à Hélène Parker – c’est que je ne n’arrive plus à tenir aucun fil

Outrée, jeudi 13 mai, 5h48

Hélène Parker, 

Si je n’arrive plus à vous écrire c’est que je ne n’arrive plus à tenir aucun fil. 
Il faut que je trouve le moyen d’écrire plus vite ou plus régulièrement, systématiquement. 
Je suis à nouveau confrontée à des problèmes de sommeil. 
Je vais essayer de terminer les lettres commencées et de vous les envoyer. 

Nous vivons à une époque qui incite à l’éparpillement, à la « dispersion mentale » – plus rien n’accroche, plus rien ne fait butée.
Pour cela les réseaux sociaux sont une plaie. 
C’est pourquoi je me suis désinscrite de Facebook, d’Instagram.
Il reste Twitter, où je prends des nouvelles d’Anton. 

Hier en voiture roulant vers ici, Outrée, lu ceci proche de mes  préoccupations actuelles, en raison de ma lecture du dernier opus de Catherine Millot et de son goût pour la solitude (à quoi j’essaierais de m’amarrer à mon tour, créant en moi une tension, légère, différentielle): 

« Ce réel qui est manque et jouissance en même temps, substance et absence, sans nom et sans attributs mais réclamé comme un dû et revendiqué comme une créance, tout tissé de contraires comme un souhait dans un rêve, ce réel n’est-ce pas tout simplement la solitude, « la solitude qui découle du rapport qui ne peut s’écrire ? Car la solitude s’écrit, elle est même ce qui s’écrit par excellence, elle est ce qui d’une rupture de l’être laisse trace.« 

Anne Dunand, un « Commentaire de Hadewijch  (poème XVIII) », Ornicar ? 47 (la citation, magnifique, une promesse, est de Lacan dans le  Séminaire XX).

Comme le futur est actuellement incertain. Non pas seulement à titre individuel. Mais collectif. 

Blanche Demy 

Envoyé de mon IPhone

à Hélène Parker – vouloir l’aveu

il est maintenant 07h07 (vous le voyez comment j’avance vers vous « couchée sur le temps »…) je vous envoie une  des lettres non-envoyées dont je vous parlais hier, que j’ai pris le temps de relire et compléter encore ce matin :


paris, lundi 10 mai, 6 heures

très bien dormi, enfin.
relu hier catherine dont-j’oublie-le-nom, relu Extases intérieures. mais, c’est pas ça, le titre; catherine millot, le nom. le titre reviendra peut-être aussi.
le jour s’est levé. les lampadaires de la rue viennent de s’éteindre. la lumière s’appartient à nouveau.

je ne vais pas bien, depuis quelques jours, difficile(1). mais hier, repris huile de CBD et au réveil cette formidable sensation de chaleur, de confort, de grande lucidité.

je ne pense pas du tout que j’arriverai à noter ici ce qui m’est alors apparu.

l’embarras dans lequel je suis face aux tâches ménagères. dès que je les prends en charge, l’impression d’enfiler la peau de ma mère. tout dans cet appartement demande à ce que je prenne cette peau. à ce que je ne fasse plus que ça, du ménage.
hélas, je ne pense pas pouvoir rapporter rien de plus de mes clartés matinales.

tentative : 
de l’impossibilité de marcher dans les pas de mon père, de sortir du sillon de ma mère : pas très convaincant.
au hasard : 
du besoin impérieux d’agir en cachette, en secret. et de l’insupportable de n’avoir pas d’espace à moi, de temps à moi.

il y eut ce problème hier. tout d’un coup sentie hors de moi, expulsée.

cela fait si longtemps que je suis tentée de me remettre au travail, de me remettre à un travail, et que je n’en trouve pas les moyens : ni la place (où dans l’appartement, à quel bureau, à quel ordinateur ; au café, à la bibliothèque), ni le support (papier, téléphone, ordinateur portable, ordinateur de table ; fichier Word ou blog, blog secret ou blog ancien que je reprends.  compiler ma correspondance, reprendre les anciens textes, repartir à zéro, quelle voie pour la fiction, cela s’atteint comment ?), ni le nom (écrire en mon nom ? impossible ; en quel nom alors ? )

donc, s’agissant de travail auquel je ne me mets pas, je voulais retrouver un passage de ce livre qui n’est pas Extases intérieures de Catherine qui Millot, qui est Abîmes ordinaires me dit internet, je voulais le retrouver, le recopier, à défaut de trouver quoi en faire d’autre, le minimum donc, désireuse que je suis de ne pas laisser cette lecture sans conséquence dans ma vie. alors, ce petit travail de copiste.

