jeudi 13 mai 2021 · 12h01

à Hélène Parker – vouloir l’aveu

il est maintenant 07h07 (vous le voyez comment j’avance vers vous « couchée sur le temps »…) je vous envoie une  des lettres non-envoyées dont je vous parlais hier, que j’ai pris le temps de relire et compléter encore ce matin :


paris, lundi 10 mai, 6 heures

très bien dormi, enfin.
relu hier catherine dont-j’oublie-le-nom, relu Extases intérieures. mais, c’est pas ça, le titre; catherine millot, le nom. le titre reviendra peut-être aussi.
le jour s’est levé. les lampadaires de la rue viennent de s’éteindre. la lumière s’appartient à nouveau.

je ne vais pas bien, depuis quelques jours, difficile(1). mais hier, repris huile de CBD et au réveil cette formidable sensation de chaleur, de confort, de grande lucidité.

je ne pense pas du tout que j’arriverai à noter ici ce qui m’est alors apparu.

l’embarras dans lequel je suis face aux tâches ménagères. dès que je les prends en charge, l’impression d’enfiler la peau de ma mère. tout dans cet appartement demande à ce que je prenne cette peau. à ce que je ne fasse plus que ça, du ménage.
hélas, je ne pense pas pouvoir rapporter rien de plus de mes clartés matinales.

tentative : 
de l’impossibilité de marcher dans les pas de mon père, de sortir du sillon de ma mère : pas très convaincant.
au hasard : 
du besoin impérieux d’agir en cachette, en secret. et de l’insupportable de n’avoir pas d’espace à moi, de temps à moi.

il y eut ce problème hier. tout d’un coup sentie hors de moi, expulsée.

cela fait si longtemps que je suis tentée de me remettre au travail, de me remettre à un travail, et que je n’en trouve pas les moyens : ni la place (où dans l’appartement, à quel bureau, à quel ordinateur ; au café, à la bibliothèque), ni le support (papier, téléphone, ordinateur portable, ordinateur de table ; fichier Word ou blog, blog secret ou blog ancien que je reprends.  compiler ma correspondance, reprendre les anciens textes, repartir à zéro, quelle voie pour la fiction, cela s’atteint comment ?), ni le nom (écrire en mon nom ? impossible ; en quel nom alors ? )

donc, s’agissant de travail auquel je ne me mets pas, je voulais retrouver un passage de ce livre qui n’est pas Extases intérieures de Catherine qui Millot, qui est Abîmes ordinaires me dit internet, je voulais le retrouver, le recopier, à défaut de trouver quoi en faire d’autre, le minimum donc, désireuse que je suis de ne pas laisser cette lecture sans conséquence dans ma vie. alors, ce petit travail de copiste.

à cette fin, et non sans anxiété, je m’installai à la table de la salle à manger. j’allais aussi tenter de combattre cette façon qui est la mienne de dériver, de me laisser aller sans but, incapable que de tenir le gouvernail du plus petit désir, de la moindre intention, je prenais une décision, minime certes, et sortais de mes trajets habituels pour me donner la chance de l’exécuter.

donc anxiété à propos du texte de CM, à propos de ce que j’en ferais, et anxiété parce que je prends une place dans l’appartement pour travailler, au vu est au su de tous, parce que je m’installe ainsi que je le faisais autrefois, il y a 20 ans, à une table, avec un ordinateur et des livres. je vivais alors seule.

vers quinze heures donc à la table de la salle à manger, 

or. déjà écrire ceci est compliqué, demande un travail de mémoire, demande d’aller contre ce qui cherche à se faire oublier, ce qui déjà s’enterre. ce dont je veux parler ici, qui s’est passé hier, je l’ai déjà oublié. j’avance, même s’il n’y parait pas, en aveugle. et le sol, me semble-t-il, les mots, ne cessent de se dérober sous moi. littéralement. je ne sais plus ce qui provoqua la colère d’hier.

en attente d’un nom. quel nom me fait trou au cœur. quel nom me manque. que fais-je en cette absence. quel nom puis-je endosser, en quel nom écrire? comment rapprocher ce que j’écris de ma personne, de mon nom (impossible).  cela qui n’est possible que dans une lettre (au bas de laquelle j’écris mon nom).

(ce pourquoi j’écris beaucoup de lettres. ce pourquoi je suis tentée d’écrire beaucoup de lettres. est-ce pourquoi elles sont si souvent d’amour sont si souvent d’adieu. elles seules, le lieu de désir, de l’amour, de mort, etc. )

je me dis que je dois retourner à tenter de penser la lâcheté de ça : je n’assume pas ce que je suis, pense. je me dis ça, ces jours-ci. pourquoi ne pas plutôt penser en terme de lâcheté, en termes de lâcheté morale… plutôt que de psychose, de mélancolie ou de Dieu sait quel « rejet de l’inconscient »(2) :

« Il nous faut distinguer, à partir de Télévisionentre la clinique de la lâcheté morale et celle du rejet de l’inconscient. Il s’agit dans le premier cas d’un sujet défini à partir de la structure du langage, la clef en est le désir. Dans le second cas, le rejet de l’inconscient nous renvoie à un autre registre, celui où la  jouissance mortifère se noue à la naissance du symbole. »
Éric Laurent, « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », Ornicar?47

et c’est là qu’il m’est apparu que je n’aurai jamais rien d’autre à écrire qui ne soit au bord de l’aveu.

(qu’il y s’agit moins de lâcheté morale que d’un vouloir de rachat moral. qui écarte tout le reste?)

toujours au bord de l’aveu. quoi que j’écrive, de cet ordre-là. ce grand désir toujours, qu’on en vienne là, aux faits, à la faute. le souvenir remonté de dostoïevski. l’enthousiasme de ma mère pour dostoïevski, ses grandes scènes d’aveux. je  veux l’aveu. faut du crime, faut que ça saigne pour que ça signe, même faut que ça s’enseigne, le reste balayé, inexistant. comme s’il n’y aurait jamais rien d’autre à écrire : ma faute.  celle reprise à mon compte dont ma mère n’a eu de cesse de s’accuser.

(question stupide : s’agit-il de la sienne de faute que je fais mienne, ou s’agit-il de la même faute. s’agit-il de sa folie que je prends à mon compte, de la mienne que je lui attribue, ou sommes nous aussi folles de la même faute l’une que l’autre…)

il y a une faute qu’aucun nom n’assume. c’est d’elle que ce que je veux écrire voudrais prendre la charge.

aucun nom, seulement la chair. Chère Hélène, Chère Véronique,

n’est-ce pas plutôt de la nature de cette faute qu’il faut se rapprocher. de cet objet de l’écriture. dont j’avais cru lire une interprétation possible dans l’écrit d’Éric Laurent cité plus haut sur la mélancolie. la culpabilité endossée du meurtre de la chose par le symbolique. non, c’était plus dramatique encore que ça. il était question d’incarnation. ne s’agissait-il pas d’incarner ce qui restait du meurtre. ou ce meurtre même et ce qu’il tue.

ah. mais que faire de ces textes qui vous frappent, où il vous semble lire la résolution de l’énigme qui ne trouve d’ailleurs nulle part où s’écrire, qui se referment dès lors qu’on veut les approcher de plus près, n’offrent plus que leur opacité (en lieu et place de la limpidité un instant ressentie). 
à chaque relecture, je rentre en suspension, c’est à peine si j’ose encore bouger.  j’attends que la révélation entr’aperçue parachève ses effets, ma transformation, qu’elle s’énonce enfin en toutes lettres, me libère. or ça, en lieu et place de libération, c’est bien plutôt de culpabilité que je suis envahie. tant il me semble que je ne fais pas alors ce qu’il conviendrait, que je n’accomplis pas le travail exigé. que je n’étreins pas le texte, ne le tords, pour lui faire rendre son suc, ma vérité.

je fais mieux de reprendre le récit de ce qui s’est passé hier.

je veux donc m’installer à table, je m’apprête à m’asseoir, quand Frédéric met une musique dont rien ne peut faire que je ne m’en sente agressée. je ne peux rester dans la pièce.
nous sommes vraiment peu de choses.
je vais à la chambre, je  me couche, entends encore. ne sais ce que je fais alors, probablement décide de ne rien faire, d’attendre que cela passe. je ne veux pas laisser ma  colère s’amplifier. le sentiment d’être perdue. comme je ne peux plus, je ne veux plus me mettre en colère, « être fâchée sur » Frédéric, décontenancée, vidée, je décide de sortir, me promener.

