chère Hélène Parker bonjour,
sur twitter je tombe sur ce bout de phrase : the body is submitted to the deadly effects of the signifier.
le corps est soumis aux effets mortels/mortifères/létaux du signifiant.
et je me dis que l’expérience que j’en acquiers, avec le tai chi, est tout autre.
je ne m’explique pas le chi (1) et les effets de chi.
je tente de me les expliquer.
ainsi l’autre jour, au cours du vendredi, nous nous appliquions à dessiner/forger une sphère dans le ventre, une sphère dont le centre soit le tantien (2), le centre du corps.
ce jour-là, Pierre dit que l’on retrouve alors la sphère, qu’il y aurait une sphère primitive perdue au fil de l’avancée en âge, perdue par nos apprentissages, nos modes de vie, notre civilisation. (bon, un autre jour, il dira que le tantien n’existe pas. il est tenté je crois de formaliser ceci : que ce que l’on trouve en tai chi, on le retrouve. que cela a été, puis a été perdu. et il s’étonne que l’on doive à ce point travailler pour retrouver quelque chose qui est là, qui a déjà été là.) je ne crois personnellement pas qu’il y ait jamais eu cette sphère-là, cette sphère si précisément et géométriquement construite. (mais je crois qu’il y a de la sphère », c’est-à-dire que notre corps en sait un bout, la connaît à sa façon; la sphère et sa perfection, si le trait qui s’en trace est symbolique, si elle s’écrit mathématiquement, le lieu qu’elle ouvre est hautement imaginaire, non? qui toujours renvoie à une conception de l’univers, à une conception de soi infime grain de sable face à l’immémorial mouvement des astres. forme première qui n’a pas attendu pas la main de l’homme pour exister, la sphère ne manque pas : soleil, lune, oeil, poing, noix – ventre. autant de sphères qui en nous résonnent.) et donc, plutôt j’imagine que ce qui se retrouve, se rejoue, au travers de ce dessin en trois dimensions exécuté à l’intérieur du corps, c’est moins la sphère, que quelque chose de l’ordre de la rencontre du corps et du langage (elle primitive pour le coup, la rencontre). quelque chose de l’ordre du marquage est retrouvé, célébré, agi, dont les effets dans le corps sont directement guettés, cherchés, accueillis, voulus pour eux-mêmes. jouis. consciemment.
que l’essentiel, c’est ce dessin intérieur, ce tracé, ce pinceau de la pensée directement appliqué dans la chair. et que le corps y réponde. toujours. les résonances sont multiples, d’un nombre qui toucherait facilement à l’infini, ce n’est qu’une question d’attention, et qu’il s’agit de restreindre sous peine d’éparpillement. d’où d’ailleurs, la proposition de départ de ne jamais lâcher le centre du corps, le tantien, de garder ce point d’ancrage. mais le corps répond, au dessin, à ce dessin sculpté, le corps donne le sentiment de « comprendre », d’approuver, de vouloir adhérer aux principes implicites de cette sphère en 3D qui s’offre en limite idéale vers laquelle tendre.
comme dirait Pierre : il y a une entente.
les choses se jouent dans cette tension, cette attention. il y a les solutions que le corps trouve seul et celles qu’on lui indique. par exemple, de lui-même et facilement, il se réajuste pour aller vers un plus de symétrie droite/gauche, tandis que les efforts seront plus nombreux pour arriver à faire en sorte que tous les rayons de la sphère soient de même longueur (alors que les repères posés dans le bassin dessinent une forme ovoïde), à en avoir la sensation.
si ce ce travail n’est pas mince, il va se faire. le corps en trouvera le chemin. cela sera physiquement ressenti. (et je me demande si l’on ne pourrait pas penser les choses de cette façon : une fois quelques points posés, les « repères », est-ce qu’on ne rentre pas dans une forme de topologisation du corps où les distances sont abolies. à voir.)
bien sûr, cette sphère, il ne s’agira pas que de la dessiner, il s’agira aussi de la vider, de la remplir, de la respirer, de la cercler, de l’encercler, de la retourner, etc.
