Un blog pour me libérer de la pensée qui a toujours été pour moi lieu de trop de jouissance pour finir par ne plus tourner qu’en en rond, sur elle-même, cherchant à se mordre la queue.
Les émissions Miller à la radio de cette semaine, m’ont permis d’entendre jusqu’à quel point la jouissance est solitaire. Eh bien, un des enjeux de ce blog serait pour moi de trouver le moyen de ne plus m’enfermer totalement dans cette jouissance. De m’en séparer, de ne plus faire corps avec elle, en passant mes pensées à l’épreuve de l’autre, du lecteur.
« Dans ma tête ça ne cesse pas de s’écrire ». Je ne cesse, mentalement, de chercher à écrire. Passerais-je à l’écriture, je sortirais de cette nécessité, je sortirais de ce qui ne cesse pas de s’écrire(en ne cessant pas de ne pas s’écrire, puisque ce n’est qu’en pensée queça s’écrit), j’irais vers ce qui cesse de ne pas s’écrire, vers l’accident, vers la rencontre.
– lene cesse pas de s’écrire = le nécessaire, qui jouit de penser écrire, ne cesse de tourner autour du pot, de tourner autour du rien, du rien qu’il contourne, qu’il élève, pris toujours dans son mouvement, ressassant, se jouissant.
– le cesse de ne pas s’écrire, c’est la contingence, c’est la rencontre. elle parle, rencontre, rend compte, s’affronte à ce qui ne cessera pas de ne pas s’écrire (l’impossible). séparer le corps des lettres, les envoyer dans le monde (il y a le corps qui prend la parole, il y a la voix, et il y a les lettres, qui passent à l’air, à l’extérieur de la tête, que l’autre entend).
( la contingence fait reculer l’horizon de l’impossible.)
Il y a un symptôme : ma pensée qui ne cesse… Il y a une inhibition (lisière du réel) : je n’écris pas ; je ne me confronte pas à ce qu’il ne soit pas possible de tout écrire et qu’il est une chose, par excellence, qui ne s’écrive pas : le rapport sexuel ; quand c’est l’écriture-même de ce rapport qui est à la racine de mon désir d’écrire et qui me pousse à vouloirtout penser, de sorte que je me prouve que le rapport sexuel aussi, à force, un jour, s’écrira.
Ce qui ne cesse pas de s’écrire rêve que tout puisse s’écrire, qu’à toute chose un signifiant corresponde, qu’il n’y ait rien qui ne puisse être établi. C’est le symptôme de notre temps, l’idéal scientifique, le fantasme, dont l’entretien assuré par la libido fait jouir. La pensée jouit. Sa constance, son entêtement, sa force, son caractère «malgré soi», mais aussi sa solitude, son silence pointent sa prise dans un processus pulsionnel.
Aussi croirait-on sentir qu’il y a une différence entre mâcher un chewing gum et ressasser, remâcher des idées. Dans les deux cas, cependant, quelque chose fonctionne seul, donnant à penser qu’il jouit de son seul fonctionnement. La pensée fonctionne comme une bouche qui mâchonne et ça machine, ça jouit, ça « j’ouis ».
L’autre idée, c’est que si je n’écris pas (inhibition) c’est moins que ce soit moi qui m’en empêche que l’Autre qui ne le veut pas. (si j’en avais la permission tout s’écrirait mais ça ne peut pas car l’Autre ne veut pas.
ainsi, par exemple, pourrait-il vouloir que je fasse la vaisselle (même s’il ne le dit pas).)
Le ne cesse pas de ne pas s’écrire, (…) c’est l’impossible, tel que je le définis de ce qu’il ne puisse en aucun cas s’écrire, et c’est par là que je désigne ce qu’il en est du rapport sexuel – le rapport sexuel ne cesse pas de ne pas s’écrire. (Jacques Lacan, Encore, p. 87.)
je doute qu’il n’y ait que les poils pour m’empêcher d’y aller
à la
piscine
(si ce n’est que les poils sont comment dirais-je font forment un obstacle consistant, insistant et consistant, pensable et solutionnable. alors qu’il y a fort à parier que la raison vraie soit, elle, sans solution.)
– à delphes, je dis « je m’aime prisonnière », elle rit. –
il y a deux ou trois jours, pensées, pensées au saut du lit, qu’est-ce que je fais, mais qu’est-ce que je fais de mon corps? (il ne peut y avoir de grandes ni de petites certitudes, même le silence ne peut rien contre cela qui nous environne). je vais là dedans, dans la perte du corps, le reste est illusion – est-ce triste ? cela n’est pas sûr. il y a deux ou trois jours, je me réveille, et je repense à freud, je me réveille, je pense, à sa petite servante, sa cuisinière (je réinvente, l’histoire) qui une fois qu’elle eût goûté au lit du maître, ne voulut plus cuisiner.
il y aurait quelque chose de saint à n’aller pas à la cuisine piscine. (une poursuivie de la sainteté, folle de l’amour et folle de rien.)
ce soir, enfin, l’enfant s’est endormi tout seul. et ce n’était pas le neuf, que j’avais rendez-vous avec un psychanalyste, mais le huit. eh oui.