il faisait beau, bon. ne faut-il en profiter? cela n’avait pas de sens. je suis allée au bois de Vincennes que je ne connais pas, où j’ai marché lentement. me semblant reconnaître le bois de la Cambre à Bruxelles. je suis allée au bois de Vincennes, où j’ai marché lentement, j’ai fait le tour du lac, fort long tour, tout m’a paru charmant, je prenais des photos, parfois. j’envoyais des messages à Frédéric et à Jules (pensant que je n’existais que là, par là, par ces petits messages que j’envoyais. mais c’était dans un vouloir les aimer aussi et n’être plus fâchée. ce plus sûr mode chez moi d’aimer, écrire. je t’écris, je t’aime. aurais-je pu n’avoir rien écrit ? ne leur avoir rien écrit? est-ce que ce serait cela, devenir seule ? cette nécessité de solitude à laquelle la lecture de CM m’a ramenée, qu’elle a fait scintiller à mes yeux.)

je n’existe que dans l’écriture-à, me suis-je dit. dans un écrire intransitif, pour reprendre une expression lue sans la comprendre chez  catherine millot :

(…) il me semblait parfois être la place en attente du jour, sans cesse remis au lendemain, où je me mettrais à écrire. Mais ne tombais-je pas dans un cercle puisqu’écrire, verbe intransitif dont la condition était une certaine vacance, avait pour vocation précisément de donner consistance au vide, en quelque sorte de l’engendrer.
Abîmes ordinaires, Catherine Millot, p. 56.

pourquoi a-t-il fallu que cette expression me frappe? c’est que mon écrire-à, mes lettres, ne supportent aucun vide. bien plutôt cherchent à le remplir, à l’habiter, le peupler. aussi, si dépendante que je me trouve depuis longtemps d’un autre auquel écrire, dans l’impossibilité où je suis de désincarner le lieu de mon adresse, de l’abstraire, de tracer moi-même – de dessiner, de fixer, de peindre -, par delà tout, la silhouette vide et désirable d’un autre inexistant, il me semblait convenir que j’arrive à transitiver l’écriture. je voudrais une écriture qui, comme l’angoisse, ne soit pas sans objet, et qui ne cesse de chercher à s’en rapprocher. encore, et encore.

au retour de ma petite promenade où j’avais marché 11620 pas, après avoir gentiment salué tout le monde, enfant et compagnon, je suis retournée dans la chambre et je l’ai finalement retrouvé le passage de Catherine Millot dans Abîmes ordinaires.

je lisais, accrochée à ses lèvres, au déroulé de son énonciation, consciente de ce que se disait là quelque chose de mon être même, dont je ne savais comment le rejoindre ni comment m’en différencier, puisqu’il fallait bien que je m’en différenciasse, n’ayant connu son (fabuleux) destin, à elle, CM (destin : écrivain / analyste). Le passage a-t-il répondu à mes attentes, correspondu à mon souvenir : oui. oui. oui et non. oui. et le sentiment de suspension et le moment sidération et le sentiment de tristesse.

(comment m’extraire moi, de là, de dessous tout son splendide fatras d’elle, Catherine Millot. comment écouter, retenir ce qu’elle dit, ne pas l’oublier déjà, et qui pourrait adoucir mon sort. que d’elle retenir qui me serve, dont je puisse faire usage. son insistance, sa persévérance. son obsession. l’extase, la solitude, l’écriture. elle qui d’un objet de damnation fait un objet de béatitude. )

à Frédéric qui passait dans la chambre, je lus à haute vois le passage, très mal, j’aurais espéré qu’il se passât quelque chose de supplémentaire, une petite jouissance supplémentaire, rien. à la fin, Frédéric s’empressa de déclarer : extraordinaire, tout à fait dans tes préoccupations, tu es dans de bonnes mains avec ce livre. dont je lui expliquai alors que j’en étais à une tentative de relecture, et qu’il n’y avait pour moi probablement rien de plus triste au monde que l’idée d’avoir terminé un livre, de l’oublier, de ne rien en faire

08:09, il fait maintenant tout à fait lumineux.

*

A cette lettre de mardi, j’ajoute encore, ce matin (06:06) jeudi :

il ne me semble pas que la solitude de Catherine Millot soit à ma portée. et cela reste encore à établir (la nature de mon irréductible dépendance à l’autre).

pourtant dans le silence même qui s’imposait à moi hier en séance, et l’impossibilité même où je me trouve d’écrire encore ces lettres, mes lettres-à, mes lettres intransitives, il y a peut-être ça, un aveu de suffisance. qu’il s’avoue que ça suffit. un aveu de jouissance. un aveu aussi de quelque chose de réussi et qu’une page doive se tourner : je l’ai fait je l’ai écrit je l’ai dit. il y a quelque chose que je dois pouvoir n’avoir pas à redire. c’est ce que j’entendais, hier en séance. un sentiment de déjà dit. avoir dit. et que cela suffise.

il y a ce vêtement de ma mère qui flotte sur moi. et il y a tout ce que j’en ai écrit, tout ce que j’en ai dit. cela s’ajoute. c’est un en plus. c’est ma part. c’est ce qui n’est pas elle. sur les traces de quoi vous m’avez mise, vous, Hélène Parker, lorsque vous me paraissiez vouloir souligner comment je n’étais pas elle. ce que je voulais dire aussi, c’est que j’ai entr’aperçu dans l’autre lettre écrite : il n’est pas attendu que j’en fasse plus, que je fasse tout. tout pour l’autre. je ne peux plus croire qu’Frédéric et Jules l’attendent. je ne peux plus les en accuser. seule, moi. à tout attendre. je suis celle qui est dans la tentation du sacrifice. me révolter contre eux, me permettait de faire limite, de limiter l’imitation (qui fut sans révolte, aucune, donnée totalement). or, je n’y arrive plus. (depuis ce lapsus en séance, je n’arrive plus, quel lapsus : celui où je voulus vous dire que j’étais « fâchée sur Frédéric », et où c’est mon propre prénom qui sortit : « fâchée sur Fré…ronique ». depuis, il ne m’est plus possible d’être fâchée sur lui, même si le réflexe m’en revient encore, dont je ne sais que faire.) j’ai donc, ainsi que je l’annonçais hier en arrivant, une nouvelle limite à trouver. 

car ce sacrifice sans nom auquel ma mère se pliait volontiers mais non sans angoisse, quand je tente par tous les moyens d’y échapper sans cesser d’y retomber, est un trou.

c’est vous qui parliez de trou dans le savoir. ce trou que j’ai appris à aimer. trou dans le savoir dont je cherche à faire état depuis des années. qui ne cesse de vouloir faire symptôme. ainsi mes oublis. les trous de mémoire avec lesquels il me faut composer. auxquels je ne voudrais pourtant pas renoncer.

je vais vous envoyer maintenant cette lettre et retourner me coucher. il y a une autre lettre, je crois, qui traîne encore.

Bonne journée, Hélène Parker,

Véronique M


(1) j’en accuse les cigarettes que j’ai fumées récemment. il n’y en aura pas eu plus de 3. pas plus de 3 cigarettes sur 4 ou 5 jours.
ça aura suffi pour : me faire pousser un bouton sur le nez, me donner mal aux dents aux oreilles à la gorge, m’empêcher de dormir (+ le reste).
j’ai tout de suite pris 1 anxiolytique (pour m’aider à supporter et dépasser l’envie de fumer à nouveau), et finalement des somnifères.

(2) Voir aussi : « Mais ce n’est pas un état d’âme, c’est simplement une faute morale, comme s’exprimait Dante, voire Spinoza : un péché, ce qui veut dire une lâcheté morale, qui ne se situe en dernier ressort que de la pensée, soit du devoir de bien dire ou de s’y retrouver dans l’inconscient, dans la structure. Et ce qui s’ensuit pour peu que cette lâcheté, d’être rejet de l’inconscient, aille à la psychose, c’est le retour dans le réel de ce qui est rejeté, du langage ; c’est l’excitation maniaque par quoi ce retour se fait mortel. À l’opposé de la tristesse, il y a le gay sçavoir lequel est, lui, une vertu. Une vertu n’absout personne du péché, originel comme chacun sait. »
J. Lacan, « Télévision », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 526.

jeudi 2 septembre 2021 · 07h31

Paris, jeudi 2 septembre – F devient fou

chère,

m’endormant, je m’étais dit que : j’avais du sentiment pour vous.

