olala, de l’histoire et autres calembredaines

du travail encore trop. la nuit trouée par l’idée que je dois fermer ici, faute de temps.

mon histoire? je la connais, à  un siècle ou deux près. je retiens plein de choses, pas les chiffres. idem pour les noms de pays. ça tient à  ma structure, l’hystérie. enfin, c’est ce que je crois, ai longtemps cru. condamnée à l’atemporel.
entendais à  la radio hier deleuze, encore, dans son abécédaire, parlant de ce que ce serait pour lui, être de gauche : penser le monde, pouvoir penser au-delà  de son quartier.*
lui, n’avait pas pensé à  moi.
le monde, j’y pense, je le conçois, mais à  moins d’un grand effort, il est ici et maintenant et de toujours et de partout. c’est ce qui m’a poussé à  dire que l’histoire, c’était la castration.
la hache de l’histoire vient ordonner. je n’arrête pas de la retourner sur moi et puis aussi aux alentours, rien n’y fait : les morceaux se recollent par miracle, le chaos redevient magnifique. à noter aussi que l’inconscient non plus ne connaît pas le temps. c’est ce que j’appelle être hystérique :
d’une part maintenir le savoir, 1 certain savoir, auquel il est nécessaire de croire, dans l’Autre, de préférence masculin et assez souvent mort ( S barré –> S1, Sbarré dans le désir de S1, S1 dans l’Autre). d’autre part, vouloir promouvoir seulement ce qui à  la hache échappe (S barré sur petit a, petit a le secret, la vérité). le silence n’y suffit pas.

je me réfère ici à  ce que Lacan donne comme le discours de l’hystérique :

 Sbarré  S1
a // S2

S2 : le savoir, à  la place de la perte, mais aussi de la jouissance.

* je cite de mémoire et m’en excuse… on trouvera ici le texte exact : :// G comme Gauche – L’Abécédaire de Gilles Deleuze, 1988

noir sur blanc, pensées en italique :: le pas sur le tout

Lacan formules sexuation dans Encore

Vie étirée entre l’écran du jour et l’écran du soir et tous les deux sont très petits. Il est de ma nature d’être enfermée. Note sur l’angoisse de l’orgasme. Petite note sur l’adhérence à ce fantasme selon lequel il faut signifier à l’autre, au partenaire amoureux, qu’il y a à redire à son désir. Je ne trouve pas le mode du mien dans la mesure où je ne le supporterais calqué sur aucun (pas tout x phi de x :: je privilégie le pas sur le tout). Et puis il y a l’insupportable qui  consisterait à consentir à son désir, de l’autre, à dire oui à son mode, sa modalité. Ce mode, cette modalité, mienne également cependant (il n’existe pas de x tel que non-phi de x). Enfin, toujours: rester l’Autre. Je t’aime. C’était, l’émission des pensées du matin. Et pourtant, tout cela est faux. Et pourtant, tout cela est faux. Le monde tourne.

les peaux jouent, rêve

Robe qui part du cou, l’enserre comme un collier, d’esclave, descend sur la poitrine, les seins, sans passer par les épaules, se resserre sur le ventre, repart sur les hanches, jusqu’aux genoux.

C’est très joli.

Je m’aperçois cependant que le bonnet droit de la robe est vide, mon sein droit manque. J’ôte la robe et vois  avec horreur que toute la peau a « joué » sur les seins et sur le nombril. C’est indescriptible.

La peau du trou du nombril n’est plus en face du trou.
La matière à l’intérieur du téton n’est plus sous la peau du téton.
Le sein n’est plus sous la peau du sein.
La matière du sein n’est plus sous la peau du sein.
La peau du sein est vide et la matière est ailleurs.

Tout s’est dis
                            so    
                                   cié.

La peau vide.

La peau s’est dissociée de ce qu’elle recouvre et a bougé ( tu tectoniques Véronique)

Je montre ça à mon père, me dénude devant lui. Je dis que c’est horrible, que c’est atroce. Lui dit que non (pas grave). Je lui dis que si, que pour moi, l’image est toujours ce qui a le plus compté.
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La nuit d’avant, autre rêve: ma lèvre inférieure disparaît quand je parle. Ma mère dit que oui, elle avait remarqué ça, mais qu’elle essayait de le pas le voir, que c’était pas grave. Cela s’explique parce que j’ai / j’aurais  le menton fuyant. Mon menton fuit-il?

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La nuit d’encore avant, rêve d’un même acabit.

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imperfection des seins et mystère de cette dégoutante imperfection.

