passe, fin d’analyse et satisfaction

25 novembre 2009 | novembre 2009 | psychanalyse | , , , , |

J.-A. Miller nous dit que « le passant de la doctrine classique (celle de la passe de la Proposition de 1967) est supposé témoigner d’un savoir, (…) alors que, à la fin de son enseignement, ce passant-là ne peut témoigner que d’une vérité menteuse. » (Cours du 21 janvier 09)

Deux modalités de la fin de l’analyse sont présentes dans l’enseignement de Lacan :

  1. « La passe classique », c’est celle qui pense l’inconscient comme savoir. A la fin de l’analyse, ce dont témoigne l’analysant, c’est d’un temps qui va du début à la fin de l’analyse comme clôture de l’expérience.
  2. « La passe du dernier enseignement de Lacan » porte sur l’inconscient, non plus comme savoir mais comme jouissance. « Lacan a d’abord cherché à enserrer cette jouissance dans l’objet a. Puis il a, dans le séminaire XX, introduit un espace amorphe, où il a mis un grand J, pour démentir qu’on puisse l’enfermer ainsi ».
    (Cours du 14 janvier 09)

D’un côté nous avons l’inconscient transférentiel, le sujet supposé savoir, la vérité et la structure de fiction qu’elle soutient.
De l’autre nous avons l’inconscient réel, la jouissance opaque, le sinthome, la satisfaction de la fin d’analyse. « La question est moins de savoir ce qui a été extrait de jouissance, ce qui a été extrait du fantasme, en termes d’effets de vérité, en termes de savoir, que de dire la satisfaction que j’ai réussi à extraire de mon mode de jouir. Car mon mode de jouir est ce qu’il est. » (Cours du 11 février 09).
A la certitude de la fin de l’analyse dans la passe classique, fait place la satisfaction.

Une question et une ouverture.

Que signifie cette satisfaction ? De quoi est-elle l’indice ? Qu’est-ce qui peut satisfaire l’analysant au point qu’il veuille témoigner de cet allègement, de l’irréductible de son mode de jouir qui aurait perdu pour lui sa valeur de prison ?
Il me semble que de tels témoignages, élucidant ce moment particulier où l’analyse conduit un analysant à extraire de sa jouissance, une telle satisfaction lui permettant de vivre avec son sinthome, nous n’en avons pas de savoir préalable. D’autre part, dès lors que cette satisfaction ne se démontre pas, il me semble que la fin de l’analyse n’est plus affaire de temps logique, mais de décision du sujet. La logique de la clôture de l’analyse n’est plus liée à l’expérience de la chute du Sujet Supposé Savoir, ni à la traversée du fantasme, elle est liée à « la nouvelle alliance que le sujet peut faire avec sa jouissance ». (Cours du 1° avril 09)

[…]

La procédure de la passe devrait être ce lieu où se travaillent ces questions de fins d’analyse. La question de la passe pourrait sérier ces sorties, tenter de repérer la place qu’occupe un sujet dans la responsabilité qu’il a de son analyse, du ratage que constitue le temps du déchiffrage. Il s’agirait alors de repérer la transmission qu’il peut faire de l’abord de son rapport à la jouissance, et de la façon dont il s’est distancié de son mode de jouir, des effets sur lui, de ce que Lacan a renommé comme cause du langage, la jouissance. Et de nouer ces temps de l’analyse qui ne sont pas opposables, mais au contraire, fixés par les signifiants de jouissance qui l’ont constitué comme parlêtre.

Journal des Journées n° 62, La passe n’est plus une, Hélène Bonnaud

Beau, su, est – Le symptôme du père

15 avril 2011 | avril 2011 | Beau, su, est - Le symptôme du père | , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , |

vendredi 14 ou 15 avril 2011

Le rêve :

« Je travaille pour quelques jours à E.1  Il y fait sombre. Je m’y sens seule et parano, avec l’impression de travailler mal que je connais si bien. 

