coiffeur + la déception essentielle
— Dimanche 22 janvier 23 07:05

Lit. Ah, il est 7 heures du mat, j’ouvre un œil et le téléphone, j’écris le fracassemeur du moment: Tu te hais, tu te hais, tu te hais… À quoi je rétorque : Mais pourquoi ? Pourquoi ? Si seulement tu m’expliquais ça. Évidemment, pas de réponse. 

Je me lève. Ricoré, salon noir. Dommage qu’il ne le soit pas davantage. La lumière orange qui filtre de la rue est regrettable.  

Difficile passage chez le coiffeur hier, et retour à la maison. 

Tellement intimidée sur place. Les lumières si fortes. Le jeune coiffeur très charmant, gentil. Et l’horreur de me voir dans le grand miroir si éclairé. Je vois tout de suite que je n’aurais pas dû mettre de la couleur sur mes yeux. Dès qu’il s’éloigne un moment, le coiffeur, j’essaie d’en enlever. Quand, je parle, je vois mes dents, c’est effrayant. Tout ce qui est affreux dans ce visage. Il me sourit tout le temps. Après que je lui aie parlé de tout ce dont je pourrais vouloir tenter comme coiffure, il se taira. C’est moi qui ajouterai encore l’une ou l’autre bêtise. 

Beaucoup de lumière dans le salon, sommes entourés à gauche et à droite par 2 autres coiffeurs, chacun très animé, bavard, qui discutent avec leur clients de films, de séries. À gauche elle raconte les scènes, à droite il les mime, les rejoue, en anglais même, coiffant, face au miroir.  À un moment mon coiffeur se mêle à sa conversation de droite. À un moment, je me demande s’il ne  faudrait plus de miroirs à la maison, pour surveiller, maîtriser, cette image. Enfin je ne vois pas où, comment. 

7h33. Je n’ai pas la moindre envie de regarder raconter tout ça. 

Nous sourions doucement le coiffeur et moi. Je renonce à rien dire. A un moment, j’ai cherché le titre de la série que nous regardons hier. Rien, je ne m’en souvenais. Je ne sais même pas si c’est japonais ou coréen. Je sais que c’est trop violent, que je n’ai pas envie de regarder, mais que J insiste, il dit que c’est pas drôle quand je ne suis pas là. Ils ont envie de regarder cette série. C’est la deuxième saison. Deuxième épisode de la deuxième saison. Tout de suite, j’ai dit non. Mais bon. Ca se passe dans une ville, immense et vide. Qui n’est plus qu’un immense terrain de jeu. À mort. Les jeux sont cruels. On ne sait d’où les joueurs sont observés. Quand ils perdent, quelque chose leur tombe dessus, du ciel, les transperce. Je me souviens de tout ça maintenant, mais hier, plus rien. Seulement j’aurais pu dire que ça faisait trop peur. Alice in Borderland. Voilà, ça me revient. Vérification sur Google : c’est japonais. Survival, science fiction, thriller, drame. Le héros (ils écrivent Arisu dans les sous titres, mais c’est Alice, à cause de le la prononciation des Japonais ) était un amateur de jeux vidéos. 

F a acheté des scones, j’aime beaucoup ça, j’en mange un morceau. 

A un moment la coiffure était finie, les cheveux étaient coupés, ils étaient encore mouillés, nous étions ravis, nous montrions le coiffeur et moi-même des signes de ravissement. Je disais quel soulagement. Il disait ça donne un coup de peps. je disais quel soulagement, c’est réconfortant comforting, je me sens moins exposée, mais je ne pense pas qu’il ait tout entendu. Il me demande s’il coupe encore un peu devant et je pense quelque chose comme non, il dit qu’on va sécher d’abord, et qu’on verra, il sèche et c’est très bien, c’est très bien, j’en ai une sorte de vertige, mais il dit quand même : on coupe encore ? Et je dis, bon d’accord, allez y. Et il coupe, et pour moi, c’est pas bien, il me fait les cheveux hirsutes, mais il a toujours l’air aussi content, alors je ne dis rien. J’ai l’air ahuri de (…) dans un film italien de (…). Fellini. Et elle, je ne sais plus, un nez de clown, rouge. Des cheveux très blonds, blancs. Si ce n’est que moi, j’ai bientôt 60 ans. Bah. Je me lève. Je dis merci, il dit non c’est moi. Je paie, demande son nom, il est toujours gentil, dit À bientôt. 