à cette fin, et non sans anxiété, je m’installai à la table de la salle à manger. j’allais aussi tenter de combattre cette façon qui est la mienne de dériver, de me laisser aller sans but, incapable que de tenir le gouvernail du plus petit désir, de la moindre intention, je prenais une décision, minime certes, et sortais de mes trajets habituels pour me donner la chance de l’exécuter.

donc anxiété à propos du texte de CM, à propos de ce que j’en ferais, et anxiété parce que je prends une place dans l’appartement pour travailler, au vu est au su de tous, parce que je m’installe ainsi que je le faisais autrefois, il y a 20 ans, à une table, avec un ordinateur et des livres. je vivais alors seule.

vers quinze heures donc à la table de la salle à manger, 

or. déjà écrire ceci est compliqué, demande un travail de mémoire, demande d’aller contre ce qui cherche à se faire oublier, ce qui déjà s’enterre. ce dont je veux parler ici, qui s’est passé hier, je l’ai déjà oublié. j’avance, même s’il n’y parait pas, en aveugle. et le sol, me semble-t-il, les mots, ne cessent de se dérober sous moi. littéralement. je ne sais plus ce qui provoqua la colère d’hier.

en attente d’un nom. quel nom me fait trou au cœur. quel nom me manque. que fais-je en cette absence. quel nom puis-je endosser, en quel nom écrire? comment rapprocher ce  que j’écris de ma personne, de mon nom (impossible).  cela qui n’est possible que dans une lettre (au bas de laquelle j’écris mon nom).

(ce pourquoi j’écris beaucoup de lettres. ce pourquoi je suis tentée d’écrire beaucoup de lettres. est-ce pourquoi elles sont si souvent d’amour sont si souvent d’adieu. elles seules, le lieu de désir, de l’amour, de mort, etc. )

je me dis que je dois retourner à tenter de penser la lâcheté de ça : je n’assume pas ce que je suis, pense. je me dis ça, ces jours-ci. pourquoi ne pas plutôt penser en terme de lâcheté, en termes de lâcheté morale… plutôt que de psychose, de mélancolie ou de Dieu sait quel « rejet de l’inconscient »(2) :

« Il nous faut distinguer, à partir de Télévision, entre la clinique de la lâcheté morale et celle du rejet de l’inconscient. Il s’agit dans le premier cas d’un sujet défini à partir de la structure du langage, la clef en est le désir. Dans le second cas, le rejet de l’inconscient nous renvoie à un autre registre, celui où la  jouissance mortifère se noue à la naissance du symbole. »

Éric Laurent, « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », Ornicar.?47


et c’est là qu’il m’est apparu que je n’aurai jamais rien d’autre à écrire qui ne soit au bord de l’aveu.

(et qu’il y s’agit moins de lâcheté morale que de rachat moral).

toujours au bord de l’aveu. quoi que j’écrive, de cet ordre-là. ce grand désir toujours, qu’on en vienne là, aux faits.  le souvenir remonté de dostoïevski. l’enthousiasme de ma mère pour dostoïevski, ses grandes scènes d’aveux.

je  veux  l’aveu.

faut du crime, faut que ça saigne pour que ça signe, faut que ça s’enseigne, le reste balayé, inexistant, c’est bon pour la fille qu’a un nom :  Blanche Demy.

comme s’il n’y aurait jamais rien d’autre à écrire : ma faute.  celle reprise à mon compte dont ma mère ne cesse de s’accuser.

(question stupide : est-ce de la même faute qu’il s’agit. s’agit-il de la sienne de faute que je fais mienne, ou s’agit-il de la sienne et de la mienne. s’agit-il de sa folie que je prends à mon compte, de la mienne que je lui attribue, ou sommes nous aussi folles l’une que l’autre…)

il y a une faute qu’aucun nom n’assume. c’est d’elle que ce que je veux écrire voudrais prendre la charge.

aucun nom, seulement la chair. Chère Hélène, Chère Blanche,

n’est-ce pas plutôt de la nature de cette faute qu’il faut se rapprocher. de cet objet de l’écriture. dont j’avais cru lire une interprétation possible dans l’écrit d’Éric Laurent cité plus haut sur la mélancolie.
la culpabilité endossée du meurtre de la chose par le symbolique. non, c’était plus dramatique encore que ça. il était question d’incarnation. ne s’agissait-il pas d’incarner ce qui restait du meurtre. ou ce meurtre même et ce qu’il tue. mais non.
ah. mais que faire de ces textes qui vous frappent, où il vous semble lire la résolution de l’énigme qui ne trouve d’ailleurs nulle part où s’écrire, qui se referment dès lors qu’on veut les approcher de plus près, n’offrent plus que leur opacité (en lieu et place de la limpidité un instant ressentie). 
à chaque relecture, je rentre en suspension, c’est à peine si j’ose encore bouger.  j’attends que la révélation entr’aperçue parachève ses effets, ma transformation, qu’elle s’énonce enfin en toutes lettres, me libère. or ça, en lieu et place de libération, c’est bien plutôt de culpabilité que je suis envahie. tant il me semble que je ne fais pas alors ce qu’il conviendrait, que je n’accomplis pas le travail exigé. que je n’étreins pas le texte, ne le tords, pour lui faire rendre son suc, ma vérité.

je fais mieux de reprendre le récit de ce qui s’est passé hier.

je veux donc m’installer à table, je m’apprête à m’asseoir, quand Édouard met une musique dont rien ne peut faire que je ne m’en sente agressée. je ne peux rester dans la pièce.
nous sommes vraiment peu de choses.
je vais à la chambre, je  me couche, entends encore. ne sais ce que je fais alors, probablement décide de ne rien faire, d’attendre que cela passe. je ne veux pas laisser ma  colère s’amplifier. le sentiment d’être perdue. comme je ne peux plus, je ne veux plus me mettre en colère, « être fâchée sur » Édouard, décontenancée, vidée, je décide de sortir, me promener.

