dimanche 15 mai 2016 · 15h23

Comment la psychanalyse pourrait-elle s’écrire dans le monde chinois ? partie II

Extraits de la thèse de Lu Ya-Chuan publiée sur http://www.lacanchine.com/Lu_01.html (voir partie I) :

Le Souffle – le Qi 氣 : esprit et matière

Le corps étant considéré dans la médecine chinoise comme un foyer d’énergie, il est un lieu d’interaction avec son environnement naturel. Renfermant la notion d’« énergie » ou « souffle », le Qi 氣 désigne à la fois tout constituant matériel du corps, mais aussi l’immatériel, le spirituel, l’agent des changements dont ce dernier est le lieu, une force vitale et existentielle, telle ou telle fonction à l’œuvre dans le corps, spécialisée le cas échéant dans un domaine ou un autre.

Une généralisation aussi poussée du sens a fini par faire dire qu’en médecine chinoise tout est souffle. Une pareille formulation du Qi 氣 a le mérite de ne pas dissocier la dimension substantielle, celle des «composants» du corps humain et de son fonctionnement.

Loin de représenter une notion abstraite, ce souffle du Qi 氣 , source de l’énergie, est ressenti par le plus profond de l’être jusqu’à sa chair. À la fois esprit et matière, il assure la cohérence organique de la fonction des êtres vivants à tous les niveaux.

Pour reprendre le formule d’Anne Cheng :

« L’unité recherchée par la pensée chinoise tout au long de son évolution est celle du souffle,  influx ou énergie vitale qui anime l’univers entier. Ni au-dessus ni en dehors, mais dans la vie, la pensée est le courant même de la vie. Toute réalité, physique ou mentale, n’étant rien d’autre qu’énergie vitale, l’esprit ne fonctionne pas détaché du corps70. »

jeudi 19 mai 2016 · 11h50

le monde

Qu’est-ce qui est le réel ? Cette  question est devenue instante dans  la philosophie à partir de  Descartes. Celui qui a eu là-dessus l’aperçu le plus net, le plus  clair, le mieux centré, c’est le  nommé Heidegger, dans un article  de 1938 qui s’appelle  « L’époque des  conceptions du monde » et qui  souligne que c’est à partir  de Descartes qu’à proprement  parler le monde est devenu une  image conçue, une image conçue  par le sujet 1 , et que c’est à partir de Descartes que tout  ce qui est là, le discours  philosophique nous invite à  le rassembler.

Le discours  philosophique nous invite au rassemblement de tout ce qui  est, au rassemblement de ce qu’on appelle en terme  technique l’étant (pas avec un  g ,  avec un  t , les canards, c’est nous).  Tout ce qui est, à partir de  Descartes – au moins pour les  philosophes, mais c’est solidaire de  tout un ensemble – devient  dans et  par la représentation.

Pour en saisir la nouveauté, il  faut penser que l’idée de  se  représenter, l’idée du monde  comme  représentation au sujet était  tout à fait absente de la philosophie  scolastique et  de  l’idéologie médiévale, où si le  monde se soutenait, c’était en tant  que créé par le Créateur, avec un  grand  C . Ce n’était pas un monde  représenté  par et  pour le sujet,  c’était un monde créé  par et aussi  pour la divinité, et plaçant sous le  signifiant Dieu la cause suprême.  

Notes:
  1. Heidegger emploie le mot de  Bild, qui est à  proprement parler l’image spéculaire ; quand on parle de l’image  originaire, on dit  Urbild []
vendredi 20 mai 2016 · 10h49

Sur L’Envers de la biopolitique d’Éric Laurent, par François Regnault

Sur L’Envers de la biopolitique d’Éric Laurent, par François Regnault

« Vous créez un frisson nouveau »
Victor Hugo, à propos des Fleurs du mal de Baudelaire

 

Sans doute, ce livre* est-il un excellent exercice d’orientation.

« Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée », c’est une question que pose Kant en 1786, et pour laquelle il requiert la différence de la droite et de la gauche (en aucun sens politique, je vous prie de le croire). L’Envers de la biopolitique d’Éric Laurent, c’est « Comment s’orienter dans la psychanalyse ? »  En quoi, celui qui dira que si la psychanalyse ne le concerne pas alors ce livre non plus, fera l’erreur de ne pas voir que c’est justement parce que ce livre s’oriente dans la psychanalyse, qu’il peut renverser la biopolitique, laquelle aujourd’hui nous commande, nous manipule, nous asservit, nous, et au premier chef, notre corps. Qui gagnerait à l’ignorer ?

