jeudi 29 novembre 2012 · 09h45

écriture passée au lit

Je ne sais pas pourquoi mais il me semble que toute ma vie est tournée vers l’écriture. Non pas l’écriture littéraire à  laquelle je ne connais rien,  non pas la littérature,  simplement l’écriture.

Ma vie voudrait se dédier à l’écriture. Ce que ma vie veut,  c’est se dédier à l’écriture. D’ailleurs ma vie est dédiée à l’écriture. Toute ma vie.  Et c’est vraiment contre toute attente. Il ne s’agit d’ailleurs peut-être pas exactement de toute ma vie,  mais peut-être seulement de toutes mes pensées. Mais qui sont tout ce que j’ai.  Cela seulement que j’ai.  Cela seulement qu’il y a,  pour moi,  dans ma vie.  Mes pensées me représentent à moi-même. Et elle sont directement liées à l’écriture. Pas une qui ne le soit.  Mes pensées pour moi se définissent exactement du « ce qui ne cesse pas de s’ecrire »  lacanien.  De la « nécessité » lacanienne. Mais aussi bien de « ce qui ne ce cesse pas de ne pas s’écrire »,  de l’impossible lacanien. Ce que j’arrive à écrire,  c’est ce qui reste après être passé au filtre de « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire ».  Au crible.  Et ma difficulté est là. Ma souffrance,  ce crible. (( Ma volonté primaire serait de faire en sorte que « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire » passe à « ce qui cesse de ne pas s’écrire » et qu’il ne reste plus rien que « ce qui ne cesse pas de s’écrire ». ))

 Au départ,  je me contentais de penser. Au départ même,  mes pensées espéraient dire.  Seulement parler.  Et même parler à quelqu’un.  Après c’est devenu dire à l’analyste. Des heures et des heures de pensées à ce que je dirais à l’analyste.  Au fond,  c’est peut-être ça le problème.  Puis ça s’est transposé à l’écriture. Dans les faits,  avant d’arriver à l’analyse j’écrivais.  Après,  je m’y suis remise. Pendant l’analyse je n’ai plus écris que des lettres. Des lettres à l’analyste, et des lettres aux hommes dont j’étais amoureuse, quand cela m’arrivait.

J’écris actuellement toujours sur mon téléphone (un Samsung Galaxy Note II reçu de F à mon anniversaire et choisi  à cet effet).  C’est,  je crois une question
de discrétion (l’objet est petit; il a beau être le plus gros des smartphones,  il est petit),
de difficultés (l’objet est petit et un petit peu plus inconfortable dans les autres activités qui peuvent s’y faire qu’un ordinateur normal (comme surf, courrier, bref internet)),
et donc de concentration (concentration sur ce tout petit objet lumineux – d’autant que j’aime à écrire dans le noir au réveil au chaud,  silencieusement, au lit) ,
de portabilité (je peux écrire n’importe où,  à n’importe quel moment, ce qui répond aux exigences de mon « ce qui ne cesse pas de s’écrire ») (et je ne ne pense pas que ce soit cette condition de portabilité qui m’ait portée à vouloir écrire à n’importe quel moment,  non non,  le désir était de ça déjà là avant.) (c’est un objet qui répond à cette nécessité, qui est venu répondre à cette nécessité, qui l’a rendue possible – à l’instar des blogs, etc. ; c’est un objet du siècle,  comme disait Miller (( Dans un article publié je ne sais plus où qui parlait même d’un « divan portable »)),  un objet portable,  comme l’est ma pensée que je transporte toujours avec moi.  (( Objet du siècle qui rend possible que « ça ne cesse pas s’écrire », ce qui m’avait conduite à penser que le siècle serait plutôt obsessionnel, que son fantasme se réalise que tout s’écrive. ))  Pas moins bien sûr que mon corps ( Il y a la des équivalences qui se tracent et qui sont réelles).