Dehors, j’ai envie d’un cocktail, d’un Spritz, je suis à Bastille, j’aurais peut-être dû, je songe à faire venir F mais il ne viendra pas. On pourrait passer la soirée dehors. Je me dis qu’il faut prendre le métro, que je pourrais lui demander de me rejoindre à Anvers, au square (…)… Je pense qu’il ne voudra pas. Ou que j’en parlerai en rentrant. Il fait noir, si je ne suis pas très habillée, je suis maquillée, coiffée, et même si la chienne ne me plaisait pas, je dois être un peu bien, j’ai envie de vivre un moment dans cette illusion. je tourne vers moi la caméra du téléphone en descendant les escaliers du métro, non, c’est une horreur. Arrivée à Gare du Nord, non je ne vais pas à Anvers, au square (…), sur la rue (…) Je rentre. Et lumière de l’appart. F devant jeu. Déjà, le faire sortir de là. Il dit qu’il ne voit pas bien mes cheveux, je ne sais plus ce qu’il me dit, que c’est gonflé. C’est vrai qu’il y a beaucoup de volume, qu’il n’aime pas ça. Je dis que j’ai envie de sortir, F dit que lui non, mais. Je vais à plusieurs reprises me regarder dans le miroir de la salle de bain et directement j’essaie d’arranger. Il y a un produit dans les cheveux je les mouille. Je regarde s’il y a un film à voir dans le coin, mais rien qui puisse plaire à F. L’envie de sortir me quitte, je suis comme désespérée. F acheté à manger chez le traiteur de la rue (…) J’ai envie de me démaquiller, d’aller au lit. F me demande si je veux sortir, je dis non, non. Je me résigne à passer à table, à manger. Il a gentiment acheté à manger. Il essaie de me parler. Je dis que ça va très mal. Il dit Je vois ça. Il essaie de m’interroger. Je cherche à ne pas m’énerver. J’arrive à vaguement dire que je ne supporte pas quand j’ai envie de quelque chose de ne pas y arriver, de renoncer. Ça m’attriste toujours horriblement. Je suis dans cette tristesse-là. Je dois faire l’effort de ne pas retourner ma colère contre lui. Seulement contre moi. 

Dans les explications sur la mélancolie, il y a quelque chose de ça. A un moment dans l’enfance l’objet d’amour a déçu, et le sujet s’en est détaché, et a « retourné présence à l’intérieur de soi », la présence, la personne précédemment aimée, est placée à l’intérieur de soi (pas les bons mots), « introjectée », la libido est ramenée à soi, mais à la fois pour aimer et détester. (toujours pas les bons mots, c’est pas clair). Aussi, quand le mélancolique est fâché contre lui-même, n’est-ce pas contre lui-même, mais contre l’autre « qui a déçu ». F, est comme l’image à l’extérieur de cet autre qui a déçu. 

Cette déception, curieusement, je m’en souviens, ce moment dans l’enfance, mais pas de son objet. Je me souviens, marchant dans la rue avec mon frère lui avoir demandé Tu préfères papa ou maman ? et lui sidéré, me disant qu’il n’avait pas de préférence, et moi dans ma fureur en fait, ma déception, lui disant Oh non, moi je préfère (…) Mot qui manque. Longtemps, je me suis souvenue de cette scène, et de l’identité de la personne que je préférais, et donc de celle que je m’étais mise à haïr. Puis, j’ai oublié. Intellectuellement, j’ai tendance à croire qu’il s’agit de ma mère. Mais je n’en sais rien du tout, et surtout, je ne sais plus pourquoi. Ce qui a motivé ce retournement. Cette haine est vraiment refoulée et ça s’est retourné par contre complètement contre moi. 