être une jeune fille, avoir 105 cm de tour de poitrine. et quand on se couche sur le côté, la bizarre forme que les seins prennent, aplatie, horrible. être alors très triste, horrifiée et triste. sentiment primaire et désagréable. sentiment solitaire.

les seins sont des choses assez désagréables à porter pour une jeune fille et l’enveloppe des seins ne fixe pas toujours son contenu, qui est mouvant. une bonne enveloppe de sein soutiendrait et serait rigide.  ou le contenu des seins se devrait-il d’être plus dur, plus ferme.

enveloppe et contenu. le flasque (la flasque) et  l’informe.

artiste, le père n’y comprend rien. ne s’attache pas à la « bonne forme ». explication facile qu’il ne convient peut-être pas de retenir.

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la lèvre inférieure disparaît – le trou noir de la bouche, l’enclos des dents, l’horreur du corps, oui mais. le menton fuit. le menton fuyant. mon menton fuit-il il ? mon menton FUIT.

L’horreur d’IRMA (de l’injection –> réel de boucherie –> hystérie)

Mais : ma bouche A CHANGE (pour de vrai), mâchoire. quand je parle, l’intérieur de ma bouche. que l’autre voit-il que je ne vois pas. le trou de l’image.

[ici vidéo florence « c’est pas grave »]

Un artiste ou quelqu’un qui vous aime n’aurait pas peur du réel, le désire (mon père, ma mère ou Léonard de Vinci)

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pensée d’hier

JACOTOT–> son idée des intelligences toutes  égales (même s’il ne tient pas compte du fantasme ) –> pas d’artiste (pensais-je) – l’un pas plus artiste que l’autre, au départ  (pensais-je de façon fugace)

mais une capacité à se passer de l’autorisation / opinion / avis / autorité de  l’Autre.

Avoir 5 ans comme Lacan.

Ce qui est juste chez Jacotot, c’est son idée d’émancipation. Si je pense qu’il n’y a pas d’artiste – cela veut plus ou moins dire  » il n’y a que des hommes émancipés ». Non pas un artiste, un homme émancipé. Non pas un génie, d’abord un homme émancipé. Dans le cas de Lacan, à l’en croire – pas même eu le temps d’être aliéné (s’est arrêté à 5 ans) .

C’est aussi le sentiment que l’activité dite artistique fait partie de l’homme, des activités de base de n’importe que homme (mal dit et fantasme chez moi, je me vis en artiste, mais je n’en suis pas une parce que mon père en est un, et qu’il n’y a pas d’artiste après mon père. Vis en artiste sans œuvre. Pour moi artiste = homme.

ARTISTE / ANALYSTE

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Anne Lysy : Lʼanorexie : Je mange rien (extrait 1)

[…]

1. Le rien, l’amour et le désir *1

C’est ainsi que j’ai sous-titré ce premier moment, qui reprend le Séminaire IV et « La direction de la cure »2 . Lacan, dans les années 50, met en avant la prévalence, dans tout phénomène humain, de l’ordre symbolique, l’ordre du langage, qui préexiste au sujet et qui le détermine. Il l’appelle le grand Autre pour le distinguer comme au-delà, comme horizon des petits autres, les égaux, les comme moi, les pareils, même si la fonction de ce grand Autre est supportée ou incarnée par des figures proches, par exemple, les parents, le père, la mère, pour l’enfant.

L’insertion du sujet dans le langage modifie ou altère pour de bon tout ce qui pourrait être de l’ordre du naturel ou de l’instinctif. C’est un point essentiel de son enseignement qu’il articule avec la triade besoin-demande-désir. Il veut montrer que le désir est irréductible au besoin, que l’objet du désir n’est pas réductible à l’objet du besoin. Le désir n’est pas non plus la satisfaction d’un besoin ; il n’est rien d’autre qu’un désir qui ne tend pas vers un objet mais se présente comme désir de rien. C’est sur ce point que l’anorexique est convoquée par Lacan comme, je dirais, une défenseur de ce rien. C’est comme une façon particulière de mettre en scène et d’utiliser ce rien. Alors ça peut vous paraître un peu abstrait ; je vais vous commenter quelques passages du Séminaire IV qui rendront cela beaucoup plus parlant.

Lacan parle, dans ces passages, de ce qui, structuralement, se passe dans le rapport de la mère à l’enfant quand elle le nourrit. Ce Séminaire IV se déroule en 1956-1957. Il met là en question des théories de l’objet oral des disciples de Freud ; ce qu’il avance, c’est une critique de la conception classique de l’oralité, de l’objet oral. Il faut bien comprendre cela, parce que l’on pourrait dire : l’anorexie, c’est un trouble de l’oralité. Il s’agit de savoir ce que cela veut dire. Or, il va déplacer tout à fait cette question de l’oralité.