(et s’il n’y avait de symptôme qui ne l’était, saint.)
La seule théorie qui nous intéresse, c’est la théorie de la pratique. S’agissant du Nom-du-Père, s’en passer s’en servir veut dire exactement, c’est au moins ce que je propose ici, se passer d’y croire, tout en s’en servant comme d’un instrument.
Le hiatus de la croyance et de l’usage ne recouvre pas mais déplace celui de la théorie et de la pratique. Le hiatus de la croyance et de l’usage, à vrai dire, est essentiel au structuralisme, à toute approche structuraliste. Ce hiatus est au principe même de ce que Lévi-Strauss appelait « le bricolage », qui consiste à réutiliser, à recycler comme on dit, les produits maintenant déshabités des croyances d’un autre âge. Et le hiatus de la croyance et de l’usage est essentiel dans la pratique analytique pour autant que c’est à cesser de croire à son symptôme que le sujet a chance de pouvoir s’en servir. Par exemple pour le raconter, ce qui lui vaut à l’occasion, quand il le raconte bien, d’une façon captivante, d’être nommé AE.
Le chapitre à ouvrir est ainsi celui de l’usage des symptômes. On dit « guérir » – on ajoute, dans un récent best seller, c’est dur de le constater, « guérir sans la psychanalyse » – quand on ne voit dans le symptôme qu’un dysfonctionnement à réparer, alors qu’une psychanalyse, au contraire, permet au sujet de faire usage de ce qui reste d’inguérissable de son symptôme.
On dit, enfin nous disons, « désangoisser », et à juste titre sans doute, car l’angoisse, comme disait Lacan, est une affaire foireuse, une affaire qui fait foirer ce que, pour le sujet, il s’agit de faire, ce qui fait foirer ses agendas, les choses qu’il a à faire. Mais il ne s’agit là, dans ce « désangoisser », d’aucune guérison, d’aucun effacement de l’angoisse, et je dirais même plus précisément, il ne s’agit d’aucun retour à zéro de l’angoisse. Le désangoissement du sujet, si je puis dire, ouvre sur les transformations de l’angoisse et il me semble que c’est ce qu’ont montré les travaux de ces journées que j’ai pu écouter. Ce désangoissement ouvre sur les transformations de l’angoisse, sur le transfert de la certitude qu’elle recèle à l’acte qu’elle est seule susceptible d’autoriser.
L’angoisse, j’entends l’angoisse qui foire et qui fait foirer, on doit en effet s’en passer, mais c’est à condition de s’en servir. De se servir de l’objet qu’elle produit comme d’un instrument propre à nous faire franchir ce qui entrave ce que nous avons à faire. L’angoisse dont il s’agit de se passer, c’est – comme l’a indiqué François Leguil dans le premier exposé de ces journées – le développement de l’angoisse, son Entwicklung, son embrouille foireuse dont le sujet reste captif et qui inhibe l’acte. Cette angoisse-là est certitude refusée, anticipation et refus de la certitude que produirait l’acte.
L’angoisse dont il s’agit au contraire de se servir est celle qui fait signe du réel. L’angoisse qui fait signe du réel, il ne s’agit pas de la ramener à zéro, c’est-à-dire de la ramener à l’homéostase, pour la simple et excellente raison que c’est impossible, que l’angoisse est ici le nom du moment où, dans le néant de tous les objets du monde, est produit le plus de, cet objet excédentaire qui est en infraction au regard de toute loi de l’objectivité et que nous appelons petit a.
Nous distinguons deux statuts de l’angoisse que je pourrais appeler, pour simplifier, l’angoisse constituée et l’angoisse constituante.
L’angoisse constituée, c’est l’angoisse dont les descriptions nourrissent ces traités de psychopathologie que l’on voudrait faire ingurgiter aux prétendants au titre de psychothérapeute. C’est l’angoisse labyrinthique, sans limites, dont le sujet se condamne à parcourir le cercle infernal qui le retient de passer à l’acte. C’est cette angoisse, me semble-t-il, que Lacan se proposait de symboliser par la lettre aleph, première de l’alphabet hébreu, et qui est précisément celle que Cantor avait choisie pour désigner l’infini, dont il montrait aux mathématiciens le bon usage dans leur discours. C’est une angoisse qui est répétition, avec vocation d’aller à l’infini.
