Le cinéma de Marcel Hanoun # Cinéma Le Saint André des Arts # 30, rue Saint André des Arts – 12, rue Gît-le-coeur 75006 Paris New York Soft Hotel (0h09) – Le ravissement de Natacha (0h22) – Une simple histoire (0h35)
Au fond ce qu’il fait, c’est se saisir d’ un événement d’actualité, rebondir dessus, aller au plus loin de ce rebondissement, jusqu’à la fiction, jusqu’à l’invention d’une fiction, l’écriture d’un film, pour rendre compte de la répercussion sur lui, l’écho en lui de cet événement, et en donner alors un écho certainement différent, dissonant, de celui qui circule dans les médias.
Mais pourquoi ce dont il a à parler, doit-il passer par le commentaire – qui est loin d’être un de plus, qui est le seul de cette façon – de l’actualité ?*
Voilà, je ne sais pas exactement ce que ma question veut dire, mais c’est ça. Peut-être le commentaire de l’actualité est-il vraiment irrésistible, et convient-il alors qu’il se fasse en résistance à cette irrésistibilité ? Pour la vaincre ? Quelle est la prégnance des médias ? Des actus ? Est-il possible de leur résister ? Que leur opposer d’autre que l’indifférence ou la fuite ? Que l’indifférence ou la fuite quand il ne semble plus qu’un simple positionnement politique droite/gauche, auquel nous pourrions sembler réduits, quand il ne semble plus que cette simple opposition droite/gauche soit adéquate ? Dans quoi nous retient-t-on par cette opposition ? Et, l’embarras où nous mettent les médias, l’impuissance où ils nous acculent, trouve-t-il son issue la plus heureuse à fonder cet « on » au nom duquel je parle ici ? A creuser la place de cette voix qui manque de ceux qui autrement sont parlés (réduits à être parlés)? (et si cette place existe, cette voix doit-elle être prise, cette parole, et serait-ce alors ce que ferait Marcel Hanoun avec ses films.)
J’ai donc vu deux films hier de Marcel Hanoun, en lien avec l’actualité, d’époque, la plus bruyante : l’affaire DSK (je n’ai pas aimé ce film), et l’affaire de cette petite fille enlevée qui grandit dans une cave avec son ravisseur et finit, des années après, par arriver à s’enfuir; le ravisseur se suicidant alors. J’ai beaucoup aimé ce dernier film, Le ravissement de Nathalie. C’est un film d’amour, une parole d’amour.
* Pourquoi faut-il que ce qu’il a à dire, il doive ou puisse le dire au travers d’un commentaire de l’actualité ?
The Act of killing
« Reply #1 on: Yesterday at 02:58:06 pm »
» rawhful 2 months ago
I just saw this film today. It is one of the darkest, most intense films I have ever seen. One of the best documentaries ever made in my opinion. The tone of the film is both arresting and surreal, and it plunges the depths of human cruelty in a way that is completely unique. «
« Dans cette scène, l’un des criminels explique aux autres que s’ils acceptent de jouer dans mon film, leur vrais visages vont être dévoilés, la vérité sur leurs crimes va être révélée et les Indonésiens vont enfin avoir la confirmation de ce qu’ils savent déjà, à savoir que le gouvernement leur ment depuis 1965. Après ce film, il n’y a pas de retour en arrière possible, les génocidaires savent qu’ils vont passer pour les salauds mais ils assument. Le film va leur permettre, en rejouant devant ma caméra les meurtres qu’ils ont commis, de remettre un couche de fiction sur la vérité qui les hante toutes les nuits. The Act of killing est sans doute le film le plus populaire en Indonésie. Les projections officielles sont interdites, bien évidemment, mais tout le monde l’a vu lors de séances sauvages qui ont lieu quotidiennement sur grand écran devant cinq cents personnes. Les langues se délient. La peur change progressivement de camp. Les Indonésiens savent que le roi est nu. » Joshua Oppenheimer, http://www.telerama.fr/cinema/the-act-of-killing-trois-extraits-commentes-par-son-realisateur-joshua-oppenheimer,96089.php
« C’était comme si on tuait dans l’allégresse ». C’est l’histoire mais du point de vue des tueurs, des bourreaux, pas des victimes. Ils sont les « gangsters », les « hommes libres ». Ils jouent leur propre rôle et ils jouent le rôle de leurs victimes. Ils se disputent sur la signification des mots cruauté et sadisme. Ils disent qu’ils sont plus cruels que dans les films, beaucoup plus, et beaucoup plus cruels que les communistes. « Moi, je les regardais mourir. – Tous, tu les as tous regardé mourir. » Ils tournent des scènes avec des habitants d’un village qui jouent les victimes, dont ils sortent presque aussi choqués que les figurants. Ils rient, ils font des blagues atroces, dansent, mettent en scène leurs cauchemars, crient action ou coupez, apostrophent le metteur en scène, « Josh! », sont maquillés, ferment les yeux de la tête décapitée qu’ils n’avaient pas fermés et qui les hantent, se pavanent ou se convulsent de dégout à l’idée de ce qu’ils ont fait. Ils voulaient qu’on sache la vérité.