C’est comme si F tenait lieu de cette personne haïe. 

S’il s’agit de ma mère, je sais aussi combien je l’aime.  

Retour à hier soir. 

En finir avec ce récit.  

Je ne suis pas arrivée à parler à F. Mais je suis parvenue à ne pas m’énerver. J’ai fini par accepter de voir un film. 

Un beau film. (…) 

Je cherche les éléments pour retrouver le titre et le sujet du film. 

Verboten, je crois. Mais pas de JosephLosey.  

Il a fait aussi White dog, mais beaucoup plus tard, en fin de carrière. Terrible film. 

Celui d’hier date des années 50. 

Il a énormément tourné et écrit.  

J’étais contente parce que F a dit qu’il fallait qu’on les voie. 

Je ne sais pas si j’interroge Google.  

Un cinéaste américain. Qui a tourné à Hollywood et vécu en France. Certains films ont été de très grands succès mais d’autres des scandales absolus. 

Il a tourné dans de nombreux films. Dont Pierrot le fou. Et dans ce film vu avant hier. Catherine et Catherine ? Non. De (…), un Français cette fois. Que je ne connais pas, dont il passe beaucoup de films sur Mubi en ce moment. 

F a dit qu’il allait noter tous les films vus cette année. Je me demande pourquoi. Je lui ai dit qu’il fallait qu’il fasse un résumé. Il m’a dit que ça non. Je me suis dit que moi je devrais le faire. Exercice de mémoire.  

Mais ça ferait beaucoup. 

Je vais essayer de retourner  dormir. 

8h46. 

 

10h1. Me suis pas rendormie, mais toujours au lit. Bon moment dans les bras de F. 

Samuel Fuller ! le nom du cinéaste. Je ne vois pas ce que je peux faire pour retenir ce nom.  

J’ai pensé que c’était comme mon nom, à une lettre près. 

Je referme les yeux. 

Coups de poing coup de poing coup de poing 

Décidément. 

Je pense que je dois noter tous les FrM en italiques.  

 

Lecture du discours mélancolique de Marie-Claude Lambotte – 1
— Avant-propos de l'édition de poche

Marie-Claude Lambotte, Le discours mélancolique. De la phénoménologie à la métapsychologieÉrès, « Psychanalyse – Poche », 2012, ISBN : 9782749234533. DOI : 10.3917/eres.lambo.2012.01.

Avant-propos à l’édition de poche

… « modes de résolution » du symptôme mélancolique et, avec eux, le nécessaire recours au registre de l’esthétique.

… p. 8 un certain type de discours dépressif que nous avons qualifié de « mélancolique » eu égard à son formalisme dépourvu d’affect et de fantaisie, à sa logique toute formelle et à l’impossibilité manifeste de cerner à son propos un quelconque récit

(Cette impossibilité d’un récit, de quoi parle-t-elle? N’est-ce à quoi je me coltine? N’y a-t-il de récit de la mélancolie? Serait-elle sans récit ? Mais à quoi m’obstinai-je ? Mon secret dessein ? Celui-ci qui anime toutes mes intentions? Et me désespère? Qu’est-ce qui sous-tend un récit?)

… l’originalité des formes d’organisation par lesquelles le mélancolique utilise son symptôme.

les signifiants essentiels

Ainsi, comparativement à la dépression que nous considérons comme un état symptomatique transversal qui peut aussi bien concerner les névroses et les psychoses, et à la p. 9 psychose maniaco-dépressive que nous considérons comme une psychose, nous avons cherché à caractériser plus précisément le discours mélancolique en fonction de ses signifiants essentiels, tels par le « rien » et le « destin » de même qu’en fonction de ses figures récurrentes telles le « tout ou rien« , « l’avant/l’après » et l' »apparent caché« . A considérer cette dernière figure, par exemple, la Vérité ou la vraie réalité serait pour le mélancolique « derrière les choses, là où ça brille » et la réalité quotidienne serait alors destinée à la masquer. Aussi bien est-ce pour cela que cette dernière se présente comme une surface plane, sans aucun relief et où tous les objets seraient subsitutables les uns aux autres et sans plus de valeur les uns que les autres. La réalité remplirait donc une fonction d’écran face cet objet du désir (l’objet petit a) sur lequel Lacan s’interroge relativement au sujet mélancolique et qui semble avoir affaire à cette expression de « suicide de l’objet » qu’il évoque comme hypothèse à la mélancolie dans la dernière leçon du Séminaire VIII : Le transfert.