Les seules pensées auxquelles j’ai confiance sont les pensées du matin,  du demi-sommeil,  du sortir du sommeil. Cela c’est le meilleur moment de la journée,  le seul,  qui vaille la peine de prolonger.  Le réveil,  la chaleur,  la douceur. C’est pourquoi,  après, en journée,  une fois levée et séparée de cet état,  je dois me battre pour ne pas retourner dormir et retrouver alors le bonheur plein de surprises du réveil – quelles seront alors mes dispositions.  Peut-être que j’exagère. Peut-être pas. Mais j’ai également très tôt rêvé,  dès que je l’ai su,  d’une écriture à la Proust,  une écriture passée au lit. Écrire au réveil permet de garder un lien  à l’inconscient,  permet d’inscrire ce lien.  C’est ce que j’aime,  ce côté disproportionné là. J’aime la disproportion.  Également, j’aime le drame.  Bien sûr la souffrance n’est pas souhaitable,  est très désagréable – mais,  un certain drame,  une certaine mesure de drame offre la petite dose nécessaire d’être certitude d’être de se mouvoir dans ce qui importe,  ce qui compte,  la vie,  la mort,  etc.  Le drame,  ce drame et très dédramatisé, est ce qui apporte sa coloration particulièrement au réveil. Sinon ma vie est très à l’abri d’un drame (quand le drame,  lui,  est toujours là.)

Il faudrait maintenant que je me lève et que je m’habille.  Il faut également que je travaille à un template pour le blog,  de façon à ce que… Et aussi que je trouve le moyen d’écrire au réveil les jours où je dois conduire Jules à l’école. 

 

Rappels:

contingent : ce qui cesse de ne pas s’écrire (Jacques Lacan, Séminaire XX, Encore, p. 132)

jouissance : c’est la substance de la pensée (Ibid, p. 101)

le nécessaire : ce qui ne cesse pas de s’écrire  (Ibid., p. 99)

samedi 8 décembre 2012 · 12h08

Le temps d’émerger j’essaie le matin de m’accrocher à une petite routine qui n’est toujours pas bien certaine, mais enfin suffisamment pour que Jules arrive à l’heure à l’école.

Théorie : les angoisses et dangers suscités par la pensée abstraite sont une forte raison pour laquelle nous aimons être si occupés et bombardés de stimuli en permanence. La pensée abstraite tend le plus souvent à frapper durant les moments de rêverie. Comme par exemple tôt le matin, surtout si vous vous réveillez juste avant que votre réveil se mette à sonner, et c’est alors que vous pouvez subitement et sans raison vous rendre compte que vous vous êtes toujours levé du lit chaque matin sans le moindre doute que le sol vous supporterait. Allongé là, considérant la matière, il vous apparaît au moins théoriquement possible que quelque défaut dans la construction du sol ou dans son intégrité moléculaire pourrait le faire se gondoler, ou même qu’une portion aberrante de flux quantique ou un truc comme ça pourrait vous faire passer au travers. C’est-à-dire que ce n’est pas comme si vous aviez réellement peur que le sol puisse se dérober, dans un instant, quand vous sortirez effectivement du lit. C’est simplement que certaines humeurs, certains fils de pensée sont…
David Foster Wallace, Tout et plus encore – Une histoire compacte de l’infini

Le temps d’émerger j’essaie le matin de m’accrocher à une petite routine qui n’est toujours  pas bien certaine,  mais enfin suffisamment pour que Jules arrive à l’heure à l’école. Évidemment pour peu que j’en dévie un poil plus que d’ordinaire, je me mets à errer dans cette sorte de zone tampon,  sas entre la veille et le réveil,  qui manque rarement d’un soupçon d’inquiétude.
Ce moment, entre veille et réveil,  en parle un auteur que je lis ces jours-ci, David Foster Wallace, dans un livre de vulgarisation mathématiques où il s’interroge sur les raisons pour lesquelles les grands génies mathématiques seraient,  ou deviendraient, quelquefois fous.  Lui pense que cela tient à la nature de l’abstraction. Il soupçonne notre esprit d’avoir des difficultés face aux concepts qui n’ont pas de répondants dans la réalité,  comme c’est le cas en mathématiques.  Il pense que c’est un moment particulièrement important et délicat que cet apprentissage pour les enfants, l’apprentissage des nombres et le fait que le « 5 »  par exemple puisse exister,  existe,  indépendamment des pommes qu’il dénombre et avec lesquelles on aura pu chercher à lui faire approcher un nouvelle sorte de mots,  qui ne fonctionne plus tout à  fait comme des étiquettes sur une chose.  Il pense que l’infini, dont traite ce livre,  est encore plus vertigineux. 