il faisait beau, bon. ne faut-il en profiter? cela n’avait pas de sens. je suis allée au bois de Vincennes que je ne connais pas, où j’ai marché lentement. me semblant reconnaître le bois de la Cambre à Bruxelles. je suis allée au bois de Vincennes, où j’ai marché lentement, j’ai fait le tour du lac, fort long tour, tout m’a paru charmant, je prenais des photos, parfois. j’envoyais des messages à Édouard et à Anton (pensant que je n’existais que là, par là, par ces petits messages que j’envoyais. mais c’était dans un vouloir les aimer aussi et n’être plus fâchée. ce plus sûr mode chez moi d’aimer, écrire. je t’écris, je t’aime. aurais-je pu n’avoir rien écrit ? ne leur avoir rien écrit? est-ce que ce serait cela, devenir seule ? cette nécessité de solitude à laquelle la lecture de CM m’a ramenée, qu’elle a fait scintiller à mes yeux.)

je n’existe que dans l’écriture-à, me suis-je dit. dans un écrire intransitif, pour reprendre une expression lue sans la comprendre chez  catherine millot :

(…) il me semblait parfois être la place en attente du jour, sans cesse remis au lendemain, où je me mettrais à écrire. Mais ne tombais-je pas dans un cercle puisqu’écrire, verbe intransitif dont la condition était une certaine vacance, avait pour vocation précisément de donner consistance au vide, en quelque sorte de l’engendrer.
Abîmes ordinaires, Catherine Millot, p. 56.

pourquoi a-t-il fallu que cette expression me frappe? c’est que mon écrire-à, mes lettres, ne supportent aucun vide. bien plutôt cherchent à le remplir, à l’habiter, le peupler. aussi, si dépendante que je me trouve depuis longtemps d’un autre auquel écrire, dans l’impossibilité où je suis de désincarner le lieu de mon adresse, de l’abstraire, de tracer moi-même – de dessiner, de fixer, de peindre -, par delà tout, la silhouette vide et désirable d’un autre inexistant, il me semblait convenir que j’arrive à transitiver l’écriture. je voudrais une écriture qui, comme l’angoisse, ne soit pas sans objet, et qui ne cesse de chercher à s’en rapprocher. encore, et encore.

au retour de ma petite promenade où j’avais marché 11620 pas, après avoir gentiment salué tout le monde, enfant et compagnon, je suis retournée dans la chambre et je l’ai finalement retrouvé le passage de Catherine Millot dans Abîmes ordinaires.

je lisais, accrochée à ses lèvres, au déroulé de son énonciation, consciente de ce que se disait là quelque chose de mon être même, dont je ne savais comment le rejoindre ni comment m’en différencier, puisqu’il fallait bien que je m’en différenciasse, n’ayant connu son (fabuleux) destin, à elle, CM (destin : écrivain / analyste). Le passage a-t-il répondu à mes attentes, correspondu à mon souvenir : oui. oui. oui et non. oui. et le sentiment de suspension et le moment sidération et le sentiment de tristesse.

(comment m’extraire moi, de là, de dessous tout son splendide fatras d’elle, Catherine Millot. comment écouter, retenir ce qu’elle dit, ne pas l’oublier déjà, et qui pourrait adoucir mon sort. que d’elle retenir qui me serve, dont je puisse faire usage. son insistance, sa persévérance. son obsession. l’extase, la solitude, l’écriture. elle qui d’un objet de damnation fait un objet de béatitude. )

à Édouard qui passait dans la chambre, je lus à haute vois le passage, très mal, j’aurais espéré qu’il se passât quelque chose de supplémentaire, une petite jouissance supplémentaire, rien. à la fin, Édouard s’empressa de déclarer : extraordinaire, tout à fait dans tes préoccupations, tu es dans de bonnes mains avec ce livre. dont je lui expliquai alors que j’en étais à une tentative de relecture, et qu’il n’y avait pour moi probablement rien de plus triste au monde que l’idée d’avoir terminé un livre, de l’oublier, de ne rien en faire

08:09, il fait maintenant tout à fait lumineux.

*

A cette lettre de mardi, j’ajoute encore, ce matin (06:06) jeudi :

il ne me semble pas que la solitude de Catherine Millot soit à ma portée. et cela reste encore à établir (la nature de mon irréductible dépendance à l’autre).

pourtant dans le silence même qui s’imposait à moi hier en séance, et l’impossibilité même où je me trouve d’écrire encore ces lettres, mes lettres-à, mes lettres intransitives, il y a peut-être ça, un aveu de suffisance. qu’il s’avoue que ça suffit. un aveu de jouissance. un aveu aussi de quelque chose de réussi et qu’une page doive se tourner : je l’ai fait je l’ai écrit je l’ai dit. il y a quelque chose que je dois pouvoir n’avoir pas à redire. c’est ce que j’entendais, hier en séance. un sentiment de déjà dit. avoir dit. et que cela suffise.

