il y a en moi une force qui me pousse à ne pas faire ce que je dois, et qui a dominé toute me vie, à ne pas faire ce que je dois et à me haïr. à me haïr et à me supprimer.
(tentative d’articulation : je ne fais pas ce que je dois pour pouvoir me haïr)
c’est la force la plus insidieuse qui soit, la plus dissimulée.
je ne pense pas qu’elle s’exerce chez les autres de la même façon, ni qu’elle se soit exercée également en moi tout au long de ma vie. elle m’a cependant toujours rattrapée.
je pense que je peux exprimer ceci à l’âge que j’ai, à 59 ans (je pense que cette force-même s’y oppose, et que je suis en cette période en position de force vis-à-vis d’elle. )
tout au long de ma vie, je me serai battue pour mettre en place des stratagèmes divers et variés pour la contrer.
ces stratagèmes n’obéissent à rien de connu (de l’ordre de l’ordre, de la morale ou de la discipline). me semble-t-il. (en fait, je ne sais pas grand chose d’eux, je constate que je suis actuellement arrivée à une forme d’équilibre, de balance.)
quand sa menace se fait trop forte, souvent, me semble-t-il, j’écris. en dernier recours. car écrire entraîne une satisfaction de moi-même que je ne peux pas longtemps maintenir. que mon besoin de haine de moi vient rapidement contrecarrer.
(tout cela aujourd’hui, je le connais. j’écris, je ne pourrai pas écrire longtemps, il va falloir que j’oublie, que j’arrête, je ne vais pas rester dans ce confort, d’être celle qui écrit, je dois juste attendre le moment où,je pourrai y retourner. il n’y a là derrière rien d’autre que cette force d’inertie qui… ne veut pas que je puisse m’identifier à quoi que ce soit. c’est pourquoi aujourd’hui, il est temps que j’arrive à tracer les contours, même en creux, d’une identification, de ce que j’appelle une identification, c »est-à-dire quelque chose de l’ordre d’une forme, même en creux, car, à force de me fréquenter, je peux dire que je le sens finalement : il y en a une, de forme, identifiable.)
je voudrais aussi pouvoir l’écrire d’une écriture qui apprenne à faire place à la légèreté, je tiens à dédramatiser ce qui a pourtant toutes les allures d’un drame.
l’écriture n’est pas le seul stratagème, il y en a d’autres.
ce dont je parle, cette force de la haine de soi, de la haine de moi, des haïsseurs de soi, il m’est arrivé de l’attribuer à une maladie, celle répondant au doux nom de mélancolie.
ce nom est-il nécessaire, cette classification?
ce diagnostic.
ce diagnostic m’a emmenée à pouvoir écrire ce que j’écris ici. il n’a pas expliqué. il ne m’a pas expliqué.
par sa prise en compte d’une mortelle haine de soi, faisant partie de son pathologie, qu’il tirait enfin dans la lumière.
//
maintenant, maintenant, ce matin sept heures, assise dans le canapé dans la maison endormie, je vais dire des choses étranges. la force derrière cette haine de soi, l’intelligence à l’œuvre, la forme d’intelligence à l’œuvre, qui n’est rien de connu, seulement éprouvé, subi, a quelque chose à voir avec la santé, la santé physique. et l’alimentation. là, commence le délire, j’entends les commentaires. c’est de l’ordre de la conviction, de la certitude. signature de plus du délire. et pourtant.
j’écris ici, rompue, couchée sur le dos, cassée. bien plus cassée physiquement que mentalement.
et convaincue que c’est par l’alimentation que je pourrai me soigner. et l’exercice.
(dos cassé, calculs aux reins, ostéoporose, arthrose, etc.)
