Lacan J., Le Séminaire, livre XXI, « Les non-dupes errent », leçon du 11 juin 1974, inédit

11 juin 1974

Voilà. J’ai dû faire quelques efforts pour que cette salle n’ait pas été aujourd’hui occupée par des gens en train de passer des examens et je dois dire qu’on a eu la bonté de me la laisser.

Il est évident que c’est plus qu’aimable de la part de l’Université de Paris I d’avoir fait cet effort puisque, les cours étant finis cette année…
ce que, bien sûr, moi j’ignore
…cette salle aurait dû être à la disposition d’une autre partie de l’administration qui, elle, s’occupe de vous canaliser. Voilà.

Alors, tout de même, comme ça ne peut pas se renouveler, passé une certaine limite, ça sera aujourd’hui la dernière fois de cette année que je vous parle.
Ça me force naturellement un peu à tourner court, mais ce n’est pas pour me retenir, puisqu’en somme il faut bien toujours finir par tourner court.

Moi je ne sais pas d’ailleurs très bien comment je suis niché là-dedans, parce qu’enfin l’Université, si c’est ce que je vous explique, c’est peut-être elle La femme. Mais c’est La femme préhistorique, c’est celle dont vous voyez qu’elle est faite de replis.

Évidemment, moi c’est dans un de ces plis qu’elle m’héberge. Elle ne se rend pas compte, quand on a beaucoup de plis, on ne sent pas grand-chose,
sans ça, qui sait, elle me trouverait peut-être encombrant. Bon.

Alors, d’autre part, d’autre part, je vous le donne en mille…
vous n’imaginerez jamais à quoi j’ai perdu mon temps – perdu, enfin, oui, perdu – à quoi j’ai perdu mon temps en partie depuis que je vous ai vus réunis là
…je vous le donne en mille : j’ai été à Milan à un congrès de sémiotique.

Ça, c’est extraordinaire. C’est extraordinaire et bien sûr, ça m’a laissé un peu pantois. Ça m’a laissé un peu pantois en ce sens que c’est très difficile, dans une perspective justement universitaire, d’aborder la sémiotique.

Mais enfin, ce manque même…
que j’y ai, si je puis dire réalisé
…m’a rejeté si je puis dire sur moi-même, je veux dire m’a fait m’apercevoir que c’est très difficile d’aborder la sémiotique.

Moi bien sûr, je n’ai pas moufeté parce que j’étais invité, comme ici, très très gentiment, et je ne vois pas pourquoi j’aurais dérangé ce Congrès en disant que le « sème », ça ne peut pas s’aborder comme ça tout cru à partir d’une certaine idée du savoir, une certaine idée du savoir qui n’est pas très bien située, en somme, dans l’université.

Mais j’y ai réfléchi et il y a à ça des raisons qui sont peut-être dues justement au fait que le savoir de La femme…
puisque c’est comme ça que j’ai situé l’université
le savoir de La femme, c’est peut-être pas tout à fait la même chose que le savoir dont nous nous occupons ici.

Le savoir dont nous nous occupons ici – je pense vous l’avoir fait sentir – c’est le savoir en quoi consiste l’inconscient, et c’est en somme là-dessus que je voudrais clore cette année.
Je ne me suis jamais attaché à autre chose qu’à ce qu’il en est de ce savoir dit inconscient.

Si j’ai par exemple marqué l’accent sur le savoir
en tant que le discours de la science peut le situer dans le Réel, ce qui est singulier et ce dont je crois avoir ici articulé en quelque sorte l’impasse, l’impasse qui est celui [ Sic ] dont on a assailli NEWTON pour autant que, ne faisant nulle hypothèse…
nulle hypothèse en tant qu’il articulait la chose scientifiquement
…eh bien, il était bien incapable, sauf bien sûr à ce qu’on le lui reproche, il était bien incapable de dire où se situait ce savoir grâce à quoi enfin le ciel se meut dans l’ordre qu’on sait, c’est-à-dire sur le fondement de la gravitation.

Si j’ai accentué, ce caractère – dans le Réel –
d’un certain savoir, ça peut sembler être à côté de la question en ce sens que le savoir inconscient, lui, c’est un savoir à qui nous avons affaire – et c’est en ce sens qu’on peut le dire dans le Réel – c’est ce que j’essaie de vous supporter cette année de ce support d’une écriture…
d’une écriture qui n’est pas aisée, puisque c’est celle que vous m’avez vu manier plus ou moins adroitement au tableau sous la forme du nœud borroméen
…et c’est en quoi je voudrais conclure cette année.

C’est à revenir sur ce savoir et à dire comment il se présente, je ne dirais pas tout à fait dans le Réel,
mais sur le chemin qui nous mène au Réel.

De ça, il faut tout de même que je reparte, de ce qui m’a été également présentifié…
présentifié dans cet intervalle
…c’est à savoir qu’il y a de drôles de gens, enfin, des gens qui continuent…
dans une certaine Société dite Internationale
…qui continuent à opérer comme si tout ça allait de soi.

C’est à savoir que ça pouvait se situer dans un monde comme ça, qui serait fait de corps…
de corps qu’on appelle vivants, et bien sûr y a pas de raison qu’on les appelle pas comme ça, n’est-ce pas
…qui sont plongés dans un milieu, un milieu qu’on appelle « monde » et tout ça, en effet, pourquoi
le rejeter d’un coup ?

Néanmoins, ce qui ressort d’une pratique…
d’une pratique qui se fonde sur l’ex-sistence de l’inconscient
…doit tout de même nous permettre de décoller
de cette vision élémentaire qui est celle de…
je ne dirais pas du moi, encore qu’il s’en encombre
et que j’aie lu des choses directement extraites
d’un certain congrès qui s’est tenu à Madrid où par exemple, on s’aperçoit que FREUD lui-même, je dois dire, a dit des choses aussi énormes, aussi énormes que ça que je vais vous avancer : que c’est du moi…
le moi c’est autre chose que l’inconscient, évidemment ce n’est pas souligné que c’est autre chose.

Il y a un moment où FREUD a refait toute sa Topique n’est-ce pas, comme on dit :
il y a la fameuse seconde Topique qui est une écriture simplement, qui n’est pas autre chose que quelque chose en forme d’œuf, forme d’œuf qui est tout à fait d’autant plus frappante
à voir, cette forme d’œuf, que ce qu’on y situe comme le « moi » vient à la place où sur un œuf…
ou plus exactement sur son jaune, sur ce qu’on appelle le vitellus
…est la place du point embryonnaire.

C’est évidemment curieux, c’est évidemment très curieux
et ça rapproche la fonction du moi de celle où, en somme, va se développer un corps, un corps dont c’est seulement le développement de la biologie qui nous permet de situer dans les premières morulations, gastrulations, etc., la façon dont il se forme.

Mais comme ce corps…
et c’est en ça que ça consiste,
cette seconde Topique de FREUD
…comme ce corps est situé d’une relation au « ça »,
au « ça » qui est une idée extraordinairement confuse : comme FREUD l’articule c’est un lieu, un lieu de silence, c’est ce qu’il en dit de principal.

Mais à l’articuler ainsi, il ne fait que signifier que ce qui est supposé être « ça » : c’est l’inconscient quand il se tait. Ce silence, c’est un taire.

Et ce n’est pas là rien, c’est certainement un effort, un effort dans le sens, dans un sens peut-être un peu régressif par rapport à sa première découverte,
dans le sens disons de marquer la place de l’Inconscient.

Ça ne dit pas pour autant ce qu’il est, cet Inconscient, en d’autres termes, à quoi il sert.

Là, il se tait : il est la place du silence.

Il reste hors de doute que c’est compliquer le corps, le corps en tant que dans ce schème, c’est le moi,
le moi qui se trouve, dans cette écriture en forme d’œuf, le « moi » qui se trouve le représenter.

Le moi est-il le corps ?

Ce qui rend difficile de le réduire au fonctionnement du corps, c’est justement ceci :
que dans ce schème il est censé ne se développer que sur le fondement de ce savoir, de ce savoir en tant qu’il se tait,
et d’y prendre ce qu’il faut bien appeler sa nourriture.

 

Je vous le répète :
c’est difficile d’être entièrement satisfait de cette seconde Topique parce que ce à quoi nous avons affaire dans la pratique analytique
…c’est quelque chose qui semble bien se présenter d’une façon toute différente.

C’est à savoir que cet inconscient, par rapport à ce qui couplerait si bien le moi au monde…
le corps à ce qui l’entoure,
ce qui l’ordonnerait sous cette sorte de rapport qu’on s’obstine à vouloir considérer comme naturel
…c’est que par rapport à lui, cet inconscient se présente comme essentiellement différent de cette harmonie – disons le mot – dysharmonique.

Je le lâche tout de suite, et pourquoi pas ?

Il faut y mettre l’accent.

Le rapport au monde est certainement…
si nous donnons son sens, ce sens
effectif qu’il a dans la pratique
…est quelque chose dont on ne peut pas ne pas tout de suite ressentir que, par rapport à cette vision toute simple en quelque sorte de l’échange avec l’environnement, cet inconscient est parasitaire.

C’est un parasite dont il semble qu’une certaine espèce, entre autres, s’accommode fort bien, mais ce n’est que dans la mesure où elle n’en ressent pas
les effets qu’il faut bien dire, énoncer pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire pathogènes.

 

Je veux dire que cet heureux rapport, ce rapport prétendu harmonique entre ce qui vit et ce qui l’entoure, est perturbé par l’insistance de ce savoir,
de ce savoir sans doute hérité…
ce n’est pas un hasard qu’il soit là
…et cet être parlant…
pour l’appeler comme ça, comme je l’appelle
…cet être parlant l’habite, mais il ne l’habite pas
sans toutes sortes d’inconvénients.

Alors s’il est difficile de ne pas faire de la vie
la caractéristique du corps.

Parce que c’est à peu près tout ce que nous pouvons en dire, en tant que corps, il est là, et il a bien l’air de se défendre.

De se défendre contre quoi ?

Contre ce quelque chose auquel il est difficile de ne pas l’identifier, c’est-à-dire ce qu’il en reste, de ce corps, quand il n’a plus la vie.

C’est à cause de ça qu’en anglais on appelle le cadavre corpse, autrement, quand il vit, on l’appelle body. Mais que ce soit le même, ça a l’air satisfaisant comme ça, matériellement.

Enfin, on voit bien que ce qu’il en reste,
c’est le déchet, et s’il faut en conclure que la vie, comme disait Bichat : 
«  c’est l’ensemble des forces qui résistent à la mort ».
C’est un schéma…
c’est un schéma malgré tout…
c’est un schéma un peu grossier.
Ça ne dit pas du tout comment ça se soutient, la vie.

