LA SOLITUDE QU’IL NE FAUT PAS

JE SUIS TRÈS SEULE ET POURTANT ÇA N’EST PAS ENCORE ÇA, ÇA N’EST PAS ENCORE LA SOLITUDE QU’IL FAUDRAIT, ÇA N’EST TOUJOURS PAS ASSEZ SEULE, ENCORE PAS.

JE SAIS PAS CE QU’IL LUI MANQUE À MA SOLITUDE. CE QUI LUI EST EN TROP. COMMENT LA REJOINDRE. ELLE ME MANQUE ELLE ME MANQUE.

JE LA VEUX. JE LA RATE.

LA DIFFÉRENCE ABSOLUE, SI ELLE EXISTAIT.

(CAPITALE MALADRESSE)

Mon chat lui vit du côté de cette solitude.

Référence : Lacan, la jouissance qu’il ne faudrait pas.

à Hélène Parker – c’est que je ne n’arrive plus à tenir aucun fil

Outrée, jeudi 13 mai, 5h48

Hélène Parker, 

Si je n’arrive plus à vous écrire c’est que je ne n’arrive plus à tenir aucun fil. 
Il faut que je trouve le moyen d’écrire plus vite ou plus régulièrement, systématiquement. 
Je suis à nouveau confrontée à des problèmes de sommeil. 
Je vais essayer de terminer les lettres commencées et de vous les envoyer. 

Nous vivons à une époque qui incite à l’éparpillement, à la « dispersion mentale » – plus rien n’accroche, plus rien ne fait butée.
Pour cela les réseaux sociaux sont une plaie. 
C’est pourquoi je me suis désinscrite de Facebook, d’Instagram.
Il reste Twitter, où je prends des nouvelles d’Anton. 

Hier en voiture roulant vers ici, Outrée, lu ceci proche de mes  préoccupations actuelles, en raison de ma lecture du dernier opus de Catherine Millot et de son goût pour la solitude (à quoi j’essaierais de m’amarrer à mon tour, créant en moi une tension, légère, différentielle): 

« Ce réel qui est manque et jouissance en même temps, substance et absence, sans nom et sans attributs mais réclamé comme un dû et revendiqué comme une créance, tout tissé de contraires comme un souhait dans un rêve, ce réel n’est-ce pas tout simplement la solitude, « la solitude qui découle du rapport qui ne peut s’écrire ? Car la solitude s’écrit, elle est même ce qui s’écrit par excellence, elle est ce qui d’une rupture de l’être laisse trace.« 

Anne Dunand, un « Commentaire de Hadewijch  (poème XVIII) », Ornicar ? 47 (la citation, magnifique, une promesse, est de Lacan dans le  Séminaire XX).

Comme le futur est actuellement incertain. Non pas seulement à titre individuel. Mais collectif. 

Blanche Demy 

Envoyé de mon IPhone

Hadewijch et Lacan – ce réel qui est la solitude

« Ce réel qui est manque et jouissance en même temps, substance et absence, sans nom et sans attributs mais réclamé comme un dû et revendiqué comme une créance, tout tissé de contraires comme un souhait dans un rêve, ce réel n’est-ce pas tout simplement la solitude, « la solitude qui découle du rapport qui ne peut s’écrire ? Car la solitude s’écrit, elle est même ce qui s’écrit par excellence, elle est ce qui d’une rupture de l’être laisse trace.« 

Anne Dunand, « Commentaire de Hadewijch  (poème XVIII) », Ornicar ? 47
(citation, Jacques Lacan, Séminaire XX, Encore, p. 109).

toute-une-à-une-seule chose

il m’apparut au réveil que ma façon d’être toute-une-à-une-seule-chose, tant d’années durant ardemment combattue, tant cela s’apparente à un gouffre, est peut-être le meilleur moyen de lutter contre le sentiment d’errance qui fait le fond de mes jours, de tenir un fil sans le lâcher, d’avancer sur le vide – comme je me réveillai dans l’envie de reprendre ce texte lu hier soir, sur la mélancolieen lieu et place de quoi, comme j’ouvrais mon téléphone, je publiai les photos de ces pages, merveilleuses, que je relus par le même occasion, de Catherine Millot dans Abîmes ordinaires (et non pas « intérieurs », comme je l’ai certainement noté, et qu’il me faut immédiatement corriger !)