En fin de journée, j’erre dans mon ancien quartier, sur la place où j’habitais, qui ne lui ressemble pas.  J’ai rendez-vous avec D*, mon analyste d’alors.  J’attends l’heure du rendez-vous dans un café en face de chez lui, qui en fait en face de chez moi, le café se trouvant lui à l’emplacement… de son cabinet à lui… son cabinet se trouvant à l’endroit où j’habitais. Nous habitions l’un en face l’autre.  Il vient me chercher, m’a vue depuis sa fenêtre, me dit de venir tout de suite, sans attendre, qu’il a du temps. Traversons la place, nous rendons à son cabinet.

Montons des ESCaliers de marbre, cabinet à gauche.

D* me fait entrer, me fait asseoir, s’assoit lui-même, mais pas à son bureau. Me présente à une jeune femme. Il y a quelqu’un d’autre. Me dit :  ‘Allez-y, racontez à cette personne comment [… souvenir manque  Je dis que ce n’est pas ça, que ça ne s’est pas passé comme il le dit et je me mets à raconter.

Ce que je raconte, à propos de mon de mon analyse et de mon lien à l’École, l’École de la Cause freudienne, me réveille au milieu de la nuit. »

Du rêve, le lieu, la place, les escaliers de marbre me ramènent d’abord à une petite place de mon enfance, la place Bossuet. Il y avait là un magasin  de je ne sais quoi où nous n’avions pas à aller souvent, presque jamais. Des escaliers de marbre à grimper et, une fois la porte poussée, sur la gauche, nous nous trouvions dans un sombre magasin, aux volets tirés, face à un comptoir dont les parois surélevées jusqu’au plafond ne laissaient qu’un restreint encadrement à la figure de l’un ou l’autre vendeur  y paraissant dissimulé protégé camouflé par un amoncellement, un bric à brac, une barricade  d’objets hétéroclites.

Aujourd’hui, l’école de Jules se trouve rue Bossuet. A l’école, des Dames,  j’avais étudié des extraits des Sermons sur la mort.

« Beau su est« . J’entends : « Le beau, su, est. »  J’y entends une ontologie  du beau. Cette ontonlogie au cœur du cours de Jacques-Alain Miller de cette année.

Je repense alors à ce moment où LG (mon analyste actuel) m’avait dit qu’il trouvait beau ce que mon père faisait, sa peinture. Je me souviens avoir pensé que ce moment avait été crucial. Parce que…  si l’œuvre de mon père était belle, si elle était reconnue comme telle,  je n’avais plus alors à l’incarner moi-même, je n’avais plus à être désirée en tant que l’œuvre de mon père… et  cette œuvre pouvait se détacher de moi. Me permettant de la désirer à mon tour. 

J’ai songé alors à l’œuvre en tant que symptôme, comme symptôme de mon père. Comme si j’avais eu à incarner ce symptôme-là. Et comme si tout d’un coup, je pouvais me mettre à avoir mon propre symptôme.

C’est quelque chose que j’avais déjà ressenti, écrivant  à propos d’autres rêves, le sentiment de découvrir le symptôme de mon père. Et qui s’était ravivé la veille, lisant Miller parler du père comme symptôme et de la nécessité de ce symptôme :

Eh bien, dans cette symptomatisation générale des catégories analytiques, Lacan esquisse que le père, l’essentiel de sa fonction, c’est d’être un symptôme. C’est le sens de ce développement que Lacan a pu faire sur l’exception que doit représenter le père. Il parle pour lui de caractère d’exception, parce qu’il veut lui donner le caractère d’ex-centré, que le père a le caractère d’ex-sistence, de subsistance « hors de ». Et donc, il lui faut donc à ce moment-là caractériser le père non pas par l’universel, mais au contraire par la particularité de son symptôme. Et c’est en ce sens que Lacan a pu dire le père est un pervers. Ça veut dire un père, le père freudien même, n’est pas le père de l’universel, il est au contraire au niveau de la particularité du symptôme. Il y a qu’il est essentiel qu’il ne soit pas Dieu, précisément. Freud avait montré la racine de l’illusion religieuse dans la fonction du père et Lacan au contraire marque que le mirage divin est à proprement parler mortifère ou psychotisant quand il est supporté par le père. Il faut que le père soit pervers au sens où il doit être marqué par la particularité d’un symptôme.
Jacques-Alain Miller, L’être et l’un, « X. Itinéraire et itération de Lacan // imaginaire → symbolique → réel », cours du 6 avril 2011.

