( préalable: on a été invité.e.s. j’espère qu’on répondra oui. bien sûr, j’y suis pour quelque chose, dans cette réponse. je puis y être pour quelque chose. or je ne sais ce qui de moi n’ira pas dans le sens de cette invitation, voire travaillera contre.)
ces derniers temps, je contemple ça, je suis fascinée par ça, j’interroge muettement ça, comment je suis seule et comment je suis seule depuis longtemps et sans que je m’en sois même nécessairement rendu compte.
comment ça a commencé, je me suis dit, comment ça s’est fait. comment une petite fille jolie, gentille, qui réussit bien à l’école, ne se fait pas vraiment d’ami, surtout n’appartient à aucun groupe d’ami.e.s, grandit, et reste dans ce constat : pas d’ami, ou même, de moins en moins. quand il y en a, c’est l’une ou l’autre meilleure amie. qui disparaissent. changement d’école. changement de boulot. changement de pays. dispute stupide, incompréhensible. alors, la cause ?
timidité. alors d’accord, mettons ça sur le dos de la timidité. testons ça un instant.
ce serait quoi cette timidité. un autre nom de la maladie ? un mot trop vite mis sur certain comportement, qui empêche de voir ce qu’il en est.
elle est timide. je suis timide. combien au monde sommes-nous à être timides?
comment as-tu été timide, chérie, raconte.
ça commence peut-être à cette idée de ne pas te sentir bien dans les groupes, de ne supporter de relations que duelles. un à un. et dès que 2 + un, en fait, ça va plus trop. tu n’aimes pas les groupes. tu n’appartiens à aucun club, de sport ou de loisir, à moins que tu ne sois accompagnée/protégée par une meilleure ami ou un ami/petit ami/amant protecteur. ton double ou plutôt ta doublure. (tant et si bien que) tu ne poursuis pas tes études. tu ne poursuis pas tes études. tu t’enfermes dans des invitations déclinées, des évitements. tu fuis ces situations où tu n’arrives pas à faire face. ces situations où tu ne parviens pas à répondre de ce que tu fais, où tu as honte de ce que tu es, de ce que tu n’es pas, où tu n’as soudainement plus rien à dire. où une chape de silence fond sur toi. où tu ne peux absolument pas être au même titre que les autres. où ta différence est malêtre de tous les instants. où ta seule issue, ça aura été la séduction, non pas celle que tu agis, mais celle que tu constates agir sur les autres, sur certains autres, celle que tu connais depuis longtemps, celle qui te donne une identité, celle de femme, plutôt que rien, où ça te dit femme, elle seule qui te soutient, devient dès lors impérative, pas d’autre être (para être). ce qui te met tout à fait à la merci du regard (de l’autre : tu es vue femme).
tu t’isoles.
cet isolement passe relativement inaperçu. tu as du travail (le même travail que ta mère). tu as toujours l’une ou l’autre amie que tu vois de temps en temps. qui de temps en temps te convoques, pardon, t’invites. souvent, ce sera un homme plutôt, presque toujours un homme que tu accompagnes, à l’ombre de qui tu choisis de marcher, où tu t’abrites. tu t’en sors à être la femme de, comme beaucoup plus tard tu t’en sortiras à être la mère de. tu iras t’abriter là.
tu auras beau avoir été informée du féminisme.
et qu’y a-t-il encore qui tienne la main de la timidité et de son rien à dire : le rien à mettre.
de tout temps le rien à mettre tient la main du rien à dire, se cache derrière ses jupes, ses longues jupes.
le rien à dire a des jupes: nul doute à cela.
*
mais qu’est-ce qu’il y a dans le groupe qui.
ce n’est pas tant le groupe que toi, fille.
pas tant le groupe que toi incomplète, faite à demi.
pas une sans l’autre, pas une sans autre.
ta dépendance accroît la haine où tu es de toi. tu lis les livres de psychanalyse, tu te forces, tu t’efforces, tu tends vers ça : sortir de l’aliénation, opérer la séparation. à quoi tu t’acharnes. d’une façon qui te bouffe
*
en as-tu souffert plus qu’aujourd’hui? tu t’y es faite. tu as eu à faire face à de tels monstres, aujourd’hui assagis, voire disparus, que tu regardes maintenant les choses depuis cet angle, jusque là délaissé, de ton isolement. de ton être à demi. tu n’es qu’à moitié. que tu regardes en arrière.
depuis qu’on a donné un nouveau nom à ta maladie, tu regardes partout, tu regardes autour, tu regardes en arrière, bientôt tu regarderas en avant et toutes les questions te paraissent posées différemment.
avoir été seule, avoir été timide, de toujours, aurait été déjà un symptôme de la maladie. toi, tu pensais jusque là que c’était un symptôme de femme, l’a.moitié. eh bien pas tout à fait, il semblerait. la frontière est trouble.