à les relire, je compris ce qui m’avait échappé, cette intransitivité de l’écriture que mentionne Catherine Millot, dont l’expression m’avait frappée, provoquant un léger court circuit dans mon cerveau, sans que j’interrompe ma lecture pour autant, que j’avais retenue sans comprendre. écrire intransitif ? j’avais vérifié cela dans le dictionnaire. écrire peut aussi bien l’être que ne l’être pas. j’écris quoi ? transitif. à qui ? intransitif. son affirmation, d’un  » écrire, intransitif », m’avait troublée, et je me dis que pour ma part j’aurais bien plutôt à chercher à écrire dans la transitivité de l’écriture : en écrire l’objet, chercher ce qui la travaille et me passer d’écrire à. j’aurais à trouver le moyen d’écrire sans interlocuteur, sans l’appui d’un destinataire, ainsi que je le faisais avec mes lettres, devenues mon seul espace d’écriture. mon seul espace possible d’écriture.

je n’aurais pu m’adresser à l’absence.

j’aperçus ce matin que ce qu’elle entendait par intransitivité de l’écriture, Catherine Millot, c’était (à la prendre par l’autre bout que le mien) son appel, son appui dans le manque, dans son propre vide, qui dès lors la constituait. écrire à, c’est écrire de désir:

« … il me semblait parfois être la place en attente du jour, sans cesse remis au lendemain, où je me mettrais à écrire. Mais ne tombais-je pas dans un cercle, puisque écrire, verbe intransitif, dont la condition était une certaine vacance, avait pour vocation précisément de donner consistance au vide, en quelque sorte de l’engendrer ? Un peu comme si le vide devait accoucher de lui-même.« 
Abîmes ordinaires, Catherine Millot, p. 56

peut-être mon manque était tel vertige que je ne pouvais que l’harponner dans une personne vivante, incarnée, existante, qui me renvoyât quelque consistance, quelque résistance.

souvent il me semble que je n’existe que là, dans ces petits mots que j’envoie aux uns et aux autres, ou mes missives à n’en plus finir.

est-ce une façon de ne pouvoir être seule?

c’est aussi la grande qualité le prix le charme la jouissance rejointe que prend le quotidien à ainsi l’adresser, à l’écrire, il ne s’agit pas de sens mais de jouissance, dès qu’adressée, ma vie, n’importe lequel de ses plus petits faits, prend couleur de jouissance, j’en perds tout sens critique. écris-je dans WhatsApp : je marche vers la gare : c’est petit plus d’existence, jouissance. qui pourtant atteindra l’autre s’il m’aime. j’ai la lettre corps répondante. voilà pour la transitivité, l’objet.

inventer, mettre au monde le corps répondant absent.

à un moment donné, j’ai trébuché, je parle d’autrefois, sur cette intransitivité de l’écriture, qui m’y a fait renoncer, puis retrouver mais à n’écrire plus que des lettres. à quoi il se trouve que je voulais aujourd’hui trouver le moyen de renoncer, dans un désir d’autonomie.

quelle solitude possible?

tout en considérant que je n’étais peut-être pas faite pour cette solitude dont Millot fait état, qui n’est peut-être pas dans mes moyens. tandis qu’au contraire (ne pouvant que si peu compter sur moi), au cours de toutes ces années (dernières), il m’avait fallu élaborer sur l’étincelle de sens (et de magie) qui ne peut advenir que dans la plus improbable (et fortuite) rencontre entre 2 êtres.

(tandis qu’en vérité, on ne sort probablement jamais de l’autisme (et donc de l’illusion de relation. mais non. il faut croire au miracle, lui seul compte. je sais croire au miracle, non celui à venir, celui advenu, celui qui advient. dans le malentendu.)

ce sentiment d’errance disais-je, dans un espace que je suis parvenue à conséquemment limiter, et dont je listais hier les quelques bornes à l’analyste :

écrire une lettre, faire du tai chi, faire le ménage, lire, faire du téléphone, me promener, allongée ne rien faire, dormir, rêver.