(erreur sur le symptôme)

seig
neur
il y aura eu
e
rreur
sur-le-symptôme

BLIND BLIND BLIND
ha ha

ha

love

(sans œuvre pas sans art)

Ces réflexions m’ont amenée à une autre chose que LG m’avait dite, au téléphone, quand je lui avais dit que que si j’avais pu à un moment donné penser à moi comme à une artiste sans œuvre, au fond, j’étais à ce moment-là comme une analyste sans analysant. A quoi il m’avait répondu que c’était un rapprochement très intéressant (dont nous reparlerions (ce qui n’est s’est pas à proprement parler fait)) – mais que si j’étais sans œuvre, je n’étais pas sans art.

Avant que de lui parler, j’avais tenter d’interroger le rapprochement entre le travail d’un analyste et celui d’un artiste, entre  une œuvre et un analysant, et je n’y étais absolument pas parvenue. Cette réflexion me donnait l’impression de me trouver face à un problème de logique aporétique, quelque chose d’au-dessus de mes forces, de mon entendement, faisant paniquer mon esprit, le freezant, me laissant juste le sentiment d’être un peu idiote, déficiente, et n’ayant d’autre recours que l’espoir d’un éclair, d’une illumination. De cette aporie, LG par son compliment, m’a au fond délivrée comme il me disait que je n’étais « pas sans art »…

« Mais il y a un autre régime de l’interprétation qui porte non sur le désir mais sur la cause du désir, et ça, c’est une interprétation qui traite le désir comme une défense. Qui traite le manque-à-être comme une défense contre ce qui existe.
Et ce qui existe, au contraire du désir qui est manque-à-être, ce qui existe, c’est ce que Freud a abordé par les pulsions et à quoi Lacan a donné le nom de jouissance. »
https://disparates.org/lun/2011/05/jacques-alain-miller-cours-du-11-mai/

C’était alors à un moment où il me semblait découvrir mon goût du « sans », mon goût pour le « rien »  (à moi tendrement révélé au cours de vacances en Suisse, où il y avait eu le rêve des trois rondelles après le délice de la salade, les bénéfices cependant de cette « révélation » s’étant vu exploser, partir en terribles éclats, quand au retour de Suisse, j’avais trouvé ma mère ici).

Beau, su, est. Qui situe le beau uniquement du côté du savoir et de l’être. Ce que cette ontologisation dénonce.  Le beau  considéré dans sa matière signifiante, idéale et identificatoire. Symptôme de mon père qu’il me faut incarner. Sermon plaqué sur la mort. 

S’esquisse dans ces réflexions le passage d’un être à un avoir, via l’acquisition d’un certain savoir-faire. Le commun dénominateur à ces 4 termes, analyste, artiste, œuvre, analysant, c’est le symptôme. L’être, l’être signifiant, identificatoire, ne se supporte que d’avoir rien, or la pratique de l’analyse n’est sans tirer vers  ce nouvel avoir : un symptôme qui fût le sien. Artiste sans œuvre, analyste sans analysant : pas sans art. Au moins ça : il y a, de la jouissance, de l’art. De la manière. Du savoir-faire, un symptôme.

(Commission)

Je me rendors,  le rêve reprend.

« Je suis maintenant seule avec D*. Il voudrait que je reste, il a encore des rendez-vous. Mais je dois rentrer dîner, dormir chez mes parents, je travaille le lendemain. D* a l’air de penser, de trouver, de tenir, à ce que nous passions la nuit ensemble. Je me dis que si je fais ça, je n’aurai jamais le courage de retourner travailler à E* le lendemain, que déjà, j’en perds le courage. Je veux partir.

D* me dit qu’il a invité le Conseil ou la Commission (de la passe) de l’École. Que d’autres gens viendront également qui ne sont pas de l’École.

