jeudi 9 mai 2002

le salaire de l’horreur / off cause

L’impasse au travail a parfois le visage du rapport que fantasme le sujet à celui qui le met au travail. Le rapport fantasmatique. C’est l’Autre qui veut, que je travaille. Il en jouit, que je me meure au travail. Je me meurs, je me tue au travail. Meurs, tue-toi. Pour quelle gloire de l’Autre ? Quelle gloire, ou seule subsistance ? Nourris-toi des sueurs de mon labeur. Nourris-toi et tais-toi, nourris-toi, et étrangle-toi, que je n’entende plus que ta voix.

Mon patron. Ah, mon patron. Ma patronne. Mon chef, mon supérieur. Cette engeance. Qui ne rêve de rien d’autre que de me foutre dehors, sauf que c’est moi qui rêve, ces cauchemars. J’ai rêvé cette nuit que mon patron me foutait à la porte. Pas une seconde sans que je redoute cet instant. Où je serai saquée. L’horreur. C’est pourquoi je travaille, je travaille, je travaille, je ne compte pas mes heures, ni mes heures, ni le fruit de ma peur. Mon salaire. Je ne facture pas. Je paie et j’ai honte.

Mais je prends sur moi. Je prends tout sur moi. Aussi le travail des autres, des petits autres, des collègues, de ces chers compagnons de rame. Je travaille bien, je suis bien notée. Je travaille mal, je ne travaille pas assez, je dois apprendre à travailler mieux. Plus vite, plus fort, encore. Je suis rivée à mon écran, clouée à ma chaise. Au casque, de la musique techno, petits écouteurs, c’est tellement fort, c’est vraiment bon. D’aucuns disent « Workoholic ». Ils le savent, eux, qu’ils jouissent, ils le savent. Nous le savons. Nous le savons. Nous devons travailler, nous travaillons, nous voulons travailler. Nous sommes nombreux. Nous sommes connectés.

Le client c’est l’ennemi, c’est le con, l’enfoiré, l’entubé, celui qui n’y connaît rien, au moins t’as affaire à lui, au mieux tu te portes et y a le suceur de bites d’Account Manager pour lui filer ses comptes. Toi, c’est au bytes que tu bosses. Et la caisse enregistre au loin, dans la nuit, tu l’entends au travers des vapeurs de coca. Ça crée une solidarité. Forme nouvelle de solidarité.

Délire. Un délire où tu peux continuer de subir la tyrannie de l’Autre, tandis que les clics et les tics de tes claviers et autres souris filent à l’infini une morne et forte et délicieusement délétère jouissance où ton corps n’est plus pour rien. Tu ne sais plus qui veut. Mais ça veut. Vachement.

CLN. C’est la nuit. C’est la nuit, mon amour. C’est la nuit. Le corps ne souffre plus que les jours forcés de congé. Les jours de sa vie. Alors la migraine est oculaire, alors les vomissements sont compulsifs, alors l’hernie se fait discale. Tu ne marches plus qu’à quatre pattes. Éloigné du corps virtuel de ton MacOS 9.8, ton corps reprend le crachoir et bave la haine qu’il prend de toi. Le corps te hait. Tu l’as trahi, troqué. Écoute, écoute. De retour au boulot, tu retournes à ta mort préférée, à ton dialogue avec la machine, ton corps retrouve le calme du cadavre. Tout va bien mon amour, tout va bien. Tu es en très bonne santé. Les psychosodramatiques n’ont rien compris. La maladie affecte les corps vivants.

Le signifiant-maître ici, c’est « Travaille », « Travaille, ton corps paye, la plus-value c’est pour le patron, mais la transsubstantiation du plus de jouir ton être assume. » Tu es le terrain même de ce qui se récupère de jouissance. Et ça n’a pas de prix.

Tout ici est bénéfices. Tu assures l’existence d’un Autre réel et jouisseur qui jouit. Et tu incarnes la perte même. La lâcheté est immense. Crève.

You don’t even have a name to sign anymore. Of course. Off cause.

mots-clés: Signifiant-maître, S1, travail, victime, victimisation ; patron, patronne; le corps qui joue sa partie tout seul. le sommeil mort.

vendredi 18 novembre 2005

corps de fer, armure de pensées

Les corps de fer et les armures de la pensée*

En 1974, Jacques Lacan soulignait, comme un trait de notre époque, la perte de la dimension amoureuse, renvoyant à  la substitution du Nom-du-Père par un ordre « rationalisé, bureaucratisé » supporté par le « être nommé-à quelque chose ». C’est-à -dire que la chute des Noms-du-Père ne produit pas un vide anarchique mais qu’elle restitue un ordre que Lacan « avec des résonances weberiennes » appelle « de fer » , véritable signe d’une « dégénérescence catastrophique ». En effet, le « nommer-à » dans cet ordre de fer est avant tout nominaliste et aspire à un fonctionnalisme radical en tant qu’il méconnaît ou délocalise le réel de l’autre, sa dimension d’objet, de reste incalculable.

Ainsi, le « politiquement correct » s’efforce-t-il aujourd’hui de réduire les relations entre l’homme et la femme à des relations de droit civil. On construit des catégories qui permettent de standardiser les opérations, mouvements et stratégies qui constituent les échanges de ces sujets, de sorte qu’ils soit prévisibles et entièrement calculables.

L’ordre de fer est un ordre qui, avant tout, exclut le père réel comme principe d’ex-sistence fondant un dire vrai. Or le Nom-du-Père est une instance qui fonde un mode de nomination qui, d’une certaine manière, apparaît sur fond d’acceptation d’une impossibilité.

Si elle procédait du Nom-du-Père, la nomination faciliterait l’ouverture vers l’usage, l’accès, la possibilité de se servir du nom mais aussi du corps. Tandis que le « nommer-à » de l’ordre de fer décerne au contraire un nom et un corps qu’il s’agit seulement de subir.

C’est d’ailleurs très tôt, en 1945, que Lacan signalait que la pente à  la folie ne doit pas nécessairement être cherchée dans la faiblesse : « il se peut qu’un corps de fer, des identifications puissantes, les complaisances du destin […], mènent plus sûrement à  cette séduction de l’être ». Cette séduction de l’être est dans le fil de ce que Lacan avancera ensuite à  propos du self, et en particulier du faux self, (cf. les Séminaires XV et XVI et Eidelberg A., Schejtman F., Soria Dafunchio N. y Ventoso J., Anorexia y bulimia. Sàntomas actuales de lo femenino, Buenos Aires, Serie del Bucle, 2003, p. 111-114.).

Les corps de fer de nombre d’anorexiques et de boulimiques répondent très bien à  cette logique intimement liée au capitalisme hypermoderne. Comme l’indiquait une analysante, il s’agissait pour elle d’avoir un corps fermé, où rien n’entrerait ni ne sortirait – elle ne mangeait pas, ne déféquait pas, n’était pas réglée, n’avait pas de relations sexuelles. Un corps stérilisé et vidé. Impénétrable, fixé par la répétition incessante d’un calcul monotone qui éradiquait toute surprise de l’existence. Modelé par le carcan d’une pensée obsessionnalisée et entièrement ritualisée. Telle est sa différence essentielle d’avec le corps de l’hystérique, soutenu – comme Lacan le formule Lacan en 1976 – dans sa modalité torique (le « tore-trique ») par « l’armature » de l’amour pour le père. Ces corps contemporains se supportent de l’armure des pensées et du « nommer-à » qui, mettant en œuvre un rejet farouche de la dimension amoureuse, prétendent effacer la fonction topologique du trou torique en affirmant un faux self sphérique, fermé, impénétrable. Qu’il s’agisse de la modalité sphère-vide anorexique ou de la sphère-boule boulimique-obèse, on aperçoit comment l’effet thérapeutique requiert une intervention qui, en introduisant la fonction de la coupure, rétablit la structure torique du corps.


* Corps et fonction paternelle, Marcelo Barros, Alejandra Eidelberg, Claudio Godoy y Mànica Gurevicz

jeudi 21 décembre 2006

la charge affective en moins

de l’allègement de la charge affective,

de nombreuses choses je vis
qui débarrassées sont
de leur
« charge affective ».

une histoire triste,

Ernst retrouve alors le souvenir suivant : très petit, au moment de la mort de sa sœur, il a commis une chose grave pour laquelle le père l’a battu. Il a alors fait une terrible colère et injurié son père, mais ne connaissant pas d’injures il lui a donné tous les noms d’objets qui lui passaient par la tête : « Toi lampe ! toi serviette ! toi assiette ! » Le père déclare : « Ce petit là deviendra ou un grand homme ou un grand criminel. » A partir de ce moment, son caractère se modifie : il était coléreux, il devient lâche.

de l’imaginaire,

Toute pensée obsessionnelle, qui donne lieu à quelque construction, si loufoque soit-elle, sera toujours liée à la sexualité. La névrose obsessionnelle comporte un érotisation de la pensée.

La formule chez l’obsessionnel comporte toujours une équivalence qui introduit une valeur phallique. Le phallus imaginaire est la véritable unité de mesure. (cfr. le rêve, « mais oui, on peut tout à fait dire que c’est imaginaire »- mais l’ai-je raconté ici?)

L’obsessionnel démontre que la pensée est un parasite, un placage, un cancer dont l’humain est affligé ; la parole parasite le corps à titre de pensée, la pensée affecte le corps. C’est ce que dit Lacan dans le Séminaire XVII, l’Envers de la psychanalyse, p. 176 : « La pensée n’est pas une catégorie. Je dirai presque que c’est un affect. Encore ne serait-ce pas pour dire que c’est le plus fondamental sous l’angle de l’affect. »

de la pensée,

la pensée est privée.

la danse,

la danse est un plaisir et doit le rester.

moi,

je ne sais pas ce que c’est le phallus imaginaire.

mardi 3 avril 2007

« C’est toi même que tu détruis ; voilà ce qu’il aurait fallu lui faire reconnaître »

L’analyse de Bouvet ne repose que sur l’imaginaire de l’envie de pénis et de la castration masculine. Or ce cliché n’a rien de discriminant quand au choix de la névrose. À la place, Lacan fait pivoter la cure non pas sur l’envie de pénis et le désir d’être un homme, mais sur le désir de la mère et du phallus comme signifiant du désir. Dans l’enfance, la personne a été l’objet du désir de la mère : de nombreuses scènes décrivent sa dépendance à la fois vitale et passionnelle.
Ce qu’elle détruit, c’est cette dépendance à l’image phallique désirée par la mère. En effet, elle est en rivalité non avec le père, ni avec la mère, mais avec un désir d’au-delà d’elle qui est le phallus. Lacan applique la loi générale du désir obsessionnel : « Détruire les signes du désir de l’Autre » ; dans ce cas, c’est elle même qu’elle détruit en tant qu’identifiée à ces signes. « C’est toi même que tu détruis ; voilà ce qu’il aurait fallu lui faire reconnaître »
Serge Cottet, A propos de la névrose obsessionnelle féminine (pdf)

dimanche 13 avril 2008

« On » demande à l’enfant de retenir.

On demande à l’enfant de retenir. Il est nécessité à retenir trop longtemps, à ébaucher l’introduction de l’excrément dans le domaine de l’appartenance au corps, à en faire une partie du corps, qui est considérée, pour au moins un certains temps, comme à ne pas aliéner. Puis, après cela, on lui dit de lâcher, toujours à la demande. La demande a là aussi une part déterminante. Cette partie que le sujet a tout de même quelque appréhension à perdre, se trouve dès lors un instant reconnue. Elle est élevée à une valeur toute spéciale, elle est au moins valorisée en ceci qu’elle donne à la demande l’Autre sa satisfaction, outre qu’elle s’accompagne de tous les soins que l’on connaît. Non seulement l’Autre l’approuve et y fait attention, mais il y ajoute toutes ces dimensions supplémentaires que je n’ai pas besoin d’évoquer – dans d’autres domaines, c’est de la physique amusante-, le flairage, voire le torchage, donc chacun sait que les effets érogènes sont incontestables. Ils deviennent d’autant plus évidents quand il arrive qu’une mère continue à torcher le cul de son fils jusqu’à l’âge de douze ans. Cela se voit tous les jours.

Tout cela semble indiquer que ma question initiale n’est pas tellement importante, et que nous voyons très bien comment le caca prend aisément la fonction de ce que j’ai appelé, mon Dieu, l’agalma. Que cet agalma soit ici passé au registre du nauséabond ne serait que l’effet de la discipline dont il est partie intégrante. Cependant, tout cela ne vous permet en rien de rendre compte d’une façon qui nous satisfasse de l’ampleur des effets qui s‘attachent à la relation algamatique de la mère à l’excrément de son enfant, si nous ne mettions pas ces faits en connexion avec les autres formes de a. L’agalma n’est concevable que dans sa relation au phallus, à son absence, à l’angoisse phallique comme telle.

Jacques Lacan, Séminaire X, L’angoisse, Les cinq formes de l’objet petit a, De l’anal à l’idéal, Seuil, p. 349.

En revanche, c’est au niveau anal qu’il a pour la première fois l’occasion de se reconnaître dans un objet.

En revanche, c’est au niveau anal qu’il a pour la première fois l’occasion de se reconnaître dans un objet. Mais ici, n’allons pas trop vite.

Quelque chose en cet objet tourne. il s’agit de la demande de la mère. Elle tourne Garde-le. Donne-leEt si je le donne, où est-ce que ça va ? L’importance déterminante des deux temps de la demande, […]

En quoi ces deux temps sont-ils importants? En ceci que le petit tas en question est obtenu à la demande, et il est admiré – Quel beau caca! Mais le second temps de cette demande implique qu’il soit, si je puis dire, désavoué, parce que ce beau caca, on apprend tout de même à l’enfant qu’il ne faut pas garder trop de relations avec lui, si ce n’est par la voie bien connue, que l’analyse a également repérée, des satisfactions sublimatoires. S’il s’en barbouille – chacun sait que c’est avec cela qu’on le fait -, on préfère tout de même lui indiquer qu’il vaut mieux le faire avec autre chose, […]

Dans ce premier rapport avec la demande de l’Autre, nous nous trouvons donc au niveau d’une reconnaissance ambiguë. Ce qui est là, c’est à la fois lui, et ça ne doit pas être lui, et même plus loin, ça n’est pas de lui.