Et à la vérité, à la vérité, il a fallu en arriver fort tard dans la biologie, pour qu’on ait l’idée
que la vie, c’est autre chose…
c’est tout ce que nous pouvons en dire
…c’est autre chose que l’ensemble des forces qui s’opposent à la résolution du corps en cadavre.

Je dirais même plus : tout ce qu’il peut y avoir qui nous laisse espérer un peu autre chose…
à savoir de ce que c’est que la vie
…nous porte tout de même vers une toute autre conception.
Celle dont j’ai cette année essayé de placer quelque chose en vous parlant d’un biologiste éminent :
de JACOB dans sa collaboration avec WOLLMAN,
et de ce qui, d’ailleurs, bien au-delà…
c’est par là que j’ai essayé
de vous en donner une idée
…ce qui, bien au-delà se trouve être ce que nous pouvons articuler du développement de la vie,
et nommément ceci auquel les biologistes arrivent : que grâce au fait qu’ils peuvent y regarder d’un peu plus près qu’on ne l’a fait depuis toujours,
que la vie se supporte de quelque chose dont
je ne vais pas – quant à moi – franchir le pas,
et dire que ça ressemble à un langage,
et parler des messages qui seraient inscrits dans les premières molécules et qui pourraient faire des effets évidemment singuliers, des effets qui se manifestent dans la façon dont s’organisent toutes sortes de choses qui vont aux purines, ou à toutes sortes de constructions chimiquement repérées et repérables.

Mais enfin, il y a certainement un désaxement profond qui se produit et qui se produit d’une façon dont il est pour le moins curieux que ça vienne à remarquer que tout part de quelque chose d’articulé, jusques et y compris une ponctuation.

Je ne veux pas m’étendre là-dessus.

Je ne veux pas m’étendre là-dessus, mais après tout, c’est bien parce que je n’assimile nullement cette sorte de signalétique dont se sert la biologie,
je ne l’assimile nullement à ce qu’il en est du langage, contrairement à la sorte de jubilation qui semble avoir saisi à ce propos, le linguiste qui se rencontre avec le biologiste, lui serre la main et lui dit : nous sommes dans le même bain.

Je crois que des concepts…
par exemple, comme celui de « stabilité structurelle »
…peuvent – si je puis dire – donner une autre forme de présence au corps.

Car enfin ce qui est essentiel ce n’est pas seulement comment la vie s’arrange avec soi-même pour qu’il se produise des choses qui sont capables d’être vivantes, c’est que tout de même, le corps a une forme, une organisation, une morphogenèse, et que c’est une autre façon aussi de voir les choses, à savoir : qu’un corps ça se reproduit.

Alors, c’est pas pareil quand même, c’est pas pareil que la façon dont à l’intérieur, ça communique,
si on peut dire. Cette notion de communication qui est tout ce dont il s’agit dans cette idée des premiers messages grâce à quoi s’organiserait la substance chimique, c’est autre chose.

C’est autre chose et alors, c’est là qu’il faut faire le saut et nous apercevoir que des signes sont donnés dans une expérience privilégiée, qu’il y a un ordre, un ordre à distinguer, non pas du Réel, mais dans le Réel,
et qu’il s’origine, s’originalise d’être solidaire
de quelque chose qui, malgré nous, si je puis dire, est exclu de cet abord de la vie, mais dont nous ne nous rendons pas compte.

C’est ça sur quoi cette année j’ai voulu insister : que la vie l’implique, l’implique imaginairement si on peut dire. Ce qui nous frappe dans ce fait qui est celui auquel a adhéré vraiment ARISTOTE…
qu’il n’y a que l’individu qui compte vraiment
…c’est que sans le savoir, il y suppose la jouissance.

Et ce qui constitue l’Un de cet individu,
c’est qu’à toutes sortes de signes…
mais pas de signes dans le sens où
je l’entendais tout à l’heure, de signes que donne cette expérience privilégiée que
je situais dans l’analyse, ne l’oublions pas
…il y a des signes dans son déplacement, dans sa motion, enfin, qu’il jouit.

Et c’est bien en ça qu’ARISTOTE n’a aucune peine à faire une éthique, c’est qu’il suppose, c’est qu’il suppose èdoné (ἡδονή ), que èdoné n’avait pas reçu ce sens que plus tard il a reçu des épicuriens; èdoné dont il s’agit, c’est ce qui met le corps dans un courant qui est de jouissance.

Il ne peut le faire que parce qu’il est lui-même dans une position privilégiée, mais comme il ne sait pas laquelle, comme il ne sait pas qu’il pense ainsi la jouissance parce qu’il est de la classe des maîtres, il se trouve qu’il y va tout de même, à savoir que seul celui qui peut faire ce qu’il veut, que seul celui-là a une éthique.

Cette jouissance est évidemment liée bien plus qu’on ne le croit à la logique de la vie.
Mais ce que nous découvrons, c’est que chez un être privilégié…
aussi privilégié qu’ARISTOTE l’était
par rapport à l’ensemble de l’humain
…chez un être privilégié, cette vie si je puis dire, se varie, ou même s’avarie, s’avarie au point de se diversifier… dans quoi ?

Eh bien, c’est de ça qu’il s’agit, justement :
il s’agit des « sèmes », à savoir de ce quelque chose qui s’incarne dans lalangue.

Car il faut bien se résoudre à penser que lalangue est solidaire de la réalité des sentiments qu’elle signifie. S’il y a quelque chose qui nous le fait vraiment toucher, c’est justement la psychanalyse.

Qu’« empêchement »…
comme je l’ai dit dans un temps dans mon séminaire sur L’Angoisse dont je peux regretter qu’après tout il ne soit pas déjà là à votre disposition
…qu’« empêchement », « émoi »…
« émoi » tel que je l’ai bien précisé :
« émoi » c’est retrait d’une puissance
…qu’« embarras », soient des mots qui ont du sens, eh bien, ils n’ont de sens que véhiculés sur les traces que fraye lalangue.
Bien sûr, nous pouvons projeter comme ça sur des animaux ces sentiments. Je vous ferai remarquer seulement que si nous pouvons, « empêchement », « émoi »,
« embarras », les projeter sur des animaux,
c’est uniquement sur des animaux domestiques.

Que nous puissions dire qu’un chien ait été ému, embarrassé ou empêché dans quelque chose, c’est dans la mesure où il est dans le champ de ces « sèmes », et ceci
par notre intermédiaire.

Alors je voudrais quand même vous faire sentir ce qu’implique l’expérience analytique :
c’est que, quand il s’agit de cette sémiotique,
de ce qui fait sens et de ce qui comporte sentiment,
eh bien, ce que démontre cette expérience,
c’est que c’est de lalangue – telle que je l’écris – que procède ce que je ne vais pas hésiter à appeler l’animation …
et pourquoi pas ? Vous savez bien que je ne vous barbe pas avec l’âme : l’animation, c’est dans le sens d’un sérieux trifouillement, d’un chatouillis, d’un grattage, d’une fureur, pour tout dire
…l’animation de la jouissance du corps.

Et cette animation n’est pas notre expérience,
ne provient pas de n’importe où.
Si le corps, dans sa motricité, est animé…
au sens où je viens de vous le dire, à savoir que c’est l’animation que donne un parasite, l’animation que
peut-être moi je donne à l’Université par exemple
…eh bien, ça provient d’une jouissance privilégiée, distincte de celle du corps.

Il est bien certain que pour en parler, enfin, on est plutôt dans l’embarras parce que l’avancer comme ça, c’est risible, et c’est pas pour rien que ce soit risible : c’est risible parce que ça fait rire.

Mais c’est très précisément ça que nous situons dans la jouissance phallique. La jouissance phallique, c’est celle qui est en somme apportée par les « sèmes », puisque aujourd’hui
à côté de… puisque aujourd’hui, tracassé comme
je l’ai été par ce Congrès de sémiotique,
je me permets d’avancer le mot « sème ».
C’est pas que j’y tienne, vous comprenez, parce que je ne cherche pas à vous compliquer la vie.
Je ne cherche pas à vous compliquer la vie,
ni surtout à vous faire sémioticiens.
Dieu sait où ça pourrait vous mener !
Ça vous mènera d’ailleurs dans l’endroit où vous êtes, c’est-à-dire que ça ne vous sortira pas de l’Université.

Seulement, c’est quand même là ce dont il s’agit :
le « sème », c’est pas compliqué, c’est ce qui fait sens.

Tout ce qui fait sens dans lalangue s’avère lié à l’ex-sistence de cette langue, à savoir que c’est en dehors
de l’affaire de la vie, du corps, et que s’il y a quelque chose que j’ai essayé de développer cette année devant vous…
que j’espère avoir rendu présent, …c’est que c’est pour autant que cette jouissance phallique, que cette jouissance sémiotique se surajoute au corps…
ça va durer longtemps ?
se surajoute au corps qu’il y a un problème.

Ce problème, je vous ai proposé de le résoudre,
si tant est que ce soit une complète solution,
mais de le résoudre simplement, enfin, du constat
que cette sémiosis patinante chatouille le corps
dans la mesure…
et cette mesure, je vous la propose comme absolue …dans la mesure où il n’y a pas de rapport sexuel.

En d’autres termes, dans cet ensemble confus que seul le sème, le sème une fois qu’on l’a lui-même un peu éveillé à l’ex-sistence, c’est-à-dire qu’on l’a dit comme tel,
c’est par là, c’est dans la mesure où le corps parlant habite ces sèmes qu’il trouve le moyen de suppléer au fait que rien, rien à part ça, ne le conduirait vers ce qu’on a bien été forcé de faire surgir dans le terme « autre »,
dans le terme autre qui habite lalangue et qui est fait pour représenter ceci justement : qu’il n’y a avec le partenaire – le partenaire sexuel – aucun rapport autre que par l’intermédiaire de ce qui fait sens dans lalangue.

Il n’y a pas de rapport naturel, non pas que s’il était naturel, on pourrait l’écrire, mais que justement on ne peut pas l’écrire parce qu’il n’y a rien de naturel dans le rapport sexuel de cet être qui se trouve moins être parlant qu’être parlé.

Que imaginairement – à cause de ça – cette jouissance dont vous voyez qu’en vous la présentant comme phallique,
je l’aie qualifiée de façon équivalente comme sémiotique, bien sûr, c’est évidemment parce qu’il me paraît tout à fait grotesque de l’imaginer ce phallus, dans l’organe mâle.

C’est quand même bien ainsi que dans le fait que révèle l’expérience analytique, il est imaginé.
Et c’est certainement aussi le signe qu’il y a,
dans cet organe mâle, quelque chose qui constitue
une expérience de jouissance qui est à part des autres.

Non seulement qui est à part des autres, mais qui
– les autres jouissances – la jouissance qu’il est ma foi tout à fait facile d’imaginer, à savoir qu’un corps, mon Dieu, c’est fait pour qu’on ait le plaisir de lever un bras et puis l’autre, et puis de faire de la gymnastique, et de sauter, et de courir, et de tirer, et de faire tout ce qu’on veut, bon.