il y a ce vêtement de ma mère qui flotte sur moi. et il y a tout ce que j’en ai écrit, tout ce que j’en ai dit. cela s’ajoute. c’est un en plus. c’est ma part. c’est ce qui n’est pas elle. sur les traces de quoi vous m’avez mise, vous, Hélène Parker, lorsque vous me paraissiez vouloir souligner comment je n’étais pas elle. ce que je voulais dire aussi, c’est que j’ai entr’aperçu dans l’autre lettre écrite : il n’est pas attendu que j’en fasse plus, que je fasse tout. tout pour l’autre. je ne peux plus croire qu’Édouard et Anton l’attendent. je ne peux plus les en accuser. seule, moi. à tout attendre. je suis celle qui est dans la tentation du sacrifice. me révolter contre eux, me permettait de faire limite, de limiter l’imitation (qui fut sans révolte, aucune, donnée totalement). or, je n’y arrive plus. (depuis ce lapsus en séance, je n’arrive plus, quel lapsus : celui où je voulus vous dire que j’étais « fâchée sur Édouard », et où c’est mon propre prénom qui sortit : « fâchée sur Blanche ». depuis, il ne m’est plus possible d’être fâchée sur lui, même si le réflexe m’en revient encore, dont je ne sais que faire.) j’ai donc, ainsi que je l’annonçais hier en arrivant, une nouvelle limite à trouver. 

car ce sacrifice sans nom auquel ma mère se pliait volontiers mais non sans angoisse, quand je tente par tous les moyens d’y échapper sans cesser d’y retomber, est un trou.

c’est vous qui parliez de trou dans le savoir. ce trou que j’ai appris à aimer. trou dans le savoir dont je cherche à faire état depuis des années. qui ne cesse de vouloir faire symptôme. ainsi mes oublis. les trous de mémoire avec lesquels il me faut composer. auxquels je ne voudrais pourtant pas renoncer.

je vais vous envoyer maintenant cette lettre et retourner me coucher. il y a une autre lettre, je crois, qui traîne encore.

Bonne journée, Hélène Parker,

Blanche  Demy


(1) j’en accuse les cigarettes que j’ai fumées récemment. il n’y en aura pas eu plus de 3. pas plus de 3 cigarettes sur 4 ou 5 jours.
ça aura suffi pour : me faire pousser un bouton sur le nez, me donner mal aux dents aux oreilles à la gorge, m’empêcher de dormir (+ le reste).
j’ai tout de suite pris 1 anxiolytique (pour m’aider à supporter et dépasser l’envie de fumer à nouveau), et finalement des somnifères.

(2) Voir aussi : « Mais ce n’est pas un état d’âme, c’est simplement une faute morale, comme s’exprimait Dante, voire Spinoza : un péché, ce qui veut dire une lâcheté morale, qui ne se situe en dernier ressort que de la pensée, soit du devoir de bien dire ou de s’y retrouver dans l’inconscient, dans la structure. Et ce qui s’ensuit pour peu que cette lâcheté, d’être rejet de l’inconscient, aille à la psychose, c’est le retour dans le réel de ce qui est rejeté, du langage ; c’est l’excitation maniaque par quoi ce retour se fait mortel. À l’opposé de la tristesse, il y a le gay sçavoir lequel est, lui, une vertu. Une vertu n’absout personne du péché, originel comme chacun sait. »
J. Lacan, « Télévision », Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 526.

à Hélène Parker – je ne vous ai toujours pas envoyé l’autre lettre,

Outrée, samedi 15 mai 2021 à 06:10

je ne vous ai toujours pas envoyé l’autre lettre, sur le tai chi. et puis celle sur le rêve de la villa, le trajet consacré à me battre pour ne pas rencontrer la (jalousie) de celle dont je suis l’autre femme.

c’est que j’ai passé un jour ou deux à essayer de capter ce qu’arrive à saisir Eric Laurent d’une identification à la Chose dans la mélancolie, au travers du Fort-Da (dans « Mélancolie, douleur d’exister, lâcheté morale », Ornicar? 47, 1988.). cela me devient de plus en plus énigmatique, j’ai beau scruter ces quelques paragraphes, m’attendant à un éclair, je n’y arrive pas, je ne comprends pas et je m’en veux.

je reconnais d’ ailleurs dans cette interrogation une perplexité que je connais face à bon nombre de textes.

ce n’est pas tout à fait le sentiment que celui que j’éprouve face à celui de Catherine dont le nom m’échappe, Millot. non, ses textes sont limpides. face à ses textes, son œuvre, il me semble pourtant également être en dette et je vous l’ai exprimé correctement par écrit.

il y a comme une résistance. (il y a comme la nécessité d’un travail). la résistance du trou du savoir.

cela fait 2 jours que nous sommes dans les affaires de ma belle-mère, dont nous vidons l’appartement, et j’ai lu tout ce qu’elle a laissé comme textes – que je n’ai pas cessé de lire et relire et chérir. (ces textes, des riens, des tout petits riens, des tout petits textes, sur des bouts de papiers ou dans des agendas, où s’étire, dans une sorte d’effarement, dans ses dernières années, son délitement.) la dernière fois que nous étions venus là, j’avais été captée par les photos de mon beau-père. que laissons-nous derrière nous. qu’adviendra-t-il de ce que nous laissons.

mais ce n’est pas ce que je voulais vous dire, ce que je pensais arriver à vous dire. il s’agit de ces pages de Millot dans Abîmes intérieurs ordinaires que je voulais retrouver, recopier, travailler.

