Trauma. Tréma. Umlaut.
Ces points sur le u que je restituai à mon nom au sortir de l’analyse.
Müller, l’ü en double i. »

Il y avait eu les Journées d’étude de l’ECF2 sur le trauma.  Je n’y étais pas allée mais j’en avais lu de nombreux textes préparatoires sur un blog publié par les directrices de ces Journées3. Je m’étais alors dit que je n’avais aucun souvenir de trauma, que je n’avais rien repéré comme tel au cours de mon analyse. Je ne manque pas bien sûr de mauvais souvenirs,  et c’est d’ailleurs l’un d’entre-eux qui m’était revenu cette nuit-là,  ses mots. Mais je ne leur ai jamais accordé de « valeur » traumatique. Ce sont de mauvais souvenirs. Point. Ils ne me semblent pas rattachés à grand chose de ce que je suis devenue — j’irais jusqu’à dire qu’ils ne me paraissent pas faire partie de mon histoire ( ou alors aux endroits qui s’arrêtent sur un gouffre, dont les chemins ne sont plus repris,  bords oubliés d’un monde sinon rond). A moins qu’ils n’appartiennent à l’histoire honteuse  ( ne pas raconter non pas à cause de l’indicible mais à cause de la honte). J’ai cherché à les oublier, cela oui, et ce n’est pas eux que j’ai oubliés, mais la souffrance qui se liait à eux. Ils sont vidés. Autant que l’était mon corps cette nuit-là. Lourd, recourbé en virgule sur rien, seul. Absolument, fondamentalement. Devenu seul et les mots, vides, sont juste là – satellites, mouches.  le corps est la souffrance et la souffrance est vide. C’est une impression unique qui vient ( subrepticement) en suite de ce travail de l’École de la Cause freudienne sur le traumatisme. En réponse inattendue.

Il n’y a pas, il n’existe pas, me dis-je, d’interprétation de ces mauvais souvenirs, de possibilité d’interprétation.  Je ne sais pas ce qu’ils m’ont fait. De son côté, mon corps, lui, a-t-il pu « arrêter une interprétation » ? Qu’il ait noué des liens spéciaux à certains mots de ces souvenirs, certains signifiants, sans m’inclure dans la partie, est possible. C’est bien ce que donne à penser ma transcription de cette nuit-là. La juxtaposition des mots et le corps, le vide de leur relation, la souffrance de ce lien en souffrance. Les mots étant la souffrance même, du corps seul, vides de sens,  en un endroit d’étrangeté.

C’était comme ça. Comme je le dis, là.

Il y aura eu une façon d’interprétation de mon corps, de la part de mon corps, de mon corps en cet endroit inédit de solitude ; mais rien qui aie pu, aurait dû être interprété par moi et rejoué dans un scénario fantasmatique quelconque, destiné à être répété. Plutôt s’agirait-il d’une inscription.

ü

De pür douleur, dont l’un des noms s’est donné, aperçu alors, dans l’Umlaut de mon nom, le tréma, les points sur le « u »…

Oui, c’est drôle, tout d’un coup j’ai vu ça, que dans tréma, il y avait trauma.

Au départ, il y avait un tréma sur le u de mon nom et sur celui des autres membres de ma famille. Or ce tréma, au gré des passages par les guichets de l’administration belge, s’est vu disparaître. Moi-même, ni d’ailleurs mes parents, je ne l’apposais pas à mon nom, puisque ce n’était pas français. C’était un petit en-trop.  Mais quand mon analyse s’est interrompue, brusquement interrompue et que je suis venue m’installer à Paris, j’ai voulu restituer ce tréma à mon nom, et je l’ai, à partir de là, retracé sur le « u ».  J’ai fait cela sans réfléchir,  je l’ai fait et je m’y suis tenue. Me séparant d’ailleurs sur ce point et avec plaisir du reste de ma famille, qui continue d’écrire ce nom sans ses points dus.

… que « le désir de l’analyste n’est pas un désir pur » et que « c’est un désir d’obtenir la différence absolue ». Il précise alors que la différence dont il s’agit est celle qui « intervient» quand le sujet, « confronté au signifiant primordial», « vient», pour la première fois, « en position de s’y assujettir». –Pierre Naveau, Désir de l’analyste