Ils arrivent.

Il y a quelqu’un que je connais parmi eux. Une jeune femme dont j’ai oublié le prénom, le curieux prénom, dont l’une des lettres devait soit être prononcé soit ne pas l’être (un « s », je crois), d’une façon inverse à la coutumière, avec qui j’ai travaillé à la Commission européenne. Dans le rêve, elle habite maintenant dans mon quartier. Nous nous entendions bien. Elle était de grade B (moi, C). Très gentille. Portait cependant un parfum que je détestais (Opium, d’YSL (!)). Vive, mariée, de province, française, elle écrivait, rédigeait, extrêmement bien – c’est-à-dire qu’elle faisait un travail que je me sentirais bien incapable de faire, où l’art de l’exposé et du résumé ne tenaient pas la moindre place. De même que le sens de la formule et la connaissance des formulations ad hoc. ) Elle parle des millions qu’elle gagne aujourd’hui.

J’étais arrivé chez D* avec deux livres ou classeurs. Sur la tranche de l’un d’eux il était écrit soit « Conseil« , soit « Commission« . Il n’y s’agissait pas d’un organe de l’École, mais j’avais crains qu’on ne le croie, et qu’on ne croie que je m’y connaisse, quand je n’y connais rien. Ce qui m’embarrasse.

D* pose une question que chacun note, moi également. Il s’agit d’art. Mais je n’ai pas envie de répondre à cette question. Je me lève pour m’en aller. D* me rejoint, sur le pallier, me retient. Me dit qu’il n’en a pas pour longtemps. Me serre dans ses bras, nous nous serrons, c’est bon. Nous nous embrassons. Je me demande si ça peut être agréable alors que je ne le désire, ne l’aime plus. Je constate que oui, c’est très agréable. Je retourne à l’intérieur avec lui. Les gens de l’École sont partis, il en ont eu assez d’attendre. Il restent quelques personne. Je me rends compte que D* donne en fait un cours d’histoire de l’art. Tous les gens s’en vont.

Nous sortons D* et moi, errons sur la place, en nous embrassant. »

Notes:
  1. E = société où travaillais autrefois, à Bruxelles, dont j’ai démissionné pour venir vivre à Paris, avec l’homme que j’avais rencontré, F. []

rêve : il faut faire une quadruple passe

1 février 2012 | février 2012 | RÊVES | , , , , |

rêve 1er fév, night
dans le rêve, me réveille, interprète un texte crypté, lacanien : il faut faire une quadruple passe (4 passes comme 4 pattes, comme quadripode, comme 4×4), « réussir » 1 une quadruple passe, 2 premières, 2 suivantes (double double).
l’une n’ayant rien à voir avec l’autre, chacune exploitant à sa façon quelque chose qui ne saurait être exploité d’aucune autre, l’une passe ne pouvant donc intégrer l’autre passe, chacune des passes étant indispensable. aucune ne venant compléter l’autre, chacune traitant de choses qu’aucun rapport ne peut lier, séparées donc. deux premières passes étant suivies, je crois, par deux autres. deux premières passes débutantes, 2 dernières passes concluantes… 
afin comprends-je, dis-je, à l’école (ECF) de s’assurer que l’analyste puisse aussi bien y faire avec … qu’avec…. de l’analysant qui vient vers lui.
s’agit-il d’un savoir y faire de l’analyste avec la jouissance aussi bien qu’avec le désir ? je ne sais pas, ça y ressemble, un trop et un trop peu. rencontrer un trop et le faire passer au peigne, à la brosse d’un trop peu.
me couche, dans le rêve, et rêve, rêve éveillé, pour m’endormir, que je l’ai fait, que j’ai fait ces 4 passes, que j’explique à l’école comment je les ai passées ces 4 passes. il y est question de la rencontre du style, et de l’apprentissage d’une sorte de polissage de ce style pour qu’il passe, ce que je prouve.
je me réveille pour de vrai en me répétant des prières en litanie pour faire barrage à quelque chose, à des phrases, des mots très désagréables, je cherche d’autres litanies, d’autres mots que ceux-là, me rends compte que ne dispose d’aucun texte que je connaisse par cœur, de cette façon. le rêve me revient, avec quelque chose de l’ordre d’un « kat, kat, k » qui ne cesse de se répéter, que je ne cesse d’entendre, de faire tourner dans ma tête. je ne sais pas si je dois prendre un anxiolytique, je me lève pour écrire le rêve ici.

