samedi 9 janvier 2021 · 09h31

Fr…éronique

Chère Hélène Parker,

Je vous demande de ne plus attendre de moi que j’écrive. De me laisser libre de ça. Je n’arrive pas à le formuler, mais autant cela m’a surprise, cela m’a fait plaisir, cela a été important que vous appréciez ce que j’écrivais, autant, ça ne peut pas devenir impératif (je veux dire que j’ai alors pensé que vous attendriez que j’écrive, que vous seriez déçue si je ne le faisais pas).

Je n’osais pas vous le dire, car j’ai aimé votre appréciation. Vous êtes devenue celle qui a aimé ce que j’écrivais. Ce qui me lie à vous d’une façon très spéciale, car vous avez pu reconnaître quelque chose qui ne l’espérait pas, modifiant l’estime que j’ai de moi, l’améliorant.

Or, et j’ai encore vécu cela durant ces vacances : Il me faut rater. Je dois me décevoir. Je ne peux être satisfaite de moi, fière. Et c’est la déception qui est ensuite très difficile à supporter et que j’entretiens.

Cela rejoint ce que F a appelé l’entretien de ma frustration. Frustrée par lui, déçue par moi. Et alors, quelque chose qui s’apparente au dégoût, à la détestation de moi-même, à la haine de F .

C’est comme ça que j’ai fermé des blogs, dès qu’ils commençaient à avoir du succès. Que j’ai cessé d’écrire, dès que l’on m’a dit combien c’était important que je l’écrive. 

Nous en parlions. Il est une reconnaissance qui ne peut m’être adressée, et que je recueillerais pourtant comme une terre assoiffée la pluie. 

Je ne sais pas si j’arriverai à déjouer cela.

Il m’arrive à nouveau d’avoir des idées, de bonnes idées de travail. Elles se succèdent généreusement et  je n’arrive à en réaliser aucune. Tout se met dans mon chemin. Il ne s’agit pas là de procrastination ordinaire.

Ainsi, ces lettres que je n’arrive plus maintenant à finir, ni à envoyer. Je les oublie, je m’en détache, je les abandonne. Ces lettres à vous.

Peut-être que je dois trouver le moyen de travailler sans en avoir eu l’idée auparavant. Dans la seule nécessité ou urgence. Peut-être que je dois trouver un travail qui puisse se situer en dehors de la valeur. Qui soit d’un lien au réel sûr, sans équivoque.

Me dire que je n’écris que pour survivre. Que pour échapper au pire. Rien d’autre. Prise en compte d’aucun idéal. Juste ça : la menace de la maladie devenant trop grande, alors écrire. Le réel de la maladie. Ne tenir qu’à ça.

Peut-être que ça s’écrirait même entre 2 rôles tout simplement, cet empêchement. Celui de mon père, celui de ma mère. Ou, ou. Entre les 2 : rien, moi. Et dès que je suis dans le rôle du père, du créateur, la jouissance de ma mère me rappelle à l’ordre. 

Ainsi, dès que je veux faire une chose qui soit digne de mon idéal, je suis envahie par tout ce qu’il y a faire du point de vue du ménage. Le ménage me sauve de ce que j’attends de moi, de ce que je veux faire. Que je sacrifie alors tout en m’en faisant l’amer reproche. Et là, la colère et la haine de moi-même me rejoignent.

Je peux, dans certaines circonstances, combattre cette colère. 

C’est ce que j’ai fait ces vacances. 

C’est le fruit d’une longue expérience. 

Il s’agit, aussi, de restituer la dignité à l’indigne. Cela ne peut se passer qu’au niveau du réel. Il s’agit d’un dénudement. Ne garder que le geste, sa sensation corporelle, et la lumière entre des yeux presque clos.

Ça serait un pari possible. 

À la vaisselle, au ménage, à ma mère, restituer la dignité. Dignité de vivre tout aussi bien. 

Freud aura voulu sauver le Père, moi c’est la Mère que je ne lâche pas. 