Comment procède sa démonstration ? On peut dire que la mère est celle qui satisfait les besoins de l’enfant. Il a faim, elle lui donne le sein ou le biberon, peu importe. Mais c’est plus complexe que cela, du fait du langage. En tant qu’être parlant, quand elle donne à manger, elle fait un don, dit Lacan. C’est-à-dire elle symbolise l’objet ou la relation du nourrissage. Elle fait un don d’amour. Alors comment le nourrissage devient-il don d’amour ? Lacan explique que c’est parce que la mère devient pour l’enfant une puissance qui peut donner ou ne pas donner l’objet. Elle peut refuser. Et dès lors, l’objet oral, l’objet sein, la nourriture n’est plus l’objet de la satisfaction du besoin, mais devient le témoin du don d’amour, la preuve d’amour. Il devient symbolique. Donc, il devient un signifiant, dit Lacan. Il ne vaut plus pour lui-même, mais par le rien qui l’auréole. Comme le fait remarquer Augustin Ménard, c’est ce rien qui fait la valeur essentielle d’un cadeau, par exemple, au-delà de sa valeur marchande3 .

L’oralité, donc, ne se situe plus sur le terrain d’une satisfaction du besoin. Il y a une autre faim en jeu, dirais-je. L’oralité devient, dit Lacan, une activité érotisée, au sens de la libido freudienne. Elle ne met pas seulement en jeu la libido qui est au service de la conservation du corps – se nourrir pour subsister – mais la libido sexuelle. Et, précise-t-il, l’objet réel est lui- même là-dedans indifférent. Que ce soit le sein, le biberon ou autre chose, ce qui compte, c’est la valeur qu’il prend dans la dialectique sexuelle. C’est le fait que « l’activité [orale] a pris une fonction érotisée sur le plan du désir, lequel s’ordonne dans l’ordre symbolique »4 . C’est à cet endroit de son développement, dans son séminaire, qu’il évoque l’anorexie mentale, de la page 184 à 187.

Donc il isole deux mécanismes, ou deux aspects, de cette dialectique par rapport à l’Autre et au désir. D’une part, il dit quelque chose sur le statut de l’objet qu’elle mange, et d’autre part, il dit quelque chose sur le rapport à l’Autre qu’elle instaure par cet objet. Je dis tout ça en préliminaire à la citation. Je ne vais pas citer beaucoup, mais cela vaut la peine de citer quelques passages ce soir, de Lacan.

[…] il est possible que pour jouer le même rôle, il n’y ait pas du tout d’objet réel. Il s’agit en effet seulement de ce qui donne lieu à une satisfaction substitutive de la saturation symbolique. Cela peut seul expliquer la véritable fonction d’un symptôme comme celui de l’anorexie mentale. Je vous ai déjà dit que l’anorexie mentale n’est pas un ne pas manger, mais un ne rien manger. J’insiste – cela veut dire manger rien. Rien, c’est justement quelque chose qui existe sur le plan symbolique. Ce n’est pas un nicht essen [en allemand], c’est un nichts essen. Ce point est indispensable pour comprendre la phénoménologie de l’anorexie mentale. Ce dont il s’agit dans le détail, c’est que l’enfant mange rien, ce qui est autre chose qu’une négation de l’activité. De cette absence savourée comme telle, il use vis-à-vis de ce qu’il a en face de lui, à savoir la mère dont il dépend. Grâce à ce rien, il la fait dépendre de lui. Si vous ne saisissez pas cela, vous ne pouvez rien comprendre, non seulement à l’anorexie mentale, mais encore à d’autres symptômes, et vous ferez les plus grandes fautes.5

Donc, premièrement, il ne s’agit donc pas d’un objet réel mais de rien comme objet. La dialectique de substitution de la satisfaction à l’exigence d’amour, qui fait que l’oralité devient une activité érotisée, se fait autour de cet objet rien. Il ne s’agit pas que l’enfant ne mange pas, ce que Lacan appelle la négation de l’action, il parlera plus loin de négativité, il mange rien. Il ajoute même qu’il savoure l’absence comme telle. Je trouve cette expression très parlante, parce que ça donne déjà une idée d’une satisfaction qui est d’un autre ordre que la satisfaction du besoin, qui est suggérée dans le « savourer l’absence ». C’est le premier aspect sur la question de ce qu’est l’objet.

