Lors de mes nombreuses conversations avec moi-même, je me plains de mes cinquante ans, et hier, je me dis soudainement que mère ne m’a pas appris à faire tout ce qu’elle faisait, ne me l’a pas communiqué. Elle a dû croire qu’elle serait toujours là.
Je ne fais toujours pas ce qu’elle faisait. Je ne suis pas une bonne mère. C’est ce qu’elle disait toujours. Moi aussi, je commence à le dire. Je me le dis quand je pense que je devrais faire tout ce qu’elle faisait. Quand je compare ce que nous faisons. Mais, je ne dois pas. Comment je suis comme mère ne devrait pas être lié à ce qu’elle a été comme mère. D’ailleurs, ça ne l’est pas. Les temps ont trop changé. Son rôle et ses devoirs de mère lui suffisaient, l’accomplissaient. Au moins donnait-elle cette impression. Et d’ailleurs l’affirmait-elle: Mais non, je me sacrifie pas. Mais oui, je fais ce que je veux faire. Elle se faisait une haute idée du service. Et moi, pas du tout. Ça ne me suffirait pas du tout. Ma mère ne s’est pas vraiment rendu compte des changements. De ces changements qui arrivaient sans qu’on s’en rende compte. Qui faisaient qu’une femme ne se satisfaisait plus, ne se contentait plus d’être mère. Ma mère ne m’a pas enseigné ça, aussi parce que déjà ça changeait. Déjà ça changeait, déjà ça n’était plus ce qu’il fallait, pour les femmes, d’être mère. Les femmes avaient de nouvelles ambitions.
Après une nuit d’insomnie, dont tout en moi rebute à dire quoi que ce soit.
Je ne pense pas que je puisse poursuivre la tenue de ce blog.
Ce que je peux dire, extraire de mes angoisses de la nuit et qui paraîtra dérisoire. Un premier bouton d’acné sur le menton et des points noirs sur le nez viennent d’apparaître sur le visage de J, le lendemain de son entrée au collège. Je n’ai pas tout de suite voulu le croire, j’ai consulté le grand internet, il semble que ce soit bien cela, qu’il s’agisse d’acné. A laquelle s’est encore (en corps) ajouté hier un orgelet à l’œil droit.
Ce que je peux en dire. Cela m’a particulièrement affectée cette nuit. Cette atteinte à son intégrité en live, in vivo, réveille en moi des spectres oubliés, me ramène des années lumières en arrière. La vie m’a paru brute et cruelle et je ne comprends pas qu’un bouton d’acné et des points noirs soient venus s’installer dans sa peau de bébé. Bien sûr, c’est la suite surtout que je crains, sans rien oser lui en dire. Faut-il que déjà cela commence. Quand n’est-ce ce que je lui communique de mon propre stress qui ne soit le plus à craindre. Lui, devant le miroir, lorsqu’il découvre le pus dans son bouton, décrète : mon image est abîmée. F, à qui je rapporte ces propos, me dit que c’est absurde, ce qui me soulage. Pour lui, ce n’est vraiment pas grave. Cela ne m’a évidemment pas empêchée de passer un temps fou sur le net à chercher des explications, à traquer des traitements. C’est finalement celui proposé par la pharmacienne qui a été appliqué, de façon efficace, même si j’ai craint par la suite qu’il ne soit trop fort. Elle a également prescrit des plantes, à mon grand bonheur, des plantes pour le foie (!) Cela dit, j’en suis finalement venue à croire qu’une simple application, matin et soir, d’aloe vera (signalé dans de nombreux forums comme la solution miracle et dont Va m’avait parlé) sera ce qui conviendra.
Est-ce que c’est là que je suis sa mère, quand je voudrais pouvoir le lécher, nettoyer, soigner comme une mère chatte ses petits. Il le supporte encore. En profiter.
Un jour de bêtise, il y a longtemps, et dont il se souvient, j’avais dit à Jules qu’il n’aurait pas d’acné (parole dont j’ai craint, aussitôt prononcée, qu’elle ne convoque ce qu’elle cherchait à abjurer). J’ai dû lui dire cela parce que j’en avais moi-même souffert pendant des années jusqu’à ce qu’elle soit traitée au Roaccutane. J’ai regretté alors que ce traitement ne soit pas intervenu plus tôt, ce traitement si simple, si efficace, et je me souviens que j’avais envie d’accoster quiconque arborait quelques boutons pour lui dire « Mais, allez chez un dermato, faites vous prescrire du Roaccutane, c’en sera fini de vos ennuis ». Ma mère elle-même n’avait fait que peu de cas de mon acné, a fortiori ne m’avait pas emmenée chez un dermatologue, chez qui je pensais donc conduire Jules, au premier signe fatal. De là, ma promesse. Or, ce traitement au Roaccutane intervenait après des années d’acné, et, là, nous n’en sommes qu’à un malheureux bouton sur le menton, à un moment où un traitement aussi lourd n’est probablement pas envisageable. Besides, qui plus est, je n’ai plus aujourd’hui la moindre confiance en la médecine traditionnelle occidentale.
j’ai deux chiens identiques, je les reçois. deux jeunes chiens noirs et maigres, au poil ras. ils courent dans tous les sens.
j’ai un grand chien, plutôt grand et blanc, au poil long. je le promène, je fais des activités avec lui.