Nous progressons, les satisfactions se dessinent, et nous pourrions bien voir là l’origine de l’ambivalence obsessionnelle. Nous pourrions l’inscrire dans une formule, celle-ci, ( a ◊ $ ) où a est la cause de cette ambivalence, de ce oui-et-non. C’est de moi, ce symptôme, mais néanmoins ce n’est pas de moi. Les mauvaises pensées que j’ai […]

Seulement, je vous fais remarquer que cette structure fondée sur la demande laisse hors de son circuit ce qui doit nous intéresser si la thérorie que je vous expose est correcte, à la savoir la liaison au désir. On peut donc penser que l’introduction d’une autre dimension, externe, étrangère, celle du désir, et nommément du désir sexuel, fera passer au second plan, balayera ce que nous avons ici d’un certain rapport où le sujet se constitue comme divisé, ambivalent, en relation avec la demande de l’Autre. En fait, il n’en est rien.

Nous savons déjà pourquoi le désir seul ne le balaie pas, loin de là. C’est que, par sa duplicité même, l’objet vient à pouvoir symboliser merveilleusement, au moins par l’un de ses temps, ce dont il s’agira à l’avènement du stade phallique, à savoir […]

Jacques Lacan, Séminaire X, L’angoisse, Les cinq formes de l’objet petit a, De l’anal à l’idéal, Seuil, p. 350, 351.

lundi 5 janvier 2009

lire forme d’inconscience

il a recommencé à neiger. ça ne va pas du tout. rien à voir avec la neige : les vacances sont finies.

/

ce n’est que quand frédéric est là que je peux me sentir quitte de l’obligation de travailler.

l’amour facile en ce moment et cela m’est nouveau. l’amour m’est facile, cela m’est nouveau ( question des préliminaires, d’ailleurs, au passage, tant que j’y suis, balayée. point ne m’en faut. il fallait n’y pas penser.)

nuance,

il faudrait juste qu’il apprenne à s’endormir ma lampe de chevet allumée. phrase qui n’est pas belle.

je l’aime. si seulement il pouvait s’endormir dans ma lumière. essai de phrase belle.

il faudrait juste qu’il apprenne à s’endormir malgré la lumière de ma lampe de  chevet // juste faudrait-il qu’allumée je puisse garder la lumière de ma lampe de chevet // que je n’aie pas à éteindre ma lumière pour qu’il puisse s’endormir // qu’allumée je puisse garder ma lampe de chevet // qu’il puisse s’endormir dans la lumière // ne pourrait-il apprendre à dormir la lumière allumée //  le seul problème c’est qu’il faut toujours que j’éteigne ma lumière quand il veut s’endormir et alors que je n’ai pas du tout envie de dormir //

ces jours-ci le soir quand je me couche, j’ai l’impression qu’une nouvelle journée commence.

voir même que j’aie besoin de lire pour m’endormir //

{ liRe (remembrance) –

après la pensée,

{ liRe

m’a protégée de biendesattouchements.

liRe je peux le vouloir lire est ce quejeveuxqu’onmelaissedonclire et la paix.

lirejepeuxlevouloir lirejepeuxlevouloir lirejepeuxlevouloir.

LiRe, je peux le vouloir.

ah mais laisse-moi liRe

{ Avant c’était plutôt

ah mais laisse-moi penser

LiRe, à vrai dire, m’endort.

LiRe m’endort.

LiRe, m’endort bien.

J’aime, à m’endormir en lisant.

Je ne retiens RIen de ce que je lis.

Ce que je lis glisse sur moi comme l’eau sur le miroir (du moment qu’il ne comporte pas de tache de graisse. Qu’il n’est pas GRAIS S EU X.

L’EAU est détournée de son cours par la graisse, la contourne.

Ma conscience liseuse est lisse et elle est propre. L’essentiel est qu’elle ne retient rien. Mais c’est extrême

ET

ma pensée s’arrête. Or, cela est juste esperluette bon —

tout ce qui arrête la pensée est bon maintenant il faut que j’arrête d’écrire car je ne vais toujours pas arriver à établir ce qui distinguerait une bonne d’une mauvaise pensée.

une bonne pensée une pensée souhaitable une pensée productrice. les bonnes pensées les bonnes idées les bonnes réflexions, et puis les mienneslesmauvaises qui me minentetdont d’ailleurs je ne souffre plus, en fait. (j’ai tant pensé à certaines pensées qu’il m’arrive encore (de penser) qu’elles sont
d’actu.a lité! erreurs, trois fois).

en certaines époques de la vie on peut souffrir il arrive que l’on souffre de mauvaises pensées. que l’on en soit dévoré. dévorée , dévorante / le plus souvent ça fait ruminée , ruminante – c’est LES pensées : CHEWING-GUM.

les mauvaises pensées sont inhibitrices, envahissantes et inhibitrices. (beau ont-elles comporter des hi et des hi : mauvaises elles sont, mauvaises elles sont (comme dirait jules). or et qu’ajouter que dire de l’inhibition? se souvenir qu’elle
vitenlisièreduréel. ce à quoi la production jamais ne saurait prétendre. mots que j’ajoute car
– j’ai du mal à promouvoir la production et démouvoir l’inhi bition.

J’éteins.

//

il a recommencé à neige. tout ce qui a été écrit ci-dessus, après la neige, l’a été il y a quelques jours, quelques soirs.

samedi 26 juin 2010

J. LACAN, Le désir et son interprétation – Hamlet 2

[séance du 11 mars 1959]

Nous voici donc depuis la dernière fois dans Hamlet.1 Hamlet ne vient pas là par hasard, encore que je vous aie dit qu’il était introduit à cette place par la formule du être ou ne pas être qui s’était imposée à moi à propos du rêve d’Ella Sharpe.

J’ai été amené à relire une part de ce qui a été écrit d’Hamlet sur le plan analytique, et aussi de ce qui en a été écrit avant. Les auteurs, du moins les meilleurs, ne sont pas  sans faire état de ce qui en a été écrit bien avant. Et je dois dire que nous sommes amenés fort loin, quitte de temps en temps à nous perdre un petit peu, non sans plaisir, et que le problème est de rassembler ce dont il s’agit pour ce qui est de notre but précis.

Notre but précis étant de donner, ou de redonner son sens à la fonction du désir dans l’analyse et l’interprétation analytique.

Notre but précis étant de donner, ou de redonner son sens à la fonction du désir dans l’analyse et l’interprétation analytique. Il est clair que pour cela nous ne devons pas avoir une trop grande peine car, j’espère vous le faire sentir et je vous donne ici tout de suite mon propos, je crois que ce qui distingue la tragédie d’Hamlet, Prince de Danemark, c’est essentiellement d’être la tragédie du désir.

Hamlet qui, sans qu’on en soit absolument sûr, mais enfin, selon vraiment les recoupements les plus rigoureux, devrait avoir été joué à Londres pour la première fois pendant la saison d’hiver 1601 ; Hamlet dont la première édition in-quarto, cette fameuse édition qui a été quasiment ce que l’on appelle une édition pirate à l’époque, à savoir qu’elle n’était point faite sous le contrôle de l’auteur, mais empruntée à ce que l’on appelait les prompt-books, les livrets à usage du souffleur. Cette édition – c’est amusant quand même de savoir ces petits traits d’histoire littéraire – a été inconnue jusqu’en 1823, lorsqu’on a mis  la main sur un de ces exemplaires sordides – ce qui tient à ce qu’ils ont été beaucoup manipulés, emportés probablement aux représentations. Et l’édition in-folio, la grande édition de Shakespeare, n’a commencé à paraître qu’après sa mort en 1623, précédant la grande édition où l’on trouve la division en actes. Ce qui explique que la division en actes soit beaucoup moins décisive et claire dans Shakespeare qu’ailleurs.

En fait, on ne croit pas que Shakespeare ait songé à diviser ses pièces en cinq actes. Cela a son importance parce que nous allons voir comment se répartit cette pièce.

L’hiver 1601, c’est deux ans avant la mort de la reine Elisabeth. Et en effet, on peut considérer approximativement qu’Hamlet, qui a une importance capitale dans la vie de Shakespeare, redouble si l’on peut dire, le drame de cette jointure entre deux époques, deux versants de la vie du poète, car le ton change complètement lorsque apparaît sur le trône Jacques ler ; et déjà quelque chose s’annonce, comme dit un auteur, qui brise ce charme cristallin du règne d’Elisabeth, de la reine vierge, celle qui réussira ces longues années de paix miraculeuses au sortir de ce qui constituait dans l’histoire d’Angleterre, comme dans beaucoup de pays, une période de chaos dans laquelle elle devait promptement rentrer avec tout le drame de la révolution puritaine.

Bref, 1601 annonce déjà cette mort de la reine qu’on ne pouvait assurément pas prévoir, par l’exécution de son amant, le comte d’Essex, qui se place la même année que la pièce d’Hamlet.

Ces repères ne sont pas absolument vains à évoquer, d’autant  plus que nous ne sommes pas les seuls à avoir essayé de restituer Hamlet dans son contexte. Ce que je vous dis là, je ne l’ai vu dans aucun auteur analytique souligné. Ce sont pourtant des espèces de faits premiers qui ont bien leur importance.

À la vérité, ce qui a été écrit chez les auteurs analytiques ne peut pas être dit avoir été éclaircissant . Et ce n’est pas aujourd’hui que je ferai la critique de ce vers quoi a versé une espèce d’interprétation analytique à la ligne d’Hamlet. Je veux dire, j’essaye de retrouver tel ou tel élément, sans à vrai dire qu’on puisse en dire autre chose que s’éloigne de plus en plus, à mesure que les auteurs insistent, la compréhension de l’ensemble, la cohérence du texte.

Je dois dire aussi de notre Ella Sharp dont je fais grand cas, que là-dessus, dans son papier, il est vrai unfinished, trouvé après sa mort, elle m’a grandement déçu. J’en ferai état quand même parce que c’est significatif. C’est tellement dans la ligne que nous sommes amenés à expliquer, eu égard à la tendance qu’on voit prise par la théorie analytique, que cela vaut la peine d’être mis en valeur. Mais nous n’allons pas commencer par là.

Nous allons commencer par l’article de Jones ( ( JONES E., « The Œdipus Complex as an Explanation of Hamlet’s Mystery : A Study in Motive. American journal of Psychology », vol. XXI, part 3, pp. 72 -113. )) paru en 1910 dans le Journal of American Psychology, qui est une date et un monument, et qu’il est essentiel d’avoir lu. Il n’est pas facile actuellement de se le procurer. Et dans la petite réédition qu’il en a faite, Jones a je crois ajouté autre chose, quelques compléments à sa théorie d’Hamlet dans cet article : The Œdipus Complex : an explanation of Hamlet’s mystery, ( le complexe d’Œdipe en tant qu’explication du  mystère d’Hamlet ). Il ajoute comme sous-titre : « A study on Motive » ( une étude de motivation ) .

En 1910 , Jones aborde le problème magistralement indiqué par Freud, comme je vous l’ai montré la dernière fois dans cette demi-page sur laquelle on peut dire qu’en fin de compte tout est déjà, puisque même les points d’horizon sont marqués, à savoir les rapports de Shakespeare avec le sens du problème qui se pose pour lui : la signification de l’objet féminin. Je crois que c’est là quelque chose de tout à fait central. Et si Freud nous pointe à l’horizon Timon d’Athènes , c’est une voie dans laquelle assurément Ella Sharp a essayé de s’engager  Elle a fait de toute l’œuvre de Shakespeare une sorte de vaste oscillation cyclothymique y montrant les pièces ascendantes, c’est-à-dire qu’on pourrait croire optimistes, les pièces où l’agression va vers le dehors, et celles où l’agression revient vers le héros ou le poète, celles de la phase descendante. Voilà comment nous pourrions classer les pièces de Shakespeare, voire même à l’occasion les dater.

Je ne crois pas que ce soit là quelque chose d’entièrement valable, et nous allons nous en tenir pour le moment au point où nous en sommes, c’est-à-dire d’abord à Hamlet pour essayer – je donnerai peut-être quelques indications sur ce qui suit ou précède, sur la Douzième nuit et Troylus and Cressida, car je crois que c’est presque impossible de ne pas en tenir compte, cela éclaire grandement les problèmes que nous allons d’abord introduire sur le seul texte d’Hamlet.

Avec ce grand style de documentation qui caractérise ses écrits – il y a chez Jones une solidité, une certaine ampleur de style dans la documentation qui distingue hautement ses contributions – Jones fait une sorte de résumé de ce qu’il appelle, à très juste titre, le mystère d’Hamlet.

De deux choses l’une, ou vous vous rendez compte de l’ampleur qu’a prise la question, ou vous ne vous en rendez pas compte. Pour ceux qui ne s’en rendent pas compte, je ne vais pas répéter là ce qu’il y a dans l’article de Jones. D’une façon ou d’une autre, informez-vous. Il faut que je dise que la masse des écrits sur Hamlet est quelque chose de sans équivalent . L’abondance de la littérature est quelque chose d’incroyable. Mais ce qui est plus incroyable encore, c’est l’extraordinaire diversité des interprétations qui en ont été données. Je veux dire que les interprétations les plus contradictoires se sont succédée, ont déferlé à travers l’histoire, instaurant le problème du problème : à savoir pourquoi tout le monde s’acharne-t-il à y comprendre quelque chose ; et elles donnent les résultats les plus extravagants, les plus incohérents, les plus divers. On ne peut pas dire que cela n’aille excessivement loin, nous aurons à y revenir à l’intérieur même de ce que je vais rapidement rappeler des versants de cette explication que résume Jones dans son article.

À peu près tout a été dit, et pour aller à l’extrême, il y a un Popular Science Monthly, qui doit être une espèce de publication de vulgarisation plus ou moins médicale, qui a fait quelque chose  en 1860 (1880 ? ) qui s’appelle Impediment of Adipose ( les embêtements de l’adipose ) . À la fin d’Hamlet on nous dit qu’Hamlet est gros, et court de souffle, et dans cette revue il y a tout un développement sur l’adipose d’Hamlet .

Il y a un certain Vining ( VIKING, The mystery of Hamlet, 1881 ) qui en 1881, a découvert qu’Hamlet était une femme déguisée en homme, dont le but à travers toute la pièce était la séduction d’Horatio, et que c’était pour atteindre le cœur d’Horatio qu’Hamlet manigançait toute son histoire. C’est tout de même une assez jolie histoire . En même temps on ne peut pas dire que ce soit absolument sans écho pour nous. Il est certain que les rapports d’Hamlet avec les gens de son propre sexe sont quand même étroitement tissés dans le problème de la pièce.

Revenons à des choses sérieuses et, avec Jones, rappelons que ces efforts de la critique se sont groupés autour de deux versants. Quand il y a deux versants dans la logique, il y a toujours un troisième versant, contrairement à ce qu’on croit, le tiers n’est pas si exclu que cela. Et c’est évidemment le tiers qui, dans le cas, est intéressant.