le rêve de cette nuit – Frédéric devient fou
c’est la nuit. nous sommes F et moi dans la même chambre, pas dans le même lit. une chambre qui m’évoque quelque chose de celle de ma cousine Sylvie, dans l’enfance. nous dormons mal. il se réveille souvent. il me parle. il me propose une cigarette. il sort de la chambre. le couloir éclairé où il va est bien celui de l’appartement de ma tante Rose. il revient. s’approche de mon lit, est au pied de mon lit. me parle. c’est là que j’ai oublié : je crois que je peux dire qu’il est agressif, d’une façon telle que je pense qu’il est « devenu fou ». il y a autre chose, de plus précis, flagrant, mais je ne m’en souviens pas, ça vient de m’échapper (un triangle, une pyramide, qui lui sort du crâne ?).
– il y a chez moi, au moins au réveil, le sentiment que voilà, vous mon analyste n’êtes plus là, moi qui avais du sentiment pour vous, et Frédéric devient fou. –
il s’éloigne de moi, retourne à son lit. et tout d’un coup, je veux cette cigarette dont il m’a parlé, impérativement. je vais vers son lit, il est tout emmêlé dans sa couverture, je m’approche, le réveille, il cherche la cigarette, elle est, à moitié allumée, à moitié écrasée, à moitié fumée, contient-elle du shit, dans les draps, il me la donne, est-ce que je tire un coup dessus. il y a toujours dans la pièce la lumière allumée du couloir, tamisant sa pénombre.
couchée à nouveau, un enfant vient vers moi (figure spectrale qui évoque le « Père ne vois-tu pas que je brûle? » de Freud), se tient à la même place que celle de Frédéric auparavant, au pied de mon lit, plaintif et muet, un piteux bandage en oblique lui barre la bouche, qu’il aura lui-même mis, voulant camoufler quelque chose, est-ce une tache noire, des taches noires, c’est la lèpre. il y a cette question : où a-t-il attrapé ça, qui prévaut à : comment le guérir. est-ce la cigarette sur laquelle j’ai tiré. il y a un soupçon qui tombe sur F. il y a la consultation par Frédéric d’un médecin-guérisseur qui lui dit d’une grosse voix, alarmé : mais oui, souviens-toi, tu as eu la lèpre (en des temps anciens, sombres – les colonies ? ), et cela pouvait revenir à tout moment, tu pouvais redevenir contagieux du moment que tu te mettrais en colère. il y a le souvenir de son agressivité.
tout le vocabulaire du rêve est plus fin que celui-là.
alors, le bon médicament est donné à l’enfant (Jules ?), qui va guérir.

Je pars maintenant à Bruxelles. Avant cela, test antigénique à 9heures. il est 8h30.

Non-envoyé.

La suite, les éléments d’interprétation, sont là : ven. 3 sept. : Ne vois-tu pas que je brûle ?

vendredi 3 septembre 2021 · 11h01

BXL, ven. 3 sept – ne vois-tu pas que je brûle

Jeudi 2, suite du rêve raconté plus tôt, dans le train vers Bruxelles, 10h30

Dans la même chambre : de ma cousine S. Ai-je pensé à elle récemment? Peut-être hier. Pourquoi? Lui parler du psoriasis de mon frère. Toutes ces maladies auto-immunes qui se multiplient dans la famille. Elle-même gravement atteinte. Côté de mon père, donc, plutôt. Pourquoi ne l’ai-je pas appelée, ma cousine, manque de temps, toujours. Un coup de fil : briser dans l’habitude, dans le train-train.

Sylvie, dans l’enfance, dite « garçon manqué » et moi très petite fille (et comment j’y tenais à mes tresses, à mes jupes).

Nous ne somme pas dans le même lit, F et moi, pas à la même place.
Comme ma cousine et moi-même dans sa chambre autrefois.
Or, à la réflexion, il me semble être plutôt à sa place, de ma cousine, dans le fond de la chambre, et E. à la mienne, près de la porte, dans une encoignure où un placard.
Le lit de Sylvie, la place où je suis, se trouvait tout au fond de la chambre, qui était très en longueur, dans une partie que je ne connaissais pas, qui m’était inconnue, et ma timidité m’aurait bien empêchée d’y aller voir. Je suis donc à une place inconnue de moi.
Cette place m’évoque également, de façon lointaine, une place d’un lit de Jules dans une chambre d’hôtel à Tokyo, un lit au bord d’une fenêtre d’un très haut étage.

S’agissant des deux places, de F et de moi, un lit est « rajouté » (dans la chambre de ma cousine, il s’agit d’un lit d’ami situé, me semble-t-il, dans un placard; dans la chambre d’hôtel, c’est un lit pour enfant, rajouté à la suite) mais les « rôles » sont inversés ou plutôt mélangés.

Chambre cousine :
Moi : lit de ma cousine (« garçon manqué ») dans la partie de la pièce que je ne connais pas et lit Anton au bord du vide;
Frédéric : mon lit d’invitée, placard, près de la porte.
…. « Immixtion des sujets » dans le rêve…. dans la réalité…

Couloir éclairé chez Rose. Pourquoi ce détail, pourquoi le souvenir de ce couloir et de la porte des toilettes, juste en face.
Toutes les portes du vaste appartement sont bicolores, rose et beige, leurs moulures ovales, en « oeil de boeuf », les boutons de porte dorés, ronds, avec la serrure incluse dans celle des toilettes.
Présence/absence de ma tante, de la soeur de mon père, de la soeur de mon oncle.
Rose, est aussi le nom de la femme (prostituée) pour qui mon oncle a tué deux personnes.

Cigarette. Chez ma mère, je vais avoir envie de fumer. Toujours chez elle je fume. De la cigarette, il me semble avoir déjà parlé ici. Fumer me donne des boutons, j’y pensais encore hier, et ravive mes inflammations de la bouche. Tout cela souvent couplé alors à des réveils intempestifs dans la nuit et des « mauvaises pensées » (les pensées cruelles, méchantes, les injures, les invitations à mourir = les « fracassemeurs »). Souvent je pense que c’est la cigarette qui tuera ma mère.

L’agressivité. Frédéric, lui, ne l’est jamais, agressif. Il le devient donc. Contre toute attente et en même temps, ça ne m’étonne pas. Dans le rêve et au réveil, je pense « déclenchement », je pense « psychose ordinaire ». Je me suis interrogée hier encore sur ma « folie ». Je relis en ce moment l’article de Sophie Marret sur la mélancolie. Cette agressivité est celle de mon oncle, celui susmentionné, est la mienne quand je vais mal, celle qui justement, ces derniers mois s’est fortement atténuée, voire a disparu, est devenu remarquablement contrôlable. Cela s’est passé avec l’analyste, avec Hélène Parker, et, je le crois, grâce à l’huile de CBD. L’agressivité, les sautes d’humeur, c’est ce qui m’interroge. Les dits « troubles de l’humeur ». Je voudrais apprendre à écrire quand ça arrive. C’est difficile. Il y faut une part d’humilité et de renoncement. Humilité face à la grossièreté de ce qui arrive. Dès que c’est décrit, analysé, cela devient grotesque, on en aurait honte. Comment contrebalancer cela. Parce que l’angoisse est réelle et la prise instantanée dans ce ciment involontaire. Et renoncement, probablement à la part de jouissance, à une part de la jouissance incluse dans ce symptôme. Puis, il y a la résistance, dont je ne sais rien. La résistance du symptôme, qui tient à sa propre peau, qui est d’une malignité extrême, qui refuse de se laisser évincer. Actuellement ma tactique, c’est le silence. Je réagis subitement trop fort à quelque chose, ça monte, ça surprend. Je me tais. On se tait. Je ne me laisse plus leurrer (par ce qui ferait la phrase du fantasme éveillé, lequel reste à écrire, à tout hasard, je risque, parce que cela résiste à être retenu : je ne suis pas entendue). Mais l’angoisse, massive, la prise, est là. Il m’est alors, par exemple, arrivé de me dire que j’allais faire une heure de ménage. Puis une deuxième, puis une troisième, etc. Dans le blanc, l’absence de sentiment, la patience, une forme d’indifférence travaillée pour elle-même. Et puis tout d’un coup, je peux de nouveau m’adresser à Frédéric, ça repart. Car c’est toujours d’une agressivité qui se manifeste vis-à-vis de lui qu’il s’agit, une déchirure dans l’angoisse.