L’angoisse constituante, c’est l’angoisse productrice, elle soustraite à la conscience. Elle produit l’objet petit a, comme nous disons, dans son paradoxe essentiel, c’est-à-dire elle le produit comme objet perdu. C’est pourquoi on ne peut le désigner comme objet de l’angoisse, qu’en passant par la négation : « elle n’est pas sans objet ». Ce qu’il faut bien voir, c’est qu’il n’y a pas l’objet et puis sa perte, mais que l’objet a se constitue comme tel dans sa perte même. Si on admet une partition commode, on peut alors dire que c’est à situer l’angoisse constituante que s’attache le séminaire de l’angoisse, le Séminaire X. L’angoisse est la voie d’accès, privilégiée, à l’objet petit a comme rien.
Disons que l’angoisse constituée correspond à la prise de cet objet rien dans le fantasme. A quoi le sujet se trouve alors suspendu, paralysé, dans un fading infini, où il fait l’expérience douloureuse de sa propre division. C’est ce qui a été décrit comme le phénomène de l’angoisse, dont je distingue ce que Lacan nous permet de reconstituer d’une structure. L’objet rien est ici dans le phénomène de l’angoisse la cause d’un désir mortel tourné vers le sujet.
C’est le même objet rien qui peut devenir la cause de l’acte, acte qui comporte toujours un moment de suicide, un moment de mort du sujet. L’objet rien, autour duquel gravite le phénomène de l’angoisse, du moins dans cette construction, dicte le deuil qui est à faire de tous les objets, ce deuil où se creuse la place d’où le sujet pourra assumer l’acte analytique. (…)
Extrait de l’intervention de Jacques-Alain Miller lors des dernières Journées d’automne de l »ECF pour présenter le prochain Congrès de l’AMP en 2006: Le nom-du-père, s’en passer, s’en servir.
je lis une histoire à jules, F arrive, m’annonce que nous n’avons plus d’argent. pour ce qui me concerne cela m’est égal. rapport à petit jules, c’est différent. qu’avons nous fait qu’allons-nous faire. parents de F sont étaient riches. les miens pauvres. et si heureux de l’être. de n’avoir rien à nous donner. rien sinon l’art l’amour dieu. rien. moi, rien même, moi, je ne saurais le donner. eux, les parents, c’était avec bonheur. et rien est encore ce que je demande. mais le monde, jules. évidemment, ce manque d’argent je ne peux rien faire d’autre que de comprendre que c’est à moi de le combler, et qui plus est, je dois être celle qui doit en porter la faute.
je demande à jules de nous laisser. F me parle. je réfléchis.
je quitte la pièce vais à mon bureau reviens.
dis « j’ai trouvé 2 x 500 euros (l’analyste, la femme de ménage). » assis au macintosh, sur le bloc notes, jules fait mine de dresser, tapant sur le clavier au hasard, une liste de personnes à qui, dit-il, il faut offrir des cadeaux.
9 Ce qui spécifie l’impératif catégorique, en revanche, c’est qu’il ordonne sans conditions. Le caractère de commandement n’est pas dans la dépendance d’une fin donnée par ailleurs : il est intrinsèque. De soi, c’est un commandement. Autrement dit, ce qui est commandé et le fait du commandement sont une même chose, ou plus exactement s’entr’appartiennent de manière nécessaire. Il n’y a pas ici le concept d’une fin, d’une part, et d’autre part une volonté qui peut vouloir ou ne pas vouloir cette fin, et qui doit si elle la veut se plier à une contrainte. Il y a au contraire le concept d’une fin qui enveloppe en elle-même la volonté de cette fin et la soumission de cette volonté à l’impératif de cette fin. Le caractère impératif est impliqué dans le concept ou dans la catégorie de la fin.
13 Il s’en suit, par corollaire, que l’impératif hypothétique relève d’un jugement analytique – si ceci est donné, alors cela s’en déduit – tandis que l’impératif catégorique suppose un jugement synthétique : à la raison pure – ou à la catégorie – s’ajoute a priori la motion impérative.
14 La « catégorie », c’est ici l’ordre entier des concepts ou des catégories. C’est la table complète de celles-ci qui s’adjoint l’impératif de sa propre intégralité pratique. Pratiquement, et non formellement, le système de cette fameuse table se prescrit lui-même comme devoir. On fera ici l’économie de l’analyse détaillée des douze catégories : il suffira de dire que leur système présente en effet la totalité des existences déterminées, dans la communauté de leurs rapports – totalité qui en tant que fin pratique serait identique à l’effectuation de la liberté.