Ce dont je vous ai parlé, Noël. Je ne suis pas arrivée à l’élucider. Je pensais que ça se ferait en séance. 

J’ai choisi pendant ces vacances d’accomplir Noël, plutôt que le travail. 

Et le souvenir me revenait des Noëls de l’enfance et de ce que j’y donnais. De la grande organisation de Noël à Poperinge, ville de ma mère, dans la maison de ma grand-mère. Je vous ai parlé de ma tante. De Titi. Tante Jo, Jozefa, Jefa. Qui à cette grande organisation présidait. J’adorais sa présence, sa façon de faire. Comment elle transformait tout ça en événement auquel chacun était amené à participer. Elle n’avait aucun problème pour se faire aider. Tellement pas comme ma mère. Qui faisait tout, qui ne demandait rien. C’est là, que j’ai reçu un peu de vie, par cette tante qui me demandait des choses en riant, qui tournait tout en organisation joyeuse, festive. Qui m’incluait. Pour Noël, nous travaillions ensemble, elle et moi, plusieurs jours entiers. Des jours pour moi de grande douceur, d’existence. Où nous fumions nous parlions nous fumions nous parlions nous faisions les courses à  bicyclette allions voir la rebouteuse de la ville le curé décorions la cathédrale. Nous parlions, nous rions.

Ici, F demande peu. Voire rien. Et J lui ressemble assez là-dessus.

Il y a beaucoup de silence. 

Chacun dans son ordinateur ou son téléphone ou son jeu vidéo. 

On s’écrit dans WhatsApp. 

Alors, J et moi, on a fait Noël ensemble. 

Il a voulu cuisiner seul, mais il m’a appelée pour que je l’aide et nous avons travaillé ensemble, côte à côte, tranquillement. Pareil pour le grand ménage. 

De son côté, il m’a quelquefois accompagnée dans les courses cadeaux, m’a aidée à choisir. 

Lui, ce qu’il voulait offrir, c’était ça, le repas, le dessert, et le grand ménage du salon. 

Ce qu’il a préparé était très bon. 

Je voulais vous le dire.

Il faut maintenant que je le libère d’avoir à prévenir mes angoisses. Mais, peut-être aussi que les choses se sont montrées, révélées, modifiées, expliquées au fur et à mesure des années. Car c’est d’années qu’il s’agit. Et qu’il apprenne à cuisiner un peu n’est pas une mauvaise chose. Ou de prendre un peu la poussière.

C’est à moi, de me libérer de mes angoisses.

Je vous ai dit que l’angoisse avait tenu à ce que pour moi, la magie de Noël ne pouvait par moi être reproduite, retrouvée. Et que je ne parviendrais pas à donner quoi que ce soit qui soit à la hauteur de ce qui voulait se donner, de ce que je voulais donner, aux autres. Cette année, l’angoisse est en grande partie tombée. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne se soit pas tous donné du mal. 

Je suis parvenue à donner autre chose que rien, les cadeaux, et j’ai dit à F, affirmé l’importance pour moi de ce moment, dit qu’il s’agissait pour moi de la manifestation, même inadéquate, de quelque chose d’inexprimable. Que Noël permettait d’exprimer de façon symbolique et légère. Dans le semblant, le brillant, la répétition, la reprise, la convention, la fête. Le paquet cadeau. Pas loin du potlach. 

Comment j’ai pourtant craqué avec F.

Est-ce qu’il fallait faire rater ce qui avait réussi?

Ce soir du 25 où j’ai voulu lui faire la lecture. 

Et où il m’a répondu : Je fais du Japonais. 

Je me suis mise à le haïr, quand il m’a dit ça, F.

Et quand je vous l’air raconté hier, voulant dire son nom, à lui, Frédéric, voulant dire ma colère contre lui, j’ai dit Fr…éronique.

J’ai voulu dire Frédéric, et c’est mon prénom qui est sorti. 

