l’oublieuse (ô solitude)

Il arrive souvent que des choses me bouleversent, sans que je ne m’en rende nécessairement compte.

Si ce bouleversement se prolonge, se renforce – de façon dramatique -, sur plusieurs jours, je peux alors éventuellement l’interroger, éventuellement poser un lien avec ce qui l’a causé. Mais, il s’agit alors d’une interrogation consciente, et donc  teintée d’une sorte de doute. ( Je ne pense pas qu’il y ait en moi d’autre lieu pour la certitude que l’inconscient. Or mon lien à l’inconscient serait si serré, que je ne pourrais m’empêcher d’attendre, sans concession, que la conscience m’offre cette même sorte de certitude.  Ce qui est à proprement parler impossible.) Aussi, n’arrive-t-il (pratiquement) jamais que j’en parle, de ce qui me bouleverse. Non, que je ne le veuille, mais faute de le repérer, et ensuite faute d’arriver à m’en assurer.

Ainsi, peut-être eût-il été normal qu’à l’ouverture de ce livre, dès ses premières pages, je dise : « Ce livre est extraordinaire. Il me bouleverse » et m’en explique. Cependant qu’il semble bien possible que rien de ce qui s’adresse directement à mon inconscient et semble toucher directement à mon sort, ma destinée, rien de ce qui me semble alors la modifier, devoir la modifier en profondeur, ne puisse devenir conscient, et moins encore passer à la parole (je ne suis même pas sûre d’y être souvent arrivée en analyse).

Mon lien à  l’inconscient, mon goût pour ce genre-là de bouleversement, ces bouleversements qui me lient au sens même de la vie, qui seuls lui esquissent  une destinée possible, que perdraient-ils à passer à la parole, au bavardage même que l’on me recommande à l’occasion et que  je souhaite d’ailleurs en ce moment, inquiète que je deviens de mes difficultés de plus en plus grandes à trouver mes mots, comme si mon manque d’exercice, ou la tumeur cérébrale dont je soupçonne l’existence, m’en avait fait perdre beaucoup. 

Il m’apparaît au fond que j’aurais l’inconscient particulièrement perméable, directement atteignable, sans que ce qui ne l’affecte n’en passe par la conscience – en-dehors des quelques éclats de voix, affolés, qui m’échappent -, me travaillant directement de l’intérieur, et de là, remontant à la surface, manifesté par des changements d’humeur (cf. la « touche de réel » de Lacan). Changements qui ponctuent ma vie, me donnant l’impression de n’être qu’un jouet du destin, menu bouchon flottant au gré parfois mauvais des vagues d’une mer sinon plate, déserte toujours.

C’est un livre donc, qui en est souvent la cause. Il s’agit d’un mouvement d’ouverture, d’une brèche qui s’ouvre, et la dépression qui toujours succèdera à ces bouleversements tient à ce que je n’aurai pas su, pas pu m’y engouffrer, la faire mienne, lui permettre de donner à ma vie un nouveau tournant, ni plus qu’en rendre compte, en témoigner, en répondre. La brèche se referme, et je sais que déjà que je l’oublie. Je n’aurai vécu qu’un moment d’espoir, quelques éblouissements, et me vois reprise par le quotidien, inchangée, telle qu’en moi-même l’éternité me fit.

Une éternité en forme d’oubli.

Le livre dont je voulais parler ici est celui de Catherine Millot, « Ô solitude ».

Illustration de l’article : L’inconscient de l’inconscient, Charles Dreyfus

à Hélène Parker – vouloir l’aveu

il est maintenant 07h07 (vous le voyez comment j’avance vers vous « couchée sur le temps »…) je vous envoie une  des lettres non-envoyées dont je vous parlais hier, que j’ai pris le temps de relire et compléter encore ce matin :


paris, lundi 10 mai, 6 heures

très bien dormi, enfin.
relu hier catherine dont-j’oublie-le-nom, relu Extases intérieures. mais, c’est pas ça, le titre; catherine millot, le nom. le titre reviendra peut-être aussi.
le jour s’est levé. les lampadaires de la rue viennent de s’éteindre. la lumière s’appartient à nouveau.

je ne vais pas bien, depuis quelques jours, difficile(1). mais hier, repris huile de CBD et au réveil cette formidable sensation de chaleur, de confort, de grande lucidité.