15 L’impératif catégorique signifie que le concept d’un monde est indissociable de celui d’un impératif – un monde, cela doit être – et que le concept d’un impératif pur (non relatif à une fin donnée) est indissociable du concept d’un monde : ce qui doit être, c’est un monde, et rien d’autre qu’un monde ne doit, absolument, être mis en œuvre.
16 L’impératif catégorique de Kant inaugure ainsi de manière péremptoire et sans doute irréversible l’âge contemporain de l’éthique : il ne s’agit plus de répondre à une ordonnance donnée, ni dans le monde ni hors du monde dans la représentation d’un autre monde, mais il s’agit d’instaurer un monde là où n’est disponible et discernable qu’un agrégat confus. Il faut faire en ce monde et malgré lui advenir le monde de la raison, ou bien la raison comme monde.
25… et s’il reste exclu que l’être suprême passe de l’être au devoir-être, alors il s’en suit bien plutôt que le « suprême » n’est plus un prédicat de l’être mais que l’impératif devient sa consistance propre, si l’on peut dire. Rien n’est plus haut que le commandement : non pas le « commander », mais l’« être-commandé ». Non pas le sujet-maître, mais le sujet assujetti à cette réceptivité de l’ordre.
26…
Il reçoit l’ordre – il se reçoit en tant que l’ordre – de faire un monde. Mais il ne s’agit pas (et c’est ce que doit comprendre le sujet) de venir occuper la place de l’étant démiurgique, puisque c’est précisément cette place qui vient d’être vidée. Il s’agit de se tenir en ce vide et à lui – c’est-à-dire de rejouer à nouveaux frais ce que « ex nihilo » veut dire. Que rien ouvre un monde et s’ouvre dans le monde, que le sens du monde écarte toute vérité donnée et délie toute signification liée. Que je reçoive, que nous recevions l’ordre de nous tenir dans cette ouverture. C’est impératif, en effet.
Jean-Luc Nancy, « Préface à l’édition italienne de L’Impératif catégorique », Le Portique [En ligne], 18 | 2006, mis en ligne le 15 juin 2009, Consulté le 05 novembre 2010. URL : http://leportique.revues.org/index831.html
Titi, et puis aussi mes parents vont venir chez moi. JF et JP, mes deux frères aussi probablement. Je prévois que nous mangerons au restaurant le premier soir et que le lendemain je ferai une recette italienne. Cela se passe avenue Paul Deschanel, c’est mon premier appartement, au quatrième étage, j’avais une vingtaine d’années.
Puisque je vais cuisiner, je dois faire des courses. Je suis maintenant dans le quartier de mes parents, rue Waelhem, celui que je viens donc de quitter pour habiter seule. Dans une rue inventée par le rêve, je trouve une épicerie italienne. C’est un quartier qui appartient aux rêves, qui m’y ramène régulièrement, on y parvient en bifurquant dans la chaussée d’Helmet. Je décide d’y acheter tout ce dont j’ai besoin pour la recette. A l’intérieur de l’épicerie, je me rends compte que j’ai oublié de prendre la recette. J’en parle à l’épicière, la décris comme très longue, lui dis mon intention d’en acheter chez elle tous les ingrédients. Elle s’y intéresse, voudrait la voir. Elle va la cuisiner et mettra le plat en vente, dans des barriques.
Quand je retourne au magasin avec la recette, j’en profite pour (oser) la lire. Je m’aperçois qu’elle n’est pas si difficile que ça : essentiellement composée de 4 sortes différentes de pâtes et de crevettes qu’il faut décortiquer – en quoi consiste finalement la seule difficulté de la recette. Je laisse la recette à l’épicière. Je lui achète 2 bouteilles de vin.
Il y a également un livre que je voudrais acheter. Je monte la chaussée d’Helmet, toujours dans le quartier de mes parents, à la recherche de la librairie. Je ne la trouve pas, ni le livre.
Puis, je vais à Louvain chez ma tante. Je pense que mon intention est d’y faire des courses. Or, elle est toujours à son appartement. Elle n’est donc pas encore partie pour Bruxelles. Je me demande comment elle compte y parvenir (puisqu’elle doit y venir me rendre visite). Je me demande quelle est la durée du trajet Louvain-Bruxelles. Je pense qu’il s’agit de vingt minutes. Elle revient de chez les morts, bien sûr. Encore un peu blême et peut-être fragile. Mais est bien elle-même, allongée sur son divan, odalisque avec son fume-cigarette.