« Freud dit que dans la mélancolie, le moi est séparé en deux parties, dont l’une vocifère contre l’autre. Cette deuxième partie est celle qui a été altérée par l’introjection, et qui contient l’objet perdu. La partie qui se comporte cruellement renferme aussi la conscience , une instance critique dans le moi. »

C’est comme si, j’avais voulu faire un pas plus loin dans ce qui est l’amour pour moi, du côté de l’Idéal du moi, et qu’en un coup, j’étais rattrapée par tout ce qui n’en veut pas, de l’idéal, et que F incarne assez bien. F fait ce qui lui plaît.

C’est comme si… ma colère contre F, mes colères contre lui n’avaient jamais été que des colères contre moi.

Cela m’est tombé dessus. Je ne suis jamais fâchée que sur moi. Ce n’est jamais que la haine de moi qui s’exprime. Et c’est devenu comme si c’était plus la peine du tout de se fâcher sur lui. Que ça ne voulait plus rien dire. Que ce n’était jamais que le retour de cette étrange, étrangère haine de moi, étrange et intime, qui tout juste profite d’une occasion pour enfin se manifester à l’extérieur, pour enfin se montrer, s’exprimer, trouver ses mots et surtout déployer sa terrible hargne, s’exprimer physiquement, enfin se hurler.

D’apercevoir cela a comme défait ce lien de dédoublement à Frédéric, un étrange sentiment de la vanité de ça, de cette colère, m’est tombé dessus, pour ne plus me quitter.

Ça a été très douloureux et j’ai été rattrapée par les voix qui disent… Je ne sais pas trop ce qu’elles disent.. Ce qu’elles disent, ce qu’elles répètent, ce qu’elles scandent … « Tu t’es tuée, tu es morte, tue-toi, meurs, tu vas te tuer, et les coups que j’imagine fondre sur la tête… « 

Sinon, F vient juste de faire des manips sur mon ordi, qui a cessé de fonctionner, et tous les mails à P et de P ont disparu.

vendredi 17 septembre 2021 · 11h07

jeudi 16 sept. – rêve :: 2 + 1 chiens

…rêve du jeudi 16

j’ai deux chiens identiques, je les reçois. deux jeunes chiens noirs et maigres, au poil ras. ils courent dans tous les sens.
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j’ai un grand chien, plutôt grand et blanc, au poil long. je le promène, je fais des activités avec lui.
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à un moment, des laisses sont mises.
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je me souviens avec effroi des jeunes chiens noirs, oubliés, disparus. ils doivent être attachés quelque part. je les retrouve, debout, immobiles, côte à côte dans un  carton que j’ouvre, ils sont liés, j’ôte leur laisse, leurs liens, qui sont des sortes de bandages sur les yeux,  fermés, que je détache. ils gardent les yeux fermés, collés. c’est affreux en fait, ils sont dans un sale état. je suis très triste.
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le gros chien blanc est toujours là. ils sont trois chiens. je crois que j’ai le sentiment que je ne dois plus l’oublier.

associations…

quel chien?

#dependance
Il y avait eu la veille du rêve une pensée aux chiens et aux chats, à ce qui les sépare. J’avais pensé à cette sorte de malchance des chiens, à leur ultra-dépendance aux humains. J’avoue me trouver moi-même extrêmement dépendante….

#masochisme (et place vide du sujet)
Avant ça, peut-être y a-t-il eu cet extrait du livre d’Eric Laurent, L’envers de la biopolitique1, publié ici le 7 septembre, où il est question du fantasme du masochisme d’être traité comme une chose qui « à la limite, se marchande, se vend, se maltraite, est annulé dans toute espèce ce possibilité votive (au sens de vœu) de se saisir comme autonome. Il est traité comme un chien, dirons-nous, et non pas pas n’importe quel chien – un chien qu’on maltraite, et, précisément, comme un chien déjà maltraité.2 » Dans le Séminaire VI, ajoute Eric Laurent, Lacan élabore « le masochisme en tant qu’il est articulé à la place vide du sujet qui, réduit à un chien maltraité n’ayant rien à dire sur son sort, n’ayant plus droit à la parole – c’est la donnée essentielle – est voué à disparaître.« 