Vous n’êtes plus là, vous, l’analyste, il devient fou : Ai-je peur pour moi? Il arrive que je m’interroge, en particulier hier. Tellement de choses sont « tombées » pendant les vacances. Le tai chi, l’analyste. Tombées comme des écailles. Je suis seule avec une forme de vide, qui n’est pas forcément très net, je n’ai plus, me semble-t-il, d’appui extérieur, de structure soutenante. Ou, il y en a une et je ne l’aperçois pas. Ou, je n’en n’ai plus besoin. Je sais le vide et l’inanité et je vis. Il y a Frédéric et il y a la structure de la famille, celle-la même que j’avais du mal à supporter. Cet été à Donn, il a fallu faire beaucoup de ménage, je l’ai fait. Parfois avec plaisir, me demandant si je l’écrirais, ce plaisir, parfois dans une forme d’indifférence, parfois combattant l’angoisse, mais jamais fâchée. Revenue à Paris, j’ai repris ces activités ménagères. Je me suis dit : alors c’est ça, les choses ont bougé de façon telle que simplement maintenant je peux supporter de m’adonner à cette activité sans rage, sans désespoir. Les choses ont bougé de façon telle, qu’il ne reste plus que ça. Après l’identification d’une « mélancolie ménagère », c’est fait, je m’y suis faite et supporte et c’est bon? (j’ai trouvé le moyen de supporter d’être dans la peau de ma mère ?)
Je suis arrivée à parler un peu, autour de ça. Ma façon d’avancer de proche en proche, « dans la métonymie », incapable d’envisager la globalité d’un travail…. Avec le risque de l’infinitisation… Revoir la théorie d’Achille et la tortue. La nécessité qu’il y a que je montre, parle de ce que j’ai fait, que nous parlions chacun de ce que nous faisons, que je ne fasse pas les choses seule dans mon coin, sans reconnaissance, que nous n’avancions pas dans le sacrifice, au contraire que nous cherchions la reconnaissance.
Bon, on arrive à Bruxelles.

Bruxelles, vendredi 3 septembre

– Dans le salon de ma mère, après nuit largement sans sommeil et réveil me disant : Je me déteste, je me déteste, je me déteste…. C’est une nouvelle variation, moins cruelle, de mes « fracassemeurs ». Je l’attribue aux cigarettes fumées hier, de même que l’insomnie. –

La lumière dans le couloir. Présence, je le redis, de ma tante Rose. Elle, complice de mon oncle, du frère de mon père, de sa folie (parano), aveuglée par son amour. Elle et ma grand-mère. Fascinées par ce personnage brillant, cet acteur de cinéma. Mon grand-père qui dit à mon père : « Plutôt que tes petits dessins, fais plutôt comme ton frère, regarde comme il s’en sort bien. » Ignorant que l’argent ramené par mon oncle à la maison est l’argent de casses, de braquages. C’est maigre, ce que je dis là…

« Père ne vois-tu pas que je brûle? » « Siehst du nicht dass ich verbrenne? » Le pathétique de cette phrase. J’ai beaucoup travaillé ce texte de Freud, je ne m’en souviens plus du tout. Qui brûle? Quelle éternelle brûlure ? Quel père à jamais déploré ? J’y suis le père endormi, que ne réveille pas l’incendie dans la pièce à côté. L’Un-sans-dit. La cigarette.

Le bandage pitoyable sur la bouche, la lèpre. Mon pauvre enfant. Une lèpre causée par la colère, et si mon souvenir est bon, une volonté mauvaise, une volonté tueuse, dans cette colère.

Une fois que le mal est connu, l’enfant peut être guéri.

Qu’est-ce que je sais de ma colère? Revenir sur le sacrifice. Relire ce que j’ai pu écrire sur le « Père ne vois-tu pas…« 

Dans 10 jours (le 13 septembre), l’anniversaire du double meurtre de mon oncle.

Bon, c’est pas tout ça, j’ai du travail.

Edit, dans le train de retour à Paris, samedi 4 sept.

la lèpre, la covid. Benedetta, vu et non aimé. le bandeau sur la bouche, qui évoque ce que j’ai pu dire déjà auparavant de la maladie de la parole et de la parole empêchée, dans le cauchemar du 18 juillet, publié ici dont j’écrivais :
 » évoque peut-être quelque chose de l’insupportable de la parole, parfois pour moi, quand je vais mal, en risque de tourner à l’agression (j’aboie) ou d’être ressentie comme agressive (tu me tues), tandis que je l’aime quand elle raconte des histoires, qu’elle m’humanise. une parole, est ce qui doit toujours m’être donné. mais dites seulement un parole et je serai… »
Hypothèse : La parole est la maladie.

mardi 7 septembre 2021 · 18h10

L’immixtion des sujets, Liliane Fainsilber

Le terme d’immixtion des sujets m’étant revenu lors de l‘analyse de mon dernier rêve (Edouard devient fou), sans que je ne sache plus vraiment ce qu’il recouvrait, j’ai fait une recherche sur internet portant sur « immixtion des sujets dans le rêve Freud » et suis tombée sur cet article.

 Article de la psychanalyste Liliane Fainsilber, publié sur son blog, Le goût de la psychanalyse, le 31 octobre 2010

L’immixtion des sujets (une difficulté théorique)

Pour décrire les désastres que provoque au niveau de l’imaginaire la forclusion du nom du père dans la psychose, Lacan utilise ce terme énigmatique de « l’immixtion des sujets ».

L’ancien mot latin, immixtio, donc l’ancêtre de l’immixtion, peut se traduire par le mot mélange. Si nous choisissons sa version hostile, cette immixtion évoque d’emblée une intervention extérieure musclée, une invasion, une intrusion forcée, mais elle peut aussi, retrouvant son ancien sens de mélange, évoquer ce joli terme de métissage. L’ambiguité de ce terme d’immixtion nous permettra donc de distinguer d’une ingérence vite persécutive, ce métissage symbolique qui comporte apaisement des conflits, reconnaissance mutuelle de la différence.

De l’ingérence au métissage,
de l’imaginaire au symbolique

Ce terme d’immixtion apparaît donc pour la première fois dans les très long commentaire du « rêve de l’injection faite à Irma » auquel que Lacan a effectué pas à pas dans le séminaire « Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique analytique ». Il avance en effet ce terme à propos des trois praticiens que Freud à appelé à la rescousse et qui se penchent tous très doctement pour examiner la gorge d’Irma. Ce sont eux qui font immixtion dans le rêve de Freud.

Dans le Séminaire II : une équivalence : immixtion des sujets / foule

A ce propos donc Lacan nous dit qu’il préfère de beaucoup ce terme d’immixtion à celui de « foule au sens freudien ». En rapprochant de façon, me semble-t-il surprenante, ces deux termes d’immixtion des sujets et de foule structurée, autant dire que nous entrons de plein pied dans le problème des identifications du sujet et notamment des trois formes d’identification décrites par Freud, celle de l’identification primaire narcissique, celle de l’identification à un petit trait de l’autre – identification au trait unaire – celle qui caractérise la fin de l’Oedipe, et enfin la troisième forme d’identification, celle de l’identification hystérique.

Dans la lettre volée : les détenteurs de la lettre s’y assujettissent

La deuxième occurence de ce terme d’immixtion se trouve dans « La lettre volée » qui inaugure les Ecrits. Ce texte est une reprise de la toute dernière partie du séminaire de 1954-1955, celui du moi dans la théorie de Freud et dans la technique analytique, séminaire où il commente donc ce rêve de l’injection fait à Irma. Il l’utilise pour démontrer comment ce que Freud appelle instinct de mort est en fait pour lui une manifestation de l’autonomie du symbolique. C’est dans ce cadre que prend sens ce terme d’immixtion des sujets. Les détenteurs de la lettre s’y assujettissent.

Dans le séminaire des psychoses

C’est là en effet que se trouve cette troisième occurence de l’immixtion à un moment décisif où Lacan va définir ce qu’il en est de l’intersubjectivité délirante en prenant appui sur le texte des Mémoires de Schreber et décrire ainsi les liens de Schreber avec ses nombreux objets persécuteurs qui appartiennent tous à la même série, série qui commence avec le Professeur Fleschig et qui se termine en apothéose par les liens privilégiés qu’il entretient avec son Dieu. Ce séminaire est daté du 11 avril 1956.

Avant d’entreprendre sa lecture, je voudrais éclairer les trois occurrences de cette immixtion des sujets avec l’aide des deux axes du schéma L, son axe symbolique et son axe imaginaire que Lacan modifiera plus tard pour rendre compte du délire de Schreber sous le nom de schéma I qui se trouve lui aussi dans les Ecrits.

Mais déjà rien qu’avec ce schéma L, nous pouvons mettre en évidence aisément le double sens de cette immixtion, celui de l’ingérence et celui de du métissage.

Le schéma L

Le schéma apparaît pour la première fois dans le séminaire du 2 février 1955 du « moi dans la théorie de Freud et dans la technique analytique ». il est dessiné ainsi sous le titre « la fonction imaginaire du moi et l’inconscient ».

Il convient de le représenter sous sa forme première, initiale, avec ses orientations, ses traits pleins et ses pointillés.