Il est quand même curieux que ce soit autour de cet organe que naisse une jouissance privilégiée.
Car c’est ce que nous montre l’expérience analytique, c’est à savoir que c’est autour de cette forme grotesque
que se met à pivoter cette sorte de suppléance que
j’ai qualifiée de ce qui, dans l’énoncé de FREUD,
est marqué du privilège, si on peut dire, du sens sexuel, sans qu’il n’ait vraiment réalisé…
quoique tout de même, ça le chatouillait, lui aussi et il l’a entrevu, il l’a presque dit dans Malaise dans la Civilisation
…c’est à savoir que :
le sens n’est sexuel que parce que le sens se substitue justement au sexuel qui manque.

Tout ce qu’implique son usage, son usage analytique du comportement humain, c’est ça que ça suppose :
non pas que le sens reflète le sexuel, mais qu’il y supplée.
Le sens, il faut le dire, le sens comme ça quand
on ne le travaille pas, eh bien, il est opaque.
La confusion des sentiments, c’est tout ce que lalangue est faite pour sémiotiser. Et c’est bien pour ça que tous les mots sont faits pour être ployables à tous les sens.

Alors, ce que j’ai proposé, ce que j’ai proposé dès le départ de cet enseignement, dès « Le discours de Rome », c’est d’accorder l’importance qu’elle a dans la pratique, dans la pratique analytique, au matériel de lalangue.
Un linguiste, un linguiste bien sûr est tout à fait introduit d’emblée à cette considération de la langue comme ayant un matériel.

Il le connaît bien, ce matériel :
c’est celui qui est dans les dictionnaires,
c’est le lexique,
c’est la morphologie aussi, enfin,
c’est l’objet de sa linguistique.

Il y a quelqu’un qui, naturellement est à cent coudées au-dessus d’un tel congrès que celui que je vous ai dit : c’est JAKOBSON.
Il a comme ça un petit peu parlé de moi, comme ça en marge, pas dans son discours d’entrée, mais tout de suite après il a tenu à bien préciser que l’usage que j’avais fait de DE SAUSSURE, et derrière DE SAUSSURE…
j’en savais assez pour le savoir quand même
…des stoïciens et de saint AUGUSTIN.

Pourquoi pas ? Je ne recule devant rien.
C’est bien sûr que ce que j’ai emprunté à SAUSSURE simplement et aux stoïciens sous le terme de signatum, ce signatum c’est le sens, et qu’il est tout aussi important que cet accent que j’ai mis sur le signans

Le signans a l’intérêt qu’il nous permet dans l’analyse d’opérer, de résoudre…
encore que comme tout le monde nous ne soyons capables que d’avoir une pensée à la fois
…mais de nous mettre dans cet état dit pudiquement « d’attention flottante », qui fait que justement quand le partenaire là, l’analysant, lui en émet une, une pensée, nous pouvons en avoir une tout autre,
c’est un heureux hasard d’où jaillit un éclair.

Et c’est justement de là que peut se produire l’interprétation, c’est-à-dire que à cause du fait que nous avons une attention flottante , nous entendons ce qu’il a dit quelquefois simplement du fait d’une espèce d’équivoque, c’est-à-dire d’une équivalence matérielle, nous nous apercevons que ce qu’il a dit…
nous nous apercevons
parce que nous le subissons
…que ce qu’il a dit pouvait être entendu tout de travers.

Et c’est justement en l’entendant tout de travers que nous lui permettons de s’apercevoir d’où ses pensées,
sa sémiotique à lui, d’où elle émerge :
elle n’émerge de rien d’autre que de l’ex-sistence de lalangue. Lalangue ex-siste ailleurs que dans ce qu’il croit être son monde.

Lalangue a le même parasitisme que la jouissance phallique,
par rapport à toutes les autres jouissances.
Et c’est elle qui détermine comme parasitaire dans le Réel
ce qu’il en est du savoir inconscient.
Il faut concevoir lalangue… et pourquoi pas parler de ce que lalangue serait en rapport avec la jouissance phallique
comme les branches à l’arbre.

C’est pas pour rien…
parce que quand même, j’ai ma petite idée
…c’est pas pour rien que je vous ai fait remarquer que ce fameux arbre de départ là, celui où on a cueilli la pomme,
on pouvait se poser la question s’il jouit lui-même tout comme un autre être vivant.

Si je vous ai avancé ça, c’est pas tout à fait sans raisons, bien sûr. Et alors, disons que lalangue, n’importe quel élément de lalangue, c’est au regard de
la jouissance phallique un brin de jouissance. Et c’est en ça que ça étend ses racines si loin dans le corps.

Bon, alors ce dont il faut partir…
vous voyez, ça traîne, il est tard, bon
…c’est de cette forte affirmation :
que l’inconscient n’est pas une connaissance : c’est un savoir, et un savoir en tant que
je le définis de la connexion de signifiants. Premier point.

Deuxième point : c’est un savoir dysharmonique, qui ne prête d’aucune façon
à un mariage heureux, un mariage qui serait heureux. C’est impliqué dans la notion de mariage, c’est ça qui est énorme, qui est fabuleux :
qui est-ce qui connaît un mariage heureux ?

Non ? … Mais enfin passons.

Néanmoins, le nom est fait pour exprimer le bonheur.

Oui, le nom est fait pour exprimer le bonheur
et c’est celui qui m’est venu pour vous dire
ce qu’on pourrait imaginer d’une bonne adaptation, d’un emboîtement, enfin de quelque chose qui ferait que ce que je vous ai dit de la vie, de la vie du corps chez celui qui parle, ça pourrait se juger d’un juste, d’un noble échange entre ce corps
et son milieu, comme on dit, son Welt à la noix. Ouais…

Quand même, ces remarques ont leur importance historique, parce que vous verrez, vous qui me survivrez, vous le verrez : tout ce qui a commencé de se balbutier en biologie donne bien l’impression que la vie n’a rien de naturel. C’est une chose folle.

La preuve, c’est qu’on y a foutu la linguistique ! C’est énorme, enfin.

Elle réservera des surprises cette vie, quand on aura cessé de parler comme des sansonnets, à savoir de s’imaginer que la vie ça s’oppose à la mort.

C’est absolument dingue, cette histoire !

D’abord, qu’est-ce que nous en savons ?
Qu’est-ce qui est mort ?

Le monde inanimé, que nous disons.

Mais, c’est parce qu’il y en a une autre conception de l’âme que celle que je vous représentais maintenant, à savoir que l’âme, c’est ce qui… c’est un crabe.

Alors, je vais vous dire : au point où nous en sommes c’est paradoxal.

C’est paradoxal, je dis ça parce que j’ai lu un petit papier torchon qui s’est émis là dans le dernier congrès de la Société de Psychanalyse et qui témoignait de ceci qui est pour le moins paradoxal :
c’est que pour ce que je suis en train de rejeter,
à savoir qu’il y ait connaissance, qu’il y ait la moindre harmonie de ce qu’on situe de la jouissance, de la jouissance corporelle avec ce qui entoure.

Mais il y a qu’un endroit où ça puisse se produire, cette fameuse connaissance, enfin un endroit à mon sens, et vous le devinerez jamais :
c’est dans l’analyse elle-même.

Dans l’analyse, on peut dire qu’il peut y avoir quelque chose qui ressemble à la connaissance.
Et j’en trouve le témoignage dans ceci :
qu’à propos du papier, du papier torchon dont je vous parle, où il s’agit du rêve, c’est absolument merveilleux l’innocence avec laquelle ça s’avoue.

Il y a une personne…
et une personne dont je m’étonne pas du tout que ce soit cette personne-là, parce que quand même il a reçu une touche d’un petit coup de fion
que je lui ai donné dans le temps [ Rires ]
…c’est que tout est centré autour de ceci qu’il voit se reproduire dans un de ses rêves une note,
une note à proprement parler sémantique…
à savoir que ça n’est que vraiment là
comme noté, articulé, écrit
…il voit se reproduire dans un de ses rêves une note sémantique du rêve d’un de ses patients.

Il a bien raison de foutre co-nnaissance dans son titre. Cette espèce de mise en co-vibration, en co-vibration sémiotique, en fin de compte, c’est pas étonnant qu’on appelle ça comme ça pudiquement : le transfert.
Et on a bien raison aussi de ne l’appeler que comme ça. Ça, je suis pour.
C’est pas l’amour, mais c’est l’amour au sens ordinaire, c‘est l’amour tel qu’on se l’imagine. L’amour, c’est évidemment autre chose. Mais pour ce qui est de l’idée, si je puis dire, qu’on se fait de l’amour, on fait pas mieux que dans cette sorte de connaissance analytique.

Je suis pas sûr que ça mène loin, c’est bien aussi d’ailleurs pourquoi ça reste dans le marais, toute l’expérience analytique.

C’est pas de cela qu’il devrait s’agir.
Il doit s’agit d’élaborer, de permettre à celui que j’appelle l’analysant d’ élaborer, d’ élaborer ce savoir,
ce savoir inconscient qui est en lui comme un chancre,
pas comme une profondeur, comme un chancre !

Ça, c’est autre chose, bien sûr, c’est autre chose que la connaissance. Et il y faut une discipline évidemment un peu autre qu’une discipline philosophique, n’est-ce pas ?

« si plein, si rond (un seul pour deux) le rêve des Mortimer qu’en vain les Eugène cherchent, pour y pénétrer, une issue. »

Il y a un machin de COCTEAU…
parce que de temps en temps je ne vois pas pourquoi je cracherais sur les écrivains,
ils sont plutôt moins cons que les autres
…il y a un machin de COCTEAU qui s’appelle Le Potomak où il a créé quelque chose, dont je ne vais pas me mettre à vous dire ce que c’est : les Eugène.
Mais il y a aussi là-dedans les Mortimer.
Les Mortimer n’ont qu’un seul cœur, et c’est représenté dans un petit dessin où ils ont un rêve en commun.

C’est quelqu’un dans le genre de mon psychanalyste de tout à l’heure, celui que je n’ai pas nommé : entre l’analysant et l’analyste, c’est comme chez les Mortimer.

C’est pas fréquent, c’est pas fréquent, même chez les gens qui s’aiment, qu’ils fassent le même rêve. Ça c’est même très remarquable. C’est bien ce qui prouve la solitude de chacun avec ce qui sort de la jouissance phallique. Ouais… Bien.