et tout le travail fait, les traçages opérés par la pensée, une pensée qui agit musculairement, une pensée qui s’applique comme un doigt à l’intérieur du corps, en des zones précises où elle s’enfonce, toute cette action directe du signifiant sur le corps, ce moment aussi d’identité du signifiant et de la chose qu’il désigne, d’identité dans la jouissance, tout cela ne correspond absolument pas aux dits « effets mortels du signifiant sur le corps » dont la psychanalyse se fait souvent l’écho. au contraire. ce sont effets de jouissance « positive », de silence, de bonheur. il y a des effets de gonfle, des effets d’inspiration et d’expiration qui semblent devoir se prolonger indéfiniment, des effets de réduction, de constriction, des effets de précipitation, de galops, de forces centrifuges et centripètes, des effets de vagues, de ralentissement, de calme, de douceur. au plus il y a de douceur, au plus il y a de force, au plus il y a d’ampleur. des effets paradoxaux.
au cœur de l’enseignement du tai chi selon stefan, il y a cette idée de vie, qui voudrait aller d’ailleurs plus loin que l’idée seule : son épreuve, éprouvement, sensation.
il y a l’idée d’émerveillement face à la vie.
(qui suis-je, moi, blanche demy, que cette proposition agrée.)
l’art du chi selon stefan, c’est un travail du corps, de sa matière, au plus près dans la sensation, dans l’imagination, avec le langage.
je ne peux pas ici, maintenant, parler des effets bénéfiques que ce travail entraîne.
aussi parce que je suis moi-même trop pleine de doutes pour avoir suffisamment pâti des effets de la pulsion de mort (dont il m’est nécessaire de trouver le discours qui les prenne également en compte : je ne suis pas prête à y renoncer).
mais je peux vous assurer que le moment où soudainement le corps prend en charge, à lui seul, l’exercice proposé, est simplement magique.
de même, dans le tai chi (dans la pratique du tai chi, pas du chi), quand le corps se met à bouger sans vous, c’est jubilatoire : on ne jubile pas : on observe : aussi silencieusement que possible, dans la conviction de toucher à quelque chose d’essentiel.
après ça : oui, on se sent mieux, oui les douleurs ont disparu, oui, on a eu très chaud, oui, on est tout assoupli, oui, tous nos gestes tendent à poursuivre l’exercice, la danse.
bon, je me suis un peu emmêlée les pinceaux et ça part dans tous les sens…
en vous remerciant pour votre attention,
blanche demy
(1) chi ou ki en japonais. un mot pour dire quelque chose que notre civilisation ne connaît pas, ne travaille pas, ne cultive pas. cela se vit comme une énergie, un souffle, un flux. j’ai eu tendance à penser que cela naissait de la rencontre intime du corps et du langage, d’une écriture à même le corps. voire même que cela aurait pu matérialiser quelque chose de l’ordre de la pulsion. cela aurait été purement humain. or, du chi, il est censé y en avoir partout, les chinois cataloguent d’ailleurs différentes qualités de chi (le chi de l’arbre vieillissant, le chi de l’arbre mort, celui de la jeune pousse) et la nature en recéler beaucoup. moi-même, je le ressens. cela dit : la nature vous prend au corps, vous prend tout entier : une bourrasque, un col de montagnes, la mer. c’est un silence qui s’impose. l’intime sentiment de la vie. (autrement dit : soit le chi sort de la montagne, soit le chi que je ressens alors est celui de l’impression qu’elle me fait et que le silence de sa grandeur me permet de ressentir). je n’ai pas de réponse quant à la nature du chi. je peux cependant dire qu’il m’a civilisée. il a cartographié mon corps. dire que le chi est partout, étend mon corps à l’univers, étend sa cartographie à l’univers.
(2) tantien: situé au centre gravitationnel du corps. il y en a plusieurs, vlady n’a retenu que celui-là. c’est le point du corps où l’on se résout et qui s’offre comme appui permanent. cela procéderait de la croyance, dans les faits c’est un point concret, physique, corporel, auquel se raccrocher, de sorte qu’on ne lâche pas une présence au corps. dès qu’on le tient, dès qu’on s’y tient, le reste du corps répond. ces réponses imposent le silence.
11-24 mai 2021
sur la sphère, de toute beauté : http://expositions.bnf.fr/monde-en-spheres/index.html