à un moment, des laisses sont mises.
je me souviens avec effroi des jeunes chiens noirs, oubliés, disparus. ils doivent être attachés quelque part. je les retrouve, debout, immobiles, côte à côte dans un carton que j’ouvre, ils sont liés, j’ôte leur laisse, leurs liens, qui sont des sortes de bandages sur les yeux, fermés, que je détache. ils gardent les yeux fermés, collés. c’est affreux en fait, ils sont dans un sale état. je suis très triste.
le gros chien blanc est toujours là. ils sont trois chiens. je crois que j’ai le sentiment que je ne dois plus l’oublier.
il y avait eu la veille l’idée, la pensée aux chiens et aux chats, à ce qui les sépare. mais je ne sais plus quoi. j’avais pensé à cette sorte de malchance des chiens, leur ultra-dépendance aux humains.
il y a le lendemain, vendredi, aujourd’hui, au réveil, cette idée :
être partie de a – a’, l’identification imaginaire au double, au petit autre
avoir rencontré le chien blanc, le grand chien blanc. celui aussi du semblant. je pense à lacan.
et puis… me souvenir qu’ils sont là, qu’ils sont là aussi.
a-a’
Hier lecture article sur La mélancolie d’Althusser, article de J-C Encalado. j’y lis des choses très très simples, très clairement articulées sur cette identification imaginaire, ce lien a-a’, qui me frappent, et qui entraînent cette interprétation du rêve. Bien sûr, je fais cette lecture après le rêve. Avant, le rêve, il y a ce qui m’avait frappée dans la lecture sur l’immixtion des sujets dans la psychose, de L. Fainsilber, que j’ai republié ici.
Jean-Claude Encalado écrit cette relation imaginaire d’Althusser à son grand-père, à son ami Paul, à d’autres encore, des professeurs, et finalement aussi à Hélène Rytmann, relation imaginaire qui va pouvoir venir suppléer au défaut phallique : avec le grand père : « Et pendant toutes ces activités qu’il accomplit avec son grand père, il se sent là dans un corps d’homme. » avec l’ami Paul : « Il trouve en Paul un appui imaginaire : « Il a ce que je n’ai pas : le courage. » Il est costaud, il est courageux, et dans leur détresse, dans leur solitude, ils vont trouver refuge dans leur association. » avec Monsieur Richard : « professeur de français, un pur esprit, un être détaché de la chair. « Je m’identifiai complètement à lui (tout y prêtait), j’imitai aussitôt son écriture, […] adoptai ses goûts, ses jugements, imitai même sa voix et ses inflexions tendres. […] Manière de régler mon rapport à un père absent en me donnant un père imaginaire. » Comme il le dit clairement, à la forclusion paternelle, répond une figure imaginaire : un professeur de lettres. » Ce qui se passera avec Hélène Rytman est plus subtil. Elle deviendra sa femme. Il ira d’abord vers elle tout à l’élan de la sauver – elle est dans un état lamentable -, puis il passera par un moment d’angoisse extrême provoqué par leur premier rapport sexuel qui le conduit en hôpital psychiatrique à Sainte Anne, où il est enfermé pour démence précoce et dont il n’est pas sûr de pouvoir jamais sortir. C’est Hélène qui le sauvera, qui l’en sortira, parvenant à introduire un autre médecin à l’hôpital qui infirme le diagnostic, parle de mélancolie grave, et il… s’en sort, non sans passer par un traitement aux électrochocs. L’hospitalisation a duré plusieurs mois. Au sortir de là, il va vers la femme qui l’a sauvée, la femme au courage et à l’intelligence d’exception, qui dit-il, fait de lui un homme. Il peut la sauver (comme il faut qu’il sauve sa mère), mais elle aussi, le sauve. Quelques années plus tard, il la tuera… dans un moment d’égarement.
Je ne suis pas sûre que cela éclaire vraiment ce qu’il en est dans ce rêve, en tout cas un petit peu ce qu’il peut en être dans la relation imaginaire.
Autre chose m’avait frappée : ils sont l’une et l’autre atteints de maniaco-dépression, et c’est comme s’il s’agissait d’une tout autre maladie. Ce qu’il décrit des terribles difficultés d’Hélène est certainement plus proche de ce que je connais que de ces épisodes hypomaniaques à lui.