David Foster Wallace, Tout et plus encore – Une histoire compacte de l’infini

Il parle de cette abstraction,  une fois donc qu’elle atteint un certain degré,  comme ce qui peut rendre fou.  Et il livre l’expérience qui est la sienne de moments de réveil où il se trouve  dans l’incertitude quant à trouver un sol sous ses pieds quand il se lèvera,  où le doute lié à la non-existence  d’un lien entre un mot et un chose  dans la réalité s’étend à l’ensemble des concepts et donc de la réalité,  et donc de sa réalité. Ce qui lui procure des moments de grande angoisse. Sans connaître cette angoisse-là, j’apprécie pour ma part depuis très longtemps le moment du réveil que j’ai toujours essayé de prolonger et l’expérience que David Foster Wallace relate me dit quelque chose de l’intérêt que j’y trouve. 
Lui, a  fini par se suicider,  ce qui ne devrait pas être mon cas. Peut-être que je supporte mieux la nature de semblant du langage que lui,  voire que j’en apprécie  les possibilités de jeux que cet entraperçu peut offrir.  Je viens à peine de commencer ce livre et j’espère que je tiendrai. Parce que quoi qu’il en die, David Foster Wallace, navigue avec une beaucoup plus grande facilité, passion,  dans les mathématiques que moi. 

vendredi 10 mai 2013 · 16h06

à mi-corps, midi

Je pensais que j’étais bien réveillée, je m’étonnais même de ce que j’étais si bien réveillée. J’ai pensé : « Oui,  c’est incroyable,  tout va bien,  aucune étrange sensation, je sais qui je suis, (donc) je peux monter au premier étage ».  Et je montais au premier étage. J’étais toujours au lit,  je n’avais pas encore ouvert les yeux, couchée sur le dos. Et le premier étage où je montais se situait à l’intérieur de mon corps. Avec le rez-de-chaussée côté lit, niveau peau,  et le premier, à mi-corps, en coupe horizontale à l’intérieur du corps, longue étendue au plafond bas que je voyais s’allonger presque jusques aux pieds. Et je me croyais très bien réveillée.

Avant cela, en rêve, nous vivions près de Marseille, sur la côte,  nous avions quitté Paris. J’avais invité Jules à passer quelques moments sur la plage avant l’école sur le temps de midi pour profiter des premiers rayons de soleil de l’année.  Nos voisins de Paris étaient là aussi,  notre voisine d’étage également venue sur la plage.  Je lisais le Elle. Il y avait de plus en plus de monde sur la plage, avec de nombreux paravents, comme sur la mer du nord.

Plus tard, Jean-François ou Jean-Pierre nous rejoignait.  

Je venais de dire à l’oreille de quelqu’un, que je pensais être Jules,  que là, vraiment, je ne regrettais plus du tout Paris, que j’étais vraiment heureuse d’habiter là.  La personne me demandait qui j’étais, en flamand.  Je me rendais compte de mon erreur et cherchais Jules pour lui raconter l’anecdote. Je racontais  l’histoire à l’oreille et voulais qu’il la redise à  Jean-Pierre, avec qui il se trouvait, toujours à l’oreille. 

J’étais donc très heureuse de pouvoir être là,  en maillot,  avec Jules,  comme si c’était notre jardin

hans-bellmer-petite-anatomie-de-image

 

Le fait que je sois montée à l’étage à l’intérieur de mon corps paraît avoir à voir avec ce livre que je lisais hier,  étonnant,  Petite anatomie de l’image de Hans Bellmer, qui voudrait étudier l’humain au départ du corps,  d’une sorte de pensée du corps,  de ses attitudes,  de ses projections, de son imaginaire. Une tête penchée dans le creux d’une épaule venant par exemple signifier une caresse au sexe. 