je ne pense pas du tout que j’arriverai à noter ici ce qui m’est alors apparu.

l’embarras dans lequel je suis face aux tâches ménagères. dès que je les prends en charge, l’impression d’enfiler la peau de ma mère. tout dans cet appartement demande à ce que je prenne cette peau. à ce que je ne fasse plus que ça, du ménage.
hélas, je ne pense pas pouvoir rapporter rien de plus de mes clartés matinales.

tentative : 
de l’impossibilité de marcher dans les pas de mon père, de sortir du sillon de ma mère : pas très convaincant.
au hasard : 
du besoin impérieux d’agir en cachette, en secret. et de l’insupportable de n’avoir pas d’espace à moi, de temps à moi.

il y eut ce problème hier. tout d’un coup sentie hors de moi, expulsée.

cela fait si longtemps que je suis tentée de me remettre au travail, de me remettre à un travail, et que je n’en trouve pas les moyens : ni la place (où dans l’appartement, à quel bureau, à quel ordinateur ; au café, à la bibliothèque), ni le support (papier, téléphone, ordinateur portable, ordinateur de table ; fichier Word ou blog, blog secret ou blog ancien que je reprends.  compiler ma correspondance, reprendre les anciens textes, repartir à zéro, quelle voie pour la fiction, cela s’atteint comment ?), ni le nom (écrire en mon nom ? impossible ; en quel nom alors ? )

donc, s’agissant de travail auquel je ne me mets pas, je voulais retrouver un passage de ce livre qui n’est pas Extases intérieures de Catherine qui Millot, qui est Abîmes ordinaires me dit internet, je voulais le retrouver, le recopier, à défaut de trouver quoi en faire d’autre, le minimum donc, désireuse que je suis de ne pas laisser cette lecture sans conséquence dans ma vie. alors, ce petit travail de copiste.

à cette fin, et non sans anxiété, je m’installai à la table de la salle à manger. j’allais aussi tenter de combattre cette façon qui est la mienne de dériver, de me laisser aller sans but, incapable que de tenir le gouvernail du plus petit désir, de la moindre intention, je prenais une décision, minime certes, et sortais de mes trajets habituels pour me donner la chance de l’exécuter.

donc anxiété à propos du texte de CM, à propos de ce que j’en ferais, et anxiété parce que je prends une place dans l’appartement pour travailler, au vu est au su de tous, parce que je m’installe ainsi que je le faisais autrefois, il y a 20 ans, à une table, avec un ordinateur et des livres. je vivais alors seule.

vers quinze heures donc à la table de la salle à manger, 

or. déjà écrire ceci est compliqué, demande un travail de mémoire, demande d’aller contre ce qui cherche à se faire oublier, ce qui déjà s’enterre. ce dont je veux parler ici, qui s’est passé hier, je l’ai déjà oublié. j’avance, même s’il n’y parait pas, en aveugle. et le sol, me semble-t-il, les mots, ne cessent de se dérober sous moi. littéralement. je ne sais plus ce qui provoqua la colère d’hier.

en attente d’un nom. quel nom me fait trou au cœur. quel nom me manque. que fais-je en cette absence. quel nom puis-je endosser, en quel nom écrire? comment rapprocher ce  que j’écris de ma personne, de mon nom (impossible).  cela qui n’est possible que dans une lettre (au bas de laquelle j’écris mon nom).

(ce pourquoi j’écris beaucoup de lettres. ce pourquoi je suis tentée d’écrire beaucoup de lettres. est-ce pourquoi elles sont si souvent d’amour sont si souvent d’adieu. elles seules, le lieu de désir, de l’amour, de mort, etc. )

je me dis que je dois retourner à tenter de penser la lâcheté de ça : je n’assume pas ce que je suis, pense. je me dis ça, ces jours-ci. pourquoi ne pas plutôt penser en terme de lâcheté, en termes de lâcheté morale… plutôt que de psychose, de mélancolie ou de Dieu sait quel « rejet de l’inconscient »(2) :

« Il nous faut distinguer, à partir de Télévision, entre la clinique de la lâcheté morale et celle du rejet de l’inconscient. Il s’agit dans le premier cas d’un sujet défini à partir de la structure du langage, la clef en est le désir. Dans le second cas, le rejet de l’inconscient nous renvoie à un autre registre, celui où la  jouissance mortifère se noue à la naissance du symbole. »

Éric Laurent, « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », Ornicar.?47


et c’est là qu’il m’est apparu que je n’aurai jamais rien d’autre à écrire qui ne soit au bord de l’aveu.