Alors quand même…
il ne me reste plus qu’un petit quart d’heure
…je voudrais quand même faire quelques remarques sur la portée…
parce que ça a semblé frapper comme ça un copain
qui est là au premier rang, je lui ai lâché ça comme ça au cours d’un dîner et j’ai eu la surprise de voir que ça le comblait de plaisir.
Alors je me suis rendu compte à quel point je m’explique mal [ Rires ] :

Parce que moi je vous avais écrit au tableau  : ∃x  tel que Non Phi de x . Ce qui veut dire : « il faut qu’il y en ait un qui dise non à la jouissance phallique». Grâce à quoi, et seulement grâce à quoi : , « il y en a des « tous » qui disent oui ».
Et je vous ai mis en face… j’ai dû prêter à confusion… : « qu’il y en a d’autres chez qui il n’y en a pas qui disent non ».
Seulement ça a pour curieuse conséquence que chez ces autres, enfin, y a pas de « tout » qui dise oui: Pas-tout x phi de x.

Ça, c’est l’inscription, c’est la tentative d’inscription dans une fonction mathématique, de quelque chose qui use des quanteurs.

Et il y a rien d’illégitime…
je ne vais pas plaider ça aujourd’hui
parce que nous n’avons plus le temps
…il y a rien d’illégitime à cette quantification du sens.

Cette quantification relève d’une identification.
L’ identification relève d’une unification.

Qu’est ce que je vous ai écrit autrefois dans les formules des quatre discours ?

Un S1 qui vient se ficher, qui vient pointer dans un S2. S1 → S2 . Qu’est-ce que c’est qu’un S1 ? C’est un signifiant, comme la lettre l’indique. Le propre d’un signifiant – c’est un fait de langue auquel on ne peut rien -, c’est que tout signifiant peut se réduire à la portée du signifiant Un.

Et c’est en tant que signifiant Un …
       je pense que vous vous souvenez autrefois de mes petites parenthèses : S1 S2 entre parenthèses,
       et il y avait des S1 qui se refoutaient devant, etc.
…pour exprimer l’affaire que je définis, pour faire que le signifiant ça soit ce qui domine dans la constitution du sujet :
un signifiant est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant.

Bon alors, alors Toute lettre x, et quelle qu’elle soit, ça veut dire cet Un comme indéterminé. C’est ce qu’on appelle dans la fonction, dans la fonction
au sens mathématique, l’argument. C’est de là que je suis parti pour vous parler de l’identification.

Mais s’il y a une identification, une identification sexuée, et si d’autre part je vous dis qu’il n’y a pas de rapport sexuel, qu’est-ce que ça veut dire ?

Ça veut dire qu’il n’y a d’identification sexuée que d’un côté, c’est-à-dire que tous ces épinglages dits fonctionnels de l’identification, ils sont à mettre…
        et c’est en ça que le copain en question manifestait sa vive satisfaction, c’est
        parce que je le lui ai dit comme ça appuyé, au lieu qu’à vous, je vous ai laissés dans la mélasse
…c’est que toutes ces identifications sont du même côté. Ça veut dire qu’il y a qu’une femme qui est capable de les faire.

Pourquoi pas l’homme ? Parce que vous remarquez que je dis bien sûr une femme, et puis je dis « l’homme ».

Parce que l’homme…
        l’homme tel que l’imagine La femme,
       c’est-à-dire celle qui n’existe pas,
       c’est-à-dire une imagination de vide
…l’homme lui, il est tordu par son sexe.
Au lieu qu’une femme peut faire une identification sexuée.

Elle a même que ça à faire, puisqu’il faut qu’elle en passe par la jouissance phallique qui est justement ce qui lui manque. Je vous dis ça parce que je pourrais le moucheter d’un repérage de mes quatre petits épinglages, là : 

Qu’est-ce que ça veut dire pour la femme, puisque vous avez pu croire qu’avec ça, ce que je désignais c’étaient tous les hommes ? Ça veut dire l’exigence que la femme montre – c’est patent – que l’homme soit tout à elle. Je commence par là, parce que c’est le plus marrant. Il est dans la nature d’une femme d’être jalouse, dans la nature de son amour.

Quand je pense qu’il va falloir que d’ici dix minutes, je vous explique aussi ce qu’est que l’amour ! C’est ennuyeux d’être bousculé à ce point-là. Bon.

Le « pas toutes » dont j’ai inscrit l’autre rapport au Φx, c’est par quoi ce même amour, l’amour dont il s’agit et que je mets là comme ça, généreusement tout entier du côté des femmes, il faut quand même y mettre,
si je puis dire, une pédale [ Rires ], je veux dire par là, que c’est « pas toute » qu’elle aime : il lui en reste un bout pour elle, de sa jouissance corporelle.
C’est ça que ça veut dire, le . le pas-toutisme. Bon.

Et puis après le ∃x, l’ex-sistence du x qui est celui où se situe Dieu. Il faut être plus tempéré, faut pas se monter le bourrichon avec ces histoires de Dieu, c’est tout de même pas parce qu’il y a du savoir dans le Réel que nous sommes forcés de l’identifier à Dieu.

Je m’en vais vous en proposer moi, une autre interprétation : – c’est le lieu de la jouissance de la femme, qui est beaucoup plus lié au dire qu’on ne l’imagine. Il faut bien dire que sans la psychanalyse, je serais là-dedans comme un béjaune , comme tout le monde.

Le lien de la jouissance de la femme à l’impudence du dire, c’est ce qui me parait important à souligner. Je n’ai pas dit l’impudeur. L’impudence, c’est pas pareil, c’est pas pareil du tout.

Impudence : A. − Attitude d’une personne qui agit volontairement d’une manière jugée offensante, effrontée, ou contraire à la bienséance. Synon. culot, toupet (fam.).V. aplomb 

B. − Rare. Acte impudent. Il a mérité d’être châtié pour ses impudences (Ac.).
 

Et le, barrés tous les deux, c’est en quoi la femme n’existe pas, c’est-à-dire ce en quoi sa jouissance ne saurait être fondée de sa propre impudence.

Je vous livre ça comme ça.
C’est… je dois convenir que c’est…
je vous trouve patients
…ça, c’est des coups de massue que je vous colle
sur le zinzin.

Mais enfin, comme je suis un tout petit peu bousculé, je voudrais quand même conclure sur ce fait que l’inconscient comme savoir dysharmonique est plus étranger à une femme qu’à l’homme.

C’est marrant que je vous dise un truc pareil ! [ Rires ]

Et alors, et alors, qu’est-ce qui va en résulter ?
Qu’est-ce qui va en résulter: c’est qu’il y a quand même le côté femme. C’est pas parce qu’il est plus étranger qu’il est pas étranger à l’homme aussi.

Il lui est plus étranger à elle parce que ça lui vient de l’homme, de l’homme dont j’ai parlé tout à l’heure, de l’homme dont elle rêve.

Parce que si j’ai dit que l’homme existe, j’ai bien précisé que c’est dans la mesure où c’est lui qui, par l’inconscient, est le plus chancré, échancré, même.

Mais une femme conserve, si je puis dire, un petit peu plus d’aération dans ses jouissances.
Elle est moins échancrée contrairement à l’apparence.
Et c’est là-dessus que je voudrais terminer.

Je voudrais terminer sur ceci qui est extrait de PEIRCE :
c’est qu’il s’est aperçu quand même que la logique, la logique aristotélicienne, c’est une logique purement prédicative et classificatoire, alors
il s’est mis à cogiter autour de l’idée de la relation, à savoir ce qui est parfaitement, ce qui va de soi,
ce qui est « du billard », du billard concernant…
non pas l’épinglage fonctionnel à un seul argument que je viens de vous donner pour être celui de l’identification en en remettant la chose dans la poche de la femme
…il s’est mis à cogiter autour de x R…
R, signe d’une relation idéale, vidée,
il ne dit pas laquelle
…R et y : x R y, une fonction à deux arguments.

Qu’est-ce que c’est…
à partir de ce que je viens de vous avancer aujourd’hui
…qu’est-ce que c’est que la relation savoir ?
Il y a une chose très très astucieuse qui est notée dans PEIRCE…
vous voyez, je rends hommage à mes auteurs
…quand j’y fais une trouvaille, je la lui rends.

Je la lui rends comme ça, je pourrais aussi bien
ne pas la lui rendre.
Autrefois, j’ai parlé de métaphore et de métonymie, et tous les gens se sont mis à pousser les hauts cris, sous prétexte que je n’avais pas dit tout de suite que
je devais ça à JAKOBSON.

Comme si tout le monde ne devait pas le savoir ! Enfin, c’était LAPLANCHE et LEFEBVRE-PONTALIS qui ont poussé les hauts cris autour de ça.
Enfin, quel souvenir ! C’est le cas de le dire !

Si ce que je vous dis aujourd’hui, ce que je vous avance, est fondé, le savoir ça n’a pas de sujet.

Si le savoir c’est foutu dans la connexion de deux signifiants et que ce n’est que ça, ça n’a de sujet qu’à supposer qu’un ne sert que de représentant du sujet auprès de l’autre.

Il y a quand même quelque chose d’assez curieux là: c’est que la relation, si vous écrivez : x R y
dans cet ordre, en résulte-t-il que x est relaté à y ?
Pouvons-nous de la relation supporter ce qui s’exprime dans la voie active ou passive du verbe ?

Mais, ça va pas de soi. C’est pas parce que j’ai dit que les sentiments sont toujours réciproques…
car c’est ainsi que je me suis exprimé
dans le temps, devant des gens qui comme d’habitude n’entendent rien à ce que je dis
…c’est pas parce qu’on aime qu’on est aimé.

J’ai jamais osé dire une chose pareille !
L’essence de la relation, si en effet quelque effet en revient au point de départ, ça veut simplement dire que quand on aime on est fait énamoré.

Et quand le premier terme, c’est le savoir ?
Là, nous avons une surprise, c’est que le savoir, c’est parfaitement identique – au niveau du savoir inconscient – au fait que le sujet est su.

Au niveau du sens en tout cas, c’est absolument clair : le savoir c’est ce qui est su.

Alors essayons quand même de tirer quelques conséquences de ceci que ce que l’analyse nous montre, c’est que ce qu’on appelle le transfert, c’est-à-dire ce que j’ai appelé tout à l’heure l’amour…
l’amour courant, l’amour sur lequel on s’assoit tranquillement, et puis pas d’histoires
c’est pas tout à fait pareil que ce qui se produit quand émerge la jouissance de la femme.

Mais, que voulez-vous, ça, ça sera… je vous réserverai ça pour l’année prochaine.

Pour l’instant, essayons bien de saisir que ce que l’analyse a révélé comme vérité, c’est que l’amour…
l’amour dont j’ai parlé tout à l’heure
…l’amour se porte vers le sujet supposé savoir, et alors qu’est ce qui serait l’envers de ce sur quoi j’ai interrogé la relation de savoir ?

Eh bien, ça serait que le partenaire dans l’occasion, est porté par cette sorte de motion qu’on qualifie de l’amour.