Et le rêve lui,  semble venir dans la continuité du texte que  je retravaille en ce moment,  d’avril 2011, où je  dis qu’il me semble acquérir un corps à Donn.  Et où je me demande s’il s’agit du fait que je puisse sortir dans le jardin facilement,  sans avoir à m’habiller, y échappant au regard, au devoir d’image.   Je retravaille à ce texte pour le moment, ne sachant pas très bien ce que je fais et craignant de ne pas y arriver. 

samedi 23 novembre 2024 · 09h55

une liste de plaintes oubliées
— de comportements défectueux ou manquants

mais qu’est-ce que je voulais écrire, en me réveillant ce matin, qu’est-ce que je voulais écrire à mon analyste ? que voulais-je écrire à Hélène Parker. différents points, quatre ou cinq, dont il m’apparaissait qu’on pouvait sans doute les qualifier de plaintes, de symptômes même. une liste très simple de comportements défectueux ou manquants, dont je parle peu, dont je ne parle pas. dont je ne parle plus ? (le fait que je ne sorte jamais? que je ne m’occupe de rien? que ce soit F qui s’occupe de tout? que je ne gagne pas d’argent? que je ne prépare pas à manger? que je sois totalement inadéquate face aux exigences pratiques de la vie?) c’est vraiment étrange, à ces choses, je ne penserais plus jamais qu’au réveil, je ne pense plus que dans les premiers instants du réveil. j’y aurais pensé davantage. oui, il est bien possible que j’y aie beaucoup pensé autrefois, considérablement même. voire que je n’aie pensé qu’à ça. et que face à l’impossibilité d’y pallier, ces manquements chez moi, ces tares, petit à petit, je les aie refoulés, je m’y serais faite, inadaptée, déficiente. en ne m’y confrontant plus, j’aurai trouvé le moyen de m’en épargner l’angoisse. j’ai abaissé mon niveau d’exigence. et jamais encore, je crois, quand ils réapparaissent, au petit matin, au réveil, la nuit, je ne suis allée jusqu’à les écrire, comme à chaque fois, je crois, je me le propose. 

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mais qu’est-ce que je voulais écrire, en me réveillant ce matin, qu’est-ce que je voulais écrire à mon analyste ? que voulais-je écrire à Hélène Parker ? différents points, quatre ou cinq, dont il m’apparaissait qu’on pouvait sans doute les qualifier de « plaintes », de « symptômes » même. une liste très simple de comportements défectueux ou manquants, dont je parle peu, dont je ne parle pas. dont je ne parle plus ? (
 le fait que je ne sorte jamais ?     que je ne m’occupe de rien ?     que ce soit F qui s’occupe de tout ?     que je ne gagne pas d’argent, que je ne prépare pas à manger ? que je sois totalement inadéquate face aux exigences pratiques de la vie ?
)       
        c’est vraiment étrange, à ces choses, je ne penserais plus jamais qu’au réveil,
    je n’y pense plus qu’aux premiers instants du réveil.      j’y aurais pensé davantage.      oui, il est bien possible que j’y aie beaucoup pensé autrefois,
                  considérablement même. voire que je n’aie pensé qu’à ça. qu’à ça.

et que face à l’impossibilité d’y pallier, ces manquements chez moi, ces tares, petit à petit, avec le temps, va, je les aie   
refoulés,
je m’y serais faite : inadaptée, déficiente.
 en ne m’y confrontant plus, j’aurai trouvé le moyen de m’en épargner l’angoisse.
j’ai abaissé mon niveau d’exigence et jamais encore, je crois, quand ils réapparaissent, quand ils font leur réapparition, au petit matin, un à un, au réveil, les uns après les autres, quand c’est encore la nuit, défilent, je ne suis plus allée jusqu’à les écrire,
                     comme à chaque fois, je crois,
                                                                     je me le propose. 

(tester version sur papier, manuscrite)

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