elle y parle d’un certain état de vacance qu’il lui a toujours fallu préserver, que j’appellerais un état de réserve. sa description est très proche de ce que je connais moi-même, dont il me semble vous avoir parlé. elle s’y interroge sur ce qu’il convient d’en faire, de ce vide à ménager à tout prix, et trouve à l’engager dans l’écriture. elle parle même finalement, je crois, de division: elle renonce au vide à plein-temps et se fait mi-analyste, mi-écrivain. ce qui correspond exactement à ce que j’aurais moi-même espéré, voulu. ce qui me paraissait le plus proche de mon être. je n’y suis pas arrivée. lacan m’a-t-il manqué…. ;) pour chérir et défendre cet état, qu’il nomme en latin: otium cum dignitate

moi, c’est des années d’analyse qu’il m’aura fallu pour débusquer mon goût du rien, des années à m’en sentir poursuivie comme d’une fatalité. des années pour m’y faire, faute d’arriver à m’en défaire. des années pour apprendre à revendiquer une attitude, un mode de vie, qui jusque là s’imposait à moi, à tout instant heurtant ma grande propension à la culpabilité et à l’auto-accusation. des années pour apprendre à reconnaître et à chérir ma faute, ce goût malgré moi de ce qui manque au nom, cette incessante quête, désir, volonté intérieure, n’écoutant qu’elle-même, impitoyable, sourde à mes désespoirs. il fallait, et faut encore, que je trouve à cet immodéré goût du rien, ce constant appel du vide un mode d’existence, de déploiement dans ma vie, auquel je puisse activement et consciemment m’associer. que le jouir inconscient trouve un chemin de conscience.

rejoindre la volonté de ce qui est d’abord subi. parce qu’il n’y a pas d’autre volonté.

il y eu le tai chi, bien sûr. s’offrant en oraison silencieuse possible (je reprends ici un terme que je redécouvre dans un autre livre de C. Millot que je lis actuellement, sur cette incroyable Mme Guyon, La vie parfaite ça s’appelle, le livre). où une forme de jouissance est cultivée pour elle-même, en toute conscience, dans une grande attention au corps, vécu comme un nouveau pays que l’on apprend à parcourir.

personnellement, je n’ai pas vécu cette vacance dont parle Catherine Millot, dans la pureté qu’elle décrit. de même que je n’ai pas vécu de désir qui se soit franchement dénudé, dévoilé, décidé comme le sien. ou ai-je mis plus de temps à le reconnaître. (ou ai-je eu à affronter des démons qu’elle n’a pas connus.) il y avait une attente. une attente de quelque chose. il y avait cet état où l’attente finit préférée à la chose attendue. où ce qui se voit préféré l’est à défaut de ce qui est attendu et ne vient pas. une installation dans la limite de l’inhibition. (où l’on s’est pris à chérir les murs de sa prison, à force d’en parcourir et re-parcourir les moindres contours. mais pourquoi faudrait-il qu’il en soit autrement, connaître supporte la restriction.)

et il y avait l’analyse, la psychanalyse.

aujourd’hui encore, vu la façon dont les choses se passent, ce qui me reste d’ambition, ce qui pourrait me revenir d’ambition, se cristalliserait dans un désir de dire quelque chose de plus sur la mélancolie, sur la psychose, la psychose ordinaire.

quelque chose de plus, qui voudrait encore se situer du côté de la bonne nouvelle.

malheureusement, comme mélancolique, j’ai été très aidée tout au long de ma vie par la psychanalyse. je veux dire que je n’en suis pas une pure et dure.

et je ne pense pas que je puisse renoncer à cette identification au cas ou à la maladie. si j’avais été mieux inspirée de départ, j’aurais pu trouver à inventer ma propre maladie, comme celle de la mort, de Duras, mais voilà, non, moi il y a ce besoin de me suridentifier à un cas et je fais tout pour finir par me retrouver dans un livre.

« blanche d., un cas de mélancolie ménagère ».

vous croyez qu’il faudrait se passer de ça, encore. c’est pas évident.

je me demandais quelle limite je trouverais au « tout devoir faire » du ménage si je ne trouvais plus celle de ma colère contre édouard pour m’en préserver. on en vient finalement à ce que je voulais vous dire.

non-terminé, non-envoyé

lundi 17 mai, séance de chi PB

8h21

maintenant, chi, refaire dernier cours PB, qu’il a intitulé Les 3 cerceaux. aucun espoir de jamais arriver à discipliner ça, le travail de tai chi. de discipliner quoi que ce soit. manque totalement de suite dans les idées, persévérance. suis assise sur grand coussin du salon. tout le monde dort.