Mais, si le x de la relation qui pourrait s’écrire comme sexuelle, c’est le signifiant, en tant qu’il est branché sur la jouissance phallique, nous avons tout de même à en tirer la conséquence.

La conséquence, c’est ça :
si l’inconscient est bien ce dont je vous ai dit aujourd’hui le support, à savoir un savoir,
c’est que tout ce que j’ai voulu vous dire cette année à propos des non-dupes qui errent, ça veut dire que
« qui n’est pas amoureux de son inconscient erre ».

Ça dit rien du tout contre les siècles passés.
Ils étaient tout autant que les autres amoureux de leur inconscient, et donc ils n’ont pas erré.

Simplement, ils ne savaient pas où ils allaient,
mais pour être amoureux de leur inconscient,
ils l’étaient!

Ils s’imaginaient que c’était la connaissance.
Car il y a pas besoin de se savoir amoureux de son inconscient pour ne pas errer, il n’y a qu’à se laisser faire, en être la dupe.

Pour la première fois dans l’histoire, il vous est possible, à vous d’errer, c’est-à-dire de refuser d’aimer votre inconscient, puisque enfin vous savez ce que c’est : un savoir, un savoir emmerdant.

Mais c’est peut-être dans cette erre (e,deux r,e)…
vous savez, ce truc qui tire, là,
quand le navire se laisse balancer
…c’est peut-être là que nous pouvons parier de retrouver le Réel un peu plus dans la suite,
nous apercevoir que l’inconscient est peut-être sans doute dysharmonique, mais que peut-être il nous mène à un peu plus de ce Réel qu’à ce très peu de réalité qui est la nôtre – celle du fantasme – qu’il nous mène au-delà : au pur Réel.

[ Aplaudissements ]

 

Source : http://www.valas.fr/Jacques-Lacan-les-non-dupes-errent-1973-1974,322

Un exercice de lecture

par Esthela Solano*

source: https://www.psychaanalyse.com/pdf/lacan_LECTURES.pdf

Le Séminaire « R.S.I »1, d’une grande complexité, inaugure le passage de l’enseignement de Jacques Lacan à ce que Jacques-Alain Miller a nommé « le tout dernier enseignement».

Quel est l’intérêt de Lacan au moment de ce Séminaire?

Celui de toujours, celui de la pratique analytique, au sens de l’opération analytique. Dans ce Séminaire il se pose à plusieurs reprises la question qui l’a occupé tout au long de son enseignement et qu’il reformule dans la leçon du 14 janvier 1975, de la façon suivante : « Qu’est-ce qu’implique que la psychanalyse opère ? »2.

Cette question, qui concerne l’opération du discours analytique, ne va pas sans comporter un questionnement de l’interprétation analytique s’agissant de savoir ce à quoi l’interprétation doit répondre pour être efficace au niveau de la jouissance du symptôme. À l’horizon de cette question nous trouvons dans ce Séminaire une interrogation sur la passe comme visée ultime de l’analyse, c’est-à-dire le passage de l’analysant à l’analyste. Lacan aborde en effet la passe dans les termes suivants : «cette passe par quoi en somme, ce dont il s’agit, c’est que chacun apporte sa pierre au discours analytique en témoignant de comment on y entre »3.

Au centre de ce Séminaire, on trouve en cascade une redéfinition de la pratique analytique déduite d’une redéfinition de la fonction du symptôme, laquelle comporte une redéfinition de la fonction du père. L’outil de référence de ce questionnement est le nœud borroméen, « c’est de l’expérience analytique dont il rend compte. Là est son prix »4. Ce nouvel instrument permettra de repenser à nouveaux frais, l’expérience analytique. Ce que nous savons de Lacan analyste confirme cette cohérence entre sa pratique et sa théorie des nœuds borroméens.

En guise d’introduction, quelques rappels concernant la logique borroméenne

Le noeud borroméen se définit de trois ronds de ficelles noués de façon telle que si l’un des trois se libère, l’ensemble se dénoue.

C’est par les travaux du mathématicien Georges Th. Guilbaud que Lacan découvre le nœud borroméen. Il se définit d’une propriété essentielle : trois ronds de ficelles sont noués de façon telle que si l’un des trois se libère, l’ensemble se dénoue. J.-A. Miller parlera à ce propos de la trinarité du nœud. Cette trinarité n’est fondée sur rien d’autre que sur la consistance du rond de ficelle, chacun des trois ronds correspondant aux registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire. Leur logique ne répond pas à une logique du nombre ordinal, laquelle veut que 1,2,3 constituent une suite ordonnée impliquant la distinction : « plus grand que, plus petit que » qui donne l’assise d’une hiérarchie. Au tout début de l’enseignement de Lacan, on trouve un ordonnancement hiérarchique des registres symbolique, imaginaire et réel où le premier prédomine sur les deux autres. Dans les termes de la logique boroméenne, réel, symbolique et imaginaire deviennent équivalents. La fonction borroméenne comporte désormais la dimension du cardinal c’est-à-dire qu’il y a le 1, il y a le 2, il y a le 3. On peut indifféremment écrire 231 ou 321 ou 132…

Pourquoi cette rupture d’avec l’ordinal ? Pour mettre en évidence que l’idée d’ordre et de hiérarchie relève d’une géométrie imaginaire. J.-A. Miller rappelle, dans son cours « Pièces détachées »5, que la topologie borroméenne est conçue comme une tentative de dépasser la conception métrique de l’espace dans laquelle nous sommes immergés.

Cette dernière provient de la géométrie inaugurée par les Grecs. Cette géométrie imaginaire est solidaire du miroir, elle a servi de base à tout ce qui découle de la mesure et de l’ordre. Lacan place le nœud borroméen comme antithétique à la conception métrique voire imaginaire de l’espace. De fait, le nœud borroméen ne s’imagine pas et il faut en passer par la manipulation ; ce qui n’empêche pas de s’embrouiller ! Le nœud inaugure donc un autre rapport où l’imaginaire et l’ordinal ne sont pas dominants.

« Le rond de ficelle est certainement la plus éminente représentation de l’Un en ce sens qu’il n’enferme qu’un trou »

L’ambition de Lacan était d’extraire la psychanalyse d’une géométrie euclidienne. Il énonce dès le Séminaire Encore que le nœud borroméen se supporte du rond de ficelle : « Le rond de ficelle est certainement la plus éminente représentation de l’Un en ce sens qu’il n’enferme qu’un trou »6. Un simple rond de ficelle donne accès à la représentation de l’Un comme isolant un trou.

Le Séminaire Encore inaugure dans l’enseignement de Lacan, comme J.-A. Miller l’a mis en évidence, une coupure. La problématique de la jouissance y vient au premier plan. Le point de départ n’est plus l’Autre en tant que l’Autre du langage mais l’Un en tant que tel et ceci, dans la mesure où la jouissance relève de l’Un et ne fonde aucun rapport à l’Autre : « la jouissance, en tant que sexuelle est phallique, c’est-à-dire qu’elle ne se rapporte pas à l’Autre comme tel ».7

Le phallus en tant que symbole relève de l’Un et pas de l’Autre. Et cet Un ne vas sans comporter le trou du non-rapport.

Le principe du non-rapport entre l’Un de la jouissance et l’Autre du langage est mis en avant depuis ce Séminaire. Dans cette perspective, le réel, l’imaginaire et le symbolique relèvent chacun de l’Un. Ce qui fonde le nouage de ces trois ronds en tant que trois Un, c’est le principe de non-rapport entre eux. Dans le Séminaire « R.S.I. », Lacan distingue trois effets correspondant à ces trois Un.

  • Un effet de sens provenant du symbolique,
  • un effet de jouissance qui est le propre de l’imaginaire en tant qu’il relève du corps
  • et un effet de non-rapport qui caractérise le réel.

À partir de ces trois effets, de la distinction et de l’équivalence des trois registres, Jacques Lacan établit quelques correspondances selon les propriétés de ces trois registres.

  • La propriété du registre imaginaire est de l’ordre de la consistance. C’est ce qui tient ensemble, c’est le propre de la consistance. À cet égard, le corps consiste, il tient ensemble avant de se dissoudre. La corde consiste elle aussi, le rond de ficelle également et en ce sens, chaque rond de ficelle a sa propre consistance.
  • La caractéristique propre au symbolique, isolée par Lacan dans ce Séminaire, c’est celle du trou. Le registre du trou n’est pas le même que celui du manque.
    Tout au long de son premier enseignement Lacan nous avait conduit à réfléchir en terme de manque. J.-A. Miller a mis en évidence la perspective structuraliste de la catégorie du manque, puisqu’il comporte la notion de place. À une même place, peuvent venir s’inscrire différents éléments. La notion du manque est solidaire de la notion de place et d’éléments qui s’y inscrivent. Le trou n’est pas du même ordre que celui de la place puisqu’il implique son absence, aussi bien que celle de l’élément.
    Dans ce sens, le trou est le propre du symbolique parce que le signifiant fait trou dans le réel. Selon Lacan, le symbolique tout entier, tourne autour d’un trou qu’il qualifie « d’inviolable », c’est-à-dire irréductible, équivalent à l’Urverdrängt, au refoulement originaire et dont l’écriture correspond au mathème S(A barré). Il y a d’un côté, la correspondance du symbolique au trou et de l’autre, le fait que chaque registre, chaque rond de ficelle, enferme un trou.
  • Il y a enfin le registre du réel qui correspond à l’ordre de l’ex-sistence.
    L’étymologie provient de exsistere veut dire « sortir de ». Le préfixe ex veut dire « sortir de » et le verbe sistere renvoie à « être placé » , ainsi exsistere veut dire être placé hors de. Le réel ex-siste en dehors de l’imaginaire et du symbolique : de l’imaginaire parce qu’il relève de l’irreprésentable et du symbolique parce qu’il relève du hors-sens.
    Cependant, dans la mise à plat du nœud borroméen, l’ex-sistence désigne ce qui se trouve en dehors du champ délimité par chaque rond de ficelle, lui-même conçu comme enfermant un trou. L’ex-sistence est corrélative au trou dans la mesure où pour Lacan pour que quelque chose ex-siste, il faut un trou.

Après ces rappels, je vais vous faire part de ma lecture récente du Séminaire « R.S.I. ».

Venir à Montpellier m’a amenée à relire pour la énième fois le Séminaire « R.S.I. ».

Jusque-là, chaque lecture m’avait permis de prendre un petit bout par-ci, un petit bout par-là, mais cette lecture fut détonnante puisque, pour la première fois, j’ai attrapé un fil conducteur. Cela est en grande partie lié au fait que j’anime à Paris, avec Serge Cottet, l’Atelier de psychanalyse appliquée. Cette année, le texte de référence est Inhibition, symptôme et angoisse8. J’étais donc plongée samedi dernier dans les chapitres IV et VII qui traitent du symptôme phobique. C’est en revenant sur le Séminaire « R.S.I. » que je travaillais dans la perspective de cette conférence, que je suis tombée sur ceci : tout au long du Séminaire, Lacan entretient une conversation avec Freud, c’est limpide !