Le schéma L

Tout d’abord sur ce schéma nous pouvons repérer deux axes. Le premier est un axe symbolique qui part du grand Autre pour rejoindre le sujet. C’est l’axe de ce que Lacan appelle le pacte, de l’engagement, celui où on dit : « tu es mon maître » ou « tu es ma femme ».

Mais c’est aussi celui de la tromperie toujours possible tel cet exemple que Lacan cite souvent et qu’il a emprunté à Freud :   « Pourquoi me dis-tu que tu vas à Cracovie pour que je crois que tu vas à Lemberg alors que tu vas à Cracovie? »

Le second axe est l’axe imaginaire qui part du petit autre pour arriver au moi. C’est l’axe de la relation d’objet, de la constitution des objets du désir et des identifications multiples y compris bien sûr celles des identifications oedipiennes.

C’est donc sur ce schéma que nous pouvons maintenant inscrire les deux types d’immixtion des sujets, celle qui s’inscrit sur l’axe imaginaire et l’autre sur l’axe symbolique, sous le nom d’ingérence et de métissage.

Je reprends donc chacune de ces occurrences dans leur contexte avec tout d’abord le rêve de l’injection faite à Irma.

Il y a ce soir là grande réception chez les Freud : « Il y a foule ».

C’est ce que nous raconte Freud dans le texte de son rêve. Je le cite : « Un grand hall – beaucoup d’invités, nous recevons. Parmi ces invités, Irma que je prends tout de suite à part pour lui reprocher, en réponse à sa lettre, de ne pas avoir encore accepté ma solution. Je lui dis : « Si tu as encore des douleurs c’est réellement de ta faute  » et elle répond : « Si tu savais comme j’ai mal à la gorge, à l’estomac et au ventre, cela m’étrangle ». Je l’amène près de la fenêtre et j’examine sa gorge… j’aperçois d’extraordinaires formations contournées qui ont l’apparence des cornets du nez et sur elles de larges escarres blanc grisâtre – j’appelle aussitôt le docteur M… Mon ami Otto est également là , à côté d’elle, et mon ami Léopold la percute par dessus le corset ; Il dit : « Elle a une matité à la base gauche »…. M dit il n’y pas de doute c’est une infection mais ça ne fait rien ; il va s’y ajouter de la dysenterie et le poison va s’éliminer ».

A la fin de ce rêve Freud réussit à trouver le vrai coupable : C’est la faute d’Otto qui a fait à Irma une piqure de triméthylamine avec une seringue qui n’était pas très propre. Cette formule qui dans son rêve s’inscrit devant ses yeux en caractères gras.

Analyse

Comme le souligne Lacan ce rêve se divise en deux parties, dans la première, Freud décrit ses démêlés avec trois femmes, Irma, sa femme et une de leurs amies. C’est plus une relation d’identification imaginaire à ces trois femmes qu’une relation d’amour. Elle se termine par une vision d’horreur, le fond de la gorge d’Irma. Freud l’appelle l’ombilic du rêve, Lacan rencontre avec le réel.

Cette première partie correspond à ce que nous pouvons appeler le chiffrage du rêve, son élaboration.

Au-delà de ce point franchi, quand les trois confrères de Freud se penchent ensemble sur le cas d’Irma, nous pouvons dire que Freud commence au cours même de ce rêve à le déchiffrer, à l’interpréter.

C’est à ce moment là que Lacan avance pour la première fois ce terme d’immixtion des sujets à propos de ces trois confrères qui dans ce rêve se mêlent à, la conversation qui se poursuit entre Freud et Irma. Ils sont les petits autres de Freud, ses objets rivaux, mais ils sont comme Irma, des personnages de substitution. Ils représentent les personnages oedipiens de Freud à savoir ses demi-frères, Philip et Emmanuel et sans nul doute aussi, même si Lacan ne le cite pas, son petit neveu John qui était son objet rival par excellence.

Il indique qu’il s’agit là d’une véritable décomposition spectrale du moi et c’est donc ce qu’il définit comme étant une immixtion des sujets.

Voici comment il la décrit : Après la vision de la gorge d’Irma… « Un franchissement s’accomplit… il entre à la fin du rêve, une foule, mais c’est une foule structurée, comme la foule freudienne. C’est pourquoi j’aimerais mieux introduire un autre terme que je laisserai à votre méditation avec les doubles sens qu’il comporte : l’immixtion des sujets.
Les sujets entrent et se mêlent des choses, cela peut être le premier sens. L’autre est celui-ci – un phénomène inconscient qui se déroule sur un plan symbolique, comme tel décentré par rapport à l’ego, se passe entre deux sujets. Dès que la parole vraie émerge, médiatrice, elle en fait deux sujets très différents de ce qu’ils étaient avant la parole. Cela veut dire qu’ils ne commencent à être constitués comme sujets de la parole qu’à partir du moment où la parole existe, et il n’y a pas d’avant ».

Si nous essayons maintenant d’utiliser le schéma L pour décrire les différents temps de ce rêve dit de l’injection faite à Irma, nous pourrions inscrire sur l’axe imaginaire a a’, dans la première partie du rêve, en a, le moi de Freud et en face, en a’, au niveau de ses petits autres, tout d’abord les trois femmes qui sont pour lui plus des objets d’identification que des objets d’amour : sa femme, Irma et l’amie d’Irma.

Intersubjectivité imaginaire

Dans la deuxième partie du rêve, Breuer Otto et Léopold viennent à leur tour jouer ce rôle des petits autres imaginaires de Freud. Eux-mêmes représentent ses objets rivaux oedipiens. Puisqu’il s’agit d’une intersubjectivité imaginaire nous pouvons les inscrire aussi bien en a qu’en a’ : ils appartiennent tous au moi de Freud, ils comptent comme la somme des identifications du sujet, ce moi « en pelure d’oignon ».

L’intersubjectivité symbolique

Mais ce n’est pas tout, si nous définissons l’intersubjectivité symbolique comme parole qui passe entre deux sujets. En l’occurrence, avec cette formule de la triméthylamine, ce qui est révélé c’est le transfert passionné de Freud pour Fliess qui lui a permis de découvrir le sens du rêve et de la névrose. Comme le souligne Lacan, c’est « au milieu de ce chaos, du brouhaha de cette foule, que se révèle à Freud le sens du rêve, qu’il n’y pas d’autre mot du rêve que la nature même du symbolique » (1)

Intersubjectivité symbolique

Mais au delà de cette formule, quel pouvait être le désir de Freud, le désir structurant de ce rêve? C’est une remarque d’Otto sur l’état de santé d’Irma qui a éveillé la culpabilité de Freud à l’égard de son analysante. Il l’avait en effet confiée à Fliess pour une intervention sur l’ethmoïde et celui-ci avait oublié une compresse dans la plaie. Elle ne va effectivement pas bien du tout.  « Le sens de ce rêve, ce qui l’anime, nous dit Lacan, est le désir de Freud de se libérer de sa culpabilité. C’est en effet à cela qu’aboutit ce rêve. L’entrée en fonction du système symbolique dans son usage le plus radical, le plus absolu, vient à abolir si complètement l’action de l’individu qu’il élimine son rapport tragique au monde… le sujet se trouve d’entrée de jeu n’être qu’un pion poussé à l’intérieur de ce système et exclu de toute participation qui soit proprement dramatique et par conséquent tragique à la rélisation de la vérité. »

Mais bien que Lacan ne le relève pas, comme cette triméthylamine est un produit de décomposition des substances sexuelles nous pouvons nous demander si elle n’indique pas aussi une première remise en question des fumeuses élaborations théoriques de Fliess sur les périodes masculines et féminines de 23 et de 28 jours ? Beaucoup plus tard Freud avouera en effet à Jung, que tout ce qu’il avait appris sur la paranoïa, il le tenait avant tout de Fliess. Il pensait, pour tout dire que Fliess était paranoïaque.

Trois par trois, les personnages de la lettre volée

Cette métaphore du sujet poussé comme un pion à l’intérieur du système symbolique et entièrement soumis aux lettres de son destin, c’est ce que Lacan reprendra avec la fiction littéraire de Poe sous le titre de La lettre volée.

C’est ainsi que nous retrouvons la deuxième occurrence de l’immixtion des sujets qui est décrite dans le texte des Écrits. Je vous rappelle le sujet de cette fiction clinique: Une lettre compromettante pour la Reine a été volée par le ministre au nez et à la barbe du roi qui ne s’est aperçu de rien. La police cherche à reprendre possession de cette lettre chez le ministre mais en vain. Elle reste introuvable Seul Dupin, en s’identifiant au ministre, en se mettant à sa place, a réussi à savoir comment il l’avait cachée, justement en la laissant bien en évidence, visible aux yeux de tous, posée sur le manteau de la cheminée, mais en changeant simplement son adresse.