8h34 Cours 13 de la balade

3:10 / 1:33:17 je transcris, mais ça n’est pas mot à mot, je transcris rapidement :

« c’est donc curieux, étrange que pour arriver à quelque chose qui dans le corps va fonctionner tout seul, il nous faille avoir tant de précision dans l’élaboration, dans la construction, … et cette construction au bout d’un moment on se rend compte que ce n’est qu’une façon de faire pour arriver à quelque chose qui nous dépasse complètement, et pour arriver à quelque chose qui est déjà dans notre corps, qui nous est propre, qui est propre à la vie, … il nous faut construire quelque chose qui va fonctionner tout seul et qui va nous donner un sentiment de légèreté, soit un sentiment que nous apporte habituellement quelque chose de plus vague, et qui se comporte globalement dans le corps, alors que ce que nous devons faire ne peut être vague. »

est-ce que ce n’est pas la recherche même de la précision, soit l’attention, qui me modifie déjà, qui me change d’état, qui me fait rentrer déjà dans ce que je cherche à atteindre, qui me sépare déjà de ce que je suis (habituellement), qui me rapproche d’un autre état, ordinairement inaperçu. parce que je cherche à toucher précisément un point dans le corps, à l’instant par exemple, il s’agit du repère arrière, tandis que je le sens m’échapper, c’est tout mon corps effectivement, qui réagit, qui participe à cette recherche de précision. est-ce que cette recherche de précision n’est pas ce qui participe au mieux au vidage de la pensée et donc à ma modification. toucher par la pensée un point du corps, le modifier, agir sur lui, fait coïncider ma pensée avec une forme de pensée du corps qui semble se plier volontiers à ma proposition. je veux toucher le repère arrière, le corps tout entier réagit, je rentre dans un autre état de corps. et je ne toucherai pas le repère arrière à chaque fois de la même manière, dès que je fais cela, je prends connaissance d’un certain état de corps qui ne m’est pas autrement connu, conscient. aujourd’hui, mon repère arrière voulait filer sur la gauche, se laissait saisir trop à gauche.

ainsi commence le travail de la posture, au départ de ce travail qu’on fait, sur les repères du tantien, afin de le prendre en main. « le tantien et la posture, ça c’est agréable. c’est la phase facile, spontanée. » pour moi, c’est devenu ce qui m’échappe par excellence.

14:00 / 1:33:17

« …il n’y a pas de tantien, de tronc, de mat, nous ne croyons pas au père Noël, voyons, mais les constructions que nous faisons nous ont rapprochés de quelque chose dont nous ne saurons jamais le nommer, nous ne saurons jamais ce qu’est cette petite boule pour nous, qui est bien pratique, que je peux saisir avec les mains intérieures… si vous y croyez, pourquoi pas.. il faut peut-être passer par là, et qu’on ne le dépasse pas… mais on peut ne pas être dupes et aimer cela.. « 

… trajet d’un point à un autre, du tantien au repère latéral droit par exemple, est-on jamais sûr de l’atteindre ce repère, est-ce bien lui, sera-ce bien lui ; pas de doute, on avance on avance on avance, mais le bout, le point, l’atteindra-t-on. on y est / y est on. où suis-je, suis-je vraiment quelque part, si je bouge un peu, n’est-ce pas plus précis, c’est plus précis, cette fois, c’est bien là, dans le corps, où à vrai dire on en était plutôt à nager; le point est atteint, on peut y rester, on est saisi d’un coup de chaleur… et puis, retour au tantien, même boulot, même incertitude, c’est coincé, ça ne bouge plus, ça n’avance pas. je pense au cours sur le oui ou non. ça y retourne. jusqu’à ce tout à coup, c’est là, ou est-ce que ça s’est déplacé un peu sur la gauche? et quand c’est là, le moment de confort…
est-ce qu’il ne s’agit pas de la mise en place de points limites, entre deux points limites : l’infini. et pourtant pas du tout. je déplace mon attention d’un point à un autre : je sais très bien où je suis, et pourtant plus du tout, et pourtant, cela pourrait bien prendre un temps infini d’arriver au point visé. ces points limites sont des points précis du corps, les atteindre pourtant donne le sentiment de tendre à l’impossible… et c’est l’application même que l’on met à atteindre ce point, qui fait l’exercice, la présence, à quoi tout le corps réagit. ou alors, au contraire, mon attention touche-t-elle un point de façon instantanée, « l’attention lance-pierre, dit P., l’attention galet dans la mare ». penser repère repère latéral gauche, instantanément y être, s’y attarder, tandis que depuis ce point, tout du reste du corps rentre dans une autre dimension, comme interprété depuis ce point là. tout le reste du corps rentre dans le vague tant que le point n’y est pas retourné (« mentalement »…), c’est depuis ce point que le reste du corps va se mettre à exister, point ,point de vue. il n’existe plus que ce seul point (en appui bien sûr sur le tantien).

56:59 / 1:33:17 douleurs, que faire ? arrêter ? continuer ? interrompre ? douleurs surtout dans l’aine à gauche, mais aussi, d’une certaine façon, dans tout trajet du cerceau. et forte tension dans cou à gauche.

10h48 fini. ouf. repos. j’essaierai peut-être de prendre des notes plus tard. mais là, repos.

fortes tension dans ventre. il m’est arrivé par le passé de sentir douleurs dans tous rayons du cerceau. j’ai pensé j’aurais peut-être pas dû boire café.

les autres cerceaux : trop de tension, je crois, dans toute la posture, que pour pouvoir en profiter pleinement. mais, bien sûr, il se passe quelque chose et ses tensions s’apaisent un peu en passant dans les étages.

je ne sais que faire maintenant. je crois que le mieux ce serait me coucher au sol avec couverture. mais, je vais me coucher un moment dans le lit, calmer tout ça, les douleurs, les tensions. et essayer de me réchauffer.