…la terreur fantasmatique d’Hélène de n’être qu’une mauvaise mère, une mère affreuse, une mégère à faire du mal et mal, et avant tout à qui l’aimait ou voulait l’aimer.
le chien blanc
Pour ce qui est du chien blanc, ce chien unique, qui a toutes les qualités inverses de celles des deux chiens : il est Un, il est blanc, il est grand, il a le poil long (un peu chien de berger, quand les deux autres sont de très jolis petits bâtards noirs)…. Pourquoi me fait-il penser à Lacan ? Je parlais hier de ce que ça avait été pour moi, d’avoir pu croire en Lacan. Pendant des années, je me suis suis bâtie sur sa lecture, je me suis formée à son enseignement, il m’a apporté des choses que je n’ai trouvées nulle part ailleurs. Il est véritablement le seul qui ait donné du sens à ce qui jusque là n’en avait aucun, et qui m’ait filé l’envie de savoir, de découvrir. Le goût de Lacan pour le réel, les instruments qu’il offre pour l’aborder… c’est un virus dont on ne veut pas être guéri… Tout dans l’enseignement de Lacan est ouvert sur le plus mystérieux, le plus étrange, le plus extime… Si j’ai appris à m’aimer, si je ne suis pas confondue de haine pour moi-même comme ce que je lisais hier sous la plume d’Althusser parlant de sa femme, c’est par lui, c’est grâce à lui… Même m’étant durant toutes ces années, plus de 20, trompée quant à mon diagnostic: ce qui ne trompe pas c’est la jouissance. La jouissance dans son acception lacanienne.
Cet amour Un pour Lacan, sans faille, dont j’ai cru qu’il finirait par m’apporter métier et communauté, ce qui n’a nullement été le cas, cet amour a fait de moi une névrosée modèle pendant toutes ces années. Je veux dire que le discours même de Lacan, son goût du réel, c’est ce qui a suppléé au dit défaut phallique. On est tout le temps, dans la démarche analytique dans une volonté de nommer le réel. Et ce goût, et ce respect du réel, respect peut-être uniquement provoqué par la jouissance intellectuelle qu’il y a à le traquer, à le débusquer, à toujours vouloir aller vers ce qui vous dépasse, ce dont on se sent à la fois le plus séparé et le plus proche, par ce que cette démarche permet d’apercevoir des subtilités de la vie, dont in fine aucune loi déjà écrite ne répond. Il n’y a pas de relation entre l’amour où je suis de moi-même et la haine. L’amour me vient de la démarche analytique, la haine…. Aujourd’hui, je dois peut-être renoncer à trouver sa cause. Elle vient du dedans, elle m’est en fait absolument étrangère, intouchable je crois par l’analyse. Restée en tout cas longtemps intouchée, innommée, méconnue jusqu’à ce diagnostic par moi posé : mélancolie. C’est dans les textes sur la mélancolie que je l’ai reconnue.
Toute la maladie n’est pas la haine de soi. La haine de soi c’est le chien des enfers. Si je l’ai peu dite en analyse, si elle a manqué à apparaître, si elle ne s’est exprimée que dans une haine adressée à autrui (ce que j’ai tenté de cerner avec mon histoire d’immixtion des sujets), c’est que je savais ce qu’elle comporte de jouissance et que je me gardais d’en faire étalage. Cette jouissance, je ne voulais pas qu’elle soit repérée en tant que telle par un analyste. Elle s’est manifestée autrement. (C’est une chose, je me dis parfois, qu’on devrait apprendre à l’école, la part qu’on prend à son propre malheur, ça n’est plus très à la mode, et ça l’a parfois été trop, je me suis certes accusée de trop de torts, mais enfin, s’en défier davantage ne ferait de tort à personne.) Je disais donc : la haine où je suis de moi, je suis arrivée à la faire payer cher aux autres, aux autres aussi (Freud le dit très bien), et ce n’est pas ce que je voulais dire. Je voulais dire : elle n’est pas tout. Mais, je ne sais plus ce que je voulais dire.
Alors, certes, tout ça nous mène très loin du rêve aux chiens, du rêve aux 3 chiens. Dans ce rêve, ce qui compte, c’est l’oubli des petits chiens. Et l’état lamentable dans lequel je les retrouve, enfermés dans des cartons, les yeux tout collés. Ils sont un peu comme des chiens empaillés, mais toujours en vie. Ils ont cette sorte de raideur de certain jouet que j’aurais eu, de chien noir, petit chien noir à bascule : exactement, les voilà, le voilà. C’est un jouet qui ne m’a pas appartenu, mais qui se trouvait au château d’A, et qui avait bien pour moi quelque chose de dégoutant, tant il était réaliste (peut-on s’asseoir sur un chien empaillé, ce qu’il n’était pas, pas vraiment).
Je ne sais ce qui dans les jours précédents m’a conduite à repenser à ce qu’a été Lacan pour moi. Quel père il a été.