(et qu’il y s’agit moins de lâcheté morale que de rachat moral).

toujours au bord de l’aveu. quoi que j’écrive, de cet ordre-là. ce grand désir toujours, qu’on en vienne là, aux faits.  le souvenir remonté de dostoïevski. l’enthousiasme de ma mère pour dostoïevski, ses grandes scènes d’aveux.

je  veux  l’aveu.

faut du crime, faut que ça saigne pour que ça signe, faut que ça s’enseigne, le reste balayé, inexistant, c’est bon pour la fille qu’a un nom :  Blanche Demy.

comme s’il n’y aurait jamais rien d’autre à écrire : ma faute.  celle reprise à mon compte dont ma mère ne cesse de s’accuser.

(question stupide : est-ce de la même faute qu’il s’agit. s’agit-il de la sienne de faute que je fais mienne, ou s’agit-il de la sienne et de la mienne. s’agit-il de sa folie que je prends à mon compte, de la mienne que je lui attribue, ou sommes nous aussi folles l’une que l’autre…)

il y a une faute qu’aucun nom n’assume. c’est d’elle que ce que je veux écrire voudrais prendre la charge.

aucun nom, seulement la chair. Chère Hélène, Chère Blanche,

n’est-ce pas plutôt de la nature de cette faute qu’il faut se rapprocher. de cet objet de l’écriture. dont j’avais cru lire une interprétation possible dans l’écrit d’Éric Laurent cité plus haut sur la mélancolie.
la culpabilité endossée du meurtre de la chose par le symbolique. non, c’était plus dramatique encore que ça. il était question d’incarnation. ne s’agissait-il pas d’incarner ce qui restait du meurtre. ou ce meurtre même et ce qu’il tue. mais non.
ah. mais que faire de ces textes qui vous frappent, où il vous semble lire la résolution de l’énigme qui ne trouve d’ailleurs nulle part où s’écrire, qui se referment dès lors qu’on veut les approcher de plus près, n’offrent plus que leur opacité (en lieu et place de la limpidité un instant ressentie). 
à chaque relecture, je rentre en suspension, c’est à peine si j’ose encore bouger.  j’attends que la révélation entr’aperçue parachève ses effets, ma transformation, qu’elle s’énonce enfin en toutes lettres, me libère. or ça, en lieu et place de libération, c’est bien plutôt de culpabilité que je suis envahie. tant il me semble que je ne fais pas alors ce qu’il conviendrait, que je n’accomplis pas le travail exigé. que je n’étreins pas le texte, ne le tords, pour lui faire rendre son suc, ma vérité.

je fais mieux de reprendre le récit de ce qui s’est passé hier.

je veux donc m’installer à table, je m’apprête à m’asseoir, quand Édouard met une musique dont rien ne peut faire que je ne m’en sente agressée. je ne peux rester dans la pièce.
nous sommes vraiment peu de choses.
je vais à la chambre, je  me couche, entends encore. ne sais ce que je fais alors, probablement décide de ne rien faire, d’attendre que cela passe. je ne veux pas laisser ma  colère s’amplifier. le sentiment d’être perdue. comme je ne peux plus, je ne veux plus me mettre en colère, « être fâchée sur » Édouard, décontenancée, vidée, je décide de sortir, me promener.

il faisait beau, bon. ne faut-il en profiter? cela n’avait pas de sens. je suis allée au bois de Vincennes que je ne connais pas, où j’ai marché lentement. me semblant reconnaître le bois de la Cambre à Bruxelles. je suis allée au bois de Vincennes, où j’ai marché lentement, j’ai fait le tour du lac, fort long tour, tout m’a paru charmant, je prenais des photos, parfois. j’envoyais des messages à Édouard et à Anton (pensant que je n’existais que là, par là, par ces petits messages que j’envoyais. mais c’était dans un vouloir les aimer aussi et n’être plus fâchée. ce plus sûr mode chez moi d’aimer, écrire. je t’écris, je t’aime. aurais-je pu n’avoir rien écrit ? ne leur avoir rien écrit? est-ce que ce serait cela, devenir seule ? cette nécessité de solitude à laquelle la lecture de CM m’a ramenée, qu’elle a fait scintiller à mes yeux.)

