Mes si chers enfants,
Ce matin était mon R.V. avec le neurochirurgien, dr. *, à Erasme.
Il m’a éclairée sur mon méningiome ; je sais maintenant où il est situé : dans le lobe gauche de mes méninges. On m’a fait encore un scan, et je vais retourner à Érasme l’après-midi du 22 septembre, pour les
résultats et la décision d’une éventuelle opération.
Il a également affirmé que mon œil gauche qui se referme légèrement: c’est le méningiome qui pousse l’œil…
J’espère que j’ m’explique assez bien mais voilà enfin l’explication
claire et satisfaisante pour cet œil.
Voilà, je suis très fatiguée, c’est normal. Demain tout ira mieux.
A part ça, je vais très bien. Jeudi prochain je vais écouter un
concert d’orgue à l’église St. Servais; 20h15.
L’organiste sera Hervé Desabre du Val de Grâce à Paris.
Les orgues à St. Servais sont formidables. Je m’en réjouis.
Je vous embrasse très fort, tous les trois.
A bientôt
maman
Étiquette : tumeur
l’oublieuse (ô solitude)
Il arrive souvent que des choses me bouleversent, sans que je ne m’en rende nécessairement compte.
Si ce bouleversement se prolonge, se renforce – de façon dramatique -, sur plusieurs jours, je peux alors éventuellement l’interroger, éventuellement poser un lien avec ce qui l’a causé. Mais, il s’agit alors d’une interrogation consciente, et donc teintée d’une sorte de doute. ( Je ne pense pas qu’il y ait en moi d’autre lieu pour la certitude que l’inconscient. Or mon lien à l’inconscient serait si serré, que je ne pourrais m’empêcher d’attendre, sans concession, que la conscience m’offre cette même sorte de certitude. Ce qui est à proprement parler impossible.) Aussi, n’arrive-t-il (pratiquement) jamais que j’en parle, de ce qui me bouleverse. Non, que je ne le veuille, mais faute de le repérer, et ensuite faute d’arriver à m’en assurer.
Ainsi, peut-être eût-il été normal qu’à l’ouverture de ce livre, dès ses premières pages, je dise : « Ce livre est extraordinaire. Il me bouleverse » et m’en explique. Cependant qu’il semble bien possible que rien de ce qui s’adresse directement à mon inconscient et semble toucher directement à mon sort, ma destinée, rien de ce qui me semble alors la modifier, devoir la modifier en profondeur, ne puisse devenir conscient, et moins encore passer à la parole (je ne suis même pas sûre d’y être souvent arrivée en analyse).
Mon lien à l’inconscient, mon goût pour ce genre-là de bouleversement, ces bouleversements qui me lient au sens même de la vie, qui seuls lui esquissent une destinée possible, que perdraient-ils à passer à la parole, au bavardage même que l’on me recommande à l’occasion et que je souhaite d’ailleurs en ce moment, inquiète que je deviens de mes difficultés de plus en plus grandes à trouver mes mots, comme si mon manque d’exercice, ou la tumeur cérébrale dont je soupçonne l’existence, m’en avait fait perdre beaucoup.
Il m’apparaît au fond que j’aurais l’inconscient particulièrement perméable, directement atteignable, sans que ce qui ne l’affecte n’en passe par la conscience – en-dehors des quelques éclats de voix, affolés, qui m’échappent -, me travaillant directement de l’intérieur, et de là, remontant à la surface, manifesté par des changements d’humeur (cf. la « touche de réel » de Lacan). Changements qui ponctuent ma vie, me donnant l’impression de n’être qu’un jouet du destin, menu bouchon flottant au gré parfois mauvais des vagues d’une mer sinon plate, déserte toujours.
C’est un livre donc, qui en est souvent la cause. Il s’agit d’un mouvement d’ouverture, d’une brèche qui s’ouvre, et la dépression qui toujours succèdera à ces bouleversements tient à ce que je n’aurai pas su, pas pu m’y engouffrer, la faire mienne, lui permettre de donner à ma vie un nouveau tournant, ni plus qu’en rendre compte, en témoigner, en répondre. La brèche se referme, et je sais que déjà que je l’oublie. Je n’aurai vécu qu’un moment d’espoir, quelques éblouissements, et me vois reprise par le quotidien, inchangée, telle qu’en moi-même l’éternité me fit.
Une éternité en forme d’oubli.
Le livre dont je voulais parler ici est celui de Catherine Millot, « Ô solitude ».
Illustration de l’article : L’inconscient de l’inconscient, Charles Dreyfus