Deuxième aspect – c’est moi qui les distingue, pour des raisons didactiques –, il utilise ce rien, l’enfant, pour faire dépendre la mère de lui. C’est-à-dire qu’il retourne le rapport de dépendance initial. Comme le paraphrase Jacques-Alain Miller dans un de ses cours, l’enfant met en échec sa dépendance par rapport à l’autre en se nourrissant non pas de quelque chose, c’est-à-dire du sein, en tant qu’objet partiel, mais de cet objet comme annulé, du rien comme objet. Et pour expliquer ce renversement, Lacan fait appel, là, dans ces pages, à ce que Mélanie Klein a appelé la position dépressive et la conjugue avec ce qu’il a lui-même construit, le stade du miroir comme constitutif du sujet sur le plan imaginaire.

Il explique d’abord ceci : la mère peut donner, mais aussi refuser, donc, littéralement elle peut tout : elle est toute-puissante. L’enfant rencontre cette toute-puissance dans sa constitution comme sujet. Il rencontre dans le miroir deux choses, explique Lacan. D’une part, –c’est ce que l’on connaît bien, c’est ce que Lacan a développé dans son texte sur le stade du miroir– il éprouve un sentiment de triomphe, au moment où il se saisit, dans le miroir, comme totalité. C’est une expérience de maîtrise. Il rencontre là sa forme, qui dépend de lui. Forme qui donne un semblant de maîtrise sur ce qu’il éprouve, de fait, parce qu’il s’éprouve comme morcelé et incoordonné. Mais d’autre part –c’est ce que Lacan ajoute au stade du miroir dans le Séminaire IV–, il rencontre « la réalité du maître » : Ainsi le moment de son triomphe est-il aussi le truchement de sa défaite. Lorsqu’il se trouve en présence de cette totalité sous la forme du corps maternel, il doit constater qu’elle ne lui obéit pas. Lorsque la structure spéculaire réfléchie du stade du miroir entre en jeu, la toute-puissance maternelle n’est alors réfléchie qu’en position nettement dépressive, et c’est alors le sentiment d’impuissance de l’enfant.

C’est là que peut s’insérer ce à quoi je faisais allusion tout à l’heure, quand je vous parlais de l’anorexie mentale. On pourrait aller un peu vite, et dire que le seul pouvoir que détient le sujet contre la toute-puissance, c’est de dire non au niveau de l’action, et introduire ici la dimension du négativisme, qui n’est pas sans rapport avec le moment que je vise. [c’est-à-dire le « ne pas manger », nicht essen, pas nichts essen.] […] Je ferais néanmoins remarquer que l’expérience nous montre, et non sans raison, que ce n’est pas au niveau de l’action et sous la forme du négativisme, que s’élabore la résistance à la toute-puissance dans la relation de dépendance, c’est au niveau de l’objet, qui nous est apparu sous le signe du rien. C’est au niveau de l’objet annulé en tant que symbolique que l’enfant met en échec sa dépendance, et précisément en se nourrissant de rien. C’est là qu’il renverse la relation de dépendance, se faisant, par ce moyen, maître de la toute-puissance avide de le faire vivre, lui qui dépend d’elle. Dès lors, c’est elle qui dépend par son désir, c’est elle qui est à sa merci, à la merci des manifestations de son caprice, à la merci de sa toute-puissance à lui.6

Comme le souligne Recalcati, on a ainsi le rien dans sa valeur dialectique, qui autorise le renversement des rapports de force. L’enfant est objet de l’Autre, impuissant. Il dépend de cet Autre, c’est le statut natif du sujet. Eh bien maintenant, le sujet rend l’autre dépendant de lui, et le plonge dans l’impuissance de l’angoisse. Comme beaucoup d’auteurs le soulignent, notamment Carole Dewambrechies-La Sagna, ce n’est généralement pas l’anorexique qui est angoissée, c’est l’entourage qui ne sait plus quoi faire.

C’est le versant dialectique de l’anorexique que Lacan décrit ici. Il en fait une figure de maîtrise et surtout de protestation, voire de refus. Mais c’est aussi un appel, une tentative d’ouvrir une brèche chez cet Autre omnipotent. C’est dans un passage de « La direction de la cure », des mêmes années, qu’il revient ainsi sur l’anorexie et la caractérise par ce refus, en reprenant les termes : besoin, demande, désir. Je renvoie à un paragraphe de « La direction de la cure » : quand l’Autre rabat l’amour au niveau du besoin, dit-il, il est étouffant. Quand l’Autre « confond ses soins avec le don de son amour », quand l’Autre, à la place de donner ce qu’il n’a pas – ce qui est la définition de l’amour – quand l’Autre, donc, à la place de donner ce qu’il n’a pas « le gave de la bouillie étouffante de ce qu’il a », alors l’enfant refuse. Il refuse de satisfaire à la demande de la mère. « C’est l’enfant que l’on nourrit avec le plus d’amour qui refuse la nourriture et joue de son refus comme d’un désir (anorexie mentale). »7