je n’existe que dans l’écriture-à, me suis-je dit. dans un écrire intransitif, pour reprendre une expression lue sans la comprendre chez  catherine millot :

(…) il me semblait parfois être la place en attente du jour, sans cesse remis au lendemain, où je me mettrais à écrire. Mais ne tombais-je pas dans un cercle puisqu’écrire, verbe intransitif dont la condition était une certaine vacance, avait pour vocation précisément de donner consistance au vide, en quelque sorte de l’engendrer.
Abîmes ordinaires, Catherine Millot, p. 56.

pourquoi a-t-il fallu que cette expression me frappe? c’est que mon écrire-à, mes lettres, ne supportent aucun vide. bien plutôt cherchent à le remplir, à l’habiter, le peupler. aussi, si dépendante que je me trouve depuis longtemps d’un autre auquel écrire, dans l’impossibilité où je suis de désincarner le lieu de mon adresse, de l’abstraire, de tracer moi-même – de dessiner, de fixer, de peindre -, par delà tout, la silhouette vide et désirable d’un autre inexistant, il me semblait convenir que j’arrive à transitiver l’écriture. je voudrais une écriture qui, comme l’angoisse, ne soit pas sans objet, et qui ne cesse de chercher à s’en rapprocher. encore, et encore.

au retour de ma petite promenade où j’avais marché 11620 pas, après avoir gentiment salué tout le monde, enfant et compagnon, je suis retournée dans la chambre et je l’ai finalement retrouvé le passage de Catherine Millot dans Abîmes ordinaires.

je lisais, accrochée à ses lèvres, au déroulé de son énonciation, consciente de ce que se disait là quelque chose de mon être même, dont je ne savais comment le rejoindre ni comment m’en différencier, puisqu’il fallait bien que je m’en différenciasse, n’ayant connu son (fabuleux) destin, à elle, CM (destin : écrivain / analyste). Le passage a-t-il répondu à mes attentes, correspondu à mon souvenir : oui. oui. oui et non. oui. et le sentiment de suspension et le moment sidération et le sentiment de tristesse.

(comment m’extraire moi, de là, de dessous tout son splendide fatras d’elle, Catherine Millot. comment écouter, retenir ce qu’elle dit, ne pas l’oublier déjà, et qui pourrait adoucir mon sort. que d’elle retenir qui me serve, dont je puisse faire usage. son insistance, sa persévérance. son obsession. l’extase, la solitude, l’écriture. elle qui d’un objet de damnation fait un objet de béatitude. )

à Édouard qui passait dans la chambre, je lus à haute vois le passage, très mal, j’aurais espéré qu’il se passât quelque chose de supplémentaire, une petite jouissance supplémentaire, rien. à la fin, Édouard s’empressa de déclarer : extraordinaire, tout à fait dans tes préoccupations, tu es dans de bonnes mains avec ce livre. dont je lui expliquai alors que j’en étais à une tentative de relecture, et qu’il n’y avait pour moi probablement rien de plus triste au monde que l’idée d’avoir terminé un livre, de l’oublier, de ne rien en faire

08:09, il fait maintenant tout à fait lumineux.

*

A cette lettre de mardi, j’ajoute encore, ce matin (06:06) jeudi :

il ne me semble pas que la solitude de Catherine Millot soit à ma portée. et cela reste encore à établir (la nature de mon irréductible dépendance à l’autre).

pourtant dans le silence même qui s’imposait à moi hier en séance, et l’impossibilité même où je me trouve d’écrire encore ces lettres, mes lettres-à, mes lettres intransitives, il y a peut-être ça, un aveu de suffisance. qu’il s’avoue que ça suffit. un aveu de jouissance. un aveu aussi de quelque chose de réussi et qu’une page doive se tourner : je l’ai fait je l’ai écrit je l’ai dit. il y a quelque chose que je dois pouvoir n’avoir pas à redire. c’est ce que j’entendais, hier en séance. un sentiment de déjà dit. avoir dit. et que cela suffise.