Marie-Claude Lambotte ne considère donc pas la mélancolie comme une psychose – plus loin (p. 20), elle dira qu’elle tient ce diagnostic entre parenthèses et elle consacrera un chapitre à cette question (Ni névrose, ni psychose, pp. 678-701).

Certains de ce qu’elle appelle ses « signifiants essentiels » me sont très familiers, comme par exemple le tout et le rien, le tout ou rien, dont j’ai beaucoup fait état ici. Le destin est de moi une figure moins approchée (si ce n’est peut-être au travers de la lecture du livre éponyme de Imre Kertész), l’avant/l’après n’est pas non plus repéré par moi, même si c’est quelque chose que probablement j’espère, j’attends, je convoque, je tente de concevoir, qu’il y ait quelque chose un jour qui puisse faire rupture dans le fleuve morne des jours, de la perpétuelle présence, et qui s’est rarement présenté (si: le jour du diagnostic, si le jour du lapsus « Fréronique », d’autres sans doute, que je n’ai plus en tête). un événement qui historicise. L’apparent caché, il me semble que je vis tout le temps avec. Si nous parlons de la même chose, elle et moi, Marie-Claude Lambotte et moi-même, l’apparent caché (de l’inconscient) est bien l’objet de ma visée, de mon désir, se trouve derrière toutes les petites réalité de la vie et lui donne tout son prix. Son seul prix. L’insaisissable qui me lie à la vie.

border le trou

p. 9 Quant à la PMD, elle met en jeu la forclusion du signifiant du Nom du Père, en d’autres termes l’impossible prise en compte de ce signifiant primordial, seul apte à faire advenir « du » sujet dans la chaîne signifiante au sein d’un processus de métaphorisation. Or, le mélancolique, dans son insistance négativiste, semble parvenir au plan symbolique à border la figure d’un trou sous la forme d’un discours agressif et formel mais aussi – et cela le distingue du psychotique (entre autres traits de structure) – sous la forme d’une activité particulière de composition qui met en valeur des objets dont on s’est efforcée d’approcher la nature1.

la déception essentielle

Il restait alors à questionner le statut de ce trou (p.10) et, avec lui, questionner la fameuse « déception » énigmatique (Enttäuschung) que Freud évoque par deux fois dans « Deuil et mélancolie » et que Lacan…. « Quels traits se laissent-ils voir d’un objet si voilé, masqué, obscur? »2

déception essentielle, rôle majeur dans la structure mélancolique :

Cette « déception essentielle » qui traverse donc en filigrane les 3 parties de l’ouvrage, sera reprise plus tard par Marie-Claude Lambotte, notamment dans cet article : La mélancolie, névrose ou psychose?

Plus explicitement, la déception essentielle caractérisera la structure en un temps postérieur à l’opération de métaphorisation paternelle et donnera matière à un traumatisme dès lors que l’image idéalisée du père sera venue se confronter avec une faute énigmatique originaire; les conséquences en seront catastrophiques qui feront vaciller les repères symboliques pour laisser apparaître derrière ceux-ci la figure terrifiante et mythique du Père mort. C’est la position de Hamlet face au fantôme de son père qui lui apprend son brusque assassinat alors qu’il était encore « dans la fleur de ses péchés », c’est aussi celle de Kierkegaard qui décèle dans la piété reconnue et respectée du sien la faille irréductible qui barre son regard. L’arrimage au symbolique comme possibilité de création métaphorique peut alors s’avérer insuffisant à exprimer ce vécu catastrophe qui empoisonne désormais la relation à l’autre quand elle n’est pas garantie par une promesse d’absolu; cette dernière prémunit ainsi le sujet mélancolique contre la répétition possible d’un tel bouleversement en revêtant l’apparence d’une radicalité psychotique.