Notes:
  1. je mets les guillemets à « réussir » parce qu’hier géraldine m’expliquait comme … avait montré qu’une passe « ratée » était une passe réussie.  et au fond, ça résonne un peu avec la façon dont j’ai pu dire mon analyse ratée, et donc… « réussie ». enfin, dans ce cas-ci, c’est réussi (donc raté?) []

Les points sur le U

15 novembre 2013 | novembre 2013 | Les points sur le U | , , , , , , , , , , , , , , , |

Je m’étais couchée raisonnablement tôt, après une journée particulièrement banale –  j’avais dû regarder quelques épisodes de série ( la finale d’Enlightened), je n’avais pas eu envie de lire, cela je m’en souviens, et je m’apprêtais à m’endormir dans un sentiment inhabituel de satisfaction. Soudain, couchée sur le côté – c’est autre chose. Une sensation dont j’aurais probablement tout oublié si je n’avais rapidement jeté ces quelques notes le lendemain matin– des mots que la nuit-même je m’étais répétés, anxieuse de les retenir, même si je les notai ensuite un peu à contrecœur, consciente encore de tout ce qui s’y perdait  :

« Nuit
Corps sous couette, souffrance vide
corps & mots
Certain souvenir
Des mots
S’en viennent, s’en vont

— L’idée d’un livre, l’intituler « Trauma » et qu’il n’y soit jamais raconté. –

Trauma. Tréma. Umlaut.1
Trauma. Tréma. Umlaut.
Ces points sur le u que je restituai à mon nom au sortir de l’analyse.
Müller, l’ü en double i. »

Il y avait eu les Journées d’étude de l’ECF2 sur le trauma.  Je n’y étais pas allée mais j’en avais lu de nombreux textes préparatoires sur un blog publié par les directrices de ces Journées3. Je m’étais alors dit que je n’avais aucun souvenir de trauma, que je n’avais rien repéré comme tel au cours de mon analyse. Je ne manque pas bien sûr de mauvais souvenirs,  et c’est d’ailleurs l’un d’entre-eux qui m’était revenu cette nuit-là,  ses mots. Mais je ne leur ai jamais accordé de « valeur » traumatique. Ce sont de mauvais souvenirs. Point. Ils ne me semblent pas rattachés à grand chose de ce que je suis devenue — j’irais jusqu’à dire qu’ils ne me paraissent pas faire partie de mon histoire ( ou alors aux endroits qui s’arrêtent sur un gouffre, dont les chemins ne sont plus repris,  bords oubliés d’un monde sinon rond). A moins qu’ils n’appartiennent à l’histoire honteuse  ( ne pas raconter non pas à cause de l’indicible mais à cause de la honte). J’ai cherché à les oublier, cela oui, et ce n’est pas eux que j’ai oubliés, mais la souffrance qui se liait à eux. Ils sont vidés. Autant que l’était mon corps cette nuit-là. Lourd, recourbé en virgule sur rien, seul. Absolument, fondamentalement. Devenu seul et les mots, vides, sont juste là – satellites, mouches.  le corps est la souffrance et la souffrance est vide. C’est une impression unique qui vient ( subrepticement) en suite de ce travail de l’École de la Cause freudienne sur le traumatisme. En réponse inattendue.

Il n’y a pas, il n’existe pas, me dis-je, d’interprétation de ces mauvais souvenirs, de possibilité d’interprétation.  Je ne sais pas ce qu’ils m’ont fait. De son côté, mon corps, lui, a-t-il pu « arrêter une interprétation » ? Qu’il ait noué des liens spéciaux à certains mots de ces souvenirs, certains signifiants, sans m’inclure dans la partie, est possible. C’est bien ce que donne à penser ma transcription de cette nuit-là. La juxtaposition des mots et le corps, le vide de leur relation, la souffrance de ce lien en souffrance. Les mots étant la souffrance même, du corps seul, vides de sens,  en un endroit d’étrangeté.