« La mélancolie, sacrifice suicide, s’identifie à cette mort du sujet qui se nomme dans le même temps où il s’éternise. »

Eric Laurent, Ornicar? 47, « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », p. 10.

le lien a-a’ de la relation imaginaire

Le lendemain du rêve, ce matin me réveillant, m’est venue cette idée pour une interprétation en 3 points:

  1. Etre partie de a – a’, l’identification imaginaire au double, au petit autre.
  2. Avoir rencontré le chien blanc, le grand chien blanc. Celui aussi du semblant. Je pense à Lacan.
  3. Et puis… me souvenir qu’ils sont là, qu’ils sont là aussi, les petits autres de l’identification, toujours.

Je ne vois pas trop bien ce qu’il y a de satisfaisant dans cette interprétation, mais je l’ai tout de suite trouvée grosse d’une signification que je n’aperçois pas encore.

A propos du lien a-a’, de la relation imaginaire au petit autre, je commencerai par évoquer une sorte de souvenir-écran où je me vois debout dans un bus, ou un tram, me tenant du bras droit à une barre en hauteur, très près de la fenêtre, soudainement rappelée à une phrase de Lacan dans le séminaire que je lis alors, l’un des premiers, le premier peut-être, où il élaborait le schéma L et où, citant une jeune femme qui le lui avait commenté, il répliquait, en substance, « la pauvre, elle ne sait pas encore… que sa vie ne fera jamais rien d’autre qu’osciller entre a et a' ». Cela m’aura marquée. Est-ce que c’est à cause de cette remarque que j’ai toujours eu l’impression de quelque chose d’obscur quand il était question de cette relation imaginaire, a-a’, au petit autre?

Concernant cette relation, dont j’ai récemment entrepris la traque après l’avoir copieusement ignorée, j’ai récemment été frappée par une lecture sur l’immixtion des sujets dans la psychose par L. Fainsilber, que j’avais d’ailleurs également republiée ici.

Tandis qu’après avoir fait ce rêve, je relisais hier l’article de Jean-Claude Encalado sur la mélancolie d’Althusser. J’y ai trouvé des choses très simples, très clairement articulées sur l’identification imaginaire dans la psychose qui m’ont frappée et qui certainement auront entraîné cette interprétation du rêve.

Jean-Claude Encalado décrit la relation imaginaire d’Althusser à son grand-père, à son ami Paul, à d’autres encore, des professeurs, et finalement à Hélène Rytmann. Il en parle comme de la relation qui vient suppléer au défaut phallique :

Avec le grand père : « Et pendant toutes ces activités qu’il accomplit avec son grand père, il se sent là dans un corps d’homme.« 
Avec l’ami Paul : « Il trouve en Paul un appui imaginaire : « Il a ce que je n’ai pas : le courage. » Il est costaud, il est courageux, et dans leur détresse, dans leur solitude, ils vont trouver refuge dans leur association.« 
Avec Monsieur Richard : « professeur de français, un pur esprit, un être détaché de la chair. « Je m’identifiai complètement à lui (tout y prêtait), j’imitai aussitôt son écriture, […] adoptai ses goûts, ses jugements, imitai même sa voix et ses inflexions tendres. […] Manière de régler mon rapport à un père absent en me donnant un père imaginaire. » Comme il le dit clairement, à la forclusion paternelle, répond une figure imaginaire : un professeur de lettres. »
Ce qui se passera avec Hélène Rytman est plus subtil. Elle deviendra sa femme. Il ira d’abord vers elle tout à l’élan de la sauver – elle est dans un état lamentable -, puis il passera par un moment d’angoisse extrême provoqué par leur premier rapport sexuel, qui le conduit en hôpital psychiatrique, à Sainte Anne, où il est soigné pour démence précoce et dont il n’est pas sûr de pouvoir jamais sortir. Hélène le sauvera, parvenant à introduire un autre médecin à l’hôpital qui infirme le diagnostic, qui parle parle de mélancolie grave plutôt que de démence, il pourra sortir de l’hôpital, non sans être passé par les électrochocs. L’hospitalisation aura duré plusieurs mois. Au sortir de là, il va vers la femme qui l’a sauvée, la femme au courage et à l’intelligence d’exception, qui dit-il, fait de lui un homme. Il peut la sauver (comme il faut qu’il sauve sa mère), mais elle aussi, le sauve. Quelques années plus tard, il la tuera… dans un moment d’égarement.