Comment comprendre cela ? Le « non » anorexique veut dissocier la dimension du désir et du besoin. Ou de la demande qui traduit le besoin. Le « non » ou le « rien manger » est ainsi, en dernier ressort, une défense subjective du désir. Lacan dit là aussi, d’ailleurs : « Il faut que la mère désire en dehors de lui ». Autrement dit, qu’elle lui lâche les baskets ! Qu’elle ne le gave plus. Parce que c’est ce qui lui manque à lui pour trouver la voie vers le désir.

2. Un refus dialectique – exemples

C’est un refus dialectique, soulignait notre collègue italien Recalcati. Il a la valeur d’un appel à l’autre. Je vais vous donner deux ou trois petits exemples pas très travaillés, mais qui concrétisent un peu certaines choses. Le premier, je ne connais pas tous les détails, c’est un fait qu’on m’a raconté. Il s’agit d’une petite fille et de sa mère, reçues par un analyste, et la petite fille a déclenché soudain une anorexie. Cette mère se préoccupe beaucoup de ce qu’il advient de ses enfants quand ils sont à la maternelle. Elle surveille tout, elle veut tout savoir, et même tout voir. Son idéal, ce serait par exemple qu’on installe des caméras dans les crèches. C’est, d’ailleurs, paraît-il, un projet qui risquait de se réaliser. Sa fille devient anorexique à un moment précis : c’est au moment où la mère dit son projet : « Je vais ouvrir une garderie chez moi ». Qu’est-ce que cela signifie pour l’enfant ? Qu’est-ce qui a pu se produire là ? Eh bien, elle devient un objet de soins – ce qu’elle était déjà – mais au même titre que n’importe quel autre enfant. Jusque là, elle avait plus ou moins pu s’accommoder des soins gavants. Mais au moment où la dimension de l’amour est pour de bon écrasée, elle proteste. D’ailleurs, aspect significatif, dès que la mère, qui a réalisé un peu ce qui se passait par son travail en analyse, a dit qu’elle renonçait au projet, l’anorexie a cessé.

Autre petite donnée clinique, reprise au livre de Jessica Nelson, pour cette dimension d’appel à un autre qui serait un peu moins tout présent. Il y a un détail frappant. Si frappant, d’ailleurs, qu’elle en fait le titre même de son livre. Elle dit que le déclic qui a été le début de la fin de l’anorexie – ça a pris du temps –, ça a été une phrase de sa mère, quelque chose à ce moment- là a basculé. Sa mère a dit, à un moment donné, à un repas, et sur un ton léger : « Ça y est ! Tu as fini tes trois petits pois, tu peux sortir de table! » Elle l’interprète après coup comme un décalage opéré par sa mère dans sa propre position. Elle dit :

Des années plus tard, j’ai compris que, à ce moment précis, ma mère m’avait inconsciemment signifié que l’arme que j’utilisais contre ma famille, la maigreur et le refus de m’alimenter « normalement », cessait d’avoir la même emprise sur elle.

La « forme d’humour » est là-dedans importante. C’est cette forme d’humour qui compte, qui a démontré qu’elle n’est plus dépendante.

En effet, Isabelle [c’est sa mère] n’était plus dépendante du chantage par la peur que j’exerçais sur tous, au moyen de ma lente destruction physique. ‘Tu penses que tu as tous les pouvoirs sur nous ? semblait-elle sous-entendre. Ça suffit comme ça.’ […] Qu’avait bien pu déclencher en moi cette petite phrase ? [Parce qu’elle dit « J’ai remonté la pente à ce moment-là.] Avec la distance, je vois aujourd’hui dans l’anorexie une arme raffinée, tragique, aux significations multiples. Une arme qu’on ne retourne pas nécessairement contre soi dans une pulsion suicidaire [ça peut arriver !] mais dont on se sert pour affirmer une identité propre dans l’effacement. L’anorexie est une forme de rébellion singulière, si singulière néanmoins qu’elle a bien du mal à être considérée comme telle.8

Ce sont les paroles de Jessica, son témoignage. Ce n’est pas une professionnelle qui parle.