Les personnages sont au cours des deux scènes du vol puis de la récupération de la lettre toujours regroupés par trois, comme dans le rêve de l’injection faite à Irma : Le roi, la reine et le ministre, puis dans la deuxième scène, la police, le ministre et Dupin.

C’est à propos de ces personnages que Lacan écrit: « Le module intersubjectif étant ainsi donné de l’action qui se répète, il reste à y reconnaître un automatisme de répétition, au sens qui nous intéresse dans le texte de Freud. La pluralité des sujets bien entendu ne peut être une objection pour tous ceux qui sont rompus depuis longtemps aux perspectives que résume notre formule: l’inconscient c’est le discours de l’Autre. Et nous ne rappellerons pas maintenant ce qu’y ajoute la notion de l’immixtion des sujets, naguère introduite par nous en reprenant l’analyse du rêve de l’injection d’ Irma. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est la façon dont les sujets se relaient dans leur déplacement au cours de la répétition intersubjective »

Ces deux premières occurrences de l’immixtion des sujets méritent d’être comparées parce que la démarche de Lacan est inversée dans ces deux approches : dans la première, celle du rêve, il part de l’imaginaire, de la signification du rêve, pour retrouver la lettre du rêve, la formule de la triméthylamine.

Dans la seconde occurrence, il part du symbolique, de la lettre, pour décrire ses effets imaginaires sur le sujet Lacan écrit : « ce que Freud nous enseigne … c’est que le sujet suit la filière du symbolique, mais ce dont vous avez ici l’illustration est plus saisissant encore. Ce n’est pas seulement le sujet, mais les sujets pris dans leur intersubjectivité, qui prennent la file, qui prennent la file… et qui plus dociles que des moutons, modèlent leur être-même sur le moment qui les parcourt de la chaîne signifiante »

L’intersubjectivité délirante

Par rapport à ce que Lacan décrit de cette immixtion des sujets, comment va-t-il définir ce qu’il appelle l’intersubjctivité intersubjectivité délirante? Nous revenons donc à ce séminaires des psychoses celui daté du 11 avril 1956.

Mais avant de le relire je voudrais d’abord vous rappeler un petit passage du texte de Freud sur Schreber où il décrit à sa façon cette intersubjectivité :  « Si nous envisageons l’ensemble de ce délire, écrit Freud, nous voyons que le persécuteur se divise en deux personnes : Fleschig et Dieu ; de même, Fleschig se divise lui même plus tard en deux personnes, le Fleschig « supérieur » et le Fleschig « du milieu », comme Dieu en Dieu « inférieur » et en Dieu « supérieur »… Une telle division est tout à fait caractéristique des psychoses paranoïaques. Celles-ci divisent tandis que l’hystérie condense, ou plutôt ces psychoses résolvent à nouveau en leurs éléments les condensations et les identifications réalisées dans l’imagination inconsciente » (2) .

Dans ce séminaire du 11 avri1 1956, Lacan définit une fois de plus ce qu’est la structure en tant qu’elle est liée au signifiant et qu’il souligne que la psychose ne peut être abordée qu’à partir de là. En effet si on aborde le champ de la psychose à partir de la signification – ce que font la plupart du temps les analystes – rien ne nous permet de distinguer la névrose de la psychose.

Lacan repart donc de la structure, du signifiant et ce qu’il a déjà dit de l’intersubjectivité pour décrire ce qu’il en est de l’intersubjectivité délirante. En effet dit-il « Nous entrons dès qu’il y a délire à pleines voiles dans le domaine d’une intersubjectivité dont tout le problème est de savoir pourquoi elle est fantasmatique ».

Il reprend donc par rapport à la psychose et au délire ce mécanisme dit de l’immixtion des sujets : il rappelle que « le propre de la dimension intersubjective est défini par le fait qu’il y a dans le réel un sujet capable de se servir du signifiant comme tel, c’est à dire non pas pour vous informer comme on dit mais pour vous leurrer (3) que cette possibilité est là essentielle, c’est cela qui distingue l’existence du signifiant. Mais ce n’est pas tout, dès qu’il y a sujet et usage du signifiant il y a un usage possible de l’entre-je, c’est à dire du sujet interposé.

Cette immixtion des sujets dont vous savez que c’est l’un des éléments les plus manifestes du rêve de l’injection d’Irma, à savoir les trois praticiens appelés à la queue-leu-leu par Freud, qui veut savoir ce qu’il y a dans la gorge d’Irma. Ceci n’est qu’une indication. L’immixtion des sujets est-ce que ce n’est pas précisément là ce quelque chose qui nous parait à portée de main dans le délire. L’immixtion des sujets, cette chose qui est tellement essentielle à toute relation intersubjective qu’on peut dire je crois qu’il n’y pas de langue qui ne comporte des tournures grammaticales tout à fait spéciales pour l’indiquer. Pour vous faire comprendre ce que je veux dire, je vais prendre un exemple. C’est toute la différence qu’il y a entre le médecin chef qui a fait opérer un malade par son assistant et un médecin qui devait opérer un malade et qui l’a fait opérer par son interne. Le résultat est le même mais vous devez bien sentir, encore que ça aboutisse à la même action, ça veut dire deux choses complètement différentes. Dans le délire c’est de cela qu’il s’agit tout le temps. On leur fait faire ceci. C’est là qu’est le problème ».

Si nous reprenons la structure grammaticale des deux premières phrases. La seconde est la plus simple, « le médecin a fait opérer son malade par son interne ». Il y interposition imaginaire d’un autre sujet, à savoir l’interne, entre le médecin et son malade, c’est un entre-je imaginaire. Par contre la première phrase est plus complexe en tant qu’il faut distinguer deux points de vue, celui du malade et celui de l’interne. Si le chirurgien a promis à son malade de l’opérer et qu’il le fait opérer par son interne, il y a rupture de promesse, trahison Tandis que vue du côté de l’interne, cette phrase témoigne plutôt d’une transmission, d’un transfert de compétence, c’est donc un geste de reconnaissance. Nous pouvons inscrire cette phrase dans l’axe symbolique des rapports du sujet à L’Autre, soit dans le registre du pacte, soit dans le registre de la tromperie.

Au contraire pour le psychotique, dans l’ordre de l’intersubjectivité délirante, sur l’axe imaginaire du schéma L, On lui fait ou on lui fait faire ceci ou cela, soit directement soit par l’intermédiaire de cet interne, ce n’est plus une rupture de promesse pour le patient ni une autorisation, un encouragement pour l’interne mais une pure injonction qui est du registre de la persécution, de la puissance. Il n’y a pas pour chacun des deux, soit l’interne, soit le patient, possibilité de choix. Ils sont aux ordres, soit comme persécuteur de seconde main soit comme persécuté.

(Est-ce qu’on reconnaît ici mon Edouard, Persécuteur de seconde main, et mon Anton, Persécuté?

Tandis que le « On lui fait faire » m’évoque le rêve où je suis affublée d’un double, comme d’une ombre, « qui me fait faire quelque chose ».

Ces phénomènes sont souvent décrits dans les mémoires de Schreber notamment dans la façon dont Dieu l’empêche, entre autres choses, d’aller déféquer tranquillement (4).

En attendant le schéma I

En attendant le schéma I qui a été inventé par Lacan pour décrire les lignes de force du délire de Schreber nous pouvons déjà repérer sur le schéma L ce qui différentie cette intersujectivité délirante

C’est tout d’abord l’axe symbolique qui est effacé dans la psychose, celui qui va du grand A à S, du grand Autre au sujet. Ce qui ne tient pas en effet pour le psychotique, c’est la subjectivité de l’Autre. L’Autre n’est pas construit pareil que le sujet. L’Autre n’est pas castré. L’Autre n’est pas désirant et donc rien ne permet au sujet de s’identifier en un premier temps à l’objet du désir de l’Autre, puis de s’en dégager par l’intervention de la métaphore paternelle.

Mais cette disparition de l’axe symbolique retentit aussi sur l’axe imaginaire dans les relations du moi au petit autre. Lacan souligne le fait que le psychotique « réagit à l’absence d’un signifiant par une affirmation d’autant plus appuyée d’un autre qui lui, comme autre, est essentiellement énigmatique. L’Autre avec un grand A je vous ai dit qu’il était exclu, exclu en tant que porteur du signifiant. Il est d’autant plus puissamment affirmé entre lui et le sujet au niveau du petit autre. Au niveau de l’imaginaire se passent tous les phénomènes d’entre-je qui eux vont constituer ce qui est apparent dans la symptomatologie de la psychose ».