Cette déception du mélancolique, Lambotte l’attribue ici à une faute du père. Moi-même à la lecture de Freud, quand il m’est arrivé de m’interroger sur un moment déceptif dans mon enfance, je suis toujours ramenée à une scène dans la rue avec mon petit frère, Jean-François, nous nous dirigions vers une boulangerie je crois, où il nous faudra commander un « Grand pain, carré, coupé », nous étions rue du Méridien, où je lui ai, à sa grande surprise, demandé s’il préférait papa ou maman. Très perturbé par la question, il m’a répondu qu’il ne faisait pas de préférence, à quoi je lui rétorquai, sur le ton de la colère, comme si j’avais à me justifier, que je préférais… eh bien, l’un ou l’autre, je ne sais plus lequel. Je me souviens que je lui avais alors donner les raisons de ce choix et de ma grande déception. Longtemps, je m’en suis souvenue, longtemps je me suis rappelée cette scène, pour finalement oublier cet aveu chez moi d’une préférence, ma colère, mon accusation.

J’ai ramené ce souvenir en séance récemment pour l’interroger, et je ne m’en suis pas trouvée plus avancée. J’ai dit à l’analyste que ce qui se développait alors en séance, pouvait donner l’impression qu’il s’agissait de ma mère. Qui est aujourd’hui au centre de mon analyse, quand elle en a été complètement absente durant toute la première (et longue) tranche. Aujourd’hui d’ailleurs, je ne comprends pas que j’ai pu aussi longtemps parler de mon père. Peut-être s’agissait-il d’en découdre avec un sentiment ambivalent, peut-être n’ai-je cherché qu’à le comprendre et à démontrer mon complexe d’Oedipe. Peut-être exprimais-je une forme de déception, puis de pardon, non, de reconnaissance et d’admirations véritables, dont je me dis qu’elle me sauvait, dans les mois qui ont précédé sa mort. S’il y eut un moment de déception rejoué, rejoué par rapport à une déception « primitive », c’est, autre souvenir-écran qui me revient partiellement, quand il m’a assuré qu’il s’agissait avec les boutons, ou les points noirs, de petits animaux enfoncés dans la peau, dont on n’apercevait que la tête ou la queue. Cette croyance dont il voulut se départir, cette certitude qui m’amena à rire de lui, était assortie d’une autre que j’ai oubliée. Je ne me réfère ici qu’à une conversation eue inopinément, vers l’âge de quinze ans, mais qui entraîna chez moi une certaine forme de déception, de détachement, je me suis sentie trahie par ce manque d’intelligence, par cette croyance. Cette déception répétait-elle une première, oubliée, je ne saurais le dire.

Plus tard, à un ami psychanalyste, je devais avoir 16 ou 17 ans, à qui je parlais du ressentiment contre mon père, j’avouai que curieusement c’était à ma mère que j’avais un jour crié ma haine. D’un air énigmatique, il m’avait rétorqué Eh oui, eh oui…

Je pense qu’il eut à l’adolescence un conflit ouvert avec mon père. Mais qui était surtout de son fait. Ma mère s’étant faite l’intermédiaire. Et, prise par mes propres soucis, j’y étais relativement indifférente. Sa colère était ennuyeuse au quotidien, mais ne me touchait pas vraiment. Elle était trop à côté de ce que je vivais intérieurement.

*

Ecrit la nuit, dans la suite de cette lecture ((C’était très angoissant. Je me répétais qu’il me semblait que le « crime » ne cessait de se rapprocher de moi, tout en me disant que ce « crime », n’était jamais qu’un mot. Je me sentais en danger. Je pensais « pour moi-même et pour les autres ». L’idée d’un « crime » de mon père était odieuse. Ces pensées avaient une résonance littéraire qui les vidait de tout rapport à la réalité, n’en étant pas moins effrayantes, de quoi étais-je prévenue. Comment déjouer le sort? L’écrire à un psychanalyste me paraissait la seule issue possible, tout en craignant de faire trop peur alors que je l’étais moi-même, effrayée. Je me levai pour écrire, la réflexion autour du texte de Lambotte et la recherche de celui de Freud me ramenèrent à la raison. )) :