Je ne suis pas sûre que cela éclaire vraiment ce qu’il en est dans ce rêve. Pour moi, ces deux petits chiens noirs, bâtards, m’évoquent cette relation imaginaire.

Une autre chose m’avait frappée : ils sont l’un et l’autre atteints de maniaco-dépression, et c’est comme s’il s’agissait d’une tout autre maladie. Ce qu’Althusser décrit des terribles difficultés d’Hélène est certainement plus proche de ce que je connais que de ses épisodes hypomaniaques à lui.

Althusser, L'avenir dure longtemps suivi de les faits
…la terreur fantasmatique d’Hélène de n’être qu’une mauvaise mère, une mère affreuse, une mégère à faire du mal et mal, et avant tout à qui l’aimait ou voulait l’aimer. A la volonté impuissante d’aimer, ne répondait alors que le refus (désir) farouche, obstiné et violent de ne pas être aimée parce qu’elle ne le méritait pas, parce qu’au font elle n’était qu’un affreux petit animal plein de griffes et de sang, d’épines de fureur.

le chien blanc

Pour ce qui est du chien blanc, ce chien unique, qui a toutes les qualités inverses de celles des deux chiens : il est Un, il est blanc, il est grand, il a le poil long (un peu chien de berger, quand les deux autres sont de très jolis petits bâtards noirs)…. Pourquoi me fait-il penser à Lacan ? Je parlais hier de ce que ça avait été pour moi, d’avoir pu croire en Lacan. Pendant des années, je me suis suis bâtie sur sa lecture, je me suis formée à son enseignement, il m’a apporté des choses que je n’ai trouvées nulle part ailleurs. Il est véritablement le seul qui ait donné du sens à ce qui jusque là n’en avait aucun, et qui m’ait apporté l’envie de savoir, de découvrir. Le goût de Lacan pour le réel, les instruments qu’il offre pour l’aborder… C’est un virus dont on ne veut pas être guéri… Tout dans son enseignement est ouvert au plus mystérieux, au plus étrange, au plus extime… Si j’ai appris à m’aimer, si je ne suis pas confondue de haine pour moi-même comme ce que je lisais sous la plume d’Althusser parlant de sa femme, c’est par lui, c’est grâce à lui… Même m’étant durant toutes ces années, plus de vingt, trompée quant à mon diagnostic: ce qui ne trompe pas c’est la jouissance, la jouissance dans son acception lacanienne, c’est d’elle j’apprenais quelque chose.

Cet amour Un pour Lacan, sans faille, dont j’ai cru qu’il finirait par m’apporter métier et communauté, ce qui n’a nullement été le cas, que je deviendrais analyste, que je travaillerais au sein de l’Ecole de la Cause freudienne, cet amour a fait de moi une névrosée modèle pendant des années. C’est le discours même de Lacan, son goût du réel, qui a suppléé au dit défaut phallique. La démarche analytique conduit à toujours chercher à traquer le réel, en développe le goût, la volonté. Et ce goût, ce respect même je dirais du réel, respect je crois natif chez moi, amplifié certainement par la jouissance intellectuelle qu’il y a à le traquer, à le débusquer, à toujours vouloir aller vers ce qui vous dépasse, ce dont on se sent à la fois le plus séparé et le plus proche, permet au moins de pointer certaines subtilités de la vie, dont in fine aucune loi déjà écrite ne répond. C’est un défi.