pour passer de l’une à l’autre de ces activités : rien, jamais, aucune décision prise, à laquelle je puisse me tenir, aucune discipline. discipline : voilà le maître mot de mon manque : la scipline du dit, que ne règne-t-elle sur ma vie, que ne puis-je compter sur elle pour me sortir de mon sentiment d’inconfort. inconfort qui trahit une forme de vide sans l’étaler jamais complètement, proprement. sentiment brouillon, proche de l’absence de sentiment, d’indétermination. vide qu’on ne sait par quel bout prendre, jamais vraiment suffisamment vide, jamais pur, évoquant plutôt une forme de désoeuvrement. pris donc dans de la culpabilité, l’insuffisance.

si je manque de scipline, je ne manque jamais de mesure, ou plutôt d’auto-mesure d’auto-note d’auto-évaluation et c’est toujours : insuffisant. auto-dévaluation.

auto-dévaluation, et alors peut-être les petits mots méchants. parfois cruels. les mots des self-haters. des haïsseurs de soi.

et donc lorsque finalement l’une ou l’autre des activités susdites finit par s’imposer à moi, j’en saisis la chance sans m’interroger plus avant.

parfois, je m’interroge plus avant, malheureusement et c’est alors encore une énigme. me suis-je dit tai chi, je vais faire du tai chi. c’est alors mais quoi ? quoi du tai chi ? ça ou ça ou ça? ce sera ça. mais si c’est ça pourquoi pas plutôt ça. alors parfois c’est rien d’aucun ça. ça ne s’explique pas. c’est terrible.

je ne me l’explique aucunement. c’est cruel. la seule explication possible ne tiendrait qu’à l’inconscient : que je doive me maintenir dans l’état sus-décrit, d’indétermination et/ou d’auto-dévaluation.

que je doive rester rien, encore, mieux rien. que je ne sois pas assez bien rien. et que je sois d’ailleurs mieux rien. qu’il y ait une jouissance rien. une jouissance à ce rien.

quelle existe, cette jouissance, je le sais assez, ça fait des années que je la traque. elle ne peut pas dire que je lui aie manqué de reconnaissance. et pourtant, si, elle le dit. et j’ai tâché de modifier la valeur qui à elle s’attachait. de la prendre du bon côté. à la façon Millot. à la façon mystique, sainte. dieu sait que je l’ai fait. la grandeur de la feuille de laitue, de son évanouissance, de sa légèreté, sa transparence, sa bonté. dieu sait que j’ai donné, à fond, les manettes. mais ça ne marche pas à tous les coups. c’est bien ça le problème. c’est donc ça le problème. et jamais tout à fait. presque jamais tout à fait. si c’était vraiment jamais… on n’insisterait pas autant.

et quand c’est vraiment tout à fait, eh bien, il n’en reste rien.

à positiver toute cette affaire.

mais enfin il faut le faire, et le moment en est venu d’énoncer positivement :

je l’ai fait. je suis arrivée à éliminer de ma vie tout ce qui ne m’intéressait pas, de même qu’il ne me reste plus que le vocabulaire que de ce que j’ai à dire, rien de plus, de superfétatoire, et chacune de ces activités, si je n’arrive pas à les ordonner, a, à un moment donné, été choisie par moi. l’une d’ailleurs devant me sauver de l’autre. dis-je, en rapport à mon « toute-une-à-une-seule-chose », par où certes je m’évite les moments de l’entre-deux, mais où (je me consume).

ainsi, fut-il un temps où j’étais toute au travail, ou toute à l’écriture, c’est cela donc, que j’appelle toute-une-à-une-seule-chose. là, d’errance ou d’entre-deux aucun. mais une difficulté faramineuse à sortir de ce dans quoi j’étais, à en sortir enfumée (je fumais), hagarde, la santé parfois ébranlée.

et c’est pour échapper à l’infinitisation du « toute-une-à-seule-chose » que je suis passée à la « démultiplication des choses ». et ces choses (sauf sur internet), ne se démultiplient pas à l’infini.

aussi, conviendrait-il aujourd’hui que je parfasse mes moments d’errance et leurs entre-deux. que je les perfectionne, voire cultive pour eux-mêmes. que j’aille vers eux avant qu’ils ne viennent me chercher. que j’embrasse leur état. c’est d’ailleurs ce que je fais dans les meilleurs des cas : je cherche à me vider, le sommeil le plus souvent m’en offrant le meilleur moyen. d’ailleurs je retourne me coucher.