Re: The Act of killing « Reply #3 on: Yesterday at 04:18:35 pm »
mmm, je me demande pourquoi tu as voulu le voir ;)
ça me fait penser au film de manoel de oliveira sur la procession religieuse dans le petit village des années 60… j’ai encore oublié son nom
Re: The Act of killing « Reply #5 on: Yesterday at 05:49:44 pm »
non, tu sais, ça ne ressemble à rien de connu. ce sont des criminels, des hommes qui ont commis des actes de grande cruauté, de sadisme comme ils disent, qui ont torturé, tué, violé – « je les prévenais, je leur disais : tu vas connaître les pires moments de ta vie et moi je vais connaître le paradis », qui sont restés impunis et qui font un film, qui les bouleverse. j’ai plusieurs fois eu envie de sortir, tellement c’est insupportable, je suis restée, me disant que la suite peut-être apporterait un élément d’apaisement. je n’ai pas eu tort.
Re: The Act of killing « Reply #6 on: Yesterday at 06:08:09 pm »
Ça m’avait plutôt convaincu de me tenir à distance.
Re: The Act of killing « Reply #7 on: Yesterday at 07:43:17 pm »
je pense que cette critique est injuste. malheureusement, je me rends compte que je suis mal placée pour en parler, quand il s’agit d’écouter des criminels, ayant souffert d’avoir moi-même eu un oncle criminel, assassin. bien sûr, il me semble là que je tire une corde des plus suspectes, dramaticollantes, pour justifier d’avoir été touchée par ce film, mais tant pis. de mon point de vue, et c’est le seul qui compte à mes yeux, je ne suis pas très courageuse non plus. ce film m’a bouleversée. et j’ai été heureuse d’apprendre, de la « bouche » d’oppenheimer, évidemment, ça aussi, c’est suspect, qu’il avait bouleversé l’indonésie. on voit dans ce film faire des gens qui ne savent pas ce qu’ils font, ce qu’ils cherchent, et cela nous laisse pantois. brandir le mot sacro-saint mot « spectaculaire » est compréhensible, on est souvent dans le grotesque, on hallucine face à ce qui paraît bêtise à l’état pur, mais on sait à chaque instant que ce spectaculaire, ce grotesque, cette bêtise répondent de choses dont nous ne savons rien, de crimes inhumains, qui n’ont jamais, jusque là, trouvé à être qualifié comme tels, dont les perpétreurs ne savent sur quel pied parler. je crois que ce qui leur a manqué, c’est d’un procès. ce sont tout de même des gens très particuliers, qui ont fait commis ces crimes et qui sont aujourd’hui toujours craints, toujours proches du pouvoir. pour moi, c’est peut-être un peu comme s’ils avaient pris en charge leur propre procès, et que, au moins pour certains d’entre eux, ils se soient reconnus coupables. la « représentation » est une grande chose, c’est une chose qui révèle et qui soigne, me dis-je. et qui soigne aussi ceux qui ont vu ce film, qu’aujourd’hui tout le monde a vu en indonésie. je dis ça, tout en regrettant les mots que je signe ici-même. tout en me disant words words words. et ce n’est toujours pas ça. de même que je ne devrais pas me laisser à la facilité d’ajouter que mon oncle, passé aux assises, a remercié ses juges, a remercié le ciel d’être passé en jugement : pour une fois, a-t-il dit, justice a été faite. ce film, il faut le voir, ou ne pas le voir. anyway, il y a peu de choses, à mon sens, qui feront jamais qu’on sera à la hauteur de la réalité. je me vois moi, condamnée à vivre en deçà de la grandeur humaine, et j’aurai, jusqu’au bout, l’impression que les mots me manquent tandis que quelque chose cloche en leur royaume. mais ce film, pour moi, c’est du beau boulot, une belle chose humaine. que d’autres le voient comme une saloperie. au fond, c’est possible aussi. ce qui m’a toujours fait peur c’est qu’on peut faire dire n’importe quoi aux mots, quand de ce film on sort pantois(e). et tant pis pour la critique cinématographique. et la critique tout court, d’ailleurs. c’est un art, qu’à mon sens, les français prisent beaucoup trop. :))
« Car dans Gravity, les hommes ont perdu ce qui leur donnait leur lest. Les corps sont déjetés dans l’apesanteur, les voix ne portent plus, rien de ce qui faisait l’étoffe d’un sujet n’existe plus. Objets parmi les objets de consommation, les corps chutent dans le tout-à-l’égout de l’espace. Ce qui ordinairement leste un sujet n’est pas l’objet du commerce ou de la technologie, mais autre chose de plus insaisissable et qui fait la cause de son désir, ce que Lacan nomme objet a.«
Ah, c’est très intéressant tout ça. C’est marrant, on (dulce + jujujuman) a vu tous1 ces films récemment, et je ne me souviens de rien du tout, ou presque. Je crois que je devrais les revoir. Je vous parle de ma mémoire ici, pas des films. Je perds totalement la mémoire, c’est ça qui m’occupe le plus pour le moment.
