Kafka, le temps des décisions de Reiner Stachs – extraits du chapitre « Autojustice : Le procès et Dans la colonie pénitentiaire«
rire irrésistible – D’après une anecdote souvent citée, Kafka, lorsqu’il lut à ses amis le premier chapitre du Procès, aurait tant ri que « par instants il ne pouvait continuer sa lecture », tandis que ses auditeurs étaient eux-mêmes saisis d’un « rire irrésistible ». « Assez étonnant, écrivit Brod rétrospectivement, quand on songe au terrible sérieux de ce chapitre. Et pourtant, c’est la vérité.1 »
cachotterie – « Et pourtant, l’état chaotique de ses manuscrits, cause de plusieurs décennies de débats entre les spécialistes, n’a strictement rien à voir avec sa fameuse tendance à la « cachotterie ». Aussi paradoxal que cela puisse paraître, tous ces obstacles découlent d’une décision tout à fait pragmatique de sa part en vue de discipliner son écriture.
p. 740
Mon sens de la représentation de ma vie intérieure onirique – “ Vu de la littérature mon destin est très simple. Mon sens de la représentation de ma vie intérieure onirique a repoussé tout le reste dans l’accessoire et ce reste s’est atrophié d’une façon effrayante et n’en finit pas de s’atrophier. Rien d’autre ne pourra jamais me satisfaire. Mais la force dont je dispose pour cette représentation est totalement imprévisible, peut-être a-t-elle déjà disparu à jamais, peut-être me reviendra-t-elle tout de même encore une fois, les circonstances de ma vie ne lui sont certes pas favorables. C’est ainsi que je vacille, je m’élance sans arrêt au sommet de la montagne, mais à peine si je peux un instant me maintenir en haut. D’autres vacillent eux aussi, mais dans des régions basses, avec de plus grandes forces ; menacent-ils de tomber, le parent les rattrape qui marche auprès d’eux dans ce but. Mais moi je vacille là-haut, ce n’est pas la mort hélas, ce sont les éternels tourments du mourir.2 ”
p. 742
C’est la Grande Guerre, Kafka loge seul dans l’appartement de sa soeur retournée vivre chez ses parents – « Kafka entame la phase de création la plus féconde de sa vie. On peut deviner d’où provient ce brusque apport de combustible : c’est ce même quantum d’énergie que sa lutte en vue du mariage a consumé des mois et des années durant. »
p. 743
les fantasmes de châtiment resurgissent – « toutefois en même temps — les notes de son journal le prouvent. Ses vieux fantasmes de châtiment ressurgissent eux aussi, images d’une violence mécanique, dépassionnée. Écrivant la scène d’exécution du Procès, où deux bourreaux obséquieux plantent un couteau dans le cœur de l’accusé, Kafka se laisse entraîner à un point tel que, quelques secondes avant la mort de son héros, il perd le recul du narrateur et tombe soudain tête en avant dans son roman : « Je levai les mains et écartai les doigts », lit-on dans le manuscrit. Je. »
p.744