Lambotte, ce qu’elle appelle la déception essentielle du mélancolique : je n’ai pas envie qu’elle soit attribuable à mon père. Cela ne m’arrange pas. Qui peut accuser son père. Je n’avais jamais vu ça comme ça. C’est ce que j’ai oublié, s’il y a quelque chose à oublier. Or il n’y a pas eu, j’en suis certaine. Et s’il y a eu, je me suis trompée. C’est ma seule chance. Je me suis trompée. J’en qui convaincue. Il n’y a rien eu. 

Que je me sois trompée, est bien possible, tant de rêves le montrent. Qui pointent vers l’idée d’un crime de mon père. Mais c’est moi qui me suis trompée. Mon père n’est coupable de rien. Je ne sais pas pourquoi il y aurait cela dans ma tête. Je ne sais pas. Si il y a, c’est erreur, à rectifier. C’est là, aujourd’hui pour moi, la possibilité de rectifier.  Or, je sais que je le dédouane. Je le sais. Mais qu’est-ce qui en moi ne le dédouane pas.

Cela dit, et je reprends de jour cette réflexion, je ne sais à quel texte de Freud Lambotte se rapporte. Selon elle, il est deux fois questions de « déception » dans « Deuil et mélancolie ». Je ne me souviens pas qu’il y s’agisse du père seulement. Je n’ai pas le texte en tête. Mais le lisant, j’ai toujours pensé à ma mère, qui se prête beaucoup mieux à la déception (son silence) voire au crime (celui de trop de gentillesse). Ou à la perte d’une chose plus abstraite, « plus morale » dit Freud :

« Appliquons maintenant à la mélancolie ce que nous avons appris du deuil. Dans toute une série de cas, il est manifeste qu’elle peut être, elle aussi, une réaction à la perte d’un objet aimé ; dans d’autres occasions, on peut reconnaître que la perte est d’une nature plus morale. Sans doute l’objet n’est-il pas réellement mort mais il a été perdu en tant qu’objet d’amour (cas, par exemple, d’une fiancée abandonnée). Dans d’autre cas encore, on se croit obligé de maintenir l’hypothèse d’une telle perte mais on ne peut pas clairement reconnaître ce qui a été perdu, et l’on peut admettre à plus forte raison que le malade lui non plus ne peut saisir consciemment ce qu’il a perdu. D’ailleurs, ce pourrait encore être le cas lorsque la perte qui occasionne la mélancolie est connue du malade, celui-ci sachant sans doute qui il a perdu mais non ce qu’il a perdu en cette personne. Cela nous amènerait à rapporter d’une façon ou d’une autre la mélancolie à une perte de l’objet qui est soustraite à la à la conscience, à la différence du deuil dans lequel rien de ce qui concerne la personne n’est inconscient. »

C’est le texte que moi j’avais en tête. Mais ce ne sont pas ceux où il est question de déception, même si on peut lier à la déception à cette perte dont l’objet est ignoré et qui peut être morale.

Les deux occurrences précises du terme de déception sont les suivantes :

1.

« Il n’est alors pas difficile de reconstruire ce processus. Il existait d’abord un choix d’objet, une liaison de la libido à une personne déterminée ; sous l’influence d’un préjudice réel ou d’une déception de la part de la personne aimée, cette relation fut ébranlée. Le résultat ne fut pas celui qui aurait été normal, à savoir un retrait de la libido de cet objet et son déplacement sur un nouvel objet, mais un résultat différent, qui semble exiger pour se produire plusieurs conditions. L’investissement d’objet s’avéra peu résistant, il fut supprimé, mais la libido libre ne fut pas déplacée sur un autre objet, elle fut retirée dans le moi. Mais là, elle ne fut pas utilisée de façon quelconque : elle servit à établir une identification du moi avec l’objet abandonné. L’ombre de l’objet tomba ainsi sur le moi qui put alors être jugé par une instance particulière comme un objet, comme l’objet abandonné. De cette façon, la perte de l’objet s’était transformée en une perte du moi et le conflit entre le moi et la personne aimée en une scission entre la critique du moi et le moi modifié par identification. »

2.