12h46 pris un bain. passe de la crème sur mon visage : délice. c’est jouir après-coup de la séance. toute la caresse du visage tombe dans le tantien. tout corps pris. petits bouillons, chaleur. respiration des jambes, des pieds, de la poitrine, très douce. sourire. tout très fin. même mes yeux. Le chat ne me lâche plus.

Hadewijch et Lacan – ce réel qui est la solitude

« Ce réel qui est manque et jouissance en même temps, substance et absence, sans nom et sans attributs mais réclamé comme un dû et revendiqué comme une créance, tout tissé de contraires comme un souhait dans un rêve, ce réel n’est-ce pas tout simplement la solitude, « la solitude qui découle du rapport qui ne peut s’écrire ? Car la solitude s’écrit, elle est même ce qui s’écrit par excellence, elle est ce qui d’une rupture de l’être laisse trace.« 

Anne Dunand, « Commentaire de Hadewijch  (poème XVIII) », Ornicar ? 47
(citation, Jacques Lacan, Séminaire XX, Encore, p. 109).

Catherine Millot – L’appel du vide… (extrait d’Abîmes ordinaires)

ici, les photos de ces pages d’Abîmes intérieurs ordinaires de Catherine Millot, qui m’ont tenue en haleine, que je n’ai cessé de me remémorer, de vouloir retrouver, qu’il me faut interroger encore, aimer encore, vouloir encore ; les photos faute d’avoir le temps de les recopier, ce que je ferai plus tard…

il était venu à mon secours en répondant que je pratiquais l’otium cum dignitate
Le refus du travail relevait du défi
mon étrangeté légitime… s’efforcer de se tenir prêt, mais pour qu’elle venue ?
Que mon existence pût se résoudre à cette oscillation aussi dérisoire qu’énigmatique, que cette vaine entreprise en constituât peut-être le sens ultime me remplissait parfois de stupeur.
être la place en attente du jour, sans cesse remis au lendemain, où je me mettrais à écrire. Mais ne tombais-je pas dans un cercle puisqu’écrire, verbe intransitif…. …. je finis par trancher en coupant ma vie en deux.
me parla de « la merveilleuse solitude » où se tenaient les ecrivains
d’une liberté infinie dans l’absence d’espoir même

à h. parker :: la sphère

chère Hélène Parker bonjour,

sur twitter je tombe sur ce bout de phrase : the body is submitted to the deadly effects of the signifier

le corps est soumis aux effets mortels/mortifères/létaux du signifiant.

et je me dis que l’expérience que j’en acquiers, avec le tai chi, est tout autre.

je ne m’explique pas le chi (1) et les effets de chi.

je tente de me les expliquer.

ainsi l’autre jour, au cours du vendredi, nous nous appliquions à dessiner/forger une sphère dans le ventre, une sphère dont le centre soit le tantien (2), le centre du corps. 

ce jour-là, Pierre dit que l’on retrouve alors la sphère, qu’il y aurait une sphère primitive perdue au fil de l’avancée en âge, perdue par nos apprentissages, nos modes de vie, notre civilisation. (bon, un autre jour, il dira que le tantien n’existe pas. il est tenté je crois de formaliser ceci : que ce que l’on trouve en tai chi, on le retrouve. que cela a été, puis a été perdu. et il s’étonne que l’on doive à ce point travailler pour retrouver quelque chose qui est là, qui a déjà été là.) je ne crois personnellement pas qu’il y ait jamais eu cette sphère-là, cette sphère si précisément et géométriquement construite. (mais je crois qu’il y a de la sphère », c’est-à-dire que notre corps en sait un bout, la connaît à sa façon; la sphère et sa perfection, si le trait qui s’en trace est symbolique, si elle s’écrit mathématiquement, le lieu qu’elle ouvre est hautement imaginaire, non?  qui toujours renvoie à une conception de l’univers, à une conception de soi infime grain de sable face à l’immémorial mouvement des astres. forme première qui n’a pas attendu pas la main de l’homme pour exister, la sphère ne manque pas : soleil, lune, oeil, poing, noix – ventre. autant de sphères qui en nous résonnent.) et donc, plutôt j’imagine que ce qui se retrouve, se rejoue, au travers de ce dessin en trois dimensions exécuté à l’intérieur du corps, c’est moins la sphère, que quelque chose de l’ordre de la rencontre du corps et du langage (elle primitive pour le coup, la rencontre). quelque chose de l’ordre du marquage est retrouvé, célébré, agi, dont les effets dans le corps sont directement guettés, cherchés, accueillis, voulus pour eux-mêmes. jouis. consciemment.

que l’essentiel, c’est ce dessin intérieur, ce tracé, ce pinceau de la pensée directement appliqué dans la chair. et que le corps y réponde. toujours. les résonances sont multiples, d’un nombre qui toucherait facilement à l’infini, ce n’est qu’une question d’attention, et qu’il s’agit de restreindre sous peine d’éparpillement. d’où d’ailleurs, la proposition de départ de ne jamais lâcher le centre du corps, le tantien, de garder ce point d’ancrage. mais le corps répond, au dessin, à ce dessin sculpté, le corps donne le sentiment de « comprendre », d’approuver, de vouloir adhérer aux principes implicites de cette sphère en 3D qui s’offre en limite idéale vers laquelle tendre.

comme dirait Pierre : il y a une entente.

