vendredi 5 novembre 2010

le symbolique est de soi impératif (Jean-Luc Nancy)

9 Ce qui spécifie l’impératif catégorique, en revanche, c’est qu’il ordonne sans conditions. Le caractère de commandement n’est pas dans la dépendance d’une fin donnée par ailleurs : il est intrin­sèque. De soi, c’est un commandement. Autrement dit, ce qui est commandé et le fait du commandement sont une même chose, ou plus exactement s’entr’appartiennent de manière nécessaire. Il n’y a pas ici le concept d’une fin, d’une part, et d’autre part une vo­lonté qui peut vouloir ou ne pas vouloir cette fin, et qui doit si elle la veut se plier à une contrainte. Il y a au contraire le concept d’une fin qui enveloppe en elle-même la volonté de cette fin et la soumis­sion de cette volonté à l’impératif de cette fin. Le caractère impé­ratif est impliqué dans le concept ou dans la catégorie de la fin.

13 Il s’en suit, par corollaire, que l’impératif hypothétique relève d’un jugement analytique – si ceci est donné, alors cela s’en déduit – tandis que l’impératif catégorique suppose un jugement synthé­tique : à la raison pure – ou à la catégorie – s’ajoute a priori la motion impérative.

14 La « catégorie », c’est ici l’ordre entier des concepts ou des caté­gories. C’est la table complète de celles-ci qui s’adjoint l’impératif de sa propre intégralité pratique. Pratiquement, et non formelle­ment, le système de cette fameuse table se prescrit lui-même comme devoir. On fera ici l’économie de l’analyse détaillée des douze catégories : il suffira de dire que leur système présente en effet la totalité des existences déterminées, dans la communauté de leurs rapports – totalité qui en tant que fin pratique serait identique à l’effectuation de la liberté.

15  L’impératif catégorique signifie que le concept d’un monde est indissociable de celui d’un impératif – un monde, cela doit être – et que le concept d’un impératif pur (non relatif à une fin donnée) est indissociable du concept d’un monde : ce qui doit être, c’est un monde, et rien d’autre qu’un monde ne doit, absolument, être mis en œuvre.

16 L’impératif catégorique de Kant inaugure ainsi de manière péremptoire et sans doute irréversible l’âge contemporain de l’éthique : il ne s’agit plus de répondre à une ordonnance donnée, ni dans le monde ni hors du monde dans la représentation d’un autre monde, mais il s’agit d’instaurer un monde là où n’est dis­ponible et discernable qu’un agrégat confus. Il faut faire en ce monde et malgré lui advenir le monde de la raison, ou bien la raison comme monde.

25… et s’il reste exclu que l’être su­prême passe de l’être au devoir-être, alors il s’en suit bien plutôt que le « suprême » n’est plus un prédicat de l’être mais que l’impé­ratif devient sa consistance propre, si l’on peut dire. Rien n’est plus haut que le commandement : non pas le « commander », mais l’« être-commandé ». Non pas le sujet-maître, mais le sujet assujetti à cette réceptivité de l’ordre.

26…

Il reçoit l’ordre – il se reçoit en tant que l’ordre – de faire un monde. Mais il ne s’agit pas (et c’est ce que doit comprendre le sujet) de venir occuper la place de l’étant démiurgique, puisque c’est précisément cette place qui vient d’être vidée. Il s’agit de se tenir en ce vide et à lui – c’est-à-dire de rejouer à nouveaux frais ce que « ex nihilo » veut dire. Que rien ouvre un monde et s’ouvre dans le monde, que le sens du monde écarte toute vérité donnée et délie toute signification liée. Que je reçoive, que nous recevions l’ordre de nous tenir dans cette ouverture. C’est impératif, en effet.

Jean-Luc Nancy, « Préface à l’édition italienne de L’Impératif catégorique », Le Portique [En ligne], 18 | 2006, mis en ligne le 15 juin 2009, Consulté le 05 novembre 2010.
URL : http://leportique.revues.org/index831.html

jeudi 31 janvier 2013

Des modes lacaniens

Soit un monde qui « ne cesse pas s’écrire », un monde de la nécessité.

Ne pas cesser de s’écrire(le réel) pour ne pas rencontrer ce qui ne cesse pas de pas s’écrire (le réel)

« ce qui ne cesse pas de s’écrire, le nécessaire, c’est cela même qui nécessite la rencontre de l’impossible, à savoir ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, qui ne peut s’aborder que par les lettres. « JL

ce qui ne cesse pas de s’écrire :
  l’addiction,
  l’internet,
  la science,
  les séries télévisées où ce sont les cadavres qui parlent ( où la police scientifique peut lire dans leur corps la signature de leur assassin; du point de vue de la société scientifique, nous sommes ces cadavres),
  la pensée (obsessionnelle),
  le marché,
  la finance,
  les flux,
  mes lettres d’amour,
  la marque, le branding,
  la répétition (névrotique),
  la machine,
  les listes (de course, de choses à faire),
  etc.

A cette nécessité s’attache un certain type de jouissance dont il est seulement nécessaire d’affiner la description. Lui donner la possibilité d’aller au plus loin d’elle-même, au plus précis de l’énigme qu’elle enserre, qui elle ne cesse pas de ne pas s’écrire (réelle, impossible). Aller au plus loin, suppose de trouver la ressource qui permette d’en supporter la honte. D’en rencontrer la honte. Et cette ressource, je n’en pressens actuellement pas d’autre que celle qui se découvrirait conceptuellement, dans le discours, dans une pratique de discours. L’éthique en effet n’est qu’affaire de discours. Il n’y a que le discours (la contingence, le possible) qui puisse juxtaposer les plans de l’innommable et de l’universel. Et qu’il y s’agisse d’un usage du discours qui ait assimilé, trouvé comment rendre, rendre compte de l’hic et nunc de la vérité qu’il vise et peut trouver à refléter, cette vérité quand elle petite sœur de jouissance et donc attient au réel. Cette démarche est à des lieues d’une résignation cynique. Au contraire elle comporte un consentement, voire même une réjouissance.

En passer par la contingence (l’écriture, l’amour, le sexe, la rencontre, la voix, la parole, etc. ) / ce qui cesse de ne pas s’écrire / permet surtout de sortir de la routine, d’imprimer éventuellement de nouveaux circuits à ce qui sinon répèterait toujours le même trajet.

La contingence, c’est toujours le traumatisme, la rencontre de ce qui n’est pas soi, de ce qui n’est pas (en-corps) inscrit en soi.

Top