C’était comme ça. Comme je le dis, là.

Il y aura eu une façon d’interprétation de mon corps, de la part de mon corps, de mon corps en cet endroit inédit de solitude ; mais rien qui aie pu, aurait dû être interprété par moi et rejoué dans un scénario fantasmatique quelconque, destiné à être répété. Plutôt s’agirait-il d’une inscription.

ü

De pür douleur, dont l’un des noms s’est donné, aperçu alors, dans l’Umlaut de mon nom, le tréma, les points sur le « u »…

Oui, c’est drôle, tout d’un coup j’ai vu ça, que dans tréma, il y avait trauma.

Au départ, il y avait un tréma sur le u de mon nom et sur celui des autres membres de ma famille. Or ce tréma, au gré des passages par les guichets de l’administration belge, s’est vu disparaître. Moi-même, ni d’ailleurs mes parents, je ne l’apposais pas à mon nom, puisque ce n’était pas français. C’était un petit en-trop.  Mais quand mon analyse s’est interrompue, brusquement interrompue et que je suis venue m’installer à Paris, j’ai voulu restituer ce tréma à mon nom, et je l’ai, à partir de là, retracé sur le « u ».  J’ai fait cela sans réfléchir,  je l’ai fait et je m’y suis tenue. Me séparant d’ailleurs sur ce point et avec plaisir du reste de ma famille, qui continue d’écrire ce nom sans ses points dus.

… que « le désir de l’analyste n’est pas un désir pur » et que « c’est un désir d’obtenir la différence absolue ». Il précise alors que la différence dont il s’agit est celle qui « intervient» quand le sujet, « confronté au signifiant primordial», « vient», pour la première fois, « en position de s’y assujettir». –Pierre Naveau, Désir de l’analyste

Donc, la proximité inhabituelle où j’étais de mon corps, d’une certaine vie de mon corps, non liée à ma conscience, mais à des signifiants vides de sens, sans pathos, me permettait de relever dans  le tréma de mon nom sa résonance avec le terme trauma ; pointait ce  « u», ce  « u » aussi de l’avoir « eu »,  du corps « eu ».  J’assistais à sa solitude, elle d’ordinaire inaperçue, et percevais les mots qui la hantent. Et même si mon corps est aujourd’hui couvert de mille petits points (mini tumeurs bénignes qu’une dermatologue patiente et blonde m’enlève à l’électricité depuis peu), en devint-il, au moment de ces événements, de cet éventuel trauma, pour autant plus sexuellement malade qu’il ne l’était déjà ? N’étais-je pas sans savoir déjà ce qu’il y avait à (ne pas) savoir du sexuel ? Non, non non, non.  Dénégation, pourquoi niai-je mon ignorance d’alors ?  Mais ce que je savais surtout ne pas savoir, qui couvrait tout le reste,  c’était la possible méchanceté des hommes. Ce que je ne savais pas. C’est. Je ne savais pas qu’il pouvait m’arriver des malheurs. Je me croyais protégée. De Dieu. Je pensais que mon innocence me protégeait. Je ne perdais pas mon innocence, mais elle rencontrait dans le monde des réponses auxquelles elle ne s’attendait pas. Et ces mauvaises réponses étaient sexuelles. Et ces mauvaises réponses furent recouvertes par la méchanceté – qu’il était à ma portée, alors, de connaître déjà. Que sus-je alors de plus? Que je n’étais pas la princesse charmante – et que me restait-il alors à être?  Que le monde résiste à la sainteté. Que le monde résiste à Dieu. Qu’un corps n’appelle pas que l’amour.  Cependant, je restai püre. Alors que le sexe se séparait de l’amour.

C’est quoi la pureté?

Dieu, le sexe, l’amour, Un.