il y a ce vêtement de ma mère qui flotte sur moi. et il y a tout ce que j’en ai écrit, tout ce que j’en ai dit. cela s’ajoute. c’est un en plus. c’est ma part. c’est ce qui n’est pas elle. sur les traces de quoi vous m’avez mise, vous, Hélène Parker, lorsque vous me paraissiez vouloir souligner comment je n’étais pas elle. ce que je voulais dire aussi, c’est que j’ai entr’aperçu dans l’autre lettre écrite : il n’est pas attendu que j’en fasse plus, que je fasse tout. tout pour l’autre. je ne peux plus croire qu’Édouard et Anton l’attendent. je ne peux plus les en accuser. seule, moi. à tout attendre. je suis celle qui est dans la tentation du sacrifice. me révolter contre eux, me permettait de faire limite, de limiter l’imitation (qui fut sans révolte, aucune, donnée totalement). or, je n’y arrive plus. (depuis ce lapsus en séance, je n’arrive plus, quel lapsus : celui où je voulus vous dire que j’étais « fâchée sur Édouard », et où c’est mon propre prénom qui sortit : « fâchée sur Blanche ». depuis, il ne m’est plus possible d’être fâchée sur lui, même si le réflexe m’en revient encore, dont je ne sais que faire.) j’ai donc, ainsi que je l’annonçais hier en arrivant, une nouvelle limite à trouver. 

car ce sacrifice sans nom auquel ma mère se pliait volontiers mais non sans angoisse, quand je tente par tous les moyens d’y échapper sans cesser d’y retomber, est un trou.

c’est vous qui parliez de trou dans le savoir. ce trou que j’ai appris à aimer. trou dans le savoir dont je cherche à faire état depuis des années. qui ne cesse de vouloir faire symptôme. ainsi mes oublis. les trous de mémoire avec lesquels il me faut composer. auxquels je ne voudrais pourtant pas renoncer.

je vais vous envoyer maintenant cette lettre et retourner me coucher. il y a une autre lettre, je crois, qui traîne encore.

Bonne journée, Hélène Parker,

Blanche  Demy


(1) j’en accuse les cigarettes que j’ai fumées récemment. il n’y en aura pas eu plus de 3. pas plus de 3 cigarettes sur 4 ou 5 jours.
ça aura suffi pour : me faire pousser un bouton sur le nez, me donner mal aux dents aux oreilles à la gorge, m’empêcher de dormir (+ le reste).
j’ai tout de suite pris 1 anxiolytique (pour m’aider à supporter et dépasser l’envie de fumer à nouveau), et finalement des somnifères.

(2) Voir aussi : « Mais ce n’est pas un état d’âme, c’est simplement une faute morale, comme s’exprimait Dante, voire Spinoza : un péché, ce qui veut dire une lâcheté morale, qui ne se situe en dernier ressort que de la pensée, soit du devoir de bien dire ou de s’y retrouver dans l’inconscient, dans la structure. Et ce qui s’ensuit pour peu que cette lâcheté, d’être rejet de l’inconscient, aille à la psychose, c’est le retour dans le réel de ce qui est rejeté, du langage ; c’est l’excitation maniaque par quoi ce retour se fait mortel. À l’opposé de la tristesse, il y a le gay sçavoir lequel est, lui, une vertu. Une vertu n’absout personne du péché, originel comme chacun sait. »
J. Lacan, « Télévision », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 526.

à Hélène Parker – je ne vous ai toujours pas envoyé l’autre lettre,

Outrée, samedi 15 mai 2021 à 06:10

je ne vous ai toujours pas envoyé l’autre lettre, sur le tai chi. et puis celle sur le rêve de la villa, le trajet consacré à me battre pour ne pas rencontrer la (jalousie) de celle dont je suis l’autre femme.

c’est que j’ai passé un jour ou deux à essayer de capter ce qu’arrive à saisir Eric Laurent d’une identification à la Chose dans la mélancolie, au travers du Fort-Da (dans « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », Ornicar? 47, 1988.). cela me devient de plus en plus énigmatique, j’ai beau scruter ces quelques paragraphes, m’attendant à un éclair, je n’y arrive pas, je ne comprends pas et je m’en veux.

je reconnais d’ ailleurs dans cette interrogation une perplexité que je connais face à bon nombre de textes.

ce n’est pas tout à fait le sentiment que celui que j’éprouve face à celui de Catherine dont le nom m’échappe, Millot. non, ses textes sont limpides. face à ses textes, son œuvre, il me semble pourtant également être en dette et je vous l’ai exprimé correctement par écrit.