[ ici parler du rêve du N, du sang N, et du semblant + lien]

Il n’y a pas de relation entre l’amour de moi-même et la haine de moi-même. Ce n’est que récemment, avec le diagnostic, que j’ai pu commencer à composer avec quelque chose que je pourrais appeler haine, haine de soi. Que je ressens parfois comme une force venant du dedans, venant de moi, mais toujours totalement inconnue, absolument étrangère. M’agissant de l’intérieur. Je l’ai reconnue comme réelle. Un réel auquel je peux, de façon même fabriquée, opposer l’amour, l’amour de moi-même. Il se trouve qu’une bonne part de cet amour s’est vu augmenté au travers de la figure de Lacan, de l’action lacanienne, de la démarche analytique, qui conduit à accorder de la valeur au moindre déchet. De la valeur au déchet même.

Enfin, tout ceci est extrêmement difficile à écrire et très mal écrit.

Toute la maladie n’est pas la haine de soi. La haine de soi c’est le chien des enfers. Si je l’ai peu dite en analyse, si elle a manqué à apparaître, si elle ne s’est exprimée que dans une haine adressée à autrui (ce que j’ai tenté de cerner avec mon histoire d’immixtion des sujets), c’est que je savais ce qu’elle comporte de jouissance et que je me gardais d’en faire étalage. Cette jouissance, je ne voulais pas qu’elle soit repérée en tant que telle par un analyste. Elle s’est manifestée autrement. (C’est une chose, je me dis parfois, qu’on devrait apprendre à l’école, la part qu’on prend à son propre malheur, ça n’est plus très à la mode, et ça l’a parfois été trop, je me suis certes accusée de trop de torts, mais enfin, se défier davantage de soi ne ferait de tort à personne.) Je disais donc : la haine où je suis de moi, je suis arrivée à la faire payer cher aux autres, aux autres aussi (Freud le dit très bien), mais elle n’est pas tout. Mais, je ne sais plus ce que je voulais dire.

Alors, est-ce que tout ça nous mène loin du rêve aux chiens, du rêve aux 3 chiens. Dans ce rêve, ce qui compte, c’est l’oubli des petits chiens. Et l’état lamentable dans lequel je les retrouve, enfermés dans des cartons, les yeux tout collés. Ils sont un peu comme des chiens empaillés, mais toujours en vie. Ils ont cette sorte de raideur de certain jouet que j’aurais eu, de chien noir, petit chien noir à bascule : exactement, les voilà, le voilà. C’est un jouet qui ne m’a pas appartenu, mais qui se trouvait au château d’A, et qui avait bien pour moi quelque chose de dégoutant, tant il était réaliste (peut-on s’asseoir sur un chien empaillé, ce qu’il n’était pas, pas vraiment).

Je ne sais ce qui dans les jours précédents m’a conduite à repenser à ce qu’a été Lacan pour moi. Quel père il a été.

Enfin, il faudra que j’y revienne… Il reste quand même quelques choses possibles à en dire.


  1. Cela fait quelques temps que je tente d’éclaircir pour moi la part d’énigme du texte d’Eric Laurent sur la mélancolie où il situe ce qui se joue pour le mélancolique au moment du Fort/Da, lequel depuis oriente certaines de mes recherches et m’a amenée à retrouver et à publier ici une page de son Envers de la biopolitique, où il est question du fantasme masochiste d’être traité comme un chien. Eric Laurent écrit : « La mélancolie, sacrifice suicide, s’identifie à cette mort du sujet qui se nomme dans le même temps où il s’éternise. »
    Eric Laurent, Ornicar? 47, « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », p. 10.
     . ↩︎
  2. Lacan J, Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, p. 152-153. ↩︎
lundi 14 novembre 2022 · 19h33