j’ai toujours eu un problème avec les transitions.

timidité, rien à dire, rien à mettre

ces derniers temps, je contemple ça, je suis fascinée par ça, j’interroge muettement ça, comment je suis seule et comment je suis seule depuis longtemps et sans que je m’en sois même nécessairement rendu compte. comment ça a commencé, je me suis dit, comment ça s’est fait, j’ai pas de réponse, comment une petite fille jolie gentille qui réussit bien à l’école, ne se fait pas vraiment d’ami, en a même de moins en moins, grandit, et reste dans ce constat : il n’y a pas d’amis. parfois, il y en a. il y a l’une ou l’autre meilleure amie. qui disparaissent. changement d’école. changement de boulot. dispute stupide, incompréhensible. déménagement en France. alors, la cause ?

timidité. alors d’accord, mettons ça sur le dos de la timidité. testons ça pour un temps.  

qu’est-ce que cette timidité. est-ce un autre nom de la maladie. est-ce un mauvais nom pour la maladie. un nom trop vite mis qui empêche de voir ce qu’il en est. ce qu’il en est vraiment.  

ça veut dire quoi, timidité?  elle est timide.  je suis timide. combien au monde sommes-nous à être timides? 

comment as-tu été timide, chérie, raconte. tu ne peux pas, veux pas, n’a pas envie, a oublié, n’y crois pas. tu t’es enfermée dans tes invitations déclinées, tes évitements. t’as fui toutes ces situations où tu n’arrivais pas à faire face (on ne t’avait pas encore suggéré le mot « angoisse » pour dire le désagrément où tu te trouvais alors). toutes les situations où il y avait plus de deux personnes. où tu n’as rien à dire? où une chape de silence fond sur toi. où tu ne peux absolument pas être au même titre que les autres. tu t’en rends compte, tu le constates, tu le vois. où ta différence est une souffrance de tous les instants. où ta seule issue de secours, c’est la séduction, non pas celle que tu agis, mais celle que tu constates agir sur les autres, sur certains autres, celle que tu connais depuis longtemps, celle où tu te donnes identité de femme, où tu te dis femme, elle seule te soutient, devient dès lors impérative, pas d’autre être (para être). ce qui te met tout à fait à la merci du regard (de l’autre : tu es vue femme, ça attire sur ton corps des courants pulsionnels, appelons-ça, du coup tu te dis femme).

tu en viens à éviter toutes les situations un tant soit peu sociales et tu t’isoles.  

cet isolement passe relativement inaperçu. tu as du travail. tu as toujours l’une ou l’autre amie que tu vois de temps en temps. plus tard, ce sera un homme plutôt, presque toujours un homme que tu accompagnes, à l’ombre de qui tu choisis de marcher, où tu t’abrites. tu t’en sors à être la femme de, comme beaucoup plus tard tu t’en sortiras à être la mère de.

tu auras beau avoir été informée du féminisme.

et qu’y a-t-il encore qui tient la main de la timidité et de son rien à dire : le rien à mettre. de tout temps le rien à mettre tient la main du rien à dire, se cache derrière ses jupes, ses longues jupes.  

le rien à dire a des jupes: nul doute à cela.

*
* *

comment tout ça, et les années passées à l’analyser aveuglément, aveuglément, a-t-il pu te mener au point où tu en es aujourd’hui, où tu ré-appréhendes les choses sous cet angle là, de ton isolement de longue date, de ta solitude.  

en as-tu souffert plus qu’aujourd’hui? tu t’y es faite. tu as eu à faire face à de tels monstres, que tout ça…  et c’est bien parce que ces monstres se sont aujourd’hui assagis, voire ont disparu, que tu regardes les choses depuis cet angle, jusque là délaissé. que tu regardes en arrière.  

depuis qu’on a donné un nouveau nom à ta maladie, tu regardes partout, tu regardes tout autour, tu regardes en arrière bientôt tu regarderas en avant et toutes les questions te paraissent posées différemment.