Cette conversation comporte une relecture critique de deux textes de Freud : « Le moi et le ça »9 et Inhibition, symptôme et angoisse10. Dans cette discussion avec Freud, Lacan redéfinit le symptôme et donne une nouvelle lecture de l’angoisse. L’élaboration du symptôme se poursuivra l’année d’après dans le Séminaire Le sinthome11, avec l’œuvre de Joyce et aboutira à la construction du concept de « sinthome ». Poursuivons ce parcours.

Le 17 décembre 1974, Lacan commente ainsi ce que Freud appelle le moi : « La fonction du moi est une fonction imaginaire .»12 C’est un petit commentaire mais on s’aperçoit qu’à partir de ce moment là, il ne lâchera pas sa proie. Définissons ensemble le moi et le ça freudien. Je le rappelle rapidement sans quoi nous ne pouvons pas suivre le cheminement de Lacan.

Freud élabore la distinction topique de ces deux notions dans son texte « Le moi et le ça »13, texte de 1923, l’année de la découverte de sa maladie. Il redéfinit certaines questions fondamentales comme celle de l’organisation génitale infantile et bouleverse la métapsychologie en reformulant la première topique. Cette démarche s’inscrit à la suite de son texte « Au-delà du principe du plaisir »14, en tirant les conséquences de la découverte de la fonction de répétition et de la pulsion de mort. C’est dans cet esprit que Freud réélabore la topique aboutissant à ce texte « Le moi et le ça »15. Le terme de ça est emprunté à Groddeck qui avait écrit l’année précédente Le livre du ça16. Groddeck correspond avec Freud depuis 1917. Le texte freudien fait apparaître un terme inédit qui est celui de surmoi.

C’est dans cette deuxième topique que Freud reformule la représentation de l’appareil psychique. Celui-ci est désormais conçu comme une trinarité c’est-à-dire représenté par trois instances. Leur introduction et leur distinction se fait, ainsi qu’un nouveau rapport de la fonction économique et dynamique de la libido. Nous trouvons dans le texte de Freud, l’introduction d’une triplicité : le moi, le ça et le surmoi (non différencié de l’Idéal du moi).

Le moi est présenté comme ayant une certaine indépendance à l’égard du ça et du surmoi. Le moi a beaucoup à faire puisqu’il commande l’accès à la motilité, il contrôle les décharges d’excitations pulsionnelles, il veille au refoulement et résiste aux injonctions du ça et du surmoi. Cette construction freudienne aboutit à la représentation de l’appareil psychique où se différencient sur une surface, l’espace du moi, du ça et du refoulement. Freud définit le ça comme étant le lieu des pulsions. Le moi apparaît comme la partie du ça modifiée sous l’influence directe du monde extérieur par l’intermédiaire des perceptions conscientes. Le moi garde finalement une certaine continuité avec le ça puisqu’il n’en est qu’une différenciation superficielle. Il a comme mission d’imposer le principe de réalité à la place du principe de plaisir, plaisir qui règne sans limitation dans le ça, qui est l’espace de la pulsion. Du côté du moi, nous avons affaire aux perceptions. Arrivée à ce point, je voudrais faire valoir le propos de Freud donnant lieu à un commentaire de Lacan. Freud dit en effet : Le moi est avant tout un moi corporel. Le corps propre est d’abord une surface à laquelle correspond la topique du moi. Vous trouverez cela dans le chapitre II du texte de Freud. Il y a dans la traduction anglaise une petite note ajoutée en 1927 (avec l’accord de Freud) qui a toute son importance. On peut y lire ceci : « Le moi peut être considéré comme une projection mentale de la surface du corps et de plus il représente la surface de l’appareil mental »17.

Il est donc question dans ce passage, d’espace, de surface du corps et de la mise en continuité, et dans cet espace psychique, des trois instances représentées : moi, ça et surmoi. Dans la leçon du 17 décembre 1974 du Séminaire nous trouvons une interprétation du moi corporel freudien, lorsque Lacan dit : « [c’est] dans le sac du corps que se trouve figuré le moi »18. Sac qui peut tout aussi bien être représenté par un cercle. Comme nous l’avions rappelé, avec le nœud borroméen, Lacan se propose de sortir la psychanalyse des présupposés de la géométrie euclidienne et de la définition de l’espace qui en dérive.

« La mise à plat du nœud borroméen est autre chose que la surface. Elle suppose une toute autre dit-mension que la continuité implicite à l’espace ».
« Les nœuds, dans leurs complications, sont bien faits pour nous faire relativer les prétendues trois dimensions de l’Espace, seulement fondées sur la traduction que nous faisons de notre corps en un volume de solide ».

Rappelons les propriétés de l’espace géométrique euclidien déclinées par Poincarré. L’espace géométrique euclidien est continu, il a trois dimensions et il est homogène ; tous ces points sont identiques entre eux. Nous pouvons en conséquence constater que l’espace de l’appareil psychique freudien, celui de sa deuxième topique, est un espace continu aussi bien qu’homogène. Dans le Séminaire Encore, Lacan avait déjà fait remarquer cette distinction entre l’espace métrique et le nœud borroméen : « La mise à plat du nœud borroméen est autre chose que la surface. Elle suppose une toute autre dit-mension que la continuité implicite à l’espace »19. Lacan veut nous extraire de la mise en continuité. Il l’exprime déjà dans Encore : « Les nœuds, dans leurs complications, sont bien faits pour nous faire relativer les prétendues trois dimensions de l’Espace, seulement fondées sur la traduction que nous faisons de notre corps en un volume de solide »20. Autrement dit, les propriétés de l’espace métrique sont commandées par la géométrie de l’image spéculaire. La forme de l’espace s’en trouve assujettie, ajoute-t-il, et cela par le biais du regard et de la sphéricité qu’il introduit. Lacan veut donc désolidariser la psychanalyse de la conception métrique de l’espace qui est soumise à l’engluement imaginaire, voire au rapport à notre propre image, siège de la conception du monde sphérique.

Comment Lacan va-t-il procéder ?

« L’homme aime son image comme ce qui lui est le plus prochain, c’est-à-dire son corps. Simplement son corps il n’en a strictement aucune idée, il croit que c’est moi, chacun croit que c’est soi, mais c’est un trou et puis au-dehors il y a l’image et avec cette image il fait le monde »

Il va trouer le moi. Il va faire un trou dans l’espace du moi corporel freudien21. Lacan attribue l’opération de trouage à Freud avançant qu’il a lui-même présenté le moi comme un trou. Et il le justifie en disant simplement que le moi isolé par Freud se spécifie d’être un trou. En effet le moi est ouvert au monde, il doit laisser entrer le monde. Cela a pour conséquence que le sac du corps qui préfigure le moi soit bouché par la perception. Lacan opère ainsi une torsion, celle du trouage de la dimension imaginaire du moi freudien : Le moi au fond, n’est qu’un trou. C’est en lisant la conférence de Nice du 30 novembre 1974 que nous le comprenons mieux encore : « L’homme aime son image comme ce qui lui est le plus prochain, c’est-à-dire son corps. Simplement son corps il n’en a strictement aucune idée, il croit que c’est moi, chacun croit que c’est soi, mais c’est un trou et puis au-dehors il y a l’image et avec cette image il fait le monde »22.

Chez Lacan, le monde qui vient boucher le moi n’est rien d’autre qu’une représentation sphérique provenant de notre représentation du corps. Lacan est allé jusqu’à dire que toute la philosophie grecque est marquée dans sa pensée, par la topologie sphérique qui relève de l’imaginaire du corps.

Lacan extrait ce qui est de l’ordre du recouvrement imaginaire dans le moi pour concevoir à la place, le phénomène du trou qui ex-siste. Il s’agit en définitive, de ce qui relève dans le moi, du réel, du non-représentable. Chez Lacan, le monde qui vient boucher le moi n’est rien d’autre qu’une représentation sphérique provenant de notre représentation du corps. Lacan est allé jusqu’à dire que toute la philosophie grecque est marquée dans sa pensée, par la topologie sphérique qui relève de l’imaginaire du corps. Se servant du trou comme outil, Lacan va relire les instances de la triplicité freudienne. Une fois qu’il a troué le moi, il va lire les pulsions de vie et de mort freudiennes, comme relevant du trou de la vie et de la mort qui en tant que réel caractérise le ça freudien.

Dans le symbolique, le trou se caractérise par l’Urverdrangt, c’est-à-dire par quelque chose à quoi nous ne pouvons donner de nom ni de sens : c’est un impossible, irréductible. Comment le trou dans le symbolique apparaît-il dans la deuxième topique freudienne? Cela se conçoit facilement si l’on applique le principe d’extraction de ce qui le bouche. Le trou dans le symbolique est bouché, dans la construction freudienne, par l’identification première au Père, d’où provient l’Idéal du moi. L’Idéal du moi dérive de la première et la plus importante identification, celle qui va précisément produire une sorte de fermeture de ce trou symbolique. Cette identification vient à la place du signifiant qui manque dans l’Autre pour nommer l’être du sujet.

J.-A. Miller a produit le mathème suivant : I(A) barré sur S(A) barré. Dans le Séminaire « R.S.I. » Lacan propose la relecture suivante : le ça relève du réel, le moi de l’imaginaire et l’Idéal du moi, du symbolique. La mise à plat du nœud borroméen comporte la prise en compte du trou, de la consistance et de l’ex-sistence, et implique en conséquence l’impossible mise en continuité de l’appareil psychique : « Mon petit nœud borroméen est destiné à vous montrer que l’existence est de sa nature ex-sistence, ce qui est ex c’est ce qui tourne autour du consistant et fait intervalle».23

Le concept d’ex-sistence s’oppose à l’idée d’un cercle qui distingue le dehors et le dedans. Le trou d’une corde posée à plat ne délimite pas un dedans et un dehors puisque c’est la même chose, avance Lacan.

Il s’agit pour Lacan de déplacer la psychanalyse, de la décoller de la pensée qui fait cercle et pour laquelle ce qui est dedans diffère de ce qui est dehors. Le concept d’ex-sistence s’oppose à l’idée d’un cercle qui distingue le dehors et le dedans. Le trou d’une corde posée à plat ne délimite pas un dedans et un dehors puisque c’est la même chose, avance Lacan. C’est précisément cela l’ex-sistence, seulement pour la caractériser il faut quelque chose qui ait fonction de trou.

Pourquoi importe-t-il autant à Lacan de se décoller des données cartésiennes de l’Espace et de la pensée qui fait cercle ?

Parce-que cela concerne l’opération de l’analyste.