Les deux versants n’ont pas eu de minces tenants. Dans le premier versant il y a ceux qui ont, en somme, interrogé la psychologie d’Hamlet. C’est évidemment à eux qu’appartient la primauté, que doit être donné le haut du pavé de notre estime. Nous y rencontrons Goethe, Coleridge qui dans ses Lectures on Shakespeare a pris une position très caractéristique dont je trouve que Jones aurait pu peut-être faire un état plus ample . Car Jones, chose curieuse, s’est surtout lancé dans un extraordinairement abondant commentaire de ce qui a été fait en allemand, qui a été proliférant, voire prolixe.

Les positions de Goethe et de Coleridge ne sont pas identiques. Elles ont cependant une grande parenté qui consiste à mettre l’accent sur la forme spirituelle du personnage d’Hamlet.

En gros, disons que pour Goethe, c’est l’action paralysée par la pensée. Comme on le sait, ceci a une longue lignée. On s’est rappelé, et non en vain bien sûr, qu’Hamlet avait vécu un peu longtemps à Wittenberg. Et ce terme renvoyant l’intellectuel et ses problèmes à une fréquentation un peu abusive de Wittenberg , représenté non sans raison comme l’un des centres d’un certain style de formation de la jeunesse étudiante allemande, est une chose qui a eu une très grande postérité. Hamlet est en somme l’homme qui voit tous les éléments, toutes les complexités, les motifs du jeu de la vie, et qui est en somme suspendu, paralysé dans son action par cette connaissance. C’est un problème à proprement parler goethéen, et qui n’a pas été sans profondément retentir, surtout si vous y ajoutez le charme et la séduction du style de Goethe et de sa personne.

Quant à Coleridge, dans un long passage que je n’ai pas le temps de vous lire, il abonde dans le même sens, avec un caractère beaucoup moins sociologique, beaucoup plus psychologique. Il y a quelque chose à mon avis qui domine là, dans tout le passage de Coleridge sur cette question et que je me plais à retenir .  » Il faut bien que je vous avoue que je ressens en moi quelque goût de la même chose  » . C’est ce qui dessine chez lui le caractère psychasthénique, l’impossibilité  de s’engager dans une voie, et une fois y être entré, engagé, d’y rester jusqu’au bout.

L’intervention de l’hésitation, des motifs multiples, est un morceau brillant de psychologie qui donne pour nous l’essentiel, le ressort, le suc de son essence, dans cette remarque dite au passage par Coleridge : après tout j’ai quelque goût de cela. C’est-à-dire, je me retrouve là-dedans . Il l’avoue au passage, et il n’est pas le seul. On trouve une remarque analogue chez quelqu’un qui est quasi contemporain de Coleridge, et qui a écrit des choses remarquables sur Shakespeare dans ses Essays on Shakespeare, c’est Hazlitt, dont Jones ne fait pas, à tort, du tout état, car c’est quelqu’un qui a écrit les choses les plus remarquables sur ce sujet à l’époque.

Il ( Coleridge ) va plus loin encore, il dit qu’en fin de compte parler de cette tragédie . . . Elle nous a été si rebattue cette tragédie, que nous pouvons à peine savoir comment en faire la critique, pas plus que nous ne saurions décrire notre propre visage. Il y a une autre note qui va dans le même sens. Et ce sont là des lignes dont je vais faire grand état.

Je  passe assez vite l’autre versant, celui d’une difficulté extérieure, qui a été instaurée par un groupe de critiques allemands dont les deux principaux sont Klein et Werder qui écrivaient à la fin du XIXe siècle à Berlin. C’est à peu près comme cela que Jones les groupe . Et il a raison. Il s’agit de mettre en relief les causes extérieures de la difficulté de la tâche qu’Hamlet s’est donnée, et aux ( les ) formes que la tâche d’Hamlet aurait. Elle serait  de faire reconnaître à son peuple la culpabilité de Claudius, de celui qui, après avoir tué son père et épousé sa mère, règne sur le Danemark. Il y a là quelque chose qui ne soutient pas la critique, car les difficultés qu’aurait Hamlet à accomplir sa tâche, c’est-à-dire à faire reconnaître la culpabilité d’un roi, ou bien de deux choses l’une, à intervenir déjà de la façon dont il s’agit qu’il intervienne, par le meurtre, et ensuite d’être dans la possibilité de justifier ce meurtre, sont évidemment très facilement levées par la seule lecture du texte.

Jamais Hamlet ne se pose un problème semblable  Le principe de son action, à savoir que ce qu’il doit venger sur celui qui est le meurtrier de son père, et qui en même temps a pris son trône et sa place auprès de la femme qu’il aimait par dessus tout, doit se purger par l’action la plus violente, et par le meurtre, n’est non seulement jamais mis en cause chez Hamlet, mais je crois que je vous lirai là-dessus des passages qui vous montrent qu’il se traite de lâche, de couard. Il écume sur la scène du désespoir de ne pouvoir se décider à cette action.

Mais le principe de la chose ne fait aucune espèce de doute. Il ne se pose pas le moindre problème concernant la validité de cet acte, de cette tâche. Et là-dessus il y a un nommé Loening, dont Jones fait grand état, qui a fait une remarque à la même période, discutant les théories de Klein et Werder de façon décisive. Je signale au passage que c’est la plus chaude recommandation que Jones apporte sur ces remarques. En effet il en cite quelques unes qui paraissent fort pénétrantes.

Mais tout ceci n’a pas une extraordinaire importance puisque la question est véritablement dépassée à partir du moment où nous prenons la troisième position, celle par laquelle Jones introduit la position analytique.

Ces lenteurs d’exposé sont nécessaires, car elles doivent être suivies pour que nous ayons le fond sur lequel se pose le problème d’Hamlet.

La troisième position est celle-ci : c’est que, bien que le sujet ne doute pas un instant d’avoir une tâche à accomplir, pour quelque raison inconnue de lui cette tâche lui répugne. Autrement dit, c’est dans la tâche même, et non pas ni dans le sujet, ni dans ce qui se passe à l’extérieur. Inutile de dire que pour ce qui se passe à l’extérieur il peut y avoir des versions beaucoup plus subtiles que celle que je vous ai amorcée pour déblayer.

Il y a donc là une position essentiellement conflictuelle par rapport à la tâche elle-même. Et c’est de cette façon, en somme très solide, et qui doit tout de même nous donner une leçon de méthode, que Jones introduit la théorie analytique. Il montre que la notion du conflit n’est pas du tout nouvelle, à savoir : la contradiction interne à la tâche a déjà été apportée par un certain nombre d’auteurs qui ont très bien vu, comme Loening, si nous en croyons les citations que Jones en donne, qu’on peut saisir le caractère problématique, conflictuel, de la tâche, à certains signes dont on n’a pas attendu l’analyse pour s’apercevoir de leur caractère signalétique : à savoir la diversité, la multiplicité, la contradiction, la fausse consistance  des raisons que peut donner le sujet d’atermoyer cette tâche, de ne pas l’accomplir au moment où elle se présente à lui. La notion en somme du caractère superstructural, rationalisé, rationalisant des motifs que donne le sujet, avait déjà été aperçu par les psychologues bien avant l’analyse, et Jones sait très bien le mettre en valeur, en relief.

Seulement, il s’agit de savoir où gît le conflit dont les auteurs qui sont sur cette voie ne laissent pas d’apercevoir qu’il y a quelque chose qui se présente au premier plan, et une sorte de difficulté sous-jacente qui, sans être à proprement parler articulée comme inconsciente , est considérée comme plus profonde et en partie non maîtrisée, pas complètement élucidée ni aperçue par le sujet.

Et la discussion de Jones présente ce caractère tout à fait caractéristique de ce qui chez lui donnera un des traits dont il sait le mieux faire usage dans ses articles qui ont joué le plus grand rôle pour rendre valable à un large public intellectuel la notion même d’inconscient. Il articule puissamment que ce que les auteurs, certains subtils, ont mis en valeur, c’est à savoir que le motif sous-jacent, contrariant, pour l’action d’Hamlet, est par exemple un motif de droit. A savoir, a-t-il le droit de faire ceci ?

Et Dieu sait si les auteurs allemands n’ont pas manqué, surtout alors que ceci se passait en pleine période d’hégélianisme, de faire état de toutes sortes de registres sur lesquels Jones a beau jeu d’ironiser, montrant que si quelque chose doit entrer dans les ressorts inconscients, ce ne sont pas des motifs d’ordre élevé, d’un haut caractère d’abstraction, faisant entrer en jeu la morale, l’État, le savoir  absolu, mais qu’il doit y avoir quelque chose de beaucoup plus radical, de plus concret et que ce dont il s’agit c’est précisément ce que Jones va alors produire, puisque c’est à peu près vers cette année là que commencent à s’introduire en Amérique les points de vue freudiens – c’est cette même année qu’il publie un compte-rendu de la théorie de Freud sur les rêves, que Freud donne son article sur les Origines et le développement de la psychanalyse2 , directement écrit en anglais si mon souvenir est bon, puisqu’il s’agit des fameuses conférences de la Clark University.

Je crois qu’on ne peut pas toucher du doigt, dans une analyse qui va vraiment aussi loin qu’on peut aller à cette époque, qui met en valeur dans le texte de la pièce, dans le déroulement du drame, pour en montrer la signification oedipienne, qui met en valeur ce que nous pouvons appeler la structure mythique d’Oedipe . . .  Je dois dire que nous ne sommes pas si débarbouillés mentalement que de pouvoir tous si aisément sourire de voir amener à propos d’Hamlet, Télésphore, Amphion, Moïse, Pharaon, Zoroastre, Jésus, Hérode, – tout le monde vient dans le paquet – et en fin de compte, ce qui est essentiel, deux auteurs qui ont écrit à peu près vers 1900 ont fait un Hamlet in Iran dans une revue fort connue, une référence du mythe d’Hamlet aux mythes iraniens qui sont autour de la légende de Sürrhus ( Pyrrhus ), dont un autre auteur a fait aussi grand état dans une revue inconnue et introuvable.

L’important c’est que dans l’introduction par Jones, à la date de 1910, d’une nouvelle critique d’Hamlet, et d’une critique qui va consister toute entière à nous amener à cette conclusion :  » Nous  arrivons à ce paradoxe apparent que le poète et l’audience sont tous deux profondément remués par des sentiments dus à un conflit de la source duquel ils ne sont pas conscients – ils ne sont pas éveillés, ils ne savent pas de quoi il s’agit.  »

Je pense qu’il est essentiel de remarquer le pas franchi à ce niveau. Je ne dis pas que ce soit le seul pas possible, mais que le premier pas analytique consiste à transformer une référence psychologique non pas en une référence à une psychologie plus profonde, mais en une référence à un arrangement mythique censé avoir le même sens pour tous les êtres humains. Et il faut tout de même bien quelque chose de plus, car Hamlet ce n’est tout de même pas les Syrrhos ( Pyrrhus ) Saga, les histoires de Cyrus avec Cambyse, ni de Persée avec son grand-père Acrysios, c’est quand même autre chose.

Si nous en parlons ce n’est pas seulement parce qu’il y a eu des myriades de critiques, mais aussi parce que c’est intéressant de voir ce que cela fait qu ‘ ( d ‘ ) Hamlet.

Vous n’en avez en fin de compte aucune espèce d’idée parce que par une espèce de chose tout à fait curieuse je crois pouvoir dire d’après ma propre expérience que c’est injouable en français. Je n’ai jamais vu un bon Hamlet en français. Ni quelqu’un qui joue bien Hamlet, ni un texte qu’on puisse entendre.

Pour ceux qui lisent le texte, c’est quelque chose à tomber à la renverse, à mordre le tapis, à se rouler par terre, c’est quelque chose d’inimaginable. Il n’y a pas un vers d’Hamlet, ni une  réplique qui ne soit en anglais d’une puissance de percussion, de violence de termes qui en fait quelque chose où à tout instant on est absolument stupéfait. On croit que c’est écrit d’hier, qu’on ne pouvait pas écrire comme cela il y a trois siècles.

En Angleterre, c’est-à-dire là où la pièce est jouée dans sa langue, une représentation d’Hamlet, c’est toujours un événement. J’irai même plus loin – parce qu’après tout on ne peut pas mesurer la tension psychologique du public si ce n’est au bureau de location – , et je dirai ce que c’est pour les acteurs, ce qui nous enseigne doublement; d’abord parce qu’il est tout à fait clair que jouer Hamlet pour un acteur anglais c’est le couronnement de sa carrière, et que lorsque ce n’est pas le couronnement de sa carrière c’est tout de même qu’il veut se retirer avec bonheur en donnant ainsi sa représentation d’adieu, même si son rôle consiste à jouer le premier fossoyeur.

Il y a là quelque chose qui est important, et nous aurons à nous apercevoir de ce que cela veut dire, car je ne le dis pas au hasard.

Il y a une chose curieuse, c’est qu’en fin de compte lorsque l’acteur anglais arrive à jouer Hamlet, il le joue bien . Ils le jouent tous bien. Une chose encore plus étrange est que l’on parle de l ’Hamlet de tel ou tel, d’autant d’Hamlet qu’il y a de grands acteurs. On évoque encore d’Hamlet de Garrick, d’Hamlet de Kenns, etc. C’est là aussi quelque chose d’extraordinairement indicatif.

S’il y a autant d’Hamlet qu’il y a de grands acteurs, je crois que c’est pour une raison analogue – ce n’est pas la même parce que c’est autre chose de jouer Hamlet et d’être intéressé comme spectateur et comme critique – . . . . Mais la pointe de convergence de tout cela, ce qui frappe particulièrement et que je vous prie de retenir, c’est qu’on peut croire en fin de compte que c’est en raison de la structure du problème qu’Hamlet comme tel pose à propos du désir, à savoir ce qui est la thèse que j’avance ici qu’Hamlet fait jouer les différents plans, le cadre même auquel j’essaye de vous introduire ici, dans lequel vient se situer le désir.

C’est par ce que cette place y est exceptionnellement bien articulée, aussi bien je dirais de façon telle que tout un chacun y vient trouver sa place, vient s’y reconnaître, que l’appareil, le filet de la pièce d’Hamlet est cette espèce de réseau, de filet d’oiseleur où le désir de l’homme, dans les coordonnées que justement Freud nous découvre, à savoir son rapport à l’Oedipe et à la castration, y est là articulé essentiellement.