Quand on peut déployer comme cela les coordonnées de l’histoire du sujet, on rencontre souvent des moments de déception dans la demande d’amour, qui ne sont pas forcément seulement dans les rapports à la mère, cela peut être autant le père ou une personne importante pour le sujet. Et la protestation et la demande d’amour négative peuvent aller très loin. Cela atteint des extrémités caractéristiques de l’anorexie. Je cite Recalcati :

« Le corps devient squelette, se voue à la mort pour ouvrir un manque dans l’autre, pour secouer l’autre. »

C’est comme si, réduit à la peau sur les os, tendant à se faire disparaître, il se fait d’autant plus consistant « pour exister vraiment pour l’Autre, pour aveugler l’Autre. »9

[…]

Notes:
  1. Extrait de Lʼanorexie : Je mange rien de Anne Lysy sur le site du Pont Freudien []
  2. J. LACAN. « La direction de la cure », 1958, in Écrits. Paris, Seuil, 1966, pp. 585-645. []
  3. A. MÉNARD, « Nouveaux symptômes dans l’oralité », La petite girafe, n° 14, 2001, p. 63. []
  4. J. LACAN, Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, 1956-1957. Op. cit., p. 184. []
  5. J. LACAN, Ibid., p.184. []
  6. J. LACAN, Ibid., pp. 186-187. []
  7. J. LACAN, « La direction de la cure », Op. cit., p. 628. []
  8. J. NELSON, Op. cit., p. 10. []
  9. M. RECALCATI, « Les deux riens de l’anorexie », in La Cause Freudienne, n° 48, mai 2001, p. 148. []

samedi – chi et hystérie

6h26, nuit. j’ai beaucoup publié ici hier, ce qui me met mal à l’aise, me réveille.

je ne publie en général pas au fur et à mesure de ce que j’écris et c’est souvent au moment de publier, que je me relis, corrige, essaie de donner à ce que j’ai écrit l’allure d’un truc fini. je me suis forcée hier à publier beaucoup et vite. j’avais accumulé du retard. je n’aime pas non plus laisser passer trop de temps entre le moment de l’écriture et celui de la publication. écrire me permet de réfléchir à ce qui m’arrive, permet que je ne le subisse pas de trop. le délai que je prends avant publication me permet de prendre un petit peu de distance. et éventuellement de finir par boucler quelque chose, une petite unité de sens, quelque chose qui me permette  d’avancer,  de passer à autre chose.

donc, j’ai été la semaine dernière très tentée d’arrêter le blog, en raison de ce que j’y avais publié (et de ce que j’avais manqué d’y publier), qui continuait de me travailler.  je n’étais plus qu’envahie de maux  qui semblaient me dire :    total dysfonctionnement, retourne te coucher.

j’ai fait alors ici état de ce que j’avais beaucoup écouté mon corps. écouté, souffert, subi. et, me revenait que l’hystérique (que j’ai été beaucoup plus grandement autrefois qu’aujourd’hui, et dont les tourments me revenaient à la mémoire, attendrissants, d’ailleurs) a tendance à beaucoup écouter son corps (toujours un peu trop débordant de vie et que l’obsessionel aura tendance lui à  cadavériser), sans nécessairement qu’il en ressorte pour elle quoi que ce soit d’intéressant (d’autre que la jouissance inconsciente qu’elle y prend, ressentie comme quelque chose de parasitaire, qui la démarque de la marche du monde,  y fait tache, la détachant du commerce (habituel et symbolique) des hommes1 ).

or, il y a quelque chose d’hystérisant dans le taï chi (enfin,  dans le travail sur le chi, celui qui se fait  indépendamment de la forme,  parce que pendant la forme même, un certain silence revient, voire advient) et dans la pratique de la méditation. ce qu’il y a d’hystérisant, c’est cette écoute du corps laquelle est ici attendue,  requise. l’oreille descend dans le corps pour l’écouter. ce qu’il y a de nouveau, c’est que de cette écoute puisse advenir quelque chose (à quoi une analysante, il est vrai s’attend, mais d’une façon toute différente, cette différence étant probablement ce qui m’intéresse ici). et, qui plus est, que de cette écoute, d’ores et déjà, un certain plaisir soit retiré. ce que dans sa thèse Lu Ya-Chuan  appelle curieusement mais audacieusement :  « la jouissance utile ».

conscience au fond est prise de la jouissance de l’écoute, à l’intérieur du corps, et que cette jouissance est bonne.

et c’est là où il y a problème, où il y a douleur, nœud, que l’on s’attarde, là qu’on peut agir, en intervenant de façon actuelle, directe, sur le corps, en guidant le chi à l’aide des mots, de l’esprit, en influant donc directement sur le corps.  

c’est bien ce que le symptôme hystérique trahit: voilà un mal qui ne tient qu’aux mots et qui ne trouve pas d’explication dans la médecine occidentale.
ce mal, le chi le traite directement, préalablement à toute recherche de sens,  en y mettant directement la main à la pâte. là, où il y a douleur, c’est que ça ne passe pas. et là où ça ne passe pas, on peut faire passer. et c’est l’exercice même auquel on s’attelle, de faire passer, qui offre, paradoxalement, du plaisir. 