donc, tu voudrais en savoir plus sur la maladie, tu as envie de ce qui se sait de la maladie, dans les livres, déjà, et tu as envie de ce que tu pourrais en dire de plus, de ce que tu pourrais y ajouter. ça te motive. dire quelque chose de la maladie, dire de toi. à la fois tu voudrais dire la grandeur de la maladie, à la fois tu voudrais n’en plus pâtir ni faire pâtir les autres. tu voudrais faire aimer la maladie. la maladie plus que toi-même. et tu veux la nouer à ton être de femme, auquel tu as toujours tenu. haï tenu. qu’il faut maintenant, vu l’âge, maintenir en vie hors la séduction, la séduction perdue et sans pleurer dessus. il faut lui donner mot, prendre voix.
que sont ces riens à dire, riens à mettre de ton isolement,quels sont ces facteurs de la maladie. que tu n’ignorais pas, ces riens, tu les savais au cœur de ton fonctionnement, de tes dysfonctionnements, sans arriver à t’en soustraire, à en tirer ton épingle du jeu.
du rien, tu voyais le lien à la mystique, à la jouissance, sans trouver le moyen de l’approfondir –
pourtant tu seras bientôt seule avec le rien. année après année, tu le vois faire le vide autour de toi, sans que tu y puisses rien, manigancer, motus sur ces secrètes fins : bientôt il n y a plus rien entre le rien et toi, rien qui vous sépare, on pourrait presque vous confondre, n’était-ce peut-être chez toi le désir perpétué, rené, d’analyse, d’écriture de ce rien.
tu n’as plus de travail, plus d’astreinte, plus aucune contrainte, l’angoisse et celle liée à la vie de ta petite famille, s’en sont atténuées largement, tu as recommencé à dormir. une forme d’équilibre est atteint.
tu te sais mue par l’amour du réel.
le réel du symptôme.
et tu entrevois qu’il ne s’éteindra pas, que sa source ne s’épuisera pas, que tu trouveras à t’y abreuver sans fin. il y aura toujours quelque chose à écrire.
tu penses que tu es privilégiée. tu penses que tu as fait de ta condamnation un privilège. tu sais que c’est une question de vie ou de mort. qu’il y a d’autres questions. comme celle du temps, que l’on n’arrête pas. mais que celle-là, quoi qu’il en soit, tu ne peux pas y renoncer. ce sera toujours dans la balance. ça n’est pas nécessairement confortable. c’est un choix que tu dis malgré toi. que tu n’as pas élucidé. dont la maladie est un nom. tu as avancé jusque là entre les murs formés des vagues relevées de l’ angoisse, toujours prêtes à t’engloutir. avancé dans la mer morte.
du rien, tu voyais le lien à la mort, au suicide, à l’échec, au ratage, à l’anonymat obligés. du rien tu craignais les ravages sur ton fils.
du rien, tu voyais l’oubli perpétuellement avançant, grignotant, la perte inéluctable de la langue, de la raison.
tu as considéré les mots qu’il te restait, et l’estime où tu tiens ce qui avance ne s’ignorant pas seulement mu par la jouissance du parler en dépit du moindre sens.
du rien tu as vu les bouchées qu’il fait de la vie des uns, de la vie des autres. et du peu de poids qu’il accorde jamais à l’opinion où il n’en pèse d’ailleurs aucun, sinon celui-ci : par l’opinion tu trahis ton intelligence, non pas celle de l’Autre, celle de l’Un qui ne s’y laissera pas réduire. aucune opinion ne détermine, ne résout une identité, toutes te mèneront à te trahir, à trahir le flot, le non-identifié. je me dis alors : parle pour toi, c’est bien assez.
du rien donc, et ça en sera assez pour aujourd’hui, il te reste à trouver le moyen d’entrer dans la grande joie, et si ce n’est pas la grande porte, ce sera par la petite, l’étroite, et trouveras à l’enseigner de sorte qu’à ceux dont il est comme à toi le mot de damnation, tu
… rien
est-ce que j’ai seulement dit quelque chose?
* *
Paris, 28 juillet 2021 / 28 juillet 2025





le rapport imaginaire (a-a’ du rêve des 2 + 1 chiens). je me sens bien surtout dans un rapport à 2. c’est peut-être pour ça que je repensais à Annick cette nuit. les liens que j’ai créés avec certaines femmes. les meilleures amies. certains hommes aussi. les amours. mon lien aux autres est toujours passé par une seule personne, une personne à la fois. je pourrais dire (reprenant l’erreur de la phrase précédente) : mon lien aux autres passe par un double (qui me représente). Frédéric aujourd’hui. dans le monde pas-sans-l’autre est ma formule.