Éric Laurent n’est donc pas de ces psychanalystes – s’il y en a – qui ne lisent que des ouvrages de psychanalyse (affaire de boutique, en somme), il en lit bien d’autres. En quoi, il ne s’enferme dans aucune psychanalyse passée qui voudrait se présenter comme scolastique, encore moins ignorer les tournants de son « endroit » et les détours de son « envers ».

« Ce livre veut montrer que Lacan propose pour la psychanalyse une orientation sur le statut du corps dans notre civilisation de la jouissance. » [p.19]

En quoi encore, et j’en finis avec les en quoi, il tient compte de l’orientation que Jacques-Alain Miller donne à présent à la psychanalyse (au-moins-un à le faire s’il n’est pas le seul, comme on en conviendra) ; ce qui veut dire qu’à tenir compte du « dernier Lacan», la psychanalyse avance, comme elle a déjà avancé depuis Freud avec Lacan, et comme il convient qu’elle avance, si elle n’a pas d’avenir illusoire.

Je pense souvent à ce propos au Théâtre Nô, dont les fans occidentaux nous font croire que ce sont des cérémonies ultra-codées depuis l’origine, dont notre théâtre serait incapable, alors que sous couvert d’une fidélité supposée immémoriale, cet art japonais évolue en vérité de Maître en Maître, sans rien d’universitaire. Plût au ciel qu’il en aille toujours de même avec la psychanalyse, si elle évolue, non sous des Maîtres, elle, mais au moins d’Analyste en Analyste comme je crois et constate qu’elle fait.

lundi 23 mai 2016 · 11h55

le vide au corps

Enthousiasmant article de François Regnault, découvert sur Lacan Quotidien et repris ici, à propos du livre d’Eric Laurent, Sur L’Envers de la biopolitique – Une écriture de la jouissance. La bonne nouvelle en est délicieuse et j’en ai commandé le livre avant même que d’avoir terminé la lecture de l’article.

Il est rare que j’arrive à réagir à ce que je lis et qui me bouleverse. Cette fois,  je me risquerai cependant, en m’en tenant à cette seule phrase : « Corps vide au regard de la jouissance, car en tant qu’Un, il ne contient rien, c’est un sac, dont les organes sont réservés, si vous voulez, à la médecine. »

Si je puis me permettre, donc, et au risque de me montrer ridicule, il n’en va pas partout ainsi. Pour l’expérience que j’en ai, via ma pratique du taï chi  et le peu de recherche que j’ai fait, le corps, en Chine, s’il relève également du domaine de la médecine, de la médecine chinoise, inséparable de sa pensée, y est d’abord le premier lieu du souffle, du Ki.  Un lieu que tout un chacun est amené dès la naissance à investir  aussi bien imaginairement, réellement que symboliquement : on y rencontrera tant des montagnes et des fleuves, que des organes réels et des circuits ancestraux d’énergie. L’intérieur du corps y est lieu premier du réel et de sa jouissance.  Laquelle est loin de s’arrêter à celle du seul sujet. Du coup, dirait-on, elle n’en plus nécessairement mauvaise, ce que d’ailleurs pressent, prédit, l’enseignement de Jacques-Alain Miller, et qui pour ma part fait la part de la bonne nouvelle. Elle est jouissance, elle apporte le bien être, elle est voie de connaissance – laquelle en passe, sans qu’aucune primauté lui soit accordée, par le signifiant.  Et je me risquerais à dire que c’est le signifiant qui est alors instrumentalisé, dont il est usé comme outil de reconnaissance, en vue d’une cartographie du corps. Mais, un signifiant dégagé de l’idéal, de l’identification et de la maîtrise, proche de la lettre dans l’instant même de son écriture, inséparable du mouvement qui la trace et du support qu’elle affecte. Il  ne s’agit que de nommer, et de reconnaître, de ressentir  ce qui dans le corps jouit de cette nomination. Nommer et renommer, inscrire et réinscrire, connaître et reconnaître, à chaque fois pour la première fois, célébrer cette alliance « toujours nouvelle et qui n’a pas changé » où un corps reçoit  la marque du signifiant et en jouit. Chinoisement écrite, la  bonne nouvelle de Regnault,  ça donnerait : d’un autre point de vue, depuis une autre dimension : trauma est délice (pour peu que le sujet lui lâche un peu la grappe, si j’ose dire). Vide, le corps, il l’est. Il y a le vide au corps. Mais la jouissance qu’on en éprouve ne l’est certes pas.  Seulement, il  manque le terme de ce qu’elle serait, puisqu’elle n’est pas dialectique. Aussi, la médecine chinoise n’appartient-elle pas aux instruments biopolitiques du pouvoir.

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