//–
or,
il n’y a pas toujours eu la maladie. physique. mentale, toujours.
il faut donc que je tienne compte de ça. la maladie physique est récente, liée à la d’échéance de l’âge.
longtemps le corps a été plus fort (que les excès).
n’a pas eu sa part dans le débat, s’est tu.
et si c’était maintenant qu’il déchoit, qu’il s’entend, se fait entendre, maintenant qu’il arrive à capter l’attention, qu’il est entendu, répondu.
que ce soit au moment où ses forces déclinent, qu’elles ne sont plus prises comme allant de soi, qu’elles se mettent à exister. ce qu’il en reste. qu’elles ne sont plus « naturelles », négligeables. la force silencieuse à l’œuvre jusque là.
et que ce soit en commençant à faire attention, que j’ai commencé à rentrer dans une forme de dialogue avec mon corps, que j’ai commencé à le soigner, à me soigner.
//–
faux.
il y a toujours eu mon corps. sa manifestation. son écoute. ses perturbations. moins dans la maladie que dans l’angoisse. sa manifestation dans l’angoisse.
la maladie physique a peut-être servi à mettre des mots, à établir des lois, à détecter des causes et des effets, avec l’effet d’apaisement connu.
d’apaisement de l’angoisse.
//–
alors, mauvaise piste ?
il y a eu le corps haï.
il y a tellement eu le corps haï.
Je l’oubliais.
Je me suis haïe (et adorée) d’abord par le corps.
la mauvaise image, l’outre.
ainsi fut ma jeunesse.
l’outre pleine. l’outre débordante. l’outre à viscéralement haïr. du dedans.
et son image. jamais la bonne, insaisissable. manquante, absente. en moi provoquant l’effroi.
j’écrivais : adorée. y eût-il l’adoration? c’est lacan qui dit ça (l’homme adore parce qu’il croit qu’il l’a).
l’incompréhensible, c’est qu’il y a eu ce sentiment, cette conscience d’être belle. et son contraire. il y a eu ce sentiment de triomphe. étrange, non. oui, de triomphe. de grandeur. de joie, de confort, physique. en particulier, lorsque je marchais dans la rue. de conquête.
(cela arrivait dans les moments de nécessité, où je n’avais pu échapper à une obligation sociale et où il fallait ça pour me faire sortir de chez moi, le rendre possible. je n’en fais pas l’aveu sans honte. mais, sans avoir atteint cet état-là de confiance physique en moi, je ne serais pas sortie. tous les jours il n’en allait pas comme ça. je ne parle pas des sorties usuelles pour l’école ou le boulot. des occasions, je parle. les grandes. est-ce que je dis la vérité? jusqu’à un certain point oui, parce que je me souviens l’avoir déjà analysé, écrit, à un moment où ce sentiment pouvait encore exister. je me souviens de ma grande complicité avec mes jambes, entente, jouissance, joie. et celle de ma taille élevée qu’élevaient encore des talons hauts. mais pour affronter du monde, il fallait ça. aucune simplicité possible. du grand apprêt, harnachement. et alors, flotter.)
//–
c’est que longtemps je n’ai eu de présence au monde possible que par la séduction. d’autre présence, intelligence, vie.
//–
quand la séduction m’a quittée
il a fallu tout réinventer
j’ai dû apprendre à compter sur moi par où je n’avais jamais compté
soulagement à la fois que mort
or quelque chose de la haine de soi s’accomplissait et n’était plus à accomplir en corps.
probablement je suis encore moins sortie dans le monde
tout en le trouvant plus facile
car : invisible, devenue.
//
enfin donc, corps: première matière de la haine de soi.
et aujourd’hui : première matière de la connaissance de soi, de la guérison de soi.
//–
j’ajoute: il y a eu (à l’aube de la fin du monde, du corps) la pratique du tai chi, la rencontre d’un corps qui ne doive pas se réduire à l’image, qui prenait consistance, corps, vie, via une pratique physique et la connaissance intime de trajets, de circuits que la médecine chinoise y inscrit/lit. une connaissance du dedans, un dessin interne, neutre, de seule circulation, flux, jouissance. une nouvelle géographie, une nouvelle cartographie.
//
beaucoup est dit.
retour à la haine de soi.
qui a peut être toujours à voir avec le devoir et le faire.
qui maintient dans le devoir et l’impossible faire (l’impossibilité du fer).
Ça ne sonne pas bien.
ce n’est donc probablement pas juste.
Je vais donc en rester là pour aujourd’hui.