Curb your enthousiasm, oui, je m’en souviens bien. Peut-être pour ça que j’aime tellement les séries, parce que ça dure longtemps et qu’on a vraiment le temps de s’imprégner de l’histoire, des personnages. Je me souviens du moment où j’ ai découvert Lost, ma première série. Tous les jours, je devais attendre dulce, le soir, pour mater la suite. Et pendant toute la journée, j’y pensais, ça me manquait. Les voix en particulier, certaines voix me manquaient. Ça a été surtout vrai pour Lost.
Curb your enthousiasm, y a eu des moments où c’est devenu super grinçant, limite insupportable. On n’était plus très sûr d’avoir envie de le voir. Puis, ça s’est rétabli (même si moi, j’ai continué à me méfier), c’est ressorti du désespoir, je crois, réémergé.
Pour ce qui est de la mémoire, y a l’âge bien sûr, y a un symptôme, de je sais pas encore dire de quoi, puis y a aussi que c’est pas du tout ma culture. J’ai beau vivre avec D. depuis 10 ans, c’est toujours pas ma culture. Et chaque fois qu’il me propose ce genre de truc, je me dis OK, bon, voyons voir ce qu’il a encore à me proposer. Et je regarde, je ris, je trouve ça bien ou pas, mais ça reste très vague, je crois que je n’ai pas encore intégré ça comme étant à retenir, ça glisse. Je rigole et ça glisse. Ça s’en va.
Je demande peut être des œuvres qu’elles me bouleversent. Et rire ne fait pas partie, n’est pas programmé chez moi comme étant bouleversant. Tout de moins ce rire là, un peu gras. J’attends probablement plus classiquement d’être dramatiquement bouleversée. Il faudrait que je trouve le moyen de re-programmer ça. Et la drôlerie a quelque chose qui va ou qui vient d’au-delà du bouleversement.
J’ai dit aussi que je perdais la mémoire parce que je ne parlais pas assez. Je n’ai jamais beaucoup parlé – sauf avec certaines femmes, et là j’étais devenue vraiment bavarde, pipelette -, parce que je suis seule. Je ne me plains pas. Je constate. Solitude entraîne perte de l’usage de la parole, perte des mots. Je ne me plains pas : tout ça m’est beaucoup trop proche pour que je m’en plaigne. J’ai un attachement à moi.
Je perds les mots et je dois trouver comment les retenir. Ou comment les laisser partir. Qu’est-ce qui dans les mots qui partent ne me retient pas ? Et qu’est-ce qui reste ? Qu’est-ce qui me retient dans ce qui reste ? Que faire de ce reste ? J’ai parfois eu le pressentiment que c’était de cet ordre là. Quelque chose de cet ordre-là. Que je tenais au manque des mots (hystérie). Mais ce manque qui s’impose à moi, que je défends par devers moi, que restera-t-il de lui. Qu’est-ce qui reste quand ce qui reste n’est pas des mots. Et. Comment ce reste fait-il lien avec le reste du monde, et avec ce qui reste du monde au monde qui n’est pas des mots.
C’est la question du lien qui est importante. Pour moi, la seule. Et comment abandonner ou au contraire prendre très au sérieux la question de ce qui reste après (la deuxième seule, importante question), après la vie.
Mais là, je suis encore pleinement en vie. Et je peux très bien rigoler à un film qui n’est au départ « pas de ma culture » et l’intégrer à ma culture. En modifier le fonctionnement. Parce que le rire, finalement, comme le disait déjà Freud, le rire fonctionne avec au départ de ce qui manque aux mots. Bon, enough.
Quelle est cette énergie dont elles font montre les filles, et dont rien ne répond. Dont elles font montre quand elles dansent, dont rien ne répond. Quelle est cette force, ce pouvoir, cette séduction. Qu’est-ce qui les habite, les porterait à l’amour, dont rien ne répond. Ou si mal. Cherchant à les ramener vers quels en-deçà. Dont il faut qu’elles se préviennent alors, qu’elles se gardent. L’insolence que ça leur donne en retour, l’ascendant sur tout, tous et toutes, ce qui les entoure. Dont rien ne répondra jamais et qui les sépare, les isole profondément. Cette force vive qui éclate alors sur les scènes de Showgirls.
Vous savez, la séduction des jeunes filles, qui les gonfle, les porte, dont elle ne savent rien, dont elles connaissent le feu, la joie, l’énergie pure, est bien réelle. Et que ça doive se réfugier sur une scène, se couvrir de paillettes ou se défendre au couteau, c’est bien réel aussi.
Il est quelque chose au monde, chez les jeunes filles, dont rien ne répond, sinon le mal, le mépris (mé-prix), l’agression, le viol.
Ça n’est pour autant pas une calamité absolue, ni une fatalité. Une fatalité, que cette énergie soit promise à de si funestes destins. Pas une calamité, cette énergie qui m’habite encore, qu’il m’est encore donné d’apprivoiser. Son feu moins intense, ses couleurs moins chatoyantes. Comme le ronronnement d’un chat, me fonde.
Et l’expérience nouvelle que j’en ai, délestée de la séduction, me confirme que si le monde aujourd’hui est organisé en spectacle, nous pouvons tous, encore, il est temps, descendre de la scène, danser.