Éléments d’interprétation
Les lieux
L’appartement au quatrième étage de l’avenue Paul Deschanel, mon premier appartement. Le quartier de la rue Waelhem, où j’habitais donc juste avant. La chaussée d’Helmet où nous faisions nos courses. Le quartier imaginaire. Je le retrouve en rêve, en bifurquant sur la droite dans la chaussée d’Helmet. En prolongeant une promenade que je faisais parfois avec mon père. Qui m’y avait fait découvrir une cité ouvrière, en briques (le foyer Schaerbeekois). Louvain, où ma tante habitait, à 20 minutes en train de Bruxelles.
les pâtes fraîches / l’homme aux cervelles fraîches
Les pâtes fraîches qu’il faut à la recette m’évoquent d’abord les « cervelles fraîches » de « L’homme aux cervelles fraîches » – ce cas d’un certain Kris, Ernst Kris, plusieurs fois commenté par Lacan. C’est une lecture lointaine, dont il ne me reste que peu de souvenirs. Un patient qui se soupçonne de plagiat se voit réfuté par son analyste, à qui il avoue alors abruptement que tous les jours en sortant de sa séance, il fait un détour pour reluquer des menus de restaurants, et spécialement celui où il font de la cervelle fraîche, son plat préféré.
« Alors comme saisi d’une illumination subite, il profère ces mots : “Tous les midis, quand je me lève de la séance, avant le déjeuner, et avant que je ne retourne à mon bureau, je vais faire un tour dans telle rue […] et je reluque les menus derrière les vitres de leur entrée. C’est dans un de ces restaurants que je trouve d’habitude mon plat préféré : des cervelles fraîches.” » – Lacan J., Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.397.
Lacan parle d’acting out. L’homme signifie à son analyste que ce n’est pas ça, que quelque chose ne passe pas qui ressort de la pulsion, de l’objet a de la pulsion orale.
Au lendemain du rêve, « pâtes fraîches » donc m’évoque d’abord ça, les « cervelles fraîches » de Kris.
4 sortes de pâtes / 4 ≈ 40 ≈ Guerre ≈ Identification ≈ Un
Bon. Il faut ne faut pas seulement des pâtes fraîches, mais il en faut 4 sortes. Et je ne peux m’empêcher de me demander pourquoi 4?
De quatre, du chiffre 4, il est souvent question dans mes rêves, dans mes interprétations. A l’époque du « rêve du 4X4 », je l’avais fait correspondre à 40, à la guerre quarante. Je parlais alors d’une « date identificatoire à laquelle mon être s’était figé ».
C’est difficile à résumer. Mon père se disait « névrosé de guerre ». Moi-même, lors de ma première année de collège, lors du premier cours d’histoire sur la ligne du temps qu’il nous était demandée de tracer, je n’étais parvenue à pointer que 0/33 – 14/18 et 40/45. C’était mes trois dates. Cela m’est resté. J’avais d’abord placé 40/45, puis 0, puis 33, j’avais ensuite pu ajouter 14/18, l’autre guerre. Il me semble encore voir cette flèche. De même que je me vois encore assise, à ce banc-là, d’école. Et… ma consternation.
D’autres interprétations, d’autres rêves, m’avaient menée à écrire, à pointer la guerre de la lettre G, du point G ( il y avait eu le rêve du GSM, fait encore en Belgique et, beaucoup plus tard, le rêve du caddie, et je peux donc écrire cette équivalence :
4 → 40 → G → I → 1 4 = 4 ≈ 40 ≈ Guerre ≈ point G ≈ Identification ≈ Un
Curieusement, ces signifiants, ces S1, ces signifiants premiers – comme par exemple ce 4 qui revient, se présente et représente, sous différentes guises -, c’est-à-dire ces mots, ces morceaux de mots, ces syllabes, auxquels se lient mon être, tiennent, traversent les années, me poursuivent. Ces signifiants que je repère, que j’interprète. Qui se donnent vides de leur signification propre sans qu’ils soient vides de toute signification. Et qui se lient les uns aux autres par leurs résonance, leur son, leur réson, indépendamment de leur sens. Comme dans les mots croisés. Et qui font la matière du rêve, la tissent.
Ces signifiants, qui se repèrent par leurs lettres, et qui s’inscrivent dans mon histoire, paraissant y commander, de façon totalement inaperçue, inapercevable, sinon dans cette lecture à la lettre d’un rêve.
La façon dont j’interprète aujourd’hui le quatre, le quarante, va à l’encontre d’une réponse que m’avait faite autrefois mon analyste, mon premier analyste, réfutant que mon histoire puisse s’être arrêtée à cette date-là, de la guerre, 40.
C’était en 1998, je venais de traduire, pour la revue de psychanalyse Quarto, un article de Rivka Warshawsky, Du zéro au septième million : Israël et l’Holocauste. L’auteur y témoigne de sa vie de psychanalyste en Israël et d’un analysant de la deuxième génération après l’holocauste, dont la vie est toute de douleur et de répétitions.