Mais ceci suppose que ce n’est pas simplement une autre édition, un autre tirage de l’éternel type drame, conflit, de la lutte du héros contre le père, contre le tyran, contre le bon ou le mauvais père. Là j’introduis des choses que nous allons voir se développer par la suite. C’est que les choses sont poussées par Shakespeare à un point tel que ce qui est important ici, c’est de montrer les caractères atypiques du conflit, la façon modifiée dont se présente la structure fondamentale de l’éternelle Saga que l’on retrouve  depuis l’origine des âges, par conséquent dans la fonction où, d’une certaine façon les coordonnées de ce conflit sont modifiées par Shakespeare de façon à pouvoir faire apparaître comment dans ces conditions atypiques vient jouer, de tout son caractère le plus essentiellement problématique, le problème du désir pour autant que l’homme n’est pas simplement possédé, investi, mais que ce désir il a à le situer, à le trouver. À le trouver à ses plus lourds dépens, et à sa plus lourde peine, au point de ne pouvoir le trouver qu’à la limite, à savoir dans une action qui ne peut pour lui s’achever, se réaliser, qu’à condition d’être mortel.

Ceci nous incite à regarder de plus près le déroulement de la pièce. Je ne voudrais pas trop vous faire tarder, mais il faut quand même que j’en mette les traits saillants principaux.

L’acte 1, concerne quelque chose qu’on peut appeler l’introduction du problème, et là tout de même au point de recoupement, d’accumulation, de confusion où tourne la pièce il faut bien quand même que nous revenions à quelque chose de simple qui est le texte. Nous allons voir que cette composition mérite d’être retenue, qu’elle n’est pas quelque chose qui flotte ni qui aille à droite ou à gauche.

Comme vous le savez, les choses s’ouvrent sur une garde, une relève de la garde sur la terrasse d’Elseneur. Et je dois dire que c’est une des entrées les plus magistrales de toutes les pièces de Shakespeare, car toutes ne sont pas aussi magistrales à l’entrée. C’est à minuit que se fait la relève, une relève où il y a des choses très jolies, très frappantes. Ainsi c’est ceux qui viennent  pour la relève qui demandent : Qui est là ? alors que ce devrait être le contraire. C’est qu’en effet tout se passe anormalement. Ils sont tous angoissés par quelque chose qu’ils attendent. Et cette chose ne se fait pas attendre plus de quarante vers. Alors qu’il est minuit, quand la relève a lieu, une heure sonne à une cloche lorsque le spectre apparaît.

Et à partir du moment où le spectre apparaît nous sommes entrés dans un mouvement fort rapide avec d’assez curieuses stagnations.

Tout de suite après, la scène où apparaissent le roi et la reine, le roi qui dit : il est tout à fait temps de quitter notre deuil, nous pouvons pleurer d’un œil, mais rions de l’autre, et où Hamlet qui est là fait apparaître ses sentiments de révolte devant la rapidité du remariage de sa mère et du fait qu’elle s’est remariée avec quelqu’un qui, auprès de ce qu’était son père, est un personnage absolument inférieur.

À tout instant dans les propos d’Hamlet nous verrons mise en valeur l’exaltation de son père comme d’un être dont il dira plus tard que tous les dieux semblaient avoir sur lui marqué leurs sceaux, pour montrer jusqu’où la perfection d’un homme pouvait être portée . C’est sensiblement plus tard, dans le texte que cette phrase sera dite par Hamlet . Mais dès la première scène il y a des mots analogues. C’est essentiellement dans cette sorte de trahison, et aussi de déchéance, – sentiments que lui inspire la conduite de sa mère, ce mariage hâtif, deux mois, nous dit-on, après la mort de son père, qu’Hamlet se présente. C’est là le fameux dialogue avec Horatio : économie, économie, le rôti des funérailles n’aura pas le temps de refroidir pour servir  au repas des noces. Je n’ai pas besoin de rappeler ces thèmes célèbres.

Ensuite, tout de suite, nous avons l’introduction de deux personnages : Ophélie et Polonius, et ceci à propos d’une sorte de petite mercuriale que Laerte, qui est un personnage tout à fait important dans notre histoire d’Hamlet, dont on a voulu faire – nous y viendrons – quelqu’un qui joue un certain rôle par rapport à Hamlet dans le déroulement mythique de l’histoire, et à juste titre bien entendu, adresse à Ophélie qui est la jeune fille dont Hamlet fut, comme il le dit lui-même, amoureux, et qu’actuellement dans l’état où il est,  il repousse avec beaucoup de sarcasmes. Polonius et Laërte se succèdent auprès de cette malheureuse Ophélie pour lui donner tous les sermons de la prudence, pour l’inviter à se méfier de cet Hamlet.

Vient ensuite la quatrième scène. La rencontre sur la terrasse d’Elseneur d’Hamlet, qui a été rejoint par Horatio, avec le spectre de son père. Dans cette rencontre il se montre passionné, courageux puisqu’il n’hésite pas à suivre le spectre dans le coin où le spectre l’entraîne, à avoir avec lui un dialogue assez horrifiant. Et je souligne que le caractère d’horreur est articulé par le spectre lui-même. Il ne peut pas révéler à Hamlet l’horreur et l’abomination du lieu où il vit et de ce qu’il souffre, car ses organes mortels ne pourraient le supporter. Et il lui donne une consigne, un commandement. Il est intéressant de noter tout de suite que le commandement consiste en ce que, de quelque façon qu’il s’y prenne, il ait à faire cesser le scandale de la luxure de la reine ; et qu’en tout ceci  au reste, il contienne ses pensées et ses mouvements ; qu’il n’aille pas se laisser aller à je ne sais quels excès concernant des pensées à l’endroit de sa mère.

Bien sûr les auteurs ont fait grand état de cet espèce d’arrière-plan trouble dans les consignes données par le spectre à Hamlet, d’avoir en somme à se garder de lui-même dans ses rapports avec sa mère. Mais il y a une chose dont il ne semble pas qu’on ait articulé ce dont il s’agissait, qu’en somme d’ores et déjà et tout de suite, c’est autour d’une question à résoudre : que faire par rapport à quelque chose qui apparaît ici être l’essentiel malgré l’horreur de ce qui est articulé, les accusations formellement prononcées par le spectre contre le personnage de Claudius, c’est-à-dire l’assassin. C’est là qu’il révèle à son fils qu’il a été tué par lui.

La consigne que donne le ghost n’est pas une consigne en elle-même ; c’est quelque chose qui d’ores et déjà met au premier plan, et comme tel, le désir de la mère. C’est absolument essentiel, d’ailleurs nous y reviendrons.

Le deuxième acte est constitué par ce qu’on peut appeler l’organisation de la surveillance autour d’Hamlet. Nous en avons en somme une sorte de prodrome sous la forme – c’est assez amusant, et cela montre le caractère de doublet du groupe Polonius, Laërte, Ophélie, par rapport au groupe Hamlet, Claudius et la reine – des instructions que Polonius, premier ministre, donne à quelqu’un pour la surveillance de son fils qui est parti à Paris. Il lui dit comment il faut procéder pour se renseigner sur son fils. Il y a là une espèce de petit morceau  de bravoure du genre vérités éternelles de la police, sur lequel je n’ai pas à insister. Puis interviennent, c’est déjà préparé au premier acte, Guildenstern et Rosencrantz, qui ne sont pas simplement les personnages soufflés qu’on pense. Ce sont des personnages qui sont d’anciens amis d’Hamlet. Et Hamlet qui se méfie d’eux, qui les raille, les tourne en dérision, les déroute, et joue avec eux un jeu extrêmement subtil sous l’apparence de la folie – nous verrons aussi ce que veux dire ce problème de la folie ou pseudo-folie d’Hamlet – fait véritablement appel, à un moment, à leur vieille et ancienne amitié, avec un ton et un accent qui lui aussi, mériterait d’être mis en valeur si nous avions le temps, et qui mérite d’être retenu, qui prouve qu’il le fait sans aucune confiance. Et il ne perd pas un seul instant sa position de ruse, et de jeu avec eux. Pourtant, il y a un moment où il peut leur parler sur ce certain ton.

Rosencrantz et Guildenstern sont les véhicules en venant le sonder pour le roi . . . et c’est bien ce que sent Hamlet qui les incite vraiment à lui avouer. Êtes-vous envoyés près de moi ? Qu’avez-vous à faire près de moi ? Et les autres sont suffisamment ébranlés pour qu’un deux demande à l’autre : qu’est-ce qu’on lui dit ? Mais cela passe . Car tout toujours ça passe d’une certaine façon . C’est-à-dire que jamais ne soit franchi un certain mur qui détendrait une situation qui apparaît essentiellement, et d’un bout à l’autre, essentiellement nouée.

À ce moment Rosencrantz et Guildenstern introduisent les comédiens qu’ils ont rencontrés en route, et qu’Hamlet connaît. Hamlet s’est toujours intéressé au théâtre et, ces comédiens, il va les accueillir  d’une façon qui est remarquable. Là aussi il faudrait lire les premiers échantillons qu’ils lui donnent de leur talent.

L’important est une tragédie concernant la fin de Troie, le meurtre de Pryam – et concernant ce meurtre, nous avons une scène fort belle en anglais, où nous voyons Pyrrhus suspendre un poignard au-dessus du personnage de Pryam, et rester ainsi :

So, as a painted tyrant, Pyrrhus stood,
And like a neutral to his will and matter,
Did nothing.

C’est ainsi que, comme un tyran en peinture, Pyrrhus s’arrête, et, comme neutralisé entre sa volonté et ce qu’il y a à faire, ne fit rien. Comme c’est un des thèmes fondamentaux de l’affaire, cela mérite d’être relevé dans cette première image, celle d’un comédien ( des comédiens ) , à propos desquels va venir chez notre Hamlet l’idée de les utiliser dans ce qui va constituer le corps du troisième acte – ceci est absolument essentiel – ce que les Anglais appellent d’un terme stéréotypé, the play scene : le théâtre sur le théâtre. Hamlet là conclu :

The play’s the thing
Wherein I’ll catch the conscience of the king.

Cet espèce de bruit de cymbales qui termine là une longue tirade d’Hamlet qui est écrite toute entière en vers blancs – je le signale – et où nous trouvons ce couple de rimes, est quelque chose qui a toute sa valeur introductive. Je veux dire que c’est là-dessus que se termine le deuxième acte et que le troisième, où va justement  se réaliser the play scene, est introduit.

Ce monologue est essentiel. Par là nous voyons, et la violence des sentiments d’Hamlet, et la violence des accusations qu’il porte contre lui-même d’une part :

Am I a coward ?
Who calls me villain ? breaks my pate across ?
Plucks off my beard, and blows it in my face ?
Tweaks me by the nose ? gives me the lie i’th’throat .
As deep as to the lungs ? who does me this ?
Ha !

 » Suis-je un lâche ? qui m’appelle à l’occasion vilain ? Qu’est-ce qui me démolit la caboche ? Qu’est-ce qui m’arrache la barbe, et m’en jette des petits morceaux à la face ? Qu’est-ce qui me tord le nez ? Qu’est-ce qui me renfonce dans la gorge jusqu’au niveau des poumons ? Qu’est-ce qui me fait tout cela ?  »

Cela nous donne le style général de cette pièce qui est à se rouler par terre. Et tout de suite après, il parle de son beau-père actuel :

Swounds, I should take it : for it cannot be
But I am pigeon-liver’d and lack gall
To make oppression bitter, or ere this
I should have fatted all the region kites
With this slaves offal .

Nous avions parlé de ces kites, à propos du souvenir de Léonard de Vinci. Je pense que c’est une sorte de milan. Il s’agit de son  beau-père et de cette victime, et de cet esclave fait pour être justement offert en victime aux muses. Et là commence une série d’injures :

bloody, bawdy villain !
Remorseless, treacherous, lecherous, kindless villain

 » Sanglant, putassier vilain ! sans remord ! très bas et ignoble vilain  » .

Mais ces cris, ces injures, s’adressent tout autant à lui qu’à celui auquel l’entend le contexte. Ce point est tout à fait important, c’est le culmen du deuxième acte. Et ce qui constitue l’essentiel de son            [ désespoir ] est ceci qu’il a vu les acteurs pleurer en décrivant le triste sort d’Hécube devant laquelle on découpe en petits morceaux son Pryam de mari. Car après avoir longtemps gardé la position figée, son poignard suspendu, le Pyrrhus prend un plaisir malicieux – c’est le texte qui nous le dit :

When she saw Pyrrhus make malicious sport
In mincing with his sword ber husband’s limbs ,

à découper – mincing est je pense le même mot qu’ émincer en français – devant cette femme qu’on nous décrit très bien enroulée dans je ne sais quelle sorte d’édredon autour de ses flancs efflanqués, le corps de Pryam. Le thème c’est tout cela pour Hécube. Mais qu’est-ce que Hécube pour ces gens ? Voilà des gens qui en viennent à cette extrémité d’émotion pour quelque chose qui ne les concerne en rien. C’est là que se déclenche pour Hamlet ce désespoir de ne rien ressentir d’équivalent. Ceci est important pour introduire ce dont il s’agit, c’est-à-dire ce play scene dont il donne la raison. Comme attrapé dans  l’atmosphère, il semble s’apercevoir tout d’un coup de ce qu’on peut en faire.

Quelle est la raison qui le pousse ? Assurément il y a là une motivation rationnelle : attraper la conscience du roi . C’est-à-dire, en faisant jouer cette pièce avec quelques modifications introduites par lui-même, s’apercevoir de ce qui va émouvoir le roi ; le faire se trahir. Et en effet c’est ainsi que les choses se passent. A un moment, avec un grand bruit, le roi ne peut plus y tenir. On lui représente d’une façon tellement exacte le crime qu’il a commis, avec commentaires d’Hamlet, qu’il fait brusquement : « lumières, lumières » et qu’il s’en va avec un grand bruit. Et qu’Hamlet dit à Horatio : il n’y a plus de doute.