une force

il y a en moi une force qui me pousse à ne pas faire ce que je dois, et qui a dominé toute me vie, à ne pas faire ce que je dois et à me haïr. à me haïr et à me supprimer.
(tentative d’articulation : je ne fais pas ce que je dois pour pouvoir me haïr)
c’est la force la plus insidieuse qui soit, la plus dissimulée.
je ne pense pas qu’elle s’exerce chez les autres de la même façon, ni qu’elle se soit exercée également en moi tout au long de ma vie. elle m’a cependant toujours rattrapée.
je pense que je peux exprimer ceci à l’âge que j’ai, à 59 ans (je pense que cette force-même s’y oppose, et que je suis en cette période en position de force vis-à-vis d’elle. )
tout au long de ma vie, je me serai battue pour mettre en place des stratagèmes divers et variés pour la contrer.
ces stratagèmes n’obéissent à rien de connu (de l’ordre de l’ordre, de la morale ou de la discipline). me semble-t-il. (en fait, je ne sais pas grand chose d’eux, je constate que je suis actuellement arrivée à une forme d’équilibre, de balance.)
quand sa menace se fait trop forte, souvent, me semble-t-il, j’écris. en dernier recours. car écrire entraîne une satisfaction de moi-même que je ne peux pas longtemps maintenir. que mon besoin de haine de moi vient rapidement contrecarrer.
(tout cela aujourd’hui, je le connais. j’écris, je ne pourrai pas écrire longtemps, il va falloir que j’oublie, que j’arrête, je ne vais pas rester dans ce confort, d’être celle qui écrit, je dois juste attendre le moment où,je pourrai y retourner. il n’y a là derrière rien d’autre que cette force d’inertie qui… ne veut pas que je puisse m’identifier à quoi que ce soit. c’est pourquoi aujourd’hui, il est temps que j’arrive à tracer les contours, même en creux, d’une identification, de ce que j’appelle une identification, c »est-à-dire quelque chose de l’ordre d’une forme, même en creux, car, à force de me fréquenter, je peux dire que je le sens finalement : il y en a une, de forme, identifiable.)
je voudrais aussi pouvoir l’écrire d’une écriture qui apprenne à faire place à la légèreté, je tiens à dédramatiser ce qui a pourtant toutes les allures d’un drame.
l’écriture n’est pas le seul stratagème, il y en a d’autres.
ce dont je parle, cette force de la haine de soi, de la haine de moi, des haïsseurs de soi, il m’est arrivé de l’attribuer à une maladie, celle répondant au doux nom de mélancolie.
ce nom est-il nécessaire, cette classification?
ce diagnostic.
ce diagnostic m’a emmenée à pouvoir écrire ce que j’écris ici. il n’a pas expliqué. il ne m’a pas expliqué.
par sa prise en compte d’une mortelle haine de soi, faisant partie de son pathologie, qu’il tirait enfin  dans la lumière.