avoir été seule, avoir été timide, de toujours, aurait été déjà un symptôme de la maladie. toi, tu pensais jusque là que c’était un symptôme de femme. eh bien pas tout à fait, il semblerait. la frontière est trouble.

donc, tu voudrais en savoir plus sur la maladie, tu as envie de ce qui se sait de la maladie, dans les livres, déjà, et tu as envie de ce que tu pourrais en dire de plus, de ce que tu pourrais y ajouter. ça te motive. dire quelque chose de la maladie, dire de toi.  à la fois tu voudrais dire la grandeur de la maladie, à la fois tu voudrais n’en plus pâtir ni faire pâtir les autres. tu voudrais faire aimer la maladie. la maladie plus que toi-même. et tu veux la nouer à ton être de femme, auquel tu as toujours tenu. haï tenu. qu’il faut maintenant, vu l’âge, maintenir en vie hors la séduction, la séduction perdue et sans pleurer dessus. il faut lui donner mot, prendre voix.

que sont ces riens à dire, riens à mettre de ton isolement, quels sont ces facteurs de la maladie. que tu n’ignorais pas, ces riens, tu les savais au cœur de ton fonctionnement, de tes dysfonctionnements, sans arriver à t’en soustraire, à en tirer ton épingle du jeu.  

du rien, tu voyais le lien à la mystique, à la jouissance, sans trouver le moyen de l’approfondir –  

pourtant tu seras bientôt seule avec le rien. année après année, tu le vois faire le vide autour de toi, sans que tu y puisses rien, manigancer, motus sur ces secrètes fins : bientôt il n y a plus rien entre le rien et toi, rien qui vous sépare, on pourrait presque vous confondre, n’était-ce peut-être chez toi le désir perpétué, rené, d’analyse, d’écriture de ce rien.  

tu n’as plus de travail, plus d’astreinte, plus aucune contrainte, l’angoisse et celle liée à la vie de ta petite famille, s’en sont atténuées largement, tu as recommencé à dormir. une forme d’équilibre est atteint.  

tu te sais mue par l’amour du réel.  

le réel du symptôme.  

et tu entrevois qu’il ne s’éteindra pas, que sa source ne s’épuisera pas, que tu trouveras à t’y abreuver sans fin. il y aura toujours quelque chose à écrire.  

tu penses que tu es privilégiée. tu penses que tu as fait de ta condamnation un privilège. tu sais que c’est une question de vie ou de mort. qu’il y a d’autres questions. comme celle du temps, que l’on n’arrête pas. mais que celle-là, quoi qu’il en soit, tu ne peux pas y renoncer. ce sera toujours dans la balance. ça n’est pas nécessairement confortable. c’est un choix que tu dis malgré toi. que tu n’as pas élucidé. dont la maladie est un nom. tu as avancé jusque là entre les murs formés des vagues relevées de l’ angoisse, toujours prêtes à t’engloutir. avancé dans la mer morte.  

du rien, tu voyais le lien à la mort, au suicide, à l’échec, au ratage, à l’anonymat obligés. du rien tu craignais les ravages sur ton fils.  

du rien, tu voyais l’oubli perpétuellement avançant, grignotant, la perte inéluctable de la langue, de la raison.  

tu as considéré les mots qu’il te restait, et l’estime où tu tiens ce qui avance ne s’ignorant pas seulement mu par la jouissance du parler en dépit du moindre sens.

du rien tu as vu les bouchées qu’il fait de la vie des uns, de la vie des autres. et du peu de poids qu’il accorde jamais à l’opinion où il n’en pèse d’ailleurs aucun, sinon celui-ci : par l’opinion tu trahis ton intelligence, non pas celle de l’Autre, celle de l’Un qui ne s’y laissera pas réduire. aucune opinion ne détermine, ne résout une identité, toutes te mèneront à te trahir, à trahir le flot, le non-identifié. je me dis alors : parle pour toi, c’est bien assez.

du rien donc, et ça en sera assez pour aujourd’hui, il te reste à trouver le moyen d’entrer dans la grande joie, et si ce n’est pas la grande porte, ce sera par la petite, l’étroite, et trouveras à l’enseigner de sorte qu’à ceux dont il est comme à toi le mot de damnation, tu

… rien

est-ce que j’ai seulement dit quelque chose?

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