Donc, la proximité inhabituelle où j’étais de mon corps, d’une certaine vie de mon corps, non liée à ma conscience, mais à des signifiants vides de sens, sans pathos, me permettait de relever dans  le tréma de mon nom sa résonance avec le terme trauma ; pointait ce  « u», ce  « u » aussi de l’avoir « eu »,  du corps « eu ».  J’assistais à sa solitude, elle d’ordinaire inaperçue, et percevais les mots qui la hantent. Et même si mon corps est aujourd’hui couvert de mille petits points (mini tumeurs bénignes qu’une dermatologue patiente et blonde m’enlève à l’électricité depuis peu), en devint-il, au moment de ces événements, de cet éventuel trauma, pour autant plus sexuellement malade qu’il ne l’était déjà ? N’étais-je pas sans savoir déjà ce qu’il y avait à (ne pas) savoir du sexuel ? Non, non non, non.  Dénégation, pourquoi niai-je mon ignorance d’alors ?  Mais ce que je savais surtout ne pas savoir, qui couvrait tout le reste,  c’était la possible méchanceté des hommes. Ce que je ne savais pas. C’est. Je ne savais pas qu’il pouvait m’arriver des malheurs. Je me croyais protégée. De Dieu. Je pensais que mon innocence me protégeait. Je ne perdais pas mon innocence, mais elle rencontrait dans le monde des réponses auxquelles elle ne s’attendait pas. Et ces mauvaises réponses étaient sexuelles. Et ces mauvaises réponses furent recouvertes par la méchanceté – qu’il était à ma portée, alors, de connaître déjà. Que sus-je alors de plus? Que je n’étais pas la princesse charmante – et que me restait-il alors à être?  Que le monde résiste à la sainteté. Que le monde résiste à Dieu. Qu’un corps n’appelle pas que l’amour.  Cependant, je restai püre. Alors que le sexe se séparait de l’amour.

C’est quoi la pureté?

Dieu, le sexe, l’amour, Un.

Conviendrait-il aujourd’hui que je ramène à ces souvenirs leurs tristes affects? Même tristes, malencontreuses, horribles éventuellement, ces histoires racontées, le pathos qu’elles appellent, dont elles relèvent en surface, n’est pas ce qui compte.  C’est pourquoi je ne les ai jamais considérées comme des traumas, et que j’ai accepté que mon analyste ne les traitât pas comme tel.

 

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Notes:
  1. Umlaut (Wikipedia) : En phonétique, le processus d’ Umlaut (de l’allemand um-, « autour, transformation » + Laut, «son »), ou métaphonie (terme grec de même sens ; ne pas confondre avec le paronyme métatonie) ou encore inflexion, désigne le changement de timbre d’une voyelle à la suite de l’amuïssement d’une autre voyelle dans une syllabe suivante. La voyelle altérée garde pour ainsi dire une trace de la voyelle disparue en récupérant une de ses caractéristiques. C’est un type complexe de dilation. []
  2. l’École de la Cause freudienne []
  3. Mmes Marie-Hélène Brousse et Christiane Alberti, toutes deux psychanalystes et membres de l’ECF []

Sans titre

17 novembre 2013 | novembre 2013 | Cut&Paste, psychanalyse | , |

Quant à l’orgasme, il a un rapport essentiel avec la fonction que nous définissons comme la chute du plus réel du sujet. (…) Combien de fois vous aura-t-il été dit qu’un sujet aura eu, je ne dis pas forcément son premier, mais un de ses premiers orgasmes, au moment où il fallait prendre en toute hâte la copie d’une composition ou d’un dessin qu’il fallait rapidement termine ? Et puis, on ramasse quoi ? Son œuvre, ce sur quoi il était essentiellement attendu. Quelque chose est à arracher de lui. C’est le ramassage des copies. À ce moment-là, il éjacule. Il éjacule au sommet de l’angoisse.
JL, Le séminaire, Livre X, L’Angoisse, p. 198.