Ceci est essentiel. Et je ne suis pas le premier à avoir posé, dans le registre analytique qui est le nôtre, quelle est la fonction de ce play scene. Rank l’a fait avant moi dans un livre qui s’appelle Scenespiel Hamlet, Psychanalytik ( Das  » Schauspiel  » in Hamlet, ) paru dans International psychanalitik ( Psychoanalytische Bewegung Myth. ) en 1919 à Vienne-Leipzig.3

La fonction de ce scenespiel (  » Schauspiel  » ) a été articulée par Rank d’une certaine façon sur laquelle nous aurons à revenir. Il est clair de toute façon qu’elle pose un problème qui va au-delà de son rôle fonctionnel dans l’articulation de la pièce. Beaucoup de détails montrent qu’il s’agit tout de même de savoir jusqu’où et comment nous pouvons interpréter ces détails. C’est à savoir s’il nous suffit de faire ce dont Rank se contente, c’est-à-dire d’y relever tous les  traits qui montrent que dans la structure même du fait de regarder une pièce, il y a quelque chose qui évoque les premières observations par l’enfant de la copulation parentale. C’est la position que prend Rank, je ne dis pas qu’elle soit sans valeur, qu’elle soit même fausse ; je crois qu’elle est incomplète, et qu’en tout cas elle mérite d’être articulée dans l’ensemble du mouvement, à savoir dans ce par quoi Hamlet essaye d’ordonner, de donner une structure, de donner justement cette dimension que j’ai appelé quelque part de la vérité déguisée, sa structure de fiction par rapport à quoi seulement il trouve à se réorienter, au-delà du caractère plus ou moins efficace de l’action pour faire se dévoiler, se trahir ( Claudius ? ). Il y a quelque chose ici, et Rank a touché un point juste en ce qui concerne sa propre orientation par rapport à lui-même. Je ne fais que l’indiquer pour montrer l’intérêt des problèmes qui sont ici soulevés.

Les choses ne vont pas tout simplement, et le troisième acte ne s’achève pas sans que les suites de cette articulation n’apparaissent sous la forme suivante : c’est qu’il est convoqué – Hamlet – de toute urgence auprès de la mère qui bien entendu, n’en peut plus – c’est littéralement les mots qui sont employés : speak no more – Et qu’au cours de cette scène il voit Claudius, alors qu’il marche vers l’appartement de sa mère, en train de venir, sinon à résipiscence, du moins à repentir, et que nous assistons à toute la scène dite de la prière repentante de cet homme qui se trouve ici en quelque sorte pris dans les rets mêmes de ce qu’il garde, les fruits de son crime, et qui élève vers Dieu je ne sais quelle prière d’avoir la force de s’en dépêtrer.

Et, le prenant littéralement à genoux et à sa merci, sans être vu par le roi, Hamlet a la vengeance à sa portée. C’est là qu’il s’arrête avec cette réflexion : est-ce qu’en le tuant maintenant il ne va pas l’envoyer au ciel, alors que son père a beaucoup insisté sur le fait qu’il souffrait tous les tourments d’on ne sait pas très bien quel enfer ou quel purgatoire, est-ce qu’il ne va pas l’envoyer droit au bonheur éternel ? C’est justement ce qu’il ne faut pas que je fasse . C’était bien l’occasion de régler l’affaire. Et je dirai même que tout est là de to be or not to be qui, je vous l’ai introduit la dernière fois, ce n’est pas pour rien que c’est essentiel à mes yeux. L’essentiel est là en effet tout entier, je veux dire qu’en raison du fait que ce qui est arrivé au père, c’est justement ceci de venir nous dire qu’il est figé à tout jamais dans ce moment, cette barre tirée au bas des comptes de la vie fait qu’il reste en somme identique à la somme de ses crimes ; c’est là aussi ce devant quoi Hamlet s’est arrêté avec son to be or not to be. Le suicide, ce n’est pas si simple. Nous ne sommes pas tellement en train de rêver avec lui à ce qui se passe dans l’au-delà, mais simplement ceci, c’est que de mettre le point terminal à quelque chose n’empêche pas que l’être reste identique à tout ce qu’il articulait par le discours de sa vie, et que là il n’y a pas de to be or not to be, que le to be quoi qu’il en soit, reste éternel.

Et c’est justement pour lui aussi, Hamlet, être confronté avec cela, c’est-à-dire n’être pas purement et simplement le véhicule du drame, celui à travers lequel passent les passions, celui qui comme Étéocle et Polynice continuent dans le crime ce que le père a achevé dans la castration ; c’est parce que justement, il se préoccupe du to be éternel dudit Claudius, que d’une façon tout à fait cohérente en effet à ce moment là il ne tire même pas son épée du fourreau.

Ceci est en effet un point clef, un point essentiel. Ce qu’il veut, c’est attendre, surprendre l’autre dans l’excès de ses plaisirs, autrement dit dans sa situation toujours par rapport à cette mère qui est là le point clef, à savoir ce désir de la mère, et qu’il va avoir en effet avec la mère cette scène pathétique, une des choses les plus extraordinaires qui puisse être donnée, cette scène où est montré à elle-même le miroir de ce qu’elle est, et où, entre ce fils qui incontestablement aime sa mère comme sa mère l’aime – ceci nous est dit – au-delà de toute expression, se produit ce dialogue dans lequel il l’incite, à proprement parler, à rompre les liens de ce qu’il appelle ce monstre damné de l’habitude .  » Ce monstre, l’accoutumance, qui dévore toute conscience de nos actes, ce démon de l’habitude est ange encore en ceci, qu’il joue aussi pour les bonnes actions. Commence à te déprendre. Ne couche plus – tout cela nous est dit avec une crudité merveilleuse – avec le Claudius, tu verras ce sera de plus en plus facile . « 

C’est là le point sur lequel je veux vous introduire, il y a deux répliques qui me paraissent tout à fait essentielles. Je n’ai pas encore beaucoup parlé de la pauvre Ophélie . C’est tout autour de cela que cela va tourner ; à un moment Ophélie lui dit : mais vous êtes un très bon chœur ( chorus ) , c’est-à-dire vous commentez très bien cette pièce. Il répond :

I could interpret between you and your love, if I could see the puppets dallying

 » Je pourrais entrer dans l’interprétation entre vous et votre amour, dans toute la mesure où je suis en train de voir les puppets jouer leur petit jeu « . À savoir de ce qu’il s’agit sur la scène. Il s’agit en tout cas de quelque chose qui se passe entre you et your love.

De même, dans la scène avec la mère, quand le spectre apparaît, car le spectre apparaît à un moment où justement les objurgations d’Hamlet vont commencer à fléchir, il dit :

O, step between her and er fighting soul :
Conceit in weakest bodies strongest works :
Speak to her, Hamlet
.

C’est-à-dire que le spectre, qui apparaît là uniquement pour lui – car habituellement quand le spectre apparaît tout le monde le voit – vient lui dire :  » Glisse-toi entre elle et son âme en train de combattre .  »

Conceit est univoque. Conceit est employé tout le temps dans cette pièce, et justement à propos de ceci qui est l’âme. Le conceit c’est justement le concetti, la pointe du style, et c’est le mot qui est employé pour parler du style précieux.  » Le conceit opère le plus puissamment dans les corps fatigués. Parle lui, Hamlet .  »

Cet endroit où il est toujours demandé à Hamlet d’entrer, de jouer, d’intervenir, c’est là quelque chose qui nous donne la véritable situation du drame. Et malgré l’intervention, l’appel significatif – C’est significatif pour nous parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, d’intervenir pour nous : between ber and ber ; c’est notre travail cela .  Conceit in weakest bodies strongest works , c’est à l’analyste que c’est adressé, cet appel .

Ici, une fois de plus Hamlet fléchit et quitte sa mère en disant : après tout laisse-toi caresser, il va venir, va te donner un baiser gras sur la joue et te caresser la nuque. Il abandonne sa mère, il la laisse littéralement glisser, retourner, si l’on peut dire, à l’abandon de son désir. Et voilà comment se termine cet acte, à ceci près que dans l’intervalle, le malheureux Polonius a eu le malheur de faire un mouvement derrière la tapisserie et qu’Hamlet lui a passé son épée à travers le corps.

On arrive au quatrième acte. Il s’agit à ce moment-là de quelque chose qui commence assez joliment, à savoir la chasse au corps. Car Hamlet a caché le cadavre quelque part, et véritablement il s’agit au début d’une chasse au corps qu’Hamlet a l’air de trouver très amusante. Il crie : on joue à cache-renard et tout le monde court après. Finalement, il leur dit, ne vous fatiguez pas, dans quinze jours vous commencerez à le sentir, il est là sous l’escalier, n’en parlons plus .

Il y a là une réplique qui est importante et sur laquelle nous reviendrons :

The body is with the king, but the king is not with the body.
The king is a thing –

 » Le corps est avec le roi, mais le roi n’est pas avec le corps, le roi est une chose  » . Ceci fait vraiment partie des propos schizophréniques d’Hamlet. Il n’est pas non plus sans pouvoir nous livrer  quelque chose dans l’interprétation, nous le verrons dans la suite.

L’acte ( IV ) est un acte où il se passe beaucoup de choses rapidement : l’envoi d’Hamlet en Angleterre ; son retour avant qu’on ait eu le temps de se retourner – on sait pourquoi, il a découvert le pot aux roses, qu’on l’envoyait à la mort; son retour s’accompagne de quelque drame, à savoir qu’Ophélie dans l’intervalle est devenue folle, disons de la mort de son père et probablement d’autre chose encore ; que Laërte s’est révolté, qu’il a combiné un petit coup ; que le roi a empêché sa révolte en disant que c’est Hamlet qui est coupable, qu’on ne peut le dire à personne parce que Hamlet est trop populaire, mais qu’on peut régler la chose en douce en faisant un petit duel truqué où périra Hamlet.

C’est vraiment ce qui va se passer. La ( première ) scène du dernier acte est constituée par la scène du cimetière. Je faisais appel tout à l’heure au premier fossoyeur ; vous avez à peu près tous dans les oreilles ces propos stupéfiants qui s’échangent entre ces personnages qui sont en train de creuser la tombe d’Ophélie et qui font sauter à chaque mot un crâne dont un est recueilli par Hamlet qui fait un discours là-dessus.

Puisque je parlais des acteurs, de mémoire d’habilleur de théâtre, on n’a jamais vu un Hamlet et un premier fossoyeur qui n’étaient pas à couteaux tirés. Jamais le premier fossoyeur n’a pu supporter le ton sur lequel lui parle Hamlet, ce qui est un petit trait qui vaut la peine d’être noté au passage, et qui nous montre jusqu’où peut aller la puissance des relations mises en valeur dans ce drame.

Venons à ceci, sur lequel j’attirerai votre attention la prochaine fois, c’est que c’est après cette longue et puissante préparation que se trouve effectivement, dans le cinquième acte, le quelque chose dont il s’agit, ce désir toujours retombant, ce quelque chose d’épuisé, d’inachevé, d’inachevable qu’il y a dans la position d’Hamlet. Pourquoi allons-nous le voir tout d’un coup possible ?

C’est-à-dire pourquoi allons-nous voir tout d’un coup Hamlet accepter, dans les conditions les plus invraisemblables, le défi de Laërte? Dans des conditions d’autant plus curieuses qu’il se trouve là être le champion de Claudius. Nous le voyons défaire Laërte dans tous les rounds . – Il le touche quatre ou cinq fois alors qu’on avait fait le pari qu’il le toucherait au plus cinq contre douze – et venir s’embrocher comme il est prévu sur la pointe empoisonnée, non sans qu’il y ait eu une sorte de confusion où cette pointe lui revient dans la main et où il blesse Laërte aussi ; et c’est dans la mesure où ils sont tous les deux blessés à mort qu’arrive le dernier coup qui est porté à celui que depuis le début il s’agit d’estoquer, Claudius.

Ce n’est pas pour rien que j’ai évoqué la dernière fois une sorte de tableau qui est celui de  Millais4 avec l’Ophélie flottante sur les eaux . Je voudrais vous en proposer un autre pour terminer nos propos d’aujourd’hui. Je voudrais que quelqu’un fasse un tableau où l’on verrait le cimetière à l’horizon, et ici le trou de la tombe, des gens s’en allant comme les gens à la fin de la tragédie oedipienne se dispersent et se couvrent les yeux pour ne pas voir ce qui se passe, à savoir quelque chose qui par rapport à Œdipe est à peu près la liquéfaction de M. Valdemar.

Ici c’est autre chose. Il s’est passé quelque chose sur lequel on n’a pas attaché assez d’importance. Hamlet, qui vient de redébarquer d’urgence grâce aux pirates qui lui ont permis d’échapper à l’attentat, tombe sur l’enterrement d’Ophélie. Pour lui, première nouvelle, il ne savait pas ce qui était arrivé pendant sa courte absence. On voit Laërte se déchirer la poitrine, et bondir dans le trou pour étreindre une dernière fois le cadavre de sa sueur en clamant de la voix la plus haute son désespoir. Hamlet, littéralement, non seulement ne peut pas tolérer cette manifestation par rapport à une fille, comme vous le savez qu’il a fort mal traitée jusque là, mais il se précipite à la suite de Laërte après avoir poussé un véritable rugissement, cri de guerre dans lequel il dit la chose la plus inattendue . Il conclut en disant : qui pousse ces cris de désespoir à propos de la mort de cette jeune fille? Et il dit : celui qui crie cela, c’est moi, Hamlet le Danois .

Jamais on a entendu dire qu’il est danois, il les vomit, les Danois. Tout d’un coup le voilà absolument révolutionné par quelque chose dont je peux dire qu’il est tout à fait significatif par rapport à notre schéma. C’est dans la mesure où quelque chose, S , ( ) , est là dans un certain rapport avec A ( a ) qu’il fait tout d’un coup cette identification qui lui fait retrouver pour la première fois son désir dans sa totalité.

Cela dure un certain temps qu’ils sont dans le trou à se colleter  On les voit disparaître dans le trou et à la fin on les tire pour les séparer. Ce serait ce que l’on verrait dans le tableau : ce trou d’où l’on verrait des choses s’échapper. Nous verrons comment on peut concevoir ce que cela peut vouloir dire.

Notes:
  1. Texte provenant du site gaogoa, à l’adresse :  http://gaogoa.free.fr/Seminaires_HTML/06-DI/DI11031959.htm []
  2. FREUD S., K Über Psychoanalyse. Fünf Vorlesungen, gehalten zur 20 jdhrigen (1910). Gründüngsfeier der ClarkUniversity in Worcester, Mass. G. W. X p. 44-113. Trad. fr., Paris 1973, Payot. []
  3.   RANK O., Das « Schauspiel» in Hamlet. Ein Beitrag zur Analyse und zum dynamischen Verständnis der Dichtung. Imago, 1915, 4, pp. 41-51. Psychoanalytische Bewegung Myth, 1919, pp. 72-85. []
  4. MILLAIS John Everrett (1829-1896), Ophelia, 1851-2 (Tate Gallery) []
lundi 15 novembre 2010

un doute de l’amour

Cependant, quelle que soit l’explication qu’on donne à cette «constellation»  si étrange de l’amour et de la haine, son existence est mise hors de doute par les observations faites sur nos malades, et il devient facile de comprendre les phénomènes énigmatiques de la névrose obsessionnelle lorsqu’on les rapporte à ce seul facteur. Si, à un amour intense s’oppose une haine presque aussi forte, le résultat immédiat en doit être une abolie partielle, une incapacité de décision dans toutes les actions dont le motif efficient est l’amour. Mais cette indécision ne se borne pas longtemps à un seul groupe d’actions. Car d’abord, quels sont les actes d’un amoureux qui ne soient pas en rapport avec sa passion ? Et puis, le comportement sexuel d’un homme a une puissance déterminatrice par laquelle se transforment toutes ses autres actions;  et, enfin, il est dans les caractéristiques psychologiques de la névrose obsessionnelle de se servir dans une large mesure du déplacement. Ainsi la paralysie du pouvoir de décision s’étend peu à peu à l’activité entière de l’homme1.