À partir de quoi l’analyste opère-t-il ? Lacan rappelle que l’analyste n’opère qu’à partir du sens mais il ajoute : vous n’opérez qu’à le réduire, ce sens. Qu’est-ce que le sens ? Dans le Séminaire « R.S.I. », le sens est défini comme un effet provenant du symbolique et qui retentit dans l’imaginaire. Quelque chose dans l’imaginaire, répond à cet effet. Qu’est-ce qui répond au niveau de l’imaginaire ? Le propre de l’effet de sens, c’est qu’une fois que la phrase est capitonnée, dans l’après-coup, on a l’impression d’y comprendre quelque chose. Selon Lacan, cet effet de sens est tout à fait sphérique. Pourquoi ? Ce qui domine dans la parole c’est le malentendu. Dès lors, l’effet de sens donne l’impression d’avoir attrapé quelque chose au niveau de la signification, quelque chose qui se ferme et qui fait croire à la communication. Lacan compare l’effet de sens à ce qui domine dans l’imaginaire à savoir, la bonne forme. L’imaginaire se soutient de notre propre rapport à l’image comme bonne forme au sens de la Gestalt. L’enfant accède à cette forme complète, totalisante, qui fait Un au moment du stade du miroir. Il y aurait donc une parenté entre la « bonne forme » de l’image et la « bonne forme » de l’effet de sens.

Ainsi, l’opération analytique est happée dans la débilité mentale si elle suit la pente de l’effet de sens qui relève du rapport à la « bonne forme ». Si elle se laissait guider par les effets de sens, l’interprétation deviendrait débile. Débilité du mental lorsqu’il se coince du côté de la « bonne forme» c’est-à-dire de ce qui se ferme comme effet de sens sphérique. Le réel de la jouissance ne peut être ainsi attrapé, puisque la bonne forme et la sphéricité de l’effet de sens voilent, recouvrent le hors-sens de la jouissance du symptôme. La jouissance se trouve dans un autre registre que celui du sens. Lacan dit c’est d’autre chose que du sens qu’il s’agit dans la jouissance. « Autre chose que du sens » veut dire que la jouissance comporte du hors-sens.

Une fois la triplicité du moi et du ça trouée, Lacan s’attaque à la triplicité de l’inhibition, du symptôme et de l’angoisse. Il s’y réfère à plusieurs reprises dans le Séminaire « R.S.I. ». Rappelons la place de Inhibition, symptôme et angoisse24 dans l’œuvre de Freud. Il s’agit d’un texte de 1926 qui comporte une relecture du symptôme et plus fondamentalement, de la fonction de l’angoisse. Freud met ici en application la triplicité dégagée dans sa deuxième topique avec « Le moi et le ça»25. Il écrit ce texte en réponse à Otto Rank qui, dans Le traumatisme de la naissance26, fait de l’angoisse de la naissance, le cœur du symptôme. Freud élabore alors une nouvelle théorie du symptôme et de l’angoisse, opposée à celle de sa Métapsychologie27. Freud concevait que le refoulement de la pulsion comportait d’une part le refoulement de son représentant et d’autre part, la transformation en angoisse du quantum d’affects qui se voyait refuser l’accès à la conscience. L’angoisse était donc une conséquence du refoulement de la pulsion. Dans Inhibition, symptôme et angoisse28, c’est l’angoisse qui est cause du refoulement. Le signal d’angoisse vécu au niveau du moi comme un signe de déplaisir, de Unlust, engendre l’opération de refoulement de la pulsion. La conception de la métapsychologie s’en trouve complètement modifiée. Dans ce texte, Freud mettra à profit sa nouvelle topique et sa nouvelle théorie du symptôme en revisitant les cas de l’Homme aux loups et du petit Hans. Cela permet à Freud une nouvelle élaboration de sa théorie du symptôme et de l’angoisse.

Dans le Séminaire « R.S.I. », Lacan entreprend une lecture borroméenne de Inhibition, symptôme et angoisse29 en rappelant, le 17 décembre 1974, que ces trois termes sont aussi hétérogènes que les termes de réel, symbolique et imaginaire. Tout au long du Séminaire « R.S.I. » il est question de la clinique du petit Hans réinterprétée à la lumière du nœud borroméen. Le SéminaireIV, La relation d’objet30 fut l’objet d’une relecture détaillée du cas grâce aux outils dégagés de la linguistique via Saussure et Jakobson. À la lumière de la catégorie du signifiant et du signifié, de la métaphore et de la métonymie, Lacan aboutira à la construction de la métaphore paternelle, qu’il reprendra dans le texte « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose »31, lorsqu’il s’occupe du Président Schreber. Il applique son travail sur le petit Hans au Président Schreber pour en déduire la métaphore paternelle agissante dans les névroses et forclose dans les psychoses. Le commentaire du petit Hans dans le Séminaire IV est une lecture structuraliste centrée autour de la notion fondamentale du manque d’objet. Lacan y différencie trois types de manque et trois types d’opérations qu’il décline en castration, frustration et privation. La lecture du Séminaire « R.S.I. »n’est pas structuraliste mais borroméenne. Elle n’est pas centrée sur la catégorie du manque ni sur la défaillance de la métaphore paternelle mais bien autour de la catégorie du trou et de la jouissance hors-sens, au cœur du symptôme. Au centre du cas du petit Hans, Lacan repèrera la fonction nodale de la jouissance phallique et avancera le côté hors-sens de cette même jouissance. Ce qui est au principe de la phobie de l’enfant ce n’est pas l’angoisse de castration, au sens d’une opération dont le père comme agent menace l’enfant selon la logique oedipienne. Non, au cœur de la phobie il y a l’angoisse certes, mais Lacan redéfinit l’angoisse comme étant ce quelque chose qui, de l’intérieur du corps ex-siste, et qui l’éveille et le tourmente. Le lieu de l’angoisse se situe dans le corps et non pas à sa surface. Le corps est ici compris comme substance jouissante. Pourquoi y a-t-il de l’angoisse ? Parce-que quelque chose tourmente le corps, un hors-corps qui tourmente le corps à l’intérieur. Cette ex-sistence relève de la fonction phallique. C’est la fonction phallique qui embarrasse l’enfant. Hans ne parvient pas à se débrouiller de l’association du corps et de la jouissance phallique. Lacan fera la même année une conférence à Genève sur le symptôme32 où il sera question de Hans et de ce qui se trouve au principe de sa phobie à savoir, la rencontre avec sa propre érection, laquelle n’est pas auto-érotique, d’après Lacan. L’érection est vécue par l’enfant comme ce qu’il y a de plus hétéro, d’étrange, d’incompréhensible, d’extérieur au corps. Mais qu’est-ce que c’est que ça ? s’interrogent les enfants. Il y a là quelque chose d’un non-sens dont le siège est une jouissance qui prend en otage un organe et que l’enfant ne parvient ni à expliquer ni à y donner du sens. Lacan ajoute : Ce truc bizarre, il va l’incarner dans un objet externe, par exemple un cheval qui rue, qui piaffe, qui se renverse, qui tombe par terre. Ce qui comporte la preuve que, pour l’enfant, cette jouissance étrange ex-siste à son corps comme un cheval qui rue, qui donne des coups de pieds ou qui tombe à terre. Dans la série des conférences américaines, la même année, Lacan l’exprime ainsi: « En quoi consiste donc la phobie du petit Hans? Dans le fait qu’il constate soudainement qu’il a un petit organe qui bouge, qu’il veut y donner un sens, mais aussi loin que ce sens aille, aucun petit garçon n’éprouvera jamais que ce pénis lui soit attaché naturellement. Je veux dire qu’il pense, l’enfant, que ce pénis qui bouge, il appartient à l’extérieur du corps. C’est pourquoi il le regarde comme une chose séparée, comme un cheval qui commence à se soulever et à ruer. »33

Contrairement à Freud qui fait de l’angoisse de castration, angoisse de perte de l’organe dérivée de la menace provenant du père, le cœur de la formation du symptôme phobique, Lacan dans le Séminaire « R.S.I. » donne une axiomatique borroméenne de l’angoisse, en indiquant qu’elle provient justement de ce discord entre la jouissance et le corps propre. L’angoisse présentifie en effet le hors-sens de la jouissance en tant que telle. Interrogeons dès lors la fonction du cheval. La thèse freudienne consiste à dire que c’est un artifice qui permet de donner corps à l’angoisse en la propulsant au dehors. Le cheval capture l’angoisse et, à condition d’éviter l’animal, cela fait gagner une certaine autonomie par rapport à l’angoisse. Par ailleurs, le cheval procure un nom à Hans, il lui permet de désigner son angoisse : le cheval vient comme nom, nommer le hors-sens de la jouissance qui est en cause dans cette angoisse là. Voilà pourquoi Lacan dit que l’angoisse ne part ni de l’imaginaire, ni du symbolique.

L’angoisse part du réel, c’est le signe du réel et en ce sens, elle ne trompe pas car elle signe la rencontre avec le hors-sens. Pourquoi la sexualité est-elle donc traumatique ? La jouissance hors-sens fait trou dans le symbolique qui est dès lors, absolument débile à recouvrir ce hors-sens. Le registre symbolique se trouve, par rapport à la jouissance sexuelle, troué. Quel est le bénéfice du symptôme phobique du petit Hans ? Hans ne peut plus sortir dans la rue parce qu’il risque de retrouver un cheval mais s’il l’évite, il n’est pas angoissé. Freud relève le gain du symptôme sur l’angoisse grâce à l’inhibition. Lacan, lui, indique que le cheval permet de circonscrire le champ de l’angoisse tandis que le corps de l’enfant se trouve frappé d’inhibition dans sa fonction motrice. Il redéfinit ainsi l’inhibition en disant qu’elle affecte le corps – donc l’imaginaire – et qu’elle résulte de l’intrusion de l’imaginaire dans le trou du symbolique. Cela signifie que l’inhibition affecte le corps chaque fois qu’il est saisi dans ses fonctions, par le hors-sens imposé par le refoulement. Le corps est affecté par le refoulement, autrement dit par le trou du symbolique. Et c’est de là que provient l’inhibition de ses fonctions c’est-à-dire, chaque fois qu’un signifiant manque pour donner du sens à ce qui affecte le corps. Je vous ai présenté la nouvelle lecture de Hans, la redéfinition de l’angoisse, la redéfinition de l’inhibition, et nous arrivons au moment crucial de ce Séminaire qui comporte une redéfinition du symptôme.