Ainsi pour l’exemplifier nous pourrions inscrire sur le schéma L, outre son premier persécuteur, Le docteur Fleschig, son successeur le docteur Weber, sans compter les infirmiers de la clinique mais surtout le dieu de Schreber avec toutes ses subdivisions, Dieu antérieur et postérieur, inférieur et supérieur mais aussi avec ses vestibules du ciel et ses oiseaux miraculés. Il y aurait donc beaucoup de monde en a’ mais aussi en a.

Mais Lacan revient aussi sur cette question de l’intersubjectivité délirante exclusivement imaginaire, pour en dire ceci :

« La question est sensiblement éclairée par la nature des phénomènes de l’entre-je, au niveau de l’autre du sujet, de celui qui a l’initiative dans le délire, du Professeur Fleschig, dans le cas de Schreber, du Dieu qu’il est tellement capable de séduire qu’il met en danger l’ordre du monde : entre Schreber et Fleschig un autre est interposé, Dieu mais un dieu lui-même décomposé en de nombreuses instances. Mais l’important, le révélateur, le significatif, c’est le cas de le dire, est de voir apparaître au niveau de l’entre-je, c’est à dire au niveau du petit autre, du double du sujet… une sorte d’usage en quelque sorte taquinant du signifiant comme tel… Ce qui au fond du rêve de l’injection faite à Irma apparaît comme la formule en caractère gras… de même, dans le délire, nous trouvons là l’indication… que ce dont il s’agit c’est de la question du signifiant ».

Et donc au fond, c’est lorsque je me suis aperçue qu’Edouard n’était qu’un double, un petit autre imaginaire, dans mon lapsus fait en séance, que ma colère contre lui est tombée : je n’étais fâchée que contre moi. Je n’étais jamais en colère, que fâchée contre moi. Ce qui est étonnant, c’est que cet aperçu, en un éclair, ait à ce point transformé la situation, modifiée. Il ne m’a plus été possible de rester en colère longtemps sur Edouard. Il ne valait plus rien comme autre persécutant. Dans la réalité tout du moins, dans le rêve, ça fonctionne encore.

Dans le séminaire suivant, du 18 avril 1956, Lacan précise à nouveau les modifications que subissent les liens imaginaires du moi au petit autre en tant que conséquence d’un manque essentiel, celui d’un signifiant, du signifiant du père.

« Supposons justement ceci qui comporte pour le sujet l’impossibilité d’assumer la réalisation du signifiant père au niveau symbolique, qu’est-ce qu’il reste ? Il reste évidemment tout de même la relation imaginaire, c’est à dire que justement c’est une image, que c’est quelque chose qui ne s’inscrit pas dans une relation triangulaire quelconque mais que la relation sera réduite à cette image, sa fonction essentielle d’aliénation spéculaire, de modèle, quelque chose à quoi le sujet peut s’accrocher, s’appréhender sur le plan imaginaire existera quand même. Elle existera justement dans le rapport tout à fait démesuré d’un personnage ou d’un type qui se manifeste purement et simplement dans l’ordre de la puissance et non pas de l’ordre du pacte ».

Le Dieu de Schreber en est l’exemple.

Et ici, reconnaît-on l’horrible personnage de ce cauchemar, qui me met à genoux?

octobre 2001

Notes

1 – p.191 du Moi dans la théorie de Freud et…

2 – Schreber dans les Cinq psychanalyses : voir ce que Freud décrit du fractionnement d’âme : p. 274 et aussi p. 297. Cela donne en effet une bonne idée de ce qu’est cette immixtion des sujets.

3- A propos du leurre voici une devinette qui l’illustre: « Vincent mis l’âne dans un pré et s’en vint dans l’autre ». Combien y a-t-il d’ânes?

4 – p. 276, 277. Mémoires de Schreber

vendredi 17 septembre 2021 · 11h07

jeudi 16 sept. – rêve :: 2 + 1 chiens

…rêve du jeudi 16

j’ai deux chiens identiques, je les reçois. deux jeunes chiens noirs et maigres, au poil ras. ils courent dans tous les sens.
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j’ai un grand chien, plutôt grand et blanc, au poil long. je le promène, je fais des activités avec lui.
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à un moment, des laisses sont mises.
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je me souviens avec effroi des jeunes chiens noirs, oubliés, disparus. ils doivent être attachés quelque part. je les retrouve, debout, immobiles, côte à côte dans un  carton que j’ouvre, ils sont liés, j’ôte leur laisse, leurs liens, qui sont des sortes de bandages sur les yeux,  fermés, que je détache. ils gardent les yeux fermés, collés. c’est affreux en fait, ils sont dans un sale état. je suis très triste.
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le gros chien blanc est toujours là. ils sont trois chiens. je crois que j’ai le sentiment que je ne dois plus l’oublier.

associations…

quel chien?

#dependance
Il y avait eu la veille du rêve une pensée aux chiens et aux chats, à ce qui les sépare. J’avais pensé à cette sorte de malchance des chiens, à leur ultra-dépendance aux humains. J’avoue me trouver moi-même extrêmement dépendante….

#masochisme (et place vide du sujet)
Avant ça, peut-être y a-t-il eu cet extrait du livre d’Eric Laurent, L’envers de la biopolitique1, publié ici le 7 septembre, où il est question du fantasme du masochisme d’être traité comme une chose qui « à la limite, se marchande, se vend, se maltraite, est annulé dans toute espèce ce possibilité votive (au sens de vœu) de se saisir comme autonome. Il est traité comme un chien, dirons-nous, et non pas pas n’importe quel chien – un chien qu’on maltraite, et, précisément, comme un chien déjà maltraité.2 » Dans le Séminaire VI, ajoute Eric Laurent, Lacan élabore « le masochisme en tant qu’il est articulé à la place vide du sujet qui, réduit à un chien maltraité n’ayant rien à dire sur son sort, n’ayant plus droit à la parole – c’est la donnée essentielle – est voué à disparaître.« 

« La mélancolie, sacrifice suicide, s’identifie à cette mort du sujet qui se nomme dans le même temps où il s’éternise. »

Eric Laurent, Ornicar? 47, « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », p. 10.

le lien a-a’ de la relation imaginaire

Le lendemain du rêve, ce matin me réveillant, m’est venue cette idée pour une interprétation en 3 points:

  1. Etre partie de a – a’, l’identification imaginaire au double, au petit autre.
  2. Avoir rencontré le chien blanc, le grand chien blanc. Celui aussi du semblant. Je pense à Lacan.
  3. Et puis… me souvenir qu’ils sont là, qu’ils sont là aussi, les petits autres de l’identification, toujours.

Je ne vois pas trop bien ce qu’il y a de satisfaisant dans cette interprétation, mais je l’ai tout de suite trouvée grosse d’une signification que je n’aperçois pas encore.

A propos du lien a-a’, de la relation imaginaire au petit autre, je commencerai par évoquer une sorte de souvenir-écran où je me vois debout dans un bus, ou un tram, me tenant du bras droit à une barre en hauteur, très près de la fenêtre, soudainement rappelée à une phrase de Lacan dans le séminaire que je lis alors, l’un des premiers, le premier peut-être, où il élaborait le schéma L et où, citant une jeune femme qui le lui avait commenté, il répliquait, en substance, « la pauvre, elle ne sait pas encore… que sa vie ne fera jamais rien d’autre qu’osciller entre a et a' ». Cela m’aura marquée. Est-ce que c’est à cause de cette remarque que j’ai toujours eu l’impression de quelque chose d’obscur quand il était question de cette relation imaginaire, a-a’, au petit autre?

Concernant cette relation, dont j’ai récemment entrepris la traque après l’avoir copieusement ignorée, j’ai récemment été frappée par une lecture sur l’immixtion des sujets dans la psychose par L. Fainsilber, que j’avais d’ailleurs également republiée ici.

Tandis qu’après avoir fait ce rêve, je relisais hier l’article de Jean-Claude Encalado sur la mélancolie d’Althusser. J’y ai trouvé des choses très simples, très clairement articulées sur l’identification imaginaire dans la psychose qui m’ont frappée et qui certainement auront entraîné cette interprétation du rêve.