Ainsi se constitue l’empire du doute et de la compulsion, tel qu’il nous apparaît dans la vie psychique des obsédés. Le doute correspond à la perception interne de l’indécision qui s’empare du malade à chaque intention d’agir, par suite de l’inhibition de l’amour par la haine. C’est au fond un doute de l’amour, lequel eût dû être subjectivement la chose la plus sûre, doute qui se répand sur tout le reste et se déplace de préférence sur le détail le plus insignifiant. Celui qui doute de son amour est en droit de douter, doit même douter, de toutes les autres choses de valeur moindre que l’amour2

Sigmund Freud, Cinq psychanalyses, « Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle ou L’homme aux rats »,  p.256 .

Notes:
  1.   Cf. « La représentation par quelque chose de menu » comme la technique du jeu d’esprit dans Freud, Le mot d’est et ses rapports avec l’inconscient, Paris, Gallimard, 1930, p. 90, déjà cité. []
  2. Les vers d’Hamlet à Ophélie:

    Doute que les astres soient des flammes,

    Doute que le soleil tourne,

    Doute que la vérité soit la vérité,

    Mais ne doute jamais de mon amour!

    Hamlet, scène VII, dans Œuvres complètes de W.  Shakespeare, t.  X, trad. François-Victor Hugo, Paris, Alphonse Lemerre, 1865. []

jeudi 18 novembre 2010

perdre

Si l’objet anal est corrélé au narcissisme, c’est aussi que la tendance à détruire, corrélée à sa défense, produit la tendance à retenir, à garder, à conserver. Et c’est là une fonction du narcissisme : ça conserve. L’objet anal, c’est aussi pour Freud qui le tient des obsédés : les enfants, le pénis, l’argent. Toute chose à garder ou à détruire, à perdre plutôt.
Ici, le texte complet : Les objets de l’obsessionnel, conférence de Philippe La Sagna

// un objet anal, trois objets anaux ? // mon sac,
des feuilles de brouillon, un  cours de miller

mardi 31 mai 2011

névrose obsessionnelle – « l’idéal et le père sont dérivés du regard »

mardi matin, fin juin mai, peut-être le dernier jour1, allez savoir.

je pense que je l’ai déjà dit, je n’aime plus écrire ici, je continue, pourquoi, parce que je sais crois que je le dois, pourquoi, je ne sais pas, pourquoi, parce que j’ai fait une analyse, qu’elle a duré très longtemps et que je ne sais pas comment en finir.

je ne sais pas si vous avez lu le 14 ème cours de jacques-alain miller, non? non. oublions, oublions donc et le 14ème cours et tous les autres cours.

je, suite, autre cause : parce que toute ma vie j’ai pensé que je serais psychanalyste un jour haha haha haha mais que ça ne se fait paspas paspas paspas.  à cause de quoi ne suis rien ni personne, ce qui n

bien, souvenons-nous plutôt de la névrose obsessionnelle pour un instant, et passons allègrement outre ce que je viens de dire pour tourner retourner au 14ème cours. Le cours à propos de montpellier, montpellier où, il fut question des névrosés obsessionnels et du regard.

[la semaine dernière, quand j’ai vu, quand j’ai été parler à celui qui peut-être me sert d’analyste, mais après tout je n’en sais rien, ils ont parfois tellement fait les mystérieux avec moi, les analyste parisiens, non parce qu’ils étaient parisiens, mais parce qu’il venaient après l’analyse de treize ou quatorze ans qui s’étaient tenue à Bruxelles, avec un seul et même analyste, ceux qui vinrent après, eh bien, firent les mystérieux, firent même et surtoutT mystère sur le fait que j’étais ou non en analyse avec eux, moi qui ne conçois a priori pas d’autre relation avec un analyste, lorsqu’elle se tient dans un cabinet et sur une base ultra-régulière et qui plus est contre menue monnaie, d’autre relation que d’analyste à analysant… je ne dis pas que ça ne soit pas un truc très en v(a)gue avec les analystes, de faire les mystérieux, mais enfin, que ça aille jusqu’au point qu’ils ne veuillent pas même mettre de mot sur la relation qu’ils paraissent presque consentir avoir avec moi…]

en colère en ce moment crois-je

donc, la semaine dernière au lieu de lui dire à celui dont je suppose qu’il est mon analyste, mon supposé-analyste, mon  par-moi-supposé-analyste, pourquoi j’avais ressenti de la fureur contre lui, je lui ai raconté la scène d’ALIX :

j’avais onze ans, ai-je dit, mais cela n’est pas du tout sûr, j’ai lancé ça au grand hasard, à l’âge de onze ans, lui dis-je donc, me prit un drôle de truc, je lui parle de  « première intrusion », d’une extrême bizarrerie dans mon comportement, et d’une bizarrerie, dirais-je, privée, un truc que je ne pouvais pas m’empêcher de faire dans la salle de bain de la rue tiberghien,2  celle où je pris des bains avec mes frères en maillots de bain sans que pourtant ça n’aie empêché nos parents de se fâcher sur misérables nous, brimborions d’enfantiaux, dans cette salle de bain donc, à une époque où ma mère ne me lavait plus, mais où je me lavais seule, où ma mère ne passait plus sur mon corps et de la tête au pied un gant de toilette, pour me sécher, au sortir de la baignoire je m’agenouillais au sol, mon buste sur mes genou, les bras le long de mon corps, le visage au sol, cette une pose de yoga tiens en fait, je pourrais trouver une image de ça sur le net, mais je ne connais pas son nom, je m’agenouillais mettais mon visage au sol, mes bras le long du corps, et sous une serviette qui entièrement me recouvrait, sur mon dos par moi là mise, j’attendais de sécher.

et je crois qu’au loin, je pensais à une image dans Alix, où une jeune femme, princesse nue au milieu d’une arène de regards par un homme se voit humiliée, il donne un coup de couteau dans sa robe, à l’épaule, et oups, elle se retrouve nue, devant toute l’assemblée, s’effondre lentement sur elle-même, s’agenouille au sol, se replie, et une fois qu’elle est là, nue, prostrée,  Alix, magnanime, jette sur son corps un bout de tissu.

j’ai donc raconté ça, parce que je ne l’avais jamais raconté, au moins m’en souvient-il, parce que ça n’avait jamais trouvé à s’insérer dans le fil de mes heures de papote en séance.

 

Au fond, […]  à propos d’une phrase clinique de Lacan : « arracher l’obsessionnel à l’emprise du regard ».

Et ça ne va pas de soi, qu’on puisse dire que ce soit là l’essentiel. On dirait dans la psychanalyse qu’il s’agit de l’idéal du moi, l’instance qui surveille et qui juge, on évoquerait l’homme aux rats, qui à un moment spécial de sa jouissance s’en va ouvrir la porte pour voir si son père n’est pas là. Ce que Lacan indique, au contraire, c’est que le père, le grand I de l’Idéal-de-moi, ce sont des fictions, ce sont des fictions qui permettent de méconnaître ce qu’il y a à la racine, qui est la présence du regard.

Le réel du symptôme obsessionnel – c’est pas le père, c’est pas l’idéal-du-moi -, le réel du symptôme obsessionnel que Lacan nous invite à atteindre c’est le regard – l’idéal et le père sont dérivés du regard.

C’est dans ce sens que Lacan peut dire que la vérité est sœur de la jouissance, sœur cadette – c’est-à-dire qu’elle vient après. Mais il y a d’abord la jouissance. Ce qui vraiment inverse l’ordre sublimatoire dans lequel l’orthodoxie psychanalytique – y compris la lacanienne – nous a appris à penser.

14° cours de Jacques-Alain Miller, 25 mai / le point de capiton de Montpellier / tripartition de consistances cliniques

Notes:
  1. peut-être le dernier jour de juin mai. []
  2.   la salle de bain du rêve du geyser, celle à laquelle pour parvenir il fallait traverser la première pièce de l’atelier de mon père, celle où il avait son canapé, ce canapé sur lequel il me lut la bible, la pièce d’où un geyser jaillit, que je traverse dans le rêve, non pas le geyser, bande de, la pièce, pour arriver dans la salle de bain où manque le lavabo, où le lavabo a disparu, dont le lavabo a été ARRACHE, ce qui me fait penser que c’est la fin, vraiment, qu’on ne s’en sortira plus, la fin de la maison LLUMER, et que ces travaux, non, on n’arrivera pas à les faire []
jeudi 30 juin 2011

The necessity of loss hits the subject with particular virulence: rather than losing something, the subject sacrifices itself.

In his addendum to the Rat Man case (S.E., X, pp. 253-318), Freud is aware of this paradox. The patient repeatedly addresses prohibitory statements to himself in the form: « What sacrifice am I prepared to make in order to . . . ? » (p. 271). It could not be more succinctly expressed that the suture of the subject demands the sacrifice of jouissance. Greed and austerity paradoxically concur for him who is willing to forego his jouissance for the sake of vindicating the signifier. This attitude qualifies the alienation denoted as « I am not thinking. » It implies a rejection of the unconscious that can be expressed as « I am counting. » Lacan followed Freud’s text verbatim when reading the signifier « rat » as jouissance written off to the signifier: the obsessional posts his jouissance like cash to the ledger.

jeudi 29 novembre 2012

écriture passée au lit

Je ne sais pas pourquoi mais il me semble que toute ma vie est tournée vers l’écriture. Non pas l’écriture littéraire à  laquelle je ne connais rien,  non pas la littérature,  simplement l’écriture.

Ma vie voudrait se dédier à l’écriture. Ce que ma vie veut,  c’est se dédier à l’écriture. D’ailleurs ma vie est dédiée à l’écriture. Toute ma vie.  Et c’est vraiment contre toute attente. Il ne s’agit d’ailleurs peut-être pas exactement de toute ma vie,  mais peut-être seulement de toutes mes pensées. Mais qui sont tout ce que j’ai.  Cela seulement que j’ai.  Cela seulement qu’il y a,  pour moi,  dans ma vie.  Mes pensées me représentent à moi-même. Et elle sont directement liées à l’écriture. Pas une qui ne le soit.  Mes pensées pour moi se définissent exactement du « ce qui ne cesse pas de s’ecrire »  lacanien.  De la « nécessité » lacanienne. Mais aussi bien de « ce qui ne ce cesse pas de ne pas s’écrire »,  de l’impossible lacanien. Ce que j’arrive à écrire,  c’est ce qui reste après être passé au filtre de « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire ».  Au crible.  Et ma difficulté est là. Ma souffrance,  ce crible.1

 Au départ,  je me contentais de penser. Au départ même,  mes pensées espéraient dire.  Seulement parler.  Et même parler à quelqu’un.  Après c’est devenu dire à l’analyste. Des heures et des heures de pensées à ce que je dirais à l’analyste.  Au fond,  c’est peut-être ça le problème.  Puis ça s’est transposé à l’écriture. Dans les faits,  avant d’arriver à l’analyse j’écrivais.  Après,  je m’y suis remise. Pendant l’analyse je n’ai plus écris que des lettres. Des lettres à l’analyste, et des lettres aux hommes dont j’étais amoureuse, quand cela m’arrivait.

J’écris actuellement toujours sur mon téléphone (un Samsung Galaxy Note II reçu de F à mon anniversaire et choisi  à cet effet).  C’est,  je crois une question
de discrétion (l’objet est petit; il a beau être le plus gros des smartphones,  il est petit),
de difficultés (l’objet est petit et un petit peu plus inconfortable dans les autres activités qui peuvent s’y faire qu’un ordinateur normal (comme surf, courrier, bref internet)),
et donc de concentration (concentration sur ce tout petit objet lumineux – d’autant que j’aime à écrire dans le noir au réveil au chaud,  silencieusement, au lit) ,
de portabilité (je peux écrire n’importe où,  à n’importe quel moment, ce qui répond aux exigences de mon « ce qui ne cesse pas de s’écrire ») (et je ne ne pense pas que ce soit cette condition de portabilité qui m’ait portée à vouloir écrire à n’importe quel moment,  non non,  le désir était de ça déjà là avant.) (c’est un objet qui répond à cette nécessité, qui est venu répondre à cette nécessité, qui l’a rendue possible – à l’instar des blogs, etc. ; c’est un objet du siècle,  comme disait Miller2,  un objet portable,  comme l’est ma pensée que je transporte toujours avec moi. 3  Pas moins bien sûr que mon corps ( Il y a la des équivalences qui se tracent et qui sont réelles).

Les seules pensées auxquelles j’ai confiance sont les pensées du matin,  du demi-sommeil,  du sortir du sommeil. Cela c’est le meilleur moment de la journée,  le seul,  qui vaille la peine de prolonger.  Le réveil,  la chaleur,  la douceur. C’est pourquoi,  après, en journée,  une fois levée et séparée de cet état,  je dois me battre pour ne pas retourner dormir et retrouver alors le bonheur plein de surprises du réveil – quelles seront alors mes dispositions.  Peut-être que j’exagère. Peut-être pas. Mais j’ai également très tôt rêvé,  dès que je l’ai su,  d’une écriture à la Proust,  une écriture passée au lit. Écrire au réveil permet de garder un lien  à l’inconscient,  permet d’inscrire ce lien.  C’est ce que j’aime,  ce côté disproportionné là. J’aime la disproportion.  Également, j’aime le drame.  Bien sûr la souffrance n’est pas souhaitable,  est très désagréable – mais,  un certain drame,  une certaine mesure de drame offre la petite dose nécessaire d’être certitude d’être de se mouvoir dans ce qui importe,  ce qui compte,  la vie,  la mort,  etc.  Le drame,  ce drame et très dédramatisé, est ce qui apporte sa coloration particulièrement au réveil. Sinon ma vie est très à l’abri d’un drame (quand le drame,  lui,  est toujours là.)