Conviendrait-il aujourd’hui que je ramène à ces souvenirs leurs tristes affects? Même tristes, malencontreuses, horribles éventuellement, ces histoires racontées, le pathos qu’elles appellent, dont elles relèvent en surface, n’est pas ce qui compte.  C’est pourquoi je ne les ai jamais considérées comme des traumas, et que j’ai accepté que mon analyste ne les traitât pas comme tel.

 

*
*    *

 

Notes:
  1. Umlaut (Wikipedia) : En phonétique, le processus d’ Umlaut (de l’allemand um-, « autour, transformation » + Laut, «son »), ou métaphonie (terme grec de même sens ; ne pas confondre avec le paronyme métatonie) ou encore inflexion, désigne le changement de timbre d’une voyelle à la suite de l’amuïssement d’une autre voyelle dans une syllabe suivante. La voyelle altérée garde pour ainsi dire une trace de la voyelle disparue en récupérant une de ses caractéristiques. C’est un type complexe de dilation. []
  2. l’École de la Cause freudienne []
  3. Mmes Marie-Hélène Brousse et Christiane Alberti, toutes deux psychanalystes et membres de l’ECF []

le silence de la mère

12 décembre 2014 | décembre 2014 | Cut&Paste, psychanalyse | , , , , , |

Vous apportez un éclairage nouveau sur le ravage maternel, lorsque vous indiquez, page 59, qu’une fille peut connaître une forme de laisser tomber de la part de sa mère. Il s’agit non pas d’une absence de soin, de paroles blessantes ou de rejet, mais d’une certaine forme de silence.
Il y a «tout ce que la mère ne peut dire et qui prend toute sa puissance» et «la fille se trouve alors aux prises avec cette jouissance muette». Comment, une cure analytique, qui est une expérience de parole, permet-elle de traiter cette modalité du ravage maternel très spécifique?*

Femmes lacaniennes - Une analyse de la question féminine dans le discours de Lacan sur la psychanalyse et de ses effets sur l'approche de la cure psychanalytique. L'auteure montre qu'en ouvrant des perspectives inédites, le psychiatre a permis un renouvellement de l'acte et de la position du psychanalyste. ©Electre 2014
Femmes lacaniennes, Rose-Paule Vinciguerra – Une analyse de la question féminine dans le discours de Lacan sur la psychanalyse et de ses effets sur l’approche de la cure psychanalytique. L’auteure montre qu’en ouvrant des perspectives inédites, le psychiatre a permis un renouvellement de l’acte et de la position du psychanalyste. ©Electre 2014

Rose-Paule Vinciguerra (à propos de son livre Femmes lacaniennes) : Ce ravage n’est pas celui qu’évoque Freud autour de la revendication phallique de la fille et qui est «insatisfaction pré-castrative» comme le dit Lacan.1 Il met en jeu la jouissance Autre et énigmatique de la femme qu’est la mère. C’est là sans doute que la mère est la plus puissante, elle en devient réelle. Et comment une fille y répondrait-elle si ce n’est par un surmoi dévastateur, une surmoitié2, dont les dits poussent à s’arracher à toute limite, sans appui, sans garantie. Mais il n’y a pas d’Autre de l’Autre pour répondre à l’exigence de cet appel – pas plus d’ailleurs qu’il n’y a de nomination de l’être d’une femme ni de référent substantiel à son corps. À cet égard, les analystes ont à éviter l’illusion de la réparation faite par le «bon parent» venant à la place du parent traumatique.

Une interprétation analytique peut cependant, en apportant le signifiant équivoque qui manque, contrer le réel, inscrire un bord, là où une expérience de jouissance se répète inlassablement.

La fin de l’analyse témoignerait donc de la façon particulière dont a pu se taire cette voix de la surmoitié, ce point de jouissance rebelle à quelque assomption de l’énonciation. La passe peut rendre compte de cela.

* SOURCE : Interview de Rose-Paule Vinciguerra pour son livre Femmes lacaniennes sur le site de l’ECF.

Notes:
  1. Lacan J., Le Séminaire, livre X, L’angoisse, Paris, Seuil, 2004, p. 233 []
  2. Lacan J.,«L’étourdit», Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p.468. []
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