Je rappelle rapidement que dans Inhibition, symptôme et angoisse34 Freud écrit, à propos du symptôme de Hans : Un seul et unique trait en fait une névrose, c’est la substitution du cheval au père. Selon Freud, le symptôme est un compromis : la haine du père est une motion refoulée qui se transforme en son contraire, l’enfant craint dès lors sa vengeance sous les espèces de la castration. Le cheval se substitue au père (Hans craint d’être mordu par le cheval) à la place de l’angoisse d’être châtré par lui. Cette substitution signe, selon Freud, le symptôme névrotique chez l’enfant. Dans son premier enseignement, Lacan a fait de cette substitution la clé du symptôme sous les espèces de la métaphore qui comporte cette opération de substitution d’un signifiant par un autre. Cela veut dire que, dans la correction apportée par le symptôme à la défaillance de la métaphore paternelle chez Hans, le cheval apparaît comme un Nom-du-Père de substitution. La définition du symptôme dans le Séminaire « R.S.I. »n’est pas du tout articulée par Lacan, en termes de substitution ou de métaphore parce que cette perspective comporte la prédominance du symbolique.

Comment redéfinir le symptôme dans la perspective de l’équivalence entre réel, imaginaire et symbolique?

La peur du cheval assure pour Hans une fonction, celle de prendre en charge cette jouissance énigmatique qui est pour lui, hors-sens. C’est une façon de la nommer et de l’incarner en dehors de lui. Dans cette perspective, le symptôme assure une fonction de nomination. Lacan la conçoit comme étant de l’ordre de ce qui s’écrit par l’intermédiaire d’une lettre.

Rappelons ce que Lacan énonce le 18 février 1975, que le symptôme reflète dans le réel ce qui fait « qu’il y a quelque chose qui ne marche pas»35. Cela se traduit subjectivement par un « ça m’arrive et je ne sais pas ce que ça veut dire, je trouve ça absurde, insensé, pourquoi ai-je peur du cheval ? » Le symptôme apparaît comme pur hors-sens. L’idée du sens dans le symptôme est possible s’il est soumis à l’analyse, et dans ces conditions on peut en extraire un bout de savoir. La dimension du symptôme est corrélative à la dimension du parlêtre, c’est-à-dire des êtres qui ne tiennent leur être que de la parole. Il y a quand-même, une sorte de cohérence entre parler et avoir des symptômes. Le symptôme existe parce qu’il a une fonction. La peur du cheval assure pour Hans une fonction, celle de prendre en charge cette jouissance énigmatique qui est pour lui, hors-sens. C’est une façon de la nommer et de l’incarner en dehors de lui. Dans cette perspective, le symptôme assure une fonction de nomination. Lacan la conçoit comme étant de l’ordre de ce qui s’écrit par l’intermédiaire d’une lettre.

Une lettre, ce n’est pas un signifiant.

Quand il y a un signifiant, il y en a toujours un autre et, avec deux, on peut toujours avoir des effets de sens, mais avec la lettre c’est différent. Une lettre se répète identique à elle-même. Cela indique que la fonction du symptôme en tant qu’il est corrélé au réel, relève de l’écriture : de la lettre et non pas du signifiant. Dans le registre de l’inconscient, n’importe quel signifiant peut venir prendre la fonction d’une lettre de jouissance, selon Lacan. Ce qui ne cesse pas de s’écrire au titre de symptôme, provient de là. Par le biais de la lettre, le symptôme réalise une façon unique et singulière, de jouir de l’inconscient.

Pourquoi la fonction du symptôme peut-elle être équivalente de la fonction du père ?

Le père assure dans l’écriture logique de sa fonction, l’exception. Le symptôme, par l’intermédiaire d’une lettre soustraite à la chaîne signifiante, isolée de toute articulation pour fonctionner comme telle, assure la fonction d’exception, celle de la lettre par rapport au signifiant. C’est par l’intermédiaire de la fonction d’exception que la lettre du symptôme serait équivalente de la fonction du père.

Dans RSI, Lacan rappelle qu’il a opéré sur le Nom-du-Père, un passage de l’unique au multiple. Dans cette perspective, il présente désormais le réel, le symbolique et l’imaginaire comme étant des Noms-du-Père. Cela signifie que l’on est sorti du Nom-du-Père comme relevant du registre symbolique. Lacan nous met ici devant la proposition borroméenne qui comporte qu’il y a des Noms-du-Père multiples qui doivent être distingués selon les registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire.

Tirant les leçons du cas du petit Hans pour qui le cheval nomme la jouissance impossible, Lacan nous amène vers une définition de la nomination. Premièrement dit-il, la nomination n’a rien à voir avec la communication, c’est autre chose. Nommer quelque chose ce n’est pas communiquer, nommer quelque chose comporte que « la parlotte », c’est-à-dire le symbolique, se noue à quelque chose de réel. Le signifiant « cheval », isolé par le petit Hans de sa langue maternelle, relève de la parlotte. Ce signifiant se noue à quelque chose de réel : sa jouissance, impossible à nommer, en conséquence de quoi il assure pour l’enfant, un effet de nomination. Dans cette perspective, Lacan pose que la fonction du père permet de « donner un nom aux choses ». Ça ne veut pas dire un père éducateur qui assure un magistère de nomination. La fonction de nomination comme étant le propre du père, c’est ce qu’accomplit à merveille le registre de la langue toute-seule. Quelle que soit cette nomination, elle ex-siste au réel qui est innommable. Il faut dès lors s’interroger à ce propos si la nomination est le propre du symbolique.

La relecture du texte Inhibition, symptôme et angoisse par Lacan, aboutit à la théorie de la nomination comme quatrième terme qui vient nouer les trois autres.

Lacan distingue la nomination de l’imaginaire en terme d’inhibition, la nomination du symbolique en terme de symptôme, la nomination du réel en terme d’angoisse.

En effet, si la nomination n’est le propre que du symbolique – et celle-ci comporte la fonction du père – alors nous revenons à la suprématie du symbolique. Mais nous pouvons constater que Lacan dans RSI va concevoir différents types de nomination qui se déclinent selon les trois registres réel, imaginaire et symbolique. La relecture du texte Inhibition, symptôme et angoisse36 par Lacan, aboutit à la théorie de la nomination comme quatrième terme qui vient nouer les trois autres. Lacan distingue la nomination de l’imaginaire en terme d’inhibition, la nomination du symbolique en terme de symptôme, la nomination du réel en terme d’angoisse.

Concernant l’inhibition, Lacan nous livre une indication clinique importante, car si l’inhibition assure une fonction de nomination, alors il n’est pas question de se précipiter à vouloir libérer le sujet de celle-ci, car elle peut avoir pour fonction de nouer, de faire tenir le nœud du réel, de l’imaginaire et du symbolique. De même pour le symptôme et l’angoisse, tous deux conçus ici comme étant une fonction qui fait tenir ensemble R, S et I. Cette reprise d’Inhibition, symptôme et angoisse37 à la lumière de la relecture du petit Hans, aboutit à un resserrage de l’opération analytique.

Bouclons le parcours

Nous étions partis du rappel concernant le décentrage opéré par Lacan des effets imaginaires, sphériques, du sens. Au cours de ce Séminaire, Lacan aboutira à la distinction entre le sens et l’équivoque, en disant que l’équivoque est autre chose que le sens. Il s’agit d’obtenir, par le biais de l’équivoque signifiante, que l’opération analytique produise des e. Lacan conçoit que l’opération analytique, voire l’interprétation du symptôme, doit jouer sur l’équivoque. Le maniement de l’équivoque comporte de jouer avec le cristal de la lalangue, dans le registre symbolique, pour faire trou dans la sphéricité de l’effet de sens imaginaire. C’est une condition pour avoir une chance de toucher la jouissance hors sens du symptôme.

Pour conclure

Dans le Séminaire IV, Lacan produit une lecture structuraliste du cas du petit Hans. Il applique les résultats de cette lecture au cas Schreber, pour en déduire d’une part, la métaphore paternelle et la fonction attenante du symptôme, et d’autre part, sa forclusion dans la psychose. Dans le Séminaire « R.S.I. »Lacan prend son point de départ de la deuxième topique freudienne en y appliquant la topologie borroméenne. Il fera de même avec Inhibition, symptôme et angoisse38qu’il relit et reformule en s’appuyant sur le cas du petit Hans. L’année suivante, il fait retour sur la psychose, cette fois via Joyce, pour une reformulation de la théorie de la forclusion, des suppléances et du « sinthome ». N’y a-t-il pas là un mouvement très intéressant?


* Conférence prononcée au Collège Clinique de Montpellier dans le cadre du cycle consacré au Séminaire « R. S. I.». Esthela Solano est psychanalyste, membre de l’ECF.

1 Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », séminaires des 10 et 17/12/74, Ornicar ?, 2, 1975 ; séminaires des 14 et 21/1/75, Ornicar ?, 3, 1975.

2 Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 14 janvier 1975, op.cit.

3 Lacan J., « R.S.I. », leçon du 19 novembre 1974, inédit.

4 Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 17 décembre 1974, op.cit.

5 Miller J.-A., L’orientation lacanienne, « Pièces détachées », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de Paris VIII, 2004-2005, inédit.

6 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Le Seuil, 1975, p. 115.

7 Ibid.,p. 14.

8 Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, coll. Quadrige, Paris, PUF, 2005.

9 Freud S., « Le moi et le ça », Essais de psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque de Payot, 2004.

10 Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, op. cit.

11 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Paris, Le Seuil, 2005.

12 Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 17 décembre 1974, op.cit.

13 Freud S., « Le moi et le ça », op. cit.

14 Freud S., « Au-delà du principe de plaisir », Essais de psychanalyse, Paris, Petite bibliothèque de Payot, 2004.

15 Freud S., « Le moi et le ça », op. cit.

16 Groddeck G., Le livre du ça, Paris, Gallimard, 1963.

17 Freud S., « Le moi et le ça », op.cit.

18 Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », op.cit.

19 Lacan J., Le Séminaire, livre XX, op.cit., p. 1

20. 20Ibid., p. 121.

21 Ibid., p. 120.

22 Lacan J., Conférence de Nice (1974), Cahiers cliniques de Nice, juin 1998.

23 Lacan J., « R.S.I. », leçon du 15 janvier 1975, inédit.

24 Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, op. cit.

25 Freud S., « Le moi et le ça », op. cit.

26 Rank O., Le traumatisme de la naissance, Paris, Petite bibliothèque de Payot, 2002.

27 Freud S., Métapsychologie, Folio Essais, Paris, Gallimard, 1968.

28 Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, op. cit.

29 Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, op. cit.

30 Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Paris, Le Seuil, 1994.

31 Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement de la psychose », Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 531.

32 Lacan J., « Conférence à Genève sur le symptôme », Bloc-notes de la psychanalyse, n° 5, 1985, p. 5-23.

33 Lacan J., « Conférences et entretiens dans les universités américaines », Scilicet, n° 6-7, 1976, p. 7-31.

34 Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, op. cit.

35 Lacan J., « R.S.I. », leçon du 18 février 1975, inédit.

36 Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, op. cit.

37 Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, op. cit.

38 Freud S., Inhibition, symptôme et angoisse, op. cit.

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