il y a comme une résistance. (il y a comme la nécessité d’un travail). la résistance du trou du savoir.

cela fait 2 jours que nous sommes dans les affaires de ma belle-mère, dont nous vidons l’appartement, et j’ai lu tout ce qu’elle a laissé comme textes – que je n’ai pas cessé de lire et relire et chérir. (ces textes, des riens, des tout petits riens, des tout petits textes, sur des bouts de papiers ou dans des agendas, où s’étire, dans une sorte d’effarement, dans ses dernières années, son délitement.) la dernière fois que nous étions venus là, j’avais été captée par les photos de mon beau-père. que laissons-nous derrière nous. qu’adviendra-t-il de ce que nous laissons.

mais ce n’est pas ce que je voulais vous dire, ce que je pensais arriver à vous dire. il s’agit de ces pages de Millot dans Abîmes intérieurs ordinaires que je voulais retrouver, recopier, travailler.

elle y parle d’un certain état de vacance qu’il lui a toujours fallu préserver, que j’appellerais un état de réserve. sa description est très proche de ce que je connais moi-même, dont il me semble vous avoir parlé. elle s’y interroge sur ce qu’il convient d’en faire, de ce vide à ménager à tout prix, et trouve à l’engager dans l’écriture. elle parle même finalement, je crois, de division: elle renonce au vide à plein-temps et se fait mi-analyste, mi-écrivain. ce qui correspond exactement à ce que j’aurais moi-même espéré, voulu. ce qui me paraissait le plus proche de mon être. je n’y suis pas arrivée. lacan m’a-t-il manqué…. ;) pour chérir et défendre cet état, qu’il nomme en latin: otium cum dignitate

moi, c’est des années d’analyse qu’il m’aura fallu pour débusquer mon goût du rien, des années à m’en sentir poursuivie comme d’une fatalité. des années pour m’y faire, faute d’arriver à m’en défaire. des années pour apprendre à revendiquer une attitude, un mode de vie, qui jusque là s’imposait à moi, à tout instant heurtant ma grande propension à la culpabilité et à l’auto-accusation. des années pour apprendre à reconnaître et à chérir ma faute, ce goût malgré moi de ce qui manque au nom, cette incessante quête, désir, volonté intérieure, n’écoutant qu’elle-même, impitoyable, sourde à mes désespoirs. il fallait, et faut encore, que je trouve à cet immodéré goût du rien, ce constant appel du vide un mode d’existence, de déploiement dans ma vie, auquel je puisse activement et consciemment m’associer. que le jouir inconscient trouve un chemin de conscience.

rejoindre la volonté de ce qui est d’abord subi. parce qu’il n’y a pas d’autre volonté.

il y eu le tai chi, bien sûr. s’offrant en oraison silencieuse possible (je reprends ici un terme que je redécouvre dans un autre livre de C. Millot que je lis actuellement, sur cette incroyable Mme Guyon, La vie parfaite ça s’appelle, le livre). où une forme de jouissance est cultivée pour elle-même, en toute conscience, dans une grande attention au corps, vécu comme un nouveau pays que l’on apprend à parcourir.

personnellement, je n’ai pas vécu cette vacance dont parle Catherine Millot, dans la pureté qu’elle décrit. de même que je n’ai pas vécu de désir qui se soit franchement dénudé, dévoilé, décidé comme le sien. ou ai-je mis plus de temps à le reconnaître. (ou ai-je eu à affronter des démons qu’elle n’a pas connus.) il y avait une attente. une attente de quelque chose. il y avait cet état où l’attente finit préférée à la chose attendue. où ce qui se voit préféré l’est à défaut de ce qui est attendu et ne vient pas. une installation dans la limite de l’inhibition. (où l’on s’est pris à chérir les murs de sa prison, à force d’en parcourir et re-parcourir les moindres contours. mais pourquoi faudrait-il qu’il en soit autrement, connaître supporte la restriction.)

et il y avait l’analyse, la psychanalyse.

aujourd’hui encore, vu la façon dont les choses se passent, ce qui me reste d’ambition, ce qui pourrait me revenir d’ambition, se cristalliserait dans un désir de dire quelque chose de plus sur la mélancolie, sur la psychose, la psychose ordinaire.

quelque chose de plus, qui voudrait encore se situer du côté de la bonne nouvelle.

malheureusement, comme mélancolique, j’ai été très aidée tout au long de ma vie par la psychanalyse. je veux dire que je n’en suis pas une pure et dure.

et je ne pense pas que je puisse renoncer à cette identification au cas ou à la maladie. si j’avais été mieux inspirée de départ, j’aurais pu trouver à inventer ma propre maladie, comme celle de la mort, de Duras, mais voilà, non, moi il y a ce besoin de me suridentifier à un cas et je fais tout pour finir par me retrouver dans un livre.