« Les causes déclenchantes de la mélancolie débordent en général le cas bien clair de la perte due à la mort et englobent toutes les situations où l’on subit un préjudice, une humiliation, une déception, situations qui peuvent introduire dans la relation une opposition d’amour et de haine ou renforcer une ambivalence déjà présente. Ce conflit ambivalentiel dont l’origine peut tantôt être rattachée davantage à la réalité, tantôt davantage aux facteurs constitutionnels, ne doit pas être négligé parmi les conditions présupposées par la mélancolie. Si l’amour pour l’objet, qui ne peut pas être abandonné tandis que l’objet lui-même est abandonné, s’est réfugié dans l’identification narcissique, la haine entre en action sur cet objet substitutif en l’injuriant, en le rabaissant, en le faisant souffrir et en prenant à cette souffrance une satisfaction sadique. La torture que s’inflige le mélancolique et qui, indubitablement, lui procure une jouissance, représente, tout comme le phénomène correspondant dans la névrose obsessionnelle, la satisfaction de tendances sadiques et haineuses. »

Comment donc Marie-Claude Lambotte se tourne-t-elle plutôt vers le père? Elle n’est pas la seule, je sais, je me souviens d’un texte de E. Laurent qui se référait au père. Mais, ne semble-t-il pas quelque chose est perdu dans cette écriture d’une anamnèse possible de la mélancolie, d’un récit. Que moi-même j’ai cependant été tentée de retrouver. Et que certainement évoquent Hamlet ou Kierkegaard.

A lire (rapidement) son texte Névrose ou psychose, je m’aperçois qu’après tout mon père, qui était très croyant, dont j’aurais pu avoir idéalisé la foi, je pourrais, à l’instar de Kierkegaard, avoir eu des doutes sur sa foi, comme il se montrait souvent lui-même très angoissé, qui parlait de ses doutes ou qui pouvait se montrer prude, en particulier face aux images de cinéma, il fallait alors changer la chaîne au moindre baiser, et on sentait mes parents se tortiller de gêne, et émettre des petis bruits de bouche, oui qui considérait que les rapports sexuels en dehors du mariage étaient des péchés mortels.

 « Il s’agit, en effet, d’un savoir dans cette figure kierkegaardienne d’un père parfait au travers de laquelle le fils décèle, cependant, un arrière-fond d’angoisse. Celui-ci ne peut alors qu’indiquer, dans le contexte familial décrit par le philosophe, la béance du regard paternel que vient occuper un Autre tout-puissant qui préside à la destinée des âmes selon son unique bon vouloir puisqu’il fait fi de leur vertu. Nous entrevoyons ici, de nouveau, le père réel, en tant que père jouisseur, qui recouvre le père imaginaire de même qu’il pervertit le père symbolique 19. Et le mélancolique ne cessera d’occulter la place du sujet supposé savoir en s’efforçant de l’occuper lui-même ; son négativisme généralisé tient alors essentiellement d’une logique formelle, dont les raisonnements ne font que conforter la figure du destin en un il est trop tard ou bien les jeux sont déjà faits 20. 

http://www.revuepsychanalyse-yetu.com/wp-content/uploads/2014/11/la-m%C3%A9lancolie.N%C3%A9vrose-ou-psychose.-THEORIE.-PSY_16-M-C.Lambotte.pdf 

(J’ai encore à rapatrier ici tout le blog mélancolique. je le ferai plus tard. Je me propose de tenter la poursuite de la lecture bloguée de ce livre, ce xième livre sur la mélancolie.Je suis à peu près certaine de ne pas me tenir à cette promesse.)

Notes:
  1. Cf. notre ouvrage La mélancolie. Etudes cliniques, Paris, Anthropos, 2007 et « L’objet du mélancolique », Essaim n° 20, érès, 2008. []
  2. Lacan, Le transfert, p. 458. []
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