Il faudrait maintenant que je me lève et que je m’habille.  Il faut également que je travaille à un template pour le blog,  de façon à ce que… Et aussi que je trouve le moyen d’écrire au réveil les jours où je dois conduire Jules à l’école. 

 

Rappels:

contingent : ce qui cesse de ne pas s’écrire (Jacques Lacan, Séminaire XX, Encore, p. 132)

jouissance : c’est la substance de la pensée (Ibid, p. 101)

le nécessaire : ce qui ne cesse pas de s’écrire  (Ibid., p. 99)

Notes:
  1. Ma volonté primaire serait de faire en sorte que « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire » passe à « ce qui cesse de ne pas s’écrire » et qu’il ne reste plus rien que « ce qui ne cesse pas de s’écrire ». []
  2. Dans un article publié je ne sais plus où qui parlait même d’un « divan portable » []
  3. Objet du siècle qui rend possible que « ça ne cesse pas s’écrire », ce qui m’avait conduite à penser que le siècle serait plutôt obsessionnel, que son fantasme se réalise que tout s’écrive. []
jeudi 27 juin 2013

Les objets de l’obsessionnel

Conférence clinique sur la névrose obsessionnelle

Philippe La Sagna

26 avril 2007

 

 Je vais parler comme si vous connaissiez bien le cas de l’Homme aux rats, pour examiner avec vous la place des objets dans la névrose obsessionnelle et spécialement de cet objet que l’on désigne comme l’objet a.

Si la psychanalyse a semblé au départ être une stricte pratique de déchiffrage du symptôme et des rêves, elle a peu à peu glissé, spécialement après la 2ème guerre mondiale dans le monde anglo-saxon, vers une étude des relations du sujet à ses objets, et en particulier à ce type d’objet que l’école kleinienne a fait valoir comme les objets partiels.

Derrière cette mise en avant de l’objet il y avait une autre idée : que dans la psychanalyse l’essentiel n’était pas le déchiffrage du symptôme, mais l’analyse du transfert, conçu comme une « relation ». Le transfert devenait le véritable objet de l’interprétation et l’analyse un examen du rapport entre le sujet et ses objets. À travers la relation établie entre le patient et l’analyste, le transfert était le laboratoire de la relation d’objet.

C’est à cette vision de la psychanalyse que s’est opposé le premier Lacan.

Dès le cas de l’Homme aux rats, Freud spécifie que la particularité de la névrose obsessionnelle est que le refoulé y redevient disponible non pas dans le souvenir, mais par le biais d’un retour, d’une réapparition du matériel refoulé à l’intérieur même de la relation transférentielle. La névrose obsessionnelle devient ainsi l’affection où l’analyse de la névrose se déplace aussi vers une analyse du transfert.

L’hypothèse de base de Freud est que l’Homme aux rats avait pu ressentir de la haine à l’égard de son père. Cette haine, n’apparaissant pas dans ses souvenirs, n’entraînait donc pas chez le patient de « croyance suffisante ». Le seul souvenir de ce type que Freud obtient est celui d’une colère de l’Homme aux rats, colère où il injurie son père en le traitant de « Lampe, serviette ». Cette tendance à l’insulte se déploie dans la relation de l’Homme aux rats à Freud et va entraîner la conviction du patient, qui, insultant Freud et sa famille ne pourra plus douter de sa haine à l’égard de son père.

Freud revient sans cesse sur la vraie raison de l’hostilité du patient : le père trouble la sexualité de l’Homme aux rats. Cette sexualité est d’ailleurs assez trouble. L’homme aux rats a une vie sexuelle et amoureuse banale mais ce qui le trouble c’est que cette sexualité existe aussi à travers une multiplicité de tendances ou de pulsions partielles. Cette sexualité se manifeste d’abord comme une curiosité, sous forme de voyeurisme. Dès son plus jeune âge, l’Homme aux rats veut voir des femmes nues et il en voit, ses bonnes par exemple. Même si ce qu’il voit n’est pas clair, étrange, curios ! Voir est du côté du désir, pourrait-on dire en reprenant ce que Lacan amènera à la fin des années 60 : le désir de l’Homme aux rats c’est de « voir le désir », le rendre visible, le situer ainsi dans la représentation.

On peut le dire autrement car il y a un lien entre la curiosité et le désir. Voir ou savoir le désir, c’est un désir aussi, un désir de « savoir ce qu’il y a ».

L’envers de ce désir est une angoisse. L’angoisse que l’Autre sache le désir que lui, le sujet, a, qu’il sache alors ce désir, ou la pensée de ce désir. Mais ce qui est l’angoisse majeure, c’est qu’il arrive quelque chose à son père « à cause » de ses pensées de désir. Quelque chose qui serait la conséquence de sa curiosité, quelque chose qui ne peut pas très bien être su. On voit ici un premier nœud se constituer entre le regard, le savoir et le désir.

L’objet rat, c’est l’objet qui va incarner cette angoisse, qui va donner forme à ce quelque chose de non-su et qui va donner son nom au patient. Autant la relation du sujet à la curiosité sexuelle est claire, autant sa relation à l’objet rat est imprécise, floue voire obscure. À ce niveau, on rentre dans le domaine d’une certaine inquiétante étrangeté. Le rat est l’animal le plus familier du sujet et aussi le plus étrange. Il y a là quelque chose que le sujet ignore. Vous remarquerez que c’est l’envers du savoir. Le rat incarne non pas ce que l’on peut voir ou savoir, mais ce que l’on ne fait qu’ignorer : quelle est l’obscure volonté, le vouloir d’un mort ou d’une femme ? Qu’est-ce que l’Autre veut, non pas qu’est-ce ce qu’il sait, mais quel est son véritable appétit ?

Dans la névrose obsessionnelle, le trauma n’est pas quelque chose d’oublié, simplement il est devenu neutre, le souvenir a été « dépouillé » de sa charge affective, charge qui va se déplacer ailleurs. C’est typique par exemple de la forme même du deuil de l’Homme aux rats. Et c’est là qu’intervient ce que nous disions sur le transfert. L’idée de Freud est que seul le transfert permettra à l’affect de refaire surface.

C’est-à-dire que le transfert va redonner aux choses un enjeu, une valeur, une émotion, une résonance et permettre à l’obsédé de sortir de l’indifférence. Dans la cure de l’obsessionnel, la question est : va-t-on réussir à obtenir du patient une certaine mise ?

L’Homme aux rats, dans le transfert, ne peut se soustraire à l’effet convaincant de l’analogie complète entre les fantasmes de transfert et la réalité oedipienne « de naguère » que pose Freud. Mais quelle est la réalité de naguère ? De quoi est faite la sexualité de l’homme aux rats ? Freud la réduit à peu de choses : un mélange d’autoérotisme et d’action dont le sujet a retiré une satisfaction. Cette action, qui est une constante de la névrose obsessionnelle, est opposée à la passion hystérique, qui n’agit pas mais subit. C’est une action qui comporte une part de destruction que Freud qualifie de sadique.

Ce sadisme est un trait qui va venir moduler la relation du patient à tous ses objets. Par exemple il y a le sadisme oral du rat qui mord et qui est aussi cannibale. L’Homme aux rats avait mordu une petite fille à 3-4 ans. C’est même là qu’il a été châtié par le père. On doit noter que c’est donc cet attentat supposé qui serait la source potentielle de la haine du patient.

Le « cannibalisme » du rat pour Freud ne peut que résonner avec ce qu’il va écrire dans son livre Totem et Tabou. Derrière les rites obscurs du tabou si proches de la névrose, vous trouverez toujours le meurtre du père/totem et sa dévoration. N’oublions pas aussi que Freud voit là la source de la morale et de la religion. Pourquoi suite au meurtre du père faut-il en plus le dévorer ? Pourquoi ce mixte de pulsion de mort et d’oralité ? On dévore pour s’assimiler, s’identifier au père et à l’animal dans une confusion et une identité propres à cette faculté orale de rendre équivalente des choses hétérogènes. Le cannibalisme est le lieu où commence autre chose que l’oralité.

A partir de cette épisode, morsure, punition et haine du père peuvent être mis en relation.

A partir de là, le cas, comme le transfert, peuvent être regardés selon le principe de la chauve-souris. Si vous regardez les ailes d’une chauve-souris, c’est un oiseau. Si vous regardez ses pattes, c’est une souris[1]. Si vous regardez les ailes du cas, il se résume à un drame œdipien, la haine vient des relations troublées avec le père. Si vous regardez ses pattes, tout cela trouve sa racine dans le sadisme qui teinte la relation du patient aux objets et qui ressort à la jouissance primitive. Et la théorie rendra compte de ça par l’hypothèse d’une « défusion » entre les pulsions de vie et les pulsions de mort, entre l’amour qui unit et assimile et la haine qui détruit. Cette défusion pulsionnelle dispose le sujet à la névrose obsessionnelle, souligne Freud en 1919.

L’ambivalence adressée à l’Autre paternel trouve-t-elle son ressort dans la relation originaire du sujet à l’objet dont le sadisme comporte la destruction de ce dernier ? Prendre les choses ainsi peut mener les analystes à chercher partout à éliminer l’agressivité !

Examinons maintenant la composante anale de cette relation à l’objet. C’est cette relation anale particulière qui est stimulée, réveillée, par le simple récit du supplice des rats. Le rat, en effet, n’est pas que dévorant, il est aussi le représentant de ce que Freud désigne comme « cruauté égoïste et sensuelle » (il en jouit) qui est l’un des noms de la jouissance auto-érotique du sujet. L’analité va nouer l’érotisme à l’égoïsme comme au sadisme, mais aussi au narcissisme, en tant que la cruauté est égoïste. La cruauté se passe de l’Autre, pis elle le détruit. Et on retrouve là la satisfaction solitaire supposée à l’origine de la névrose pour Freud.

Solitaire veut dire sans l’Autre, soit sans le lieu du symbole ou sans le savoir qui permettrait à cette jouissance d’être représentée. Et l’ « Autre » de cette satisfaction n’est rien d’autre que le signifiant qui la représenterait, s’il existait, mais qui ne peut apparaître lui aussi que légèrement étrange et inquiétant, reflet symptomatique de son opacité[2].

La jouissance étant irreprésentable, ce signifiant qui saurait représenter la jouissance de l’Homme aux rats, cruelle, sensuelle et égoïste (soit le grand Phi) est une fiction. Comme il n’est pas dans l’Autre, quelque chose va faire semblant de ce signifiant, ombre de la jouissance inquiétante, ici le rat, substitut impropre et dévalué de ce signifiant qui menace le sujet.

Mais l’analité détruit l’objet par bien des façons, plus diverses que celles de l’oralité. Dans son Séminaire L’angoisse, Lacan note que l’objet anal est l’objet cessible par excellence, il est aussi l’objet échangeable par excellence, le représentant même du commerce. Là où les objets oraux sont les objets que vous êtes, l’objet anal confond les objets dans l’avoir. C’est ce qu’opère l’échange : si la valeur d’usage rend un objet incomparable, la valeur d’échange les rend tous équivalents. C’est un des sens du rat : tous les rats se ressemblent, ils se multiplient, ils envahissent la scène.

L’objet cessible c’est ce qu’on cède et c’est aussi le représentant du moment où, emporté par la jouissance, vous cédez comme sujet à la « situation », quand vous ne pouvez plus vous empêcher. Ça c’est l’Homme aux loups qui nous l’apprend. Lacan dans une partie du Séminaire L’Angoisse que J.-A. Miller a intitulée « De l’objet cessible » nous dit que le sujet « cède à la situation » (la scène primitive) et plonge dans la jouissance anale ; c’est le moment où l’Homme aux loups ne tient plus sa subjectivité, elle cède, et il devient lui-même l’objet anal, a[3]. Il fait cession de son statut de sujet, produit dans l’angoisse un objet cessible, une selle, et disparaît comme sujet en se transformant en l’objet qui le représente : face à la jouissance, il abdique. L’objet anal l’efface, vient à sa place.

Vous voyez que là il y a une touche masochiste plus que sadique. La source de l’analité est masochiste. C’est la chute, mais une chute qui en révèle une autre : le moment ineffable d’avant le sujet où quelque chose de ce qu’il est vient à chuter. Au passage, je signale que ce qui chute du sujet c’est l’objet anal, par contre ce qui chute « avec » le sujet c’est autre chose, c’est l’objet oral (quand vous lâchez le sein, c’est votre être que vous abandonnez, ainsi les boulimiques disent très bien comment dans les crises, leur être est emporté par la jouissance orale).

Et déjà, vous saisissez que le sadisme ce n’est pas la douleur, cela a à voir avec ce que le sujet peut mettre en jeu de son être de vivant, dans l’exploit par exemple, tentative de se tenir, comme le souligne Lacan, suspendu, au bord de la chute, face au trou insondable de ce que Lacan appelle « la gueule ouverte de la vie »[4], celui de son appétit dévorant ! Qu’est-ce que veut la vie ? Dévorer !

Et le vrai appétit oral, c’est celui qui se transfère de cette faim obscure et qui porte sur le savoir, la curiosité dévorante qui trouve ses racines dans l’oralité. Vous voyez que nous sommes non pas dans une progression des objets qui mènerait de l’oral à l’anal mais dans une ronde infernale où l’obsédé est un témoin, un rat dévorant et dévoré.

Si l’objet anal est corrélé au narcissisme, c’est aussi que la tendance à détruire, corrélée à sa défense, produit la tendance à retenir, à garder, à conserver. Et c’est là une fonction du narcissisme : ça conserve.

L’objet anal, c’est aussi pour Freud qui le tient des obsédés : les enfants, le pénis, l’argent. Toute chose à garder ou à détruire, à perdre plutôt. C’est là où pour Freud se rencontre la dialectique de l’objet et celle de l’Œdipe sur le plan anal : la faute du père c’est de n’avoir pas soldé la dette de jeu. La dette de jouissance du père c’est de n’avoir pas payé. La jouissance anale croise l’Œdipe, d’où le mariage et la dette impayée à la fille pauvre (puisque le père a épousé la fille riche), à quoi vient répondre la dette impossible à régler qui porte sur les lorgnons.

Lacan n’a pas cessé de souligner le danger qu’il y avait à entériner la « fixation » obsessionnelle de l’obsédé sur le terrain de l’analité, il en est de même pour la destructivité.