«Cependant, écrit-elle, à certaines conditions, la répétition peut « passer » au témoignage. Ces conditions impliquent le signifiant du trauma. Le signifiant traumatique est le trait unaire de l’inhibition. Dans la vie de l’analysante dont je parle, cet « un » trait de l’inhibition se répétait à l’infini, souffrance et frustration s’étaient faits mode de vie. Que fallait-il qu’il arrive au sujet pour qu’il soit soulagé ? « Pour que le nombre passe de la répétition du 1 de l’identique à sa succession ordonnée, pour que la dimension logique gagne décidément son autonomie, il faut que sans nul rapport au réel le zéro apparaisse. » Le témoignage a le pouvoir de mettre un terme à la répétition.»
Au fond, j’avais interprété et extrapolé ce texte : au départ du souvenir de ma ligne du temps où j’avais le sentiment de n’être jamais arrivée à écrire qu’une seule date, 40, il m’avait semblé pouvoir dire que quelque chose en moi était figé, s’était figé dans cette guerre de quarante, m’obligeant à la répétition. La question qui s’ouvrait pour moi était celle d’un accès à la succession (de la sortie du cardinal, du passage à l’ordinal) par l’instauration du zéro, ainsi que le développe Warchawzky, s’appuyant d’un texte important de Jacques-Alain Miller, « La suture ». Comment pouvais-je poser un zéro qui me sorte de la répétition du même. Comment se concevoir, s’inscrire comme zéro. Je partais du constat de ma propre inhibition, de mon propre temps arrêté, figé. Mon analyste avait balayé ça, me disant que « j’avais le zéro » (puisque sur la ligne du temps, j’avais écris zéro), et que donc, j’étais « introduite à l’histoire ».
Faut-il que j’y voie une « erreur d’interprétation» de mon analyste à rapprocher de celle de Kris, qui trop vite dit à son analysant que non, il n’était pas plagiaire, que ce qu’il faisait était réellement original. Placage trop rapide suivi donc de l’acting out où l’analysant profère ces mots où il est question de cervelles fraîches. L’analysant, dit Lacan, venant montrer ce qui ne rentre pas dans la réponse de l’analyste : la livre de chair, les cervelles fraîches, et le désir d’elles dont il ne sait rien, qui le dépasse, les dépassent tous les deux et relève de la pulsion orale, de l’objet a.
L’erreur de mon analyste, de ne pas avoir voulu entendre ce que je cherchais à pointer de mon rapport énigmatique à l’histoire, peut-elle être rapprochée de celle de Kris et s’est-elle vue suivie d’une acting out? Cela, je ne le sais pas et cette « erreur » remonte maintenant à trop longtemps… Cependant, je retiens : au patient de Kris les cervelles fraîches, à moi les crevettes et la difficulté de les décortiquer.
la recette indienne
La veille du rêve, j’étais arrivée à cuisiner tranquillement, sans recette, ni angoisse. En cuisinant des légumes dont j’avais eu envie, que je ne connaissais pas.
Aujourd’hui, l’envie de manger commence à me revenir, me semble-t-il. Cette envie dont je me suis battue des années pour me départir, ayant vécu à l’adolescence des années assez difficiles de boulimie, lesquelles avaient rapidement succédé à une forme larvée d’anorexie (régimes extrêmes). Ce furent des années lourdes où je trainais seule avec mon obsession de nourriture et dans le dégout constant de mon corps. Le goût de l’alimentation m’en est passé. Je n’en garde que l’aspect mortifère. Que j’aie la veille du rêve préparé un repas en me laissant guider par ma seule improvisation et mon envie est assez exceptionnel et pouvait provoquer un rêve.
Au fond, c’est dans ce premier appartement de l’avenue Paul Deschanel, où le repas va avoir lieu, que j’appris à vaincre la boulimie. Je n’avais plus de frigo à vider (je me gardais de le remplir) et je me suis mise à écrire jour après jour tout ce que je mangeais. C’est aussi à ce moment-là que je me suis mise à la lecture de Lacan, du séminaire II, celui sur le moi.
Tandis qu’en réalité, et j’ai mis du temps à m’en souvenir, il y eut un tel repas, une première invitation à dîner dans ce premier appartement, un dîner somptueux, au départ de recettes indiennes trouvées dans de Marie-Claire, et où ma tante cependant ne fut pas invitée, mais Marc H. Cela avait représenté plusieurs jours de travail. Je me souviens de la cagette de mangues très mûres, achetée chez l’arabe (plutôt que l’italienne), dont j’avais fait un chutney et des confitures. Je me souviens qu’il y avait également deux sortes différentes de biscuits (contre les 4 sortes de pâtes), très réussis.