//

maintenant, maintenant, ce matin  sept heures, assise dans le canapé dans la maison endormie, je vais dire des choses étranges. la force derrière cette haine de soi, l’intelligence à l’œuvre, la forme d’intelligence à l’œuvre, qui n’est rien de connu, seulement éprouvé, subi, a quelque chose à voir avec la santé, la santé physique. et l’alimentation. là, commence le délire, j’entends les commentaires. c’est de l’ordre de la conviction, de la certitude. signature de plus du délire. et pourtant.
j’écris ici, rompue, couchée sur le dos, cassée. bien plus cassée physiquement que mentalement.
et convaincue que c’est par l’alimentation que je pourrai me soigner. et l’exercice.
(dos cassé, calculs aux reins, ostéoporose, arthrose, etc.)
//–
or,
il n’y a pas toujours eu la maladie. physique. mentale, toujours.
il faut donc que je tienne compte de ça. la maladie physique est récente, liée à la d’échéance de l’âge.
longtemps le corps a été plus fort (que les excès).
n’a pas eu sa part dans le débat, s’est tu.
et si c’était maintenant qu’il déchoit, qu’il s’entend, se fait entendre, maintenant qu’il arrive à capter l’attention, qu’il est entendu, répondu.
que ce soit au moment où ses forces déclinent, qu’elles ne sont plus prises comme allant de soi, qu’elles se mettent à exister. ce qu’il en reste. qu’elles ne sont plus « naturelles », négligeables. la force silencieuse à l’œuvre jusque là.
et que ce soit en commençant à faire attention, que j’ai commencé à rentrer dans une forme de dialogue avec mon corps, que j’ai commencé à le soigner, à me soigner.
//–
faux.
il y a toujours eu mon corps. sa manifestation. son écoute. ses perturbations. moins dans la maladie que dans l’angoisse. sa manifestation dans l’angoisse.
la maladie physique a peut-être servi à mettre des mots, à établir des lois, à détecter des causes et des effets, avec l’effet d’apaisement connu.
d’apaisement de l’angoisse.
//–
alors, mauvaise piste ?
il y a eu le corps haï.
il y a tellement eu le corps haï.
Je l’oubliais.
Je me suis haïe (et adorée) d’abord par le corps.
la mauvaise image, l’outre.
ainsi fut ma jeunesse.
l’outre pleine. l’outre débordante. l’outre à viscéralement haïr. du dedans.
et son image. jamais la bonne, insaisissable. manquante, absente. en moi provoquant l’effroi.
j’écrivais : adorée. y eût-il l’adoration? c’est lacan qui dit ça (l’homme adore parce qu’il croit qu’il l’a).
l’incompréhensible, c’est qu’il y a eu ce sentiment, cette conscience d’être belle. et son contraire. il y a eu ce sentiment de triomphe. étrange, non. oui, de triomphe. de grandeur. de joie, de confort, physique. en particulier, lorsque je marchais dans la rue. de conquête.
(cela arrivait dans les moments de nécessité, où je n’avais pu échapper à une obligation sociale et où il fallait ça pour me faire sortir de chez moi, le rendre possible. je n’en fais pas l’aveu sans honte. mais, sans avoir atteint cet état-là de confiance physique en moi, je ne serais pas sortie. tous les jours il n’en allait pas comme ça. je ne parle pas des sorties usuelles pour l’école ou le boulot. des occasions, je parle. les grandes. est-ce que je dis la vérité? jusqu’à un certain point oui, parce que je me souviens l’avoir déjà analysé, écrit, à un moment où ce sentiment pouvait encore exister. je me souviens de ma grande complicité avec mes jambes, entente, jouissance, joie. et celle de ma taille élevée qu’élevaient encore des talons hauts. mais pour affronter du monde, il fallait ça. aucune simplicité possible. du grand apprêt, harnachement. et alors, flotter.)
//–
c’est que longtemps je n’ai eu de présence au monde possible que par la séduction. d’autre présence, intelligence, vie.
//–
quand la séduction m’a quittée
il a fallu tout réinventer
j’ai dû apprendre à compter sur moi par où je n’avais jamais compté
soulagement à la fois que mort
or quelque chose de la haine de soi s’accomplissait et n’était plus à accomplir en corps.
probablement je suis encore moins sortie dans le monde
tout en le trouvant plus facile
car : invisible, devenue.
//
enfin donc, corps: première matière de la haine de soi.
et aujourd’hui : première matière de la connaissance de soi, de la guérison de soi.
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j’ajoute: il y a eu (à l’aube de la fin du monde, du corps) la pratique du tai chi, la rencontre d’un corps qui ne doive pas se réduire à l’image, qui prenait consistance, corps, vie, via une pratique physique et la connaissance intime de trajets, de circuits que la médecine chinoise y inscrit/lit. une connaissance du dedans, un dessin interne, neutre, de seule circulation, flux, jouissance. une nouvelle géographie, une nouvelle cartographie.
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beaucoup est dit.

retour à la haine de soi.
qui a peut être toujours à voir avec le devoir et le faire.
qui maintient dans le devoir et l’impossible faire (l’impossibilité du fer).
Ça ne sonne pas bien.
ce n’est donc probablement pas juste.
Je vais donc en rester là pour aujourd’hui.

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