Jean-Claude Encalado décrit la relation imaginaire d’Althusser à son grand-père, à son ami Paul, à d’autres encore, des professeurs, et finalement à Hélène Rytmann. Il en parle comme de la relation qui vient suppléer au défaut phallique :

Avec le grand père : « Et pendant toutes ces activités qu’il accomplit avec son grand père, il se sent là dans un corps d’homme.« 
Avec l’ami Paul : « Il trouve en Paul un appui imaginaire : « Il a ce que je n’ai pas : le courage. » Il est costaud, il est courageux, et dans leur détresse, dans leur solitude, ils vont trouver refuge dans leur association.« 
Avec Monsieur Richard : « professeur de français, un pur esprit, un être détaché de la chair. « Je m’identifiai complètement à lui (tout y prêtait), j’imitai aussitôt son écriture, […] adoptai ses goûts, ses jugements, imitai même sa voix et ses inflexions tendres. […] Manière de régler mon rapport à un père absent en me donnant un père imaginaire. » Comme il le dit clairement, à la forclusion paternelle, répond une figure imaginaire : un professeur de lettres. »
Ce qui se passera avec Hélène Rytman est plus subtil. Elle deviendra sa femme. Il ira d’abord vers elle tout à l’élan de la sauver – elle est dans un état lamentable -, puis il passera par un moment d’angoisse extrême provoqué par leur premier rapport sexuel, qui le conduit en hôpital psychiatrique, à Sainte Anne, où il est soigné pour démence précoce et dont il n’est pas sûr de pouvoir jamais sortir. Hélène le sauvera, parvenant à introduire un autre médecin à l’hôpital qui infirme le diagnostic, qui parle parle de mélancolie grave plutôt que de démence, il pourra sortir de l’hôpital, non sans être passé par les électrochocs. L’hospitalisation aura duré plusieurs mois. Au sortir de là, il va vers la femme qui l’a sauvée, la femme au courage et à l’intelligence d’exception, qui dit-il, fait de lui un homme. Il peut la sauver (comme il faut qu’il sauve sa mère), mais elle aussi, le sauve. Quelques années plus tard, il la tuera… dans un moment d’égarement.

Je ne suis pas sûre que cela éclaire vraiment ce qu’il en est dans ce rêve. Pour moi, ces deux petits chiens noirs, bâtards, m’évoquent cette relation imaginaire.

Une autre chose m’avait frappée : ils sont l’un et l’autre atteints de maniaco-dépression, et c’est comme s’il s’agissait d’une tout autre maladie. Ce qu’Althusser décrit des terribles difficultés d’Hélène est certainement plus proche de ce que je connais que de ses épisodes hypomaniaques à lui.

Althusser, L'avenir dure longtemps suivi de les faits
…la terreur fantasmatique d’Hélène de n’être qu’une mauvaise mère, une mère affreuse, une mégère à faire du mal et mal, et avant tout à qui l’aimait ou voulait l’aimer. A la volonté impuissante d’aimer, ne répondait alors que le refus (désir) farouche, obstiné et violent de ne pas être aimée parce qu’elle ne le méritait pas, parce qu’au font elle n’était qu’un affreux petit animal plein de griffes et de sang, d’épines de fureur.

le chien blanc

Pour ce qui est du chien blanc, ce chien unique, qui a toutes les qualités inverses de celles des deux chiens : il est Un, il est blanc, il est grand, il a le poil long (un peu chien de berger, quand les deux autres sont de très jolis petits bâtards noirs)…. Pourquoi me fait-il penser à Lacan ? Je parlais hier de ce que ça avait été pour moi, d’avoir pu croire en Lacan. Pendant des années, je me suis suis bâtie sur sa lecture, je me suis formée à son enseignement, il m’a apporté des choses que je n’ai trouvées nulle part ailleurs. Il est véritablement le seul qui ait donné du sens à ce qui jusque là n’en avait aucun, et qui m’ait apporté l’envie de savoir, de découvrir. Le goût de Lacan pour le réel, les instruments qu’il offre pour l’aborder… C’est un virus dont on ne veut pas être guéri… Tout dans son enseignement est ouvert au plus mystérieux, au plus étrange, au plus extime… Si j’ai appris à m’aimer, si je ne suis pas confondue de haine pour moi-même comme ce que je lisais sous la plume d’Althusser parlant de sa femme, c’est par lui, c’est grâce à lui… Même m’étant durant toutes ces années, plus de vingt, trompée quant à mon diagnostic: ce qui ne trompe pas c’est la jouissance, la jouissance dans son acception lacanienne, c’est d’elle j’apprenais quelque chose.

Cet amour Un pour Lacan, sans faille, dont j’ai cru qu’il finirait par m’apporter métier et communauté, ce qui n’a nullement été le cas, que je deviendrais analyste, que je travaillerais au sein de l’Ecole de la Cause freudienne, cet amour a fait de moi une névrosée modèle pendant des années. C’est le discours même de Lacan, son goût du réel, qui a suppléé au dit défaut phallique. La démarche analytique conduit à toujours chercher à traquer le réel, en développe le goût, la volonté. Et ce goût, ce respect même je dirais du réel, respect je crois natif chez moi, amplifié certainement par la jouissance intellectuelle qu’il y a à le traquer, à le débusquer, à toujours vouloir aller vers ce qui vous dépasse, ce dont on se sent à la fois le plus séparé et le plus proche, permet au moins de pointer certaines subtilités de la vie, dont in fine aucune loi déjà écrite ne répond. C’est un défi.

[ ici parler du rêve du N, du sang N, et du semblant + lien]

Il n’y a pas de relation entre l’amour de moi-même et la haine de moi-même. Ce n’est que récemment, avec le diagnostic, que j’ai pu commencer à composer avec quelque chose que je pourrais appeler haine, haine de soi. Que je ressens parfois comme une force venant du dedans, venant de moi, mais toujours totalement inconnue, absolument étrangère. M’agissant de l’intérieur. Je l’ai reconnue comme réelle. Un réel auquel je peux, de façon même fabriquée, opposer l’amour, l’amour de moi-même. Il se trouve qu’une bonne part de cet amour s’est vu augmenté au travers de la figure de Lacan, de l’action lacanienne, de la démarche analytique, qui conduit à accorder de la valeur au moindre déchet. De la valeur au déchet même.

Enfin, tout ceci est extrêmement difficile à écrire et très mal écrit.

Toute la maladie n’est pas la haine de soi. La haine de soi c’est le chien des enfers. Si je l’ai peu dite en analyse, si elle a manqué à apparaître, si elle ne s’est exprimée que dans une haine adressée à autrui (ce que j’ai tenté de cerner avec mon histoire d’immixtion des sujets), c’est que je savais ce qu’elle comporte de jouissance et que je me gardais d’en faire étalage. Cette jouissance, je ne voulais pas qu’elle soit repérée en tant que telle par un analyste. Elle s’est manifestée autrement. (C’est une chose, je me dis parfois, qu’on devrait apprendre à l’école, la part qu’on prend à son propre malheur, ça n’est plus très à la mode, et ça l’a parfois été trop, je me suis certes accusée de trop de torts, mais enfin, se défier davantage de soi ne ferait de tort à personne.) Je disais donc : la haine où je suis de moi, je suis arrivée à la faire payer cher aux autres, aux autres aussi (Freud le dit très bien), mais elle n’est pas tout. Mais, je ne sais plus ce que je voulais dire.

Alors, est-ce que tout ça nous mène loin du rêve aux chiens, du rêve aux 3 chiens. Dans ce rêve, ce qui compte, c’est l’oubli des petits chiens. Et l’état lamentable dans lequel je les retrouve, enfermés dans des cartons, les yeux tout collés. Ils sont un peu comme des chiens empaillés, mais toujours en vie. Ils ont cette sorte de raideur de certain jouet que j’aurais eu, de chien noir, petit chien noir à bascule : exactement, les voilà, le voilà. C’est un jouet qui ne m’a pas appartenu, mais qui se trouvait au château d’A, et qui avait bien pour moi quelque chose de dégoutant, tant il était réaliste (peut-on s’asseoir sur un chien empaillé, ce qu’il n’était pas, pas vraiment).

Je ne sais ce qui dans les jours précédents m’a conduite à repenser à ce qu’a été Lacan pour moi. Quel père il a été.

Enfin, il faudra que j’y revienne… Il reste quand même quelques choses possibles à en dire.


  1. Cela fait quelques temps que je tente d’éclaircir pour moi la part d’énigme du texte d’Eric Laurent sur la mélancolie où il situe ce qui se joue pour le mélancolique au moment du Fort/Da, lequel depuis oriente certaines de mes recherches et m’a amenée à retrouver et à publier ici une page de son Envers de la biopolitique, où il est question du fantasme masochiste d’être traité comme un chien. Eric Laurent écrit : « La mélancolie, sacrifice suicide, s’identifie à cette mort du sujet qui se nomme dans le même temps où il s’éternise. »
    Eric Laurent, Ornicar? 47, « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », p. 10.
     . ↩︎
  2. Lacan J, Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, p. 152-153. ↩︎
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