Je ne suis pas sûre du tout que cela puisse offrir la moindre espèce d’intérêt.

Notes:
  1. un mot = une chose et où le mot à fini d’achever la chose. elle, vit avec ce qui a continué à vivre. ce qui continue à vivre, il m’apparaît que la médecine chinoise l’appelle chi. []

métaphore/métonymie II. chabert et le reste de saumon de belle bouchère

 Jacques-Alain Miller, La clinique lacanienne, cours du 3 février 1982

SOURCE : http://jonathanleroy.be/wp-content/uploads/2016/01/1981-1982-Scansions-dans-lenseignement-de-Jacques-Lacan-JA-Miller.pdf

Extrait :

La belle bouchère, donc.  Elle nous embarrasse.  Elle nous embarrasse parce que toute l’analyse du désir de l’hystérique est là présentée comme une affaire de signifiants. Dans son désir, elle est tout entière une affaire de signifiants.

Vous vous souvenez avec quel brio Lacan resserre sa métaphore et sa métonymie.

Il fait valoir que dans le rêve, qui est très bref, tout tourne autour du saumon, du signifiant saumon qui, puisque la belle bouchère précise que c’est en fait du caviar qu’elle désire, est un signifiant substitué au caviar. Il y a donc là métaphore.

Du côté de la métonymie, il faut passer par une double détente. Qu’est-ce que c’est que le caviar comme signifiant? C’est un signifiant qui dans l’existence de la patiente a pour signifié le désir insatisfait, insatisfait simplement parce qu’elle se refuse au moyen de le satisfaire. Elle dit bien qu’elle pense au caviar, mais que, étant donné son prix, elle se refuse à se le faire acheter. C’est pourtant à sa portée de bouchère. Les bouchers peuvent aller acheter des choses à la poissonnerie. Nous avons donc ce désir insatisfait, et Lacan présente alors les choses en disant que ce rapport est un rapport de métonymie entre le désir comme insatisfait et le désir de caviar. Ça demande, pour être convaincant, d’être supporté par la rhétorique de Lacan.

C’est un exemple amusant, qui montre
d’un côté cette métaphore du saumon substitué au caviar,
et de l’autre côté la métonymie du désir insatisfait en rapport au caviar.

Vous me direz que c’est tiré par les cheveux, mais ça ne me dérange pas.

Dans toute cette affaire, et jusqu’à la fin, le saumon est bien la seule chose qui figure dans le rêve, et il est traité par Lacan, tout du long, comme un simple signifiant de substitution, un signifiant de substitution du caviar.

Ce qui donc apparaît comme la cause du désir dans ce rêve, c’est le manque-à-être.

de 1959 à 1975, la belle bouchère chez Lacan

Ci-dessous, quelques-uns des textes de Lacan où il traite de la Belle bouchère.

Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre VI, Le désir et son interprétation, p. 505 (10 juin 1959)

Mais quelle est la fonction du désir insatisfait chez l’hystérique ? Lacan nous dit que l’hystérique, qui veut être aimée, doit, afin de soutenir le désir amoureux, désirer autre chose. Et pour que ce désir d’autre chose remplisse sa fonction de soutien du désir amoureux, il faut qu’il reste insatisfait. La belle bouchère fait appel au mari en place d’Autre réel pour lui interdire la satisfaction du désir de caviar. Ainsi, à sa demande à elle, il lui crée un désir insatisfait, dans lequel elle trouve appui pour son désir. En entretenant l’insatisfaction, cette femme reste ainsi dans une position désirante.
Dominique Corpelet, La Belle Bouchère et le désir du sujet hystérique

Je vous rappelle l’exemple de la belle bouchère, où la structure du désir insatisfait apparaît de la façon plus claire. On trouve dans les associations de son rêve la forme en quelque sorte avouée de l’opération de l’hystérique la belle bouchère désire manger du caviar, mais elle ne veut pas que son mari le lui achète, parce qu’il faut que ce désir reste insatisfait. C’est là une de ces petites manœuvres dont est tissée la trame, le texte, de la vie quotidienne de ces sujets. Mais la structure ainsi imagée va en fait beaucoup plus loin.