Avant que je n’emménage là, il y avait eu une période où je n’étais plus inscrite à aucune école et où je ne travaillais pas. Je ne me souviens plus des circonstances exactes. Comme je vivais chez mes parents, comme j’avais des choses à me faire pardonner, j’avais proposé de faire à manger à la place de me mère, pour la soulager. Ne sachant pas cuisiner, je suivais des recettes. Et tous les jours j’allais faire des courses et, comme dans le rêve, je montais la chaussée d’Helmet avec mon caddie.
Je faisais donc des petits plats spéciaux et récoltais beaucoup de compliments. Cuisiner m’a paru facile, il suffisait de suivre les recettes à la lettre, ce qui ne me posait aucune difficulté. Il y avait cependant une sorte de sentiment désagréable lié au fait que j’aurais mieux cuisiné que ma mère. Je ne sais pas combien de temps ça a duré. C’est là que j’ai appris à cuisiner. C’était beaucoup de travail. C’était faire quelque chose à la place de ma mère et sans qu’elle me l’ait ni enseigné ni demandé. Je ne souviens plus de sa réaction, son attitude vis-à-vis de ça. Je me souviens chez moi d’un sentiment triste et calme de faire ce que je devais faire, de payer (pour ma présence). Tandis que mes succès culinaires succédaient aux ratages dont ma mère n’avait cesser de s’accuser : « C’est raté », s’obstinait-elle à répéter jour après jour en nous servait à manger.
L’invitation à dîner lors de mon aménagement avenue Paul Deschanel, c’était une forme de répétition de ça. Une occasion restée unique, où j’étais maintenant à ma place.
Beaucoup plus tard, quand je me suis installée à Paris avec les enfants de F, c’est là qu’est née la très grande angoisse de cuisiner, liée à cette place que je prenais, de mère (même s’il ne s’agissait que de belle-mère). Une place absolument insupportable. Je n’arrivais à cuisiner que rarement, jamais sans l’aide d’une recette, et je pris l’habitude de servir les plats avec les mots de ma mère : « C’est raté ». Elle l’avait fait dans la plus grande placidité, je prenais sa relève en ayant la plus grande peine du monde à contenir ma rage.
crevettes à décortiquer
Crevettes, petites crevées à décortiquer, petites rêvettes roses, bébêtes. Crécettes
Qu’est-ce qui se dit ici de la pulsion orale ? La coïncidence avec le cas de l’homme aux cervelles fraîches, est-elle à prendre en compte? Ce cas qui m’a toujours un peu interloquée, sans que je sache en quoi. Ça se passe autant au niveau du vol (j’ai été kleptomane), du plagiat, que de l’erreur, des cervelles fraîches, et les diverses interprétations de Lacan, notamment celle sur le rien. Ce qui n’est pas noté par l’analyste, dit-il, c’est que son patient vole : rien. Ailleurs, il parle je crois du dégoût du patient pour ses propres pensées et d’anorexie. Qu’en est-il de mon rapport à la psychanalyse ? Mes décorticages de rêves ? Ces crêvettes ? Se situe-t-il lui aussi à ce niveau-là, de la pulsion orale, de la boulimie ? Je n’ai jamais aimé décortiquer des crevettes. Je déteste même ça. C’est typiquement quelque chose dont j’attends qu’on le fasse pour moi. Idem pour les plus gros crustacés, idem pour le poulet. Le décorticage est un obstacle à l’avalage, à la gloutonnerie. C’est du boulot. Un boulot ici prescrit par la recette. La recette répond à l’angoisse, répond de l’angoisse. La recette qui est de l’Autre. La recette à la lettre, la recette, sa mesure. L’angoisse de préparer à manger. Cuisiner sans recette, c’est pour moi cuisiner sans filet. Les circonstances où je me prête à improviser sont très rares. C’est ce que j’essaie en ce moment. Aussi : retrouver l’envie.
L’Italie / Vis ta lie
Dérive
Italie – Nathalie. Nathalie amie d’enfance depuis longtemps dans mes rêves. Et puis aussi… hier sur YouTube des éruptions volcaniques, de l’Etna, du Vésuve, en Italie… Et, Talie est le nom d’un personnage que j’ai écrit autrefois, je crois, peut-être dans l’histoire du pays de Blanc (auquel je pensais hier). Ditalie, je m’en souviens, nom curieux d’un chien. Ditaly. Non, Vitaly. Ou Vitalie ? Une histoire de chiens, de cirque, de gens qui vivent dans la rue. Longue et triste que j’aimais beaucoup. Retrouver le titre de ce roman, auquel je pensais il y a quelques temps. Est-ce que j’ai encore ce livre dans ma bibliothèque ? Hector. Le nom de l’auteur. Malot ? Non. Hector Malot. Non. Consultation de l’internet : Oui ! Hector Malot existe ! Le livre n’est plus dans ma bibliothèque. Dis-moi Google quel est son titre ? « Sans famille »! Maintenant vérifier nom du personnage qui ne devait pas être un chien. « Vitalis ». « Vitalis », tel était son nom, en vérité.