Le corps comme objet, né au XXè siècle
— Gérard Wajcman à l'Erg

21 novembre 2013 | novembre 2013 | art, psychanalyse | , , , , |

Erg, séminaire 2011, Gérard Wajcman

le corps comme objet né au xxè siècle / quel serait le maître-mot du xxI ? ça pourrait être la transparence / facebook – transparence de la vie privée, exposition de la vie privée ; wikileaks – transparence du pouvoir / sommes regardés / dans notre corps / soumis à des machines qui voient l’intérieur de notre corps « pour notre bien » _ neuro spin : voir la pensée / idée que tout peut se voir, y compris l’inconscient / projet du tout visible / vidéo surveillance / innocents en sursis / / corps lié aux machines depuis l’origine : le miroir / Le stade du miroir de JL / idée que nous naissons prématurés, débiles à la naissance / thème important pour l’histoire du christianisme / culte de l’enfant jésus, arrivé au 17ème s. , grandeur de dieu d’avoir pris l’apparence d’un être débile / corps morcelé, non unifié / ce qui nous assure de notre unité : une image / glorification du corps comme totalité _ Aristote _ conception du corps comme forme totale / âme _ forme du corps / corps unité / conception liée au miroir / c’est l’image qui nous constitue comme forme totale / / aujourd’hui plutôt corps cartésien qu’aristotélicien : corps machine – horloge avec ses rouages, corps fait de morceaux / rencontre que le corps fait avec la science / marché des organes / corps en kit / corps entré dans le marché / corps devenu marchandise / corps artificiel / cellules souches / art a aussi témoigné de ce mouvement là / sans doute depuis guerre de 14 / picasso / histoire de l’art témoigne de ce qui vaut dans le corps ce n’est plus la totalité mais des bouts  (est-ce que la danse ne s’oppose pas à ça) / (sorte de contemporanéité de la guillotine et de la photographie _ guillotine anticipe naissance du portrait photographique__livre de d arasse sur l’histoire de la guillotine) / technologie fonctionne par découpage par cadrage / exaltation du corps comme totalité : ce n’est plus le travail des artistes / dans cette évolution la science a son rôle mais aussi la guerre , guerre de 14 événement majeur /  première guerre où la technologie a dominé complètement les corps pour les faire exploser / « gueule cassée » / guerre comme morcèlement / auparavant on tuait , là on déchiquète / chambre à gaz : autre manière d’envisager le corps : le faire disparaître intégralement / avant on tuait un corps et le corps était mort ensuite rituel / chambre à gaz : mort d’une multitude de corps destinés à la disparition intégrale / cendres des camps pour construire des routes / disparition intégrale de la mémoire / absence totale / histoire de l’art marquée par ça ___ que l’absence ait pu devenir un objet fondamental de l’art après tout ça / / plus rien ne fait limite / qu’est-ce qui fait disparaître les limites aujourd’hui / NO LIMIT / scanners corporels dans les aéroports / fouille, image en 3D corps comme s’il était nu / nouvelle stratégie militaire : la géométrie inversée _ toutes les armées du monde ont adopté cette théorie , les armées sont supposées pouvoir passer à travers les maisons , stratégie développe une technologie d’imagerie extraordinaire pour voir derrière le mur ce qu’il y a , au départ de technologies d’imageries médicales1

/ comment faisons-nous pour ne pas devenir plus paranoïaque /

Notes:
  1.  » Le dernier exemple concerne une nouvelle théorie militaire conceptualisée par des stratèges israéliens sous le nom de « géométrie inversée ». Issue d’une réflexion sur la guerre urbaine, au lieu de se soumettre à la topographie des villes et aux contraintes de l’architecture, et d’avancer ainsi en suivant les rues et en longeant les maisons, ils suggèrent de passer de maison en maison en traversant murs, toits et planchers. En substance, il s’agit de « dé-murer » les murs, d’opérer une « transgression des limites » et évidemment en premier lieu ce qui délimite et protège les espaces domestiques. Bien entendu on peut mettre cette stratégie en question dans ses principes, quant à ses effets destructeurs mais aussi quant à ses résultats en termes militaires, mais il est clair qu’une telle conception stratégique, qui a été adoptée par toutes les grandes armées du monde, qui consiste à passer outre ce qui naguère encore constituait des limites réelles, correspond à la culture hypermoderne du No Limit. Cela me frappe d’autant plus que le regard y est directement impliqué. Afin de limiter les victimes aux seuls combattants et de se protéger elle-même, l’armée utilise en effet un système d’imagerie portable qui associe image thermique, échographie et ondes radar afin de faire apparaître en 3D l’image des corps qui se trouvent derrière les murs des maisons.
    Ce qui s’accomplit dans ces mode de traversées, c’est une illimitation qui passe par la dissolution à la fois réelle et conceptuelle des limites. La stratégie de la « géométrie inversée » est la forme militaire de la politique hypermoderne d’effacement de toute frontière. En cela, il me semble qu’elle fait série avec la vidéosurveillance, le scanner corporel ou l’IRM. » GW, http://etudespsy.wordpress.com/entretiens-avec/gerard-wajcman/ []

Gravité

22 novembre 2013 | novembre 2013 | psychanalyse | , , , , , , , , |

« Car dans Gravity, les hommes ont perdu ce qui leur donnait leur lest. Les corps sont déjetés dans l’apesanteur, les voix ne portent plus, rien de ce qui faisait l’étoffe d’un sujet n’existe plus. Objets parmi les objets de consommation, les corps chutent dans le tout-à-l’égout de l’espace.
Ce qui ordinairement leste un sujet n’est pas l’objet du commerce ou de la technologie, mais autre chose de plus insaisissable et qui fait la cause de son désir, ce que Lacan nomme objet a.« 

Sur l’objet-voix qui fait cordon ombilical relie à terre mère, sauvant Pierre, Stone – elle se retrouve à hurler doucement comme loup comme chien puis cris du bébé, Inuit, voix qui l’accouchent,  d’où, me dis-je, l’on déduit que c’est l’objet a, l’objet  chu, en l’occurrence ici l’objet-voix, qui permet d’éprouver la gravité, et donc de tomber, mais tomber quelque part. Qui nous offre le sol, la terre, l’atterrissage.  L’erre, la limite. Sans lui,  sans objet a, c’est apesanteur, zero-gravity, dérive dans le vide.

Et. La gravité, c’est l’objet a;  L’apesanteur, c’est l’objet commun.

L’ESPACE-TEMPS

arrime-toi à ton petit a

 la voix de l’autre côté

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