Cette historiette révèle la fonction que l’hystérique se donne à elle-même – c’est elle qui est l’obstacle, c’est elle qui ne veut pas. Autrement dit, elle vient occuper dans le fantasme la position tierce entre sujet et objet qui était tout à l’heure dévolue au signifiant phobique. Ici, c’est elle qui est l’obstacle. Sa jouissance est d’empêcher le désir. C’est là une des fonctions fondamentales du sujet hystérique dans les situations qu’elle trame – empêcher le désir de venir à terme pour en rester elle-même l’enjeu.

Ainsi, le rêve de la Belle Bouchère interprète le désir de celle-ci : désir de désir insatisfait. Le rêve interprète l’inconscient.

A la recherche du nom perdu

« p. 41 … Le mystère de cette efficience silencieuse qui dépasse les ressources conscientes…

p. 42 Montaigne écrit à propos de l’effort pour se remémorer un rêve : « Plus j’ahane à le trouver, plus je l’enfonce en oubliance »

p. 43 Pourquoi dans certains cas, la volonté de se rappeler quelque chose constitue-t-elle un obstacle? Est-ce là un obstacle inhérent à l’effort ou est-ce simplement que ma volonté s’exerce au mauvais moment, dans une mauvaise occasion? Et quand le nom me vient soudain aux lèvres, comme par un don des Muses , que s’est-il passé? Puis-je toujours dire sincèrement que c’est parce que j’avais renoncé à me souvenir, parce que j’avais supprimé toute intention? N’y a-t-il pas quelque chose en moi qui continue secrètement à chercher alors même que je pense avoir renoncé?1 Tout se passe comme si l’on déléguait la tâche à quelqu’un en sous-main, lequel surgit à l’improviste après des recherches personnelles et lance en vous interrompant : j’ai trouvé ! Ne devrait-on pas parler d’un régime différent d’intentionnalité? En passant à un autre sujet de conversation après mon effort infructueux, il semble qu’une ressource inconnue ou mal aperçue en moi continue d’oeuvrer, et qu’au fond je ne fais que transférer le tôle de tête chercheuse, dévolu ordinairement à la conscience intentionnelle, à mes forces d’inconnaissance. En décidant de remettre la quête de ce nom à plus tard, j’ai libéré sans le vouloir les moyens de le retrouver, sans savoir ce qui se passe ou comment les choses se passent exactement. J’ai momentanément accepté de rester dans un état d’ignorance et d’obscurité. »

Romain Graziani, L’Usage du vide

Cela dit, il faut préciser ceci, c’est qu’en note en bas de page, R. Graziani précise :

« A moins bien sûr d’un cas pathologique d’oubli comme ceux que Freud a analysés avec tant de sagacité en les expliquant par les phénomènes de censure propres à l’économie psychique, comme dans la Psychopathologie de la vie quotidienne. Les raisons de l’oubli d’un mot ou d’un nom ainsi que les mécanismes propres à l’inconscient analysé n’entrent pas dans le cadre de  cet essai. « 

Il veut donc faire fi de l’inconscient que je ne peux cependant m’empêcher de voir à l’œuvre dans tout ce qui est décrit ici de l’oubli du nom : pourquoi faut-il qu’on oublie et qu’on oublie pour se remémorer. Quel manque-là cherche à nous faire signe ? Ne sont-ce précisément ces si joliment appelées « forces d’inconnaissance » qui sont à l’œuvre, qui nous ont capturé le mot, arraché au contexte du discours courant, de la conscience, dont il ne relève pas du registre, pas entièrement du registre, et que l’autre registre auquel il appartient se fasse ainsi entendre en nous l’enlevant (se faisant là connaître, reconnaître comme manque ; le mot n’appartient pas tout au savoir, à la science, à l’histoire, à la conscience).

Je souffre phénoménalement d’oubli des noms, en particulier de celui des noms propres, et une réflexion de longue date, qui trouva un solide appui dans la lecture justement de Freud sur l’oubli du nom, ne m’a pas restitué la mémoire, loin de là, mais n’a cessé de me dire et redire, jusqu’à ce que je l’entende, que je n’appartenais pas, pas toute, au seul registre du nom, du symbolique, mais que bien au contraire, mon être même se fondait de cette dichotomie fondamentale entre le nom et la chose, laquelle chose en ce qui me concerne se joue de bien des limites (et qui a fondé bien des raisons de ma colère, une colère insigne face à ce qui se révélait d’indigne en regard de ce qui manque pour sa part totalement de reconnaissance), qu’en bonne hystérique cependant il m’incombait de continuer à défendre et toujours plus  subtilement, la cause de ce qui manque au nom, la cause du vide.

Notes:
  1. et si cela n’avait pas à chercher parce que cela s’y trouve, est attendu seulement le moment où quelque chose à l’intérieur acceptera que cela remonte à la surface? []
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