(Retrouver cette histoire, la lire à Jules).
Titi
Titi. Quel est son rôle dans le rêve? C’est elle d’abord qui est invitée. Je prends le train pour aller chez elle à Louvain. Vingt minutes de Bruxelles. Y faire encore des courses. Elle est là, revenue des morts, mais c’est bien elle. Je me réveille.
Titi est une sœur de ma mère. C’est ma tante préférée. Elle était blonde, rieuse, pleine de vie. Je passais tous les ans des vacances à la mer avec elle. Il m’a toujours semblé que c’est grâce à elle que j’ai connu quelque chose de la douceur de vivre. Mes parents étaient bien plus inquiets, sérieux, l’économie et le péché sur le bout de la langue. Avec elle, nous restions des heures sur la plage à ne rien faire sinon bronzer et papoter, mangions des crêpes, des glaces, des fraises. Achetions des vêtements. Fumions et faisions du vélo. Le soir, regardions la télévision.
Ma mère, qui avait tendance à confondre tous les noms, m’appelait quelquefois du vrai prénom de ma tante, Jéfa (pour Jozéfa). Il est arrivé qu’elle me dise que je préférais certainement ma tante ou que j’aurais préféré que ma tante, que Titi, soit ma mère. C’était très désagréable à entendre. Mais, il y avait chez ma tante une présence, une consistance qui manquait un peu à ma mère. Elle me parlait. Nous nous parlions. Elle avait des demandes, là où ma mère ne demandait rien. Je n’ai que peu de souvenirs de conversations avec ma mère. Il s’agissait d’abord de son silence. Mais elle aimait à me consoler. Elle trouvait ses mots dans la consolation.
Pourquoi ce rêve?
Je ne peux m’empêcher de me demander ce qui se recouvre du rêve et de cette représentation (mon interprétation)?
Récapitulons. J’aurai fait ce rêve à cause du repas préparé la veille, et de ma réflexion à propos de l’envie de retrouver l’envie, le goût, pour arriver à pouvoir cuisiner sans angoisse. Ma tante est certainement du côté de cette envie. Dans le rêve, une recette vient, une recette est là. Elle est neuve, inédite, simple, elle sera bonne. Elle est longue. Elle vient après le restaurant, le restaurant du premier soir. D’abord il y a eu la cuisine de l’Autre, maintenant, c’est la mienne – enfin, d’après recette…
« C’est qu’il puisse avoir une idée à lui, qui ne lui vient pas à l’idée, ou ne le visite qu’à peine. » Lacan, à propos du patient de Kris.
Rapprochons la recette de la psychanalyse, la psychanalyse comme texte d’aménagement d’un mets délicat, la cervelle fraîche (que pour ma part, j’abhorre). La délicatesse, la jouissance, c’est celle de la cervelle. Elle est fraîche. Et, elle cherche à faire recette. Un comment faire quelque chose de délicieux. Il y faut décortiquer. Cela parle de mon « mode de jouir », qui cherche à faire recette. C’est l’épicière italienne qui s’en chargera. Elle vendra le plat en barriques, façon barriques d’olives. Le désir est celui de faire rente du cas (cas rente, quarante). De faire commerce. « Le sinthome comporte un élément de relation », écrit Riwka Warshawsky.
C’est l’épicière italienne qui prépare la recette et la met en vente, en gros, dans des barriques d’olives. Olive – qui n’est pas loin d’ô-livres -, est un très vieux mets de mon histoire (baptême de mon frère Jean-François, où j’ai dérové dérobé dévoré toutes les olives, j’avais deux ans).
Dans le rêve, je cherche aussi une librairie et un livre. Mettons le livre comme le destin souhaité de la recette du cas rente, à la crevette/cervelle fraîche décortiquée.
Quelque chose du rêve supporte (= se traduirait, supporterait d’être traduit) une représentation graphique, visuelle. Cela se passe au niveau, à l’instant, à l’intérieur du tracé de la lettre. Des lettres, de l’encre, de son apparition sur le papier, des courbes, de leurs formes, du crissement de la plume. Son dépôt. Avec la lettre, avec les lettres, dans le report de ce qui se passe dans un rêve, il ne s’agit pas seulement d’un entendre, mais d’un voir.
Et les S1, signifiants premiers ici repérés, revenus, sont les signifiants de la lalangue, lalangue de jouissance. C’est elle qui fait les rêves de même qu’elle est la langue de l’interprétation, des associations.
Encore, ma tante, Titi, avait un rapport joyeux à la langue. Inventif. Elle disait des choses comme : « Je suis un pneu crevette. »