Vous pouvez le faire soit en validant son agressivité dans le transfert ou en la réduisant en l’interprétant par le ressort anal (« vous ne voulez pas payer », « vous voulez tout salir »). C’est une erreur, car c’est le meilleur moyen de ne pas en sortir. Lacan a d’abord souligné que l’erreur, c’était de fixer le sujet à une demande. L’objet anal est supposé être ce que l’Autre demande. Et ce que l’Autre demande, la demande comme objet, permet d’ éviter la question de ce qu’il veut !

Lacan a fait beaucoup d’effort pour déplacer vers le domaine du phallus l’enfer prégénital des post-freudiens.

Freud avait posé que : « La signification phallique des rats reposait sur l’érotisme anal ». L’analité est le socle du phallus, qui va donner à l’angoisse de castration son accent propre, celui de retenir ce phallus et de le donner, une bonne façon de le garder étant de l’être, puisqu’en l’étant le sujet peut le donner tout en le conservant.

Bouvet, évoqué par Serge Cottet, contemporain de Lacan, pensait que l’obsessionnel avait peur de détruire le monde ou que le monde se détruise. Serge Cottet montrait que cela avait beaucoup fait pour que l’on confonde psychose et obsession. En réalité, l’obsessionnel a peur de détruire l’Autre. Dans le Séminaire V, Lacan nous dit : « il est bien certain que l’obsessionnel tend à détruire son objet ».

Lacan montre aussi que dans le désir, l’Autre est nié. Il y a de l’informulable dans le désir et donc le désir nie l’Autre comme lieu où ça se sait et se symbolise.

Et l’Autre pour persister devra alors paraître « comme réduit à une demande » c’est-à-dire ayant subi une mortification de son désir opérée par le signifiant, qui fait de la demande une demande de mort. Le rat c’est aussi cette mortification. L’obsessionnel mortifie ses partenaires, par exemple en voulant symboliser leur désir (qu’elles lui disent ce qu’elles veulent) ou en le ravalant (elle veut une robe Prada : il y a la même chez H&M, beaucoup moins chère !). Par là, il obtient rapidement que la demande de sa partenaire se transforme en demande de mort, à savoir qu’elle se transforme en bourreau intraitable, en fauve…

Pour contrer cette mortification, l’obsessionnel fera tout pour faire exister un Autre que Lacan va désigner comme le phallus absolu à qui il faudra démontrer ses bonnes intentions ! C’est ce que fait l’Homme aux rats en s’exhibant face au fantôme de son père mort. Les bonnes intentions ressemblent souvent à des mauvaises !

Pour se faire pardonner, le sujet devra réaliser divers exploits. Il sera ainsi lui même suspendu au dessus de la gueule ouverte de l’Autre dans un défi qui n’a d’autre intérêt que de maintenir la fiction de l’Autre. Ses défis transférentiels s’expliquent par là.

La deuxième opération que propose Lacan, c’est plutôt de montrer au sujet que ce qu’il veut détruire n’est au fond ni l’Autre, ni son désir, ce que l’Autre veut, mais plus simplement le signe de ce désir. C’est le phallus qui est visé et au fond, le phallus qui est le sujet lui-même. Ce que l’obsessionnel traque et chasse comme le rat, c’est le signe du désir. Ce à quoi il œuvre par là, ce n’est pas détruire l’Autre mais bien à le faire céder sur son désir en lui en refusant le signe. Le contrat, la réciprocité sont ici des instruments.

Cela comporte aussi le fait de ravaler, d’abaisser, de dévaluer la singularité du désir. Et là, on retrouve l’influence de l’analité et de l’objet cessible : le rat est un florin, tant de rats, tant de florins. Mais au fond, l’économie montre aussi que tout peut se réduire à des florins et des rats ! L’objet cessible ravale en rendant identique.

On pourrait dire qu’aujourd’hui, le désir est évalué, apprécié, chiffré, en réalité c’est la même chose. C’est exactement ce qu’opère l’Homme aux rats avec son père quant il le fait égal à une lampe et une serviette, il le réduit au cessible.

Il y a un lien entre l’obsession et la culture : à la fois elle sauve le monde et le conserve mais en faisant tout communiquer dans le semblant, elle le réduit à l’égout où finissent ses produits !

C’est ce que l’on risque de faire à trop s’intéresser aux fantasmes transférentiels de l’obsédé, on risque de faire proliférer la vermine et d’effacer le désir dans l’équivalence de tout. Il s’agit de ne pas trop écouter, de changer de sujet.

Lacan souligne en effet dans son Séminaire L’angoisse qu’on peut situer le souci de Freud de restituer l’affect à partir de l’objet véritable, c’est-à-dire à travers l’objet d’angoisse par exemple. L’objet d’angoisse est au-delà du cessible, il n’a pas de représentation.

Ce qui est difficile, en effet, c’est de faire apparaître dans le transfert l’objet en jeu dans le désir et non un simple substitut de celui-ci. Si les objets sont tous équivalents, s’ils se valent, pourquoi jouer sa mise, pour le sujet, si l’on peut parier avec du semblant. Lacan souligne que le névrosé n’offre de lui-même qu’un substitut, un semblant, un autre lui-même, son double. Ce dont il se plaint est vrai : s’il est obsédé, il n’est jamais vraiment là, il regarde, il observe, il est toujours déjà ailleurs, comme le héros de Prison Break.

Plus qu’un autre, l’obsessionnel nous montre et nous confie ses « agalma » pour mieux garder ses « palea », ses objets cause du désir. Il nous confie ses désirs, pas leur cause. Et même pour le symptôme, Lacan dira que la bonne façon de l’attraper, c’est de l’attraper par les « oreilles » de la cause, par la face énigmatique où l’on ignore de quoi le symptôme est le résultat, de quel désir.

C’est ce que Freud va obtenir dans un rêve de transfert où l’Homme aux rats, son patient, voit deux crottes à la place des yeux de la fille de Freud. Déjà, on peut remarquer que cela opère un lien entre la curiosité, le regard, et l’objet anal, voire les lorgnons. C’est un peu la clef de la cure avec aussi son imperfection.

Lacan souligne aussi que l’objet anal, ce n’est pas tout à fait l’objet de l’angoisse, ni celui du désir. L’angoisse produit un émoi du corps, émoi qui a pour effet de produire l’objet anal. Ce qui d’ailleurs permet de confondre l’émoi et son effet avec l’objet a. L’émotion transférentielle restitue l’objet a, le met en jeu mais elle ne permet pas forcément l’accès à l’objet a. Ce que le sujet tente désespérément de retenir dans une inhibition fondamentale, c’est l’objet de ses émois, et son émoi, et cette lutte le tiennent en deçà de sa véritable angoisse. Il n’est pas sûr que l’Homme aux rats ait eu le temps au reste de la rencontrer.

Á vouloir vérifier l’émoi du transfert, on risque donc aussi laisser de côté la cause « véritable » du désir et l’objet de l’angoisse. Alors comment permettre à l’obsédé de sortir de cet affreux commerce avec ses objets ?

Comment ne pas lui faire croire que l’Autre qui peut solder son désir existe ?

Comment lui permettre d’accéder à l’ingratitude qui lui ouvre la porte de la prison de ses demandes, prison que vous construisez à ne rien lui renvoyer ?

Comment le faire renoncer au fantasme de la toute-puissance du regard, sans le fixer pour toujours au ravalement général qu’opère l’objet anal ?

A la fin des années 60, dans son Séminaire XVI, Lacan nous montre que l’obsédé veut savoir, comme tout névrosé, c’est cela la curiosité mais c’est aussi cela, la jouissance égoïste. Car il veut savoir les rapports de la jouissance et du savoir.

Ce n’est pas seulement le désir qui ne peut être représenté, c’est surtout la jouissance et au-delà, c’est elle qui est interchangeable et que l’analité tentera toujours de ravaler.

L’Autre désire, certes, mais il inquiète en tant qu’il veut jouir, ce qui n’est pas la même chose que l’Autre qui sait. Ces deux termes s’opposent et cependant, pas moyen de faire exister l’un sans l’autre. Tous les traumas et tous les fantasmes montrent cette disjonction entre un Autre idéalisé et sa jouissance, entre le père idéal ou la dame et le rat, ici représentant cette jouissance.

 

a (rat) //A idéalisé (Un)

 

Ce que l’obsédé préserve et ce qu’il ne parvient pas à préserver c’est l’Autre de la jouissance. La demande de mort n’est qu’une façon d’opérer cette séparation entre l’Autre qui sait ce qu’il veut et la jouissance de la vie qui veut de façon plus obscure.

C’est là le sens vrai de l’isolement obsessionnel comme de la séparation de l’affect et de la représentation.

Et cela s’écrit a//S2.

Si l’analyste n’était que le dépositaire ou le lieu du dépôt de l’objet transférentiel, il accepterait de faire croire à la vérité de ce qui n’est qu’un substitut de la cause du désir ou de la jouissance à mettre en jeu.

Le transfert, ainsi, n’est pas faux amour ou fausse haine, mais amour du vrai qui cache un mensonge sur le sexe et la jouissance.

Ce qui permet la sortie c’est de faire que le savoir inconscient mis en jeu produise un objet qui entretienne des rapports nouveaux avec le savoir. Cet objet n’est pas l’inverse du savoir mais son envers : a/S2. Cela suppose que l’obsessionnel renonce à ses doutes pour retrouver dans l’angoisse cet objet qui a pour socle un certain savoir, un savoir inconscient. Mais ce savoir est rongé par la vérité, il se présente comme un certain savoir, des bouts de savoir, qui, à un moment suffisent à faire cesser l’ob-cession. Car il y a bien refus de la cession véritable qui aussi est refus de céder l’objet pour le laisser devenir le simple représentant d’un savoir fait d’amorces, de débuts, de commencements. Un savoir qui comme nous l’a montré Jacques-Alain Miller est un savoir qui ne fait que commencer !

Ce qui est à retenir, c’est que l’objet qui permet la solution du transfert est un objet nouveau, produit certes par la répétition, mais il en représente cependant la limite car il est création, nouveauté, comme tout produit d’un amour véritable.

 

DISCUSSION

Esthela Solano J’ai beaucoup apprécié l’exposé de Philippe La Sagna, et ce qu’il a apporté comme lecture inventive de l’Homme au Rats et des objets a en cause. Cette lecture permet de mettre en avant la fonction de l’objet anal chez l’obsessionnel, qui se trouve solidaire de sa défense, à l’avant-poste de celle-ci. Ce que l’obsessionnel cède à la demande de l’Autre, il le cède comme le lézard cède sa queue, pour se mettre à l’abri, pour se défendre contre l’angoisse du désir de l’Autre et ne pas céder ce qui est son véritable objet, l’objet de l’angoisse, l’objet a cause de son désir. Cela éclaire alors cet avertissement de Lacan, selon lequel il ne faut pas « fixer l’obsessionnel à sa chiasse » en validant le fantasme de transfert, ou surtout en cédant à sa demande du phallus. Cela comporte, comme l’a souligné Philippe La Sagna, ne pas le laisser dire trop de bêtises, ne pas lui céder les significations qu’il demande ni recevoir – ou être en position d’attendre – les tonnes des significations qu’il nous cède. L’obsessionnel est gourmand de savoir, il en consomme, mais ensuite cela suit le circuit, la ronde infernale de l’objet, c’est-à-dire que le savoir lui même prend la valeur de l’objet de la demande, de l’objet que l’on accumule, que l’on comptabilise, que l’on retient. Le savoir se « ratifie » à la place de l’objet. C’est pourquoi il s’agit de ne pas faire consister l’objet anal.

De ce fait, concernant la question de la direction de la cure, il convient d’insister sur la valeur fondamentale de la dimension de l’acte. Il y a deux versions de l’analyste : celle que décrit Georges Pérec, un analyste mortifié, standardisé, ritualisé, qui se moule à la défense obsessionnelle, et l’analyste qui se fait agent de l’acte, à la place de l’objet angoissant, qui aura une chance de faire surgir le véritable objet en jeu, en produisant une cession non de l’objet, mais de l’angoisse.

Il y a deux valeurs du rapport entre le savoir et l’objet selon qu’on les place à partir des mathèmes des quatre discours :

Dans le premier cas évoqué ici, l’obsessionnel qui produit de l’objet à partir du savoir, nous pouvons nous servir de l’écriture de la partie droite du discours du maître : l’objet disjoint du savoir vient à la place du produit : S2/a

En revanche, l’écriture de la partie gauche du discours analytique fait valoir l’advenue d’un nouvel objet à la place de l’agent, avec le savoir en place de vérité : a/S2.

Question dans la salle Si l’objet anal voile l’objet véritable, quel est-il ?

Philippe La Sagna Les objets font des ponts. J’ai opposé le drame œdipien et l’objet et montré que chez Lacan, ils sont noués. Ce que Lacan conclut dans le séminaire de l’angoisse, qui est au fond un séminaire sur la névrose obsessionnelle, c’est que dans la cure de l’obsessionnel, ce qui permet de sortir, c’est l’objet voix. C’est un autre Nom-du-Père. Lacan retient du sacrifice du Père son cri (cf. le shofar), et ce sacrifice est toujours déjà fait.

Esthela Solano L’objet le plus occulte c’est l’objet voix. Il est caché par les objets de la demande et aussi par le champ scopique. L’objet voix se trouve à la source de tous les commandements de l’obsessionnel. On sait depuis Freud que les commandements du surmoi se trouvent à la racine des compulsions chez l’obsessionnel. L’issue de la cure passe par là, par la mise au jour de la voix qui commande et qui pousse à jouir.

Philippe La Sagna Qu’est-ce qui fait l’autorité du maître ? C’est son énonciation. C’est pour cela que l’obsessionnel est un faux maître. Mais user de la voix va permettre à l’obsessionnel d’avoir un autre rapport à l’autorité. Cette place de maître est nécessaire pour l’analyste, qui sait que c’est un semblant. L’obsessionnel ne veut pas l’occuper parce qu’il pense que ce n’est pas du semblant.


[1] « Je suis Oiseau ; voyez mes ailes […] Je suis Souris : vivent les Rats ! » in J. de La Fontaine, «La Chauve-souris et les deux belettes », Folio, Gallimard, Paris, 2005.

[2] « L’altérité première, celle du signifiant, ne peut exprimer le sujet que sous la forme de ce que nous avons appris dans la pratique analytique à cerner d’une étrangeté particulière. » J. Lacan, Le Séminaire, Livre XVI, D’un Autre à l’autre, Seuil, Paris, 2006, p. 312.

[3] J. Lacan, Le Séminaire, Livre X, L’angoisse, Seuil, Paris, 2004, p. 361-362.

[4] J. Lacan, Le Séminaire, Livre VIII, Le transfert,, Seuil, Paris, 2001, p. 361-362.

 

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