les choses se jouent dans cette tension, cette attention. il y a les solutions que le corps trouve seul et celles qu’on lui indique. par exemple, de lui-même et facilement, il se réajuste pour aller vers un plus de symétrie droite/gauche, tandis que les efforts seront plus nombreux pour arriver à faire en sorte que tous les rayons de la sphère soient de même longueur (alors que les repères posés dans le bassin dessinent une forme ovoïde), à en avoir la sensation.

si ce ce travail n’est pas mince, il va se faire. le corps en trouvera le chemin. cela sera physiquement ressenti. (et je me demande si l’on ne pourrait pas penser les choses de cette façon : une fois quelques points posés, les « repères », est-ce qu’on ne rentre pas dans une forme de topologisation du corps où les distances sont abolies. à voir.)

bien sûr, cette sphère, il ne s’agira pas que de la dessiner, il s’agira aussi de la vider, de la remplir, de la respirer, de la cercler, de l’encercler, de la retourner, etc. 

et tout le travail fait, les traçages opérés par la pensée, une pensée qui agit musculairement, une pensée qui s’applique comme un doigt à l’intérieur du corps, en des zones précises où elle s’enfonce, toute cette action directe du signifiant sur le corps, ce moment aussi d’identité du signifiant et de la chose qu’il désigne, d’identité dans la jouissance, tout cela ne correspond absolument pas aux dits « effets mortels du signifiant sur le corps » dont la psychanalyse se fait souvent l’écho. au contraire. ce sont effets de jouissance « positive », de silence, de bonheur. il y a des effets de gonfle, des effets d’inspiration et d’expiration qui semblent devoir se prolonger indéfiniment, des effets de réduction, de constriction, des effets de précipitation, de galops, de forces centrifuges et centripètes, des effets de vagues, de ralentissement, de calme, de douceur. au plus il y a de douceur, au plus il y a de force, au plus il y a d’ampleur. des effets paradoxaux.

au cœur de l’enseignement du tai chi selon stefan, il y a cette idée de vie, qui voudrait aller d’ailleurs plus loin que l’idée seule : son épreuve, éprouvement, sensation.

il y a l’idée d’émerveillement face à la vie.

(qui suis-je, moi, blanche demy, que cette proposition agrée.)

l’art du chi selon stefan, c’est un travail du corps, de sa matière, au plus près dans la sensation, dans l’imagination, avec le langage. 

je ne peux pas ici, maintenant, parler des effets bénéfiques que ce travail entraîne.

aussi parce que je suis moi-même trop pleine de doutes pour avoir suffisamment pâti des effets de la pulsion de mort (dont il m’est nécessaire de trouver le discours qui les prenne également en compte : je ne suis pas prête à y renoncer).

mais je peux vous assurer que le moment où soudainement le corps prend en charge, à lui seul, l’exercice proposé, est simplement magique. 

de même, dans le tai chi (dans la pratique du tai chi, pas du chi), quand le corps se met à bouger sans vous, c’est jubilatoire : on ne jubile pas : on observe : aussi silencieusement que possible, dans la conviction de toucher à quelque chose d’essentiel.

après ça : oui, on se sent mieux, oui les douleurs ont disparu, oui, on a eu très chaud, oui, on est tout assoupli, oui, tous nos gestes tendent à poursuivre l’exercice, la danse.

bon, je me suis un peu emmêlée les pinceaux et ça part dans tous les sens…

en vous remerciant pour votre attention,

blanche demy

(1) chi ou ki en japonais. un mot pour dire quelque chose que notre civilisation ne connaît pas, ne travaille pas, ne cultive pas. cela se vit comme une énergie, un souffle, un flux. j’ai eu tendance à penser que cela naissait de la rencontre intime  du corps et du langage, d’une écriture à même le corps. voire même que cela aurait pu matérialiser quelque chose de l’ordre de la pulsion. cela aurait été purement humain. or, du chi, il est censé y en avoir partout, les chinois cataloguent d’ailleurs différentes qualités de chi (le chi de l’arbre vieillissant, le chi de l’arbre mort, celui de la jeune pousse) et la nature en recéler beaucoup. moi-même, je le ressens. cela dit : la nature vous prend au corps, vous prend tout entier : une bourrasque, un col de montagnes, la mer. c’est un silence qui s’impose. l’intime sentiment de la vie. (autrement dit : soit le chi sort de la montagne, soit le chi que je ressens alors est celui de l’impression qu’elle me fait et que le silence de sa grandeur me permet de ressentir). je n’ai pas de réponse quant à la nature du chi. je peux cependant dire qu’il m’a civilisée. il a cartographié mon corps. dire que le chi est partout, étend mon corps à l’univers, étend sa cartographie à l’univers.

(2) tantien: situé au centre gravitationnel du corps. il y en a plusieurs, vlady n’a retenu que celui-là. c’est le point du corps où l’on se résout et qui s’offre comme appui permanent. cela procéderait de la croyance, dans les faits c’est un point concret, physique, corporel, auquel se raccrocher, de sorte qu’on ne lâche pas une présence au corps. dès qu’on le tient, dès qu’on s’y tient, le reste du corps répond. ces réponses imposent le silence.

11-24 mai 2021


sur la sphère, de toute beauté : http://expositions.bnf.fr/monde-en-spheres/index.html

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