« blanche d., un cas de mélancolie ménagère ».

vous croyez qu’il faudrait se passer de ça, encore. c’est pas évident.

je me demandais quelle limite je trouverais au « tout devoir faire » du ménage si je ne trouvais plus celle de ma colère contre édouard pour m’en préserver. on en vient finalement à ce que je voulais vous dire.

non-terminé, non-envoyé

Catherine Millot – L’appel du vide… (extrait d’Abîmes ordinaires)

ici, les photos de ces pages d’Abîmes intérieurs ordinaires de Catherine Millot, qui m’ont tenue en haleine, que je n’ai cessé de me remémorer, de vouloir retrouver, qu’il me faut interroger encore, aimer encore, vouloir encore ; les photos faute d’avoir le temps de les recopier, ce que je ferai plus tard…

il était venu à mon secours en répondant que je pratiquais l’otium cum dignitate
Le refus du travail relevait du défi
mon étrangeté légitime… s’efforcer de se tenir prêt, mais pour qu’elle venue ?
Que mon existence pût se résoudre à cette oscillation aussi dérisoire qu’énigmatique, que cette vaine entreprise en constituât peut-être le sens ultime me remplissait parfois de stupeur.
être la place en attente du jour, sans cesse remis au lendemain, où je me mettrais à écrire. Mais ne tombais-je pas dans un cercle puisqu’écrire, verbe intransitif…. …. je finis par trancher en coupant ma vie en deux.
me parla de « la merveilleuse solitude » où se tenaient les ecrivains
d’une liberté infinie dans l’absence d’espoir même

lundi 7 juin :: je quitte la piscine-millot

lundi 7 juin

matin
voilà, c’est fait je me détache, j’oublie, déjà, CM. combien j’ai tenu à elle, le temps de la lire. et là  je le sens, je m’éloigne, de plus en plus de son bord.
je tenais tant, à la piscine-millot.

s’agripper au bord de la piscine.

bientôt reprise par.
ai-je tout noté, l’important?
qu’ai-je dit?
heureusement que je sais nager.

16:15
dans la rue. je ne m’en sortais plus. je suis sortie, je fume une cigarette payée 80 centimes d’euro. je ne sais pas du tout quoi faire. il fait beau. tout est étonnant,
j’aurais presqu’oublié qu’il y avait des masques. je fais le tour de la place immense.
plus que quelques rues à parcourir pour rentrer chez moi. je n’ai rien d’autre à faire. perdu l’envie de marcher au hasard mais longtemps qui était là mienne pendant le confinement. je ne sais pas pourquoi je fume. je fume dans les moments de vide, pour passer à autre chose. fumer à toujours marqué pour moi les transitions. faudrait-il que je m’arrête moi aussi à une terrasse. un homme noir me demande du feu pour une cigarette qu’il sort d’un étui argenté. merci, je lui glisse lorsqu’il me rend mon briquet, c’est à moi de vous remercier me rétorque-t-il en me regardant. instant d’existence.

Reprise par ? l’oubli, l’absence de rives,

avant cela, stupidement  fait parvenir à CM message de ma reconnaissance, via Instagram, un compte ouvert à cet effet, à l’accusé de réception (petit cœur, petite fleur, petites mains en prière, petits bisous) aussitôt refermé.

