écriture passée au lit

Publié le Catégorisé comme ce qui ne cesse pas de s'écrire Étiqueté , , ,

Je ne sais pas pourquoi mais il me semble que toute ma vie est tournée vers l’écriture. Non pas l’écriture littéraire à  laquelle je ne connais rien,  non pas la littérature,  simplement l’écriture.

Ma vie voudrait se dédier à l’écriture. Ce que ma vie veut,  c’est se dédier à l’écriture. D’ailleurs ma vie est dédiée à l’écriture. Toute ma vie.  Et c’est vraiment contre toute attente. Il ne s’agit d’ailleurs peut-être pas exactement de toute ma vie,  mais peut-être seulement de toutes mes pensées. Mais qui sont tout ce que j’ai.  Cela seulement que j’ai.  Cela seulement qu’il y a,  pour moi,  dans ma vie.  Mes pensées me représentent à moi-même. Et elle sont directement liées à l’écriture. Pas une qui ne le soit.  Mes pensées pour moi se définissent exactement du « ce qui ne cesse pas de s’ecrire »  lacanien.  De la « nécessité » lacanienne. Mais aussi bien de « ce qui ne ce cesse pas de ne pas s’écrire »,  de l’impossible lacanien. Ce que j’arrive à écrire,  c’est ce qui reste après être passé au filtre de « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire ».  Au crible.  Et ma difficulté est là. Ma souffrance,  ce crible.1

 Au départ,  je me contentais de penser. Au départ même,  mes pensées espéraient dire.  Seulement parler.  Et même parler à quelqu’un.  Après c’est devenu dire à l’analyste. Des heures et des heures de pensées à ce que je dirais à l’analyste.  Au fond,  c’est peut-être ça le problème.  Puis ça s’est transposé à l’écriture. Dans les faits,  avant d’arriver à l’analyse j’écrivais.  Après,  je m’y suis remise. Pendant l’analyse je n’ai plus écris que des lettres. Des lettres à l’analyste, et des lettres aux hommes dont j’étais amoureuse, quand cela m’arrivait.

J’écris actuellement toujours sur mon téléphone (un Samsung Galaxy Note II reçu de F à mon anniversaire et choisi  à cet effet).  C’est,  je crois une question
de discrétion (l’objet est petit; il a beau être le plus gros des smartphones,  il est petit),
de difficultés (l’objet est petit et un petit peu plus inconfortable dans les autres activités qui peuvent s’y faire qu’un ordinateur normal (comme surf, courrier, bref internet)),
et donc de concentration (concentration sur ce tout petit objet lumineux – d’autant que j’aime à écrire dans le noir au réveil au chaud,  silencieusement, au lit) ,
de portabilité (je peux écrire n’importe où,  à n’importe quel moment, ce qui répond aux exigences de mon « ce qui ne cesse pas de s’écrire ») (et je ne ne pense pas que ce soit cette condition de portabilité qui m’ait portée à vouloir écrire à n’importe quel moment,  non non,  le désir était de ça déjà là avant.) (c’est un objet qui répond à cette nécessité, qui est venu répondre à cette nécessité, qui l’a rendue possible – à l’instar des blogs, etc. ; c’est un objet du siècle,  comme disait Miller2,  un objet portable,  comme l’est ma pensée que je transporte toujours avec moi. 3  Pas moins bien sûr que mon corps ( Il y a la des équivalences qui se tracent et qui sont réelles).

Les seules pensées auxquelles j’ai confiance sont les pensées du matin,  du demi-sommeil,  du sortir du sommeil. Cela c’est le meilleur moment de la journée,  le seul,  qui vaille la peine de prolonger.  Le réveil,  la chaleur,  la douceur. C’est pourquoi,  après, en journée,  une fois levée et séparée de cet état,  je dois me battre pour ne pas retourner dormir et retrouver alors le bonheur plein de surprises du réveil – quelles seront alors mes dispositions.  Peut-être que j’exagère. Peut-être pas. Mais j’ai également très tôt rêvé,  dès que je l’ai su,  d’une écriture à la Proust,  une écriture passée au lit. Écrire au réveil permet de garder un lien  à l’inconscient,  permet d’inscrire ce lien.  C’est ce que j’aime,  ce côté disproportionné là. J’aime la disproportion.  Également, j’aime le drame.  Bien sûr la souffrance n’est pas souhaitable,  est très désagréable – mais,  un certain drame,  une certaine mesure de drame offre la petite dose nécessaire d’être certitude d’être de se mouvoir dans ce qui importe,  ce qui compte,  la vie,  la mort,  etc.  Le drame,  ce drame et très dédramatisé, est ce qui apporte sa coloration particulièrement au réveil. Sinon ma vie est très à l’abri d’un drame (quand le drame,  lui,  est toujours là.)

Il faudrait maintenant que je me lève et que je m’habille.  Il faut également que je travaille à un template pour le blog,  de façon à ce que… Et aussi que je trouve le moyen d’écrire au réveil les jours où je dois conduire Jules à l’école. 

 

Rappels:

contingent : ce qui cesse de ne pas s’écrire (Jacques Lacan, Séminaire XX, Encore, p. 132)

jouissance : c’est la substance de la pensée (Ibid, p. 101)

le nécessaire : ce qui ne cesse pas de s’écrire  (Ibid., p. 99)

Notes:
  1. Ma volonté primaire serait de faire en sorte que « ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire » passe à « ce qui cesse de ne pas s’écrire » et qu’il ne reste plus rien que « ce qui ne cesse pas de s’écrire ». []
  2. Dans un article publié je ne sais plus où qui parlait même d’un « divan portable » []
  3. Objet du siècle qui rend possible que « ça ne cesse pas s’écrire », ce qui m’avait conduite à penser que le siècle serait plutôt obsessionnel, que son fantasme se réalise que tout s’écrive. []

Par Iota

- travailleuse de l'ombre

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