« Mais de rien ! je viens de passer quelques semaines en votre compagnie – dans vos eaux, dans vos os -, depuis la sortie du petit dernier qui m’a aussitôt poussée à reprendre les précédents, tant il se lit vite et tant on a de peine à vous quitter. on voudrait vous boire et vous reboire encore, vous lire et relire, ne vous avoir jamais lue et je devrais remercier le ciel d’être si douée pour l’oubli. or, je voudrais plutôt vous avoir définitivement assimilée, ADN modifié. de nouvelles lettres ajoutées. ou certaines déjà inscrites y ont-elles trouvé quelque noblesse. me serai-je vue ramenée sur les traces d’un destin. il y a de quoi s’étourdir.
je vous remercie du fond du cœur pour vos livres, vos passions, vos lectures,
(à nos riens, à nos pertes, à nos mères. à la joie) « 

je ne lui ai pas dit combien comment lorsque je pense à elle aujourd’hui, si j’essaie de me dire ce que d’elle j’ai retenu quel vide alors auquel je fais face, abyssal

mais, c’est faux. les mots m’abandonnent et c’est une torture mais

est-on abandonné le soir par le soleil lorsqu’il se couche. mais il revient.

restes d’elle : l’étendue, l’abandon, l’acquièscement. l’ascèse, le peu, le rien. words ? words ?
hilflosigkeit. toujours plus loin dans la hilflosigkeit… cela n’est pas à ma portée. il y avait un autre mot. déréliction.

mais c’est quoi ça, lire ?

jouïr. c’est être à l’abri. séjourner dans une maison inconnue, désirable.

mardi

hier soir, dispute finalement, rien d’étonnant.
somnifères. aujourd’hui dormi jusqu’à 15h.

blog : je ne veux ni like, ni abonnement. qui peut me suivre dans. je voudrais pouvoir faire ce qu’il faut pour séduire par l’écriture, mais c’est impossible. déjà, cet aveu de bipolarité, de mélancolie. ne peut que rebuter.

semaine dernière, pas été au tai chi.  pas plus cette semaine. ni chez la psy. la chère Hélène Parker. avec son nom de stylo-plume. celui auquel je m’agrippe.

home: je suis fâchée. pour rien, je le disais. un malentendu hier, qui m’a fait basculer.
ça ne devait plus m’arriver, mais ça m’arrive à cause du sentiment de m’éloigner de CM, dont je ne peux même plus prononcer le nom. m’éloigner ? j’ai relu tous ses livres. qu’en reste t il ? le vide,  un trou et pas d’extase à l’horizon.

ferais mieux de dire : séparée. me retiens aux parois que j’élève autour de moi et que je cogne. forgeronne son enclume. je me sais injuste, je n’ai pas le choix. si je me calme, si cette sourde colère ne me  contient, que va-t-il m’arriver ?

de nouveau : rien.

dès que j’écris pour le blog, j’entre dans une sorte de transe, de fièvre, dont je ne peux sortir. et dont je vois bien la vanité.

emmanuel, c’était quoi son nom déjà… carrère : à l’annonce du verdict, il pense : je vais écrire. se dit je suis écrivain, je vais écrire ce qu’il en est. comme moi après lui, s’enthousiasme presque. et puis.

le pire n’a pas tardé.

je ne m’attends pas au pire. à une prolongation indéfinie de cet état de contraction, de rétraction, de solidification. je suis l’enclume que je sonne et c’est aucun bruit que j’entends.

ce blog ne me tirera pas d’affaire. c’est même plutôt le contraire.

là j’ ai besoin de me maintenir en posture d’accusation. j’accuse. plutôt l’autre que moi-même.

ce n’est qu’une posture. c’est pour la solidification.

«Une telle âme ne peut rien désirer, ni rien craindre, elle ne soucie ni d’honneur, ni de bien, ni de vie, ainsi n’a-t-elle plus rien à ménager.»

Plus rien à ménager, c’est dire sa liberté.

Mais elle n’est pas sans désir puisque Dieu désire en elle et à travers elle. La manière dont le désir de Dieu la meut, n’est pas sans évoquer la manière dont le désir inconscient se manifeste, court-circuitant la réflexion, voire même la conscience. Il faut se laisser aller à ce qui vous pousse, ou vous meut. Le premier mouvement de l’âme transformée est de Dieu, c’est le bon. On a pu parler, à son propos, de somnambulisme divin, par exemple dans son rapport à l’écriture, où c’est Dieu qui écrit à travers elle.

La belle indifférence de Mme Guyon
Catherine Millot
Dans Insistance 2012/1 (n° 7), pages 89 à 97
https://www.cairn.info/revue-insistance-2012-1-page-89.htm
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