Comment la psychanalyse pourrait-elle s’écrire dans le monde chinois ? I

Très heureuse d’avoir trouvé sur le net, sur http://www.lacanchine.com/(une mine), cette thèse de Lu Ya-Chuan1, intitulée (curieusement)2 « Une autre voie pour les Chinois ou Comment la psychanalyse pourrait-elle s’écrire dans le monde chinois ? 路亞娟« 

Je commence tout juste à la lire. Je la trouve passionnante dans la mesure où je me trouve vraiment curieuse de découvrir dans les textes anciens, chinois ou japonais, la présence de ce Chi que je découvre en taï chi, ici appelé Ki, le Souffle.

Il me semble que ces textes n’ont pas dû souvent  être convenablement traduits, puisque les occidentaux (si je ne me trompe) ignorent tout du chi. Comment en effet lire un mot d’on on ignore tout du réel, et pour lequel il n’existe en conséquence pas de mot dans sa propre langue. A la traduction, ce réel ne peut, à mon avis, qu’en grande partie passer à l’as, être mis à la trappe.

Je suis également heureuse de découvrir jusqu’à quel point le corps est central dans la pensée chinoise. Aujourd’hui, cela commence à faire sens pour moi. A certains égards, il me semble, et un peu rapidement dit, que la psychanalyse vous laisse en fin de parcours, seul(e) avec votre corps, sans avoir la moindre idée finalement d’un quoi faire (même si Lacan dit avoir rêver qu’elle puisse déboucher sur une nouvelle érotique) avec lui. Bien sûr, il s’agit d’une ouverture. Bien sûr, il ne s’agit plus que de liberté et d’invention. Comme un nouvel amour.

http://www.lacanchine.com/Lu_01.html

Extraits :

Dans l’antiquité chinoise, il n’y a pas de mot pour dire «corps», mais un grand nombre de mots pour le qualifier selon ses divers aspects et ses diverses fonctions.

[…]

Dans la médecine traditionnelle, le corps est un foyer d’énergie, un lieu d’interaction avec son environnement naturel, lieu qui existe et se définit par rapport à ce qui l’entoure. Le corps n’est donc qu’un support d’échanges. Il ne s’enferme pas sur lui-même, mais s’ouvre au monde, est perçu comme un microcosme qui représente le monde des phénomènes à part entière. Cette vision du corps est propre au taoïsme comme à la médecine. Les Chinois pensent que le corps n’est jamais isolé du cosmos.

[…]

De son côté, la pensée chinoise renvoie aux troubles somatiques dans une dialectique interactive. C’est dans les mouvements rituels du taiji que la pensée s’incarne et le corps se pense. Non-séparation de l’esprit et de la matière, le corps physique et le corps cosmique sont liés l’un à l’autre. La quête taoïste consiste en un travail sur l’individu, son corps et son esprit, afin de s’assimiler au rythme naturel de l’univers. Lacan a écrit à propos de l’image du corps : «Ne cherchez pas le grand Autre ailleurs que dans le corps.» En nous référant à sa remarque, nous pouvons dire que, si le corps est indissociable de l’Autre, la formulation de la psychanalyse va de pair avec la représentation chinoise. Le corps chinois implique avant tout une pratique tangible préalable à tout discours sur lui-même. Citons le postulat des sages anciens : « Le Tao est dans mon corps. » La proposition lacanienne qui sous-entend la dialectique d’intériorité-extériorité rejoint à cet égard la représentation du corps chinois.

[…]

Tout au long de son histoire, la pensée chinoise est celle du Souffle, du Qi 氣, énergie vitale. Le corps est considéré comme un foyer d’énergie, porteur du Souffle. Le Qi 氣 opère au nom de la pulsion et, parce que l’homme est dans un corps, sa sexualité passe par ce corps individuel dans sa recherche d’équilibre entre l’esprit et le matériel. Nous verrons que pour la psychanalyse les différentes pulsions se rassemblent en deux groupes qui fondamentalement s’affrontent. Cette opposition engendre la dynamique qui supporte le sujet et l’anime.

Notes:
  1. Thèse présentée à Paris VIII en 2010, dirigée par Gérard Wajcman et co-dirigée par Gérard Miller. []
  2. Je suis au fond d’abord  intéressée par la problématique inverse : Comment inscrire le taï chi dans la psychanalyse. Mais aussi, comment, d’ores et déjà, le taï chi se trouve-t-il inscrit dans la psychanalyse. En tout cas, c’est, quant à moi, bien plutôt le monde chinois que j’aimerais importer dans la psychanalyse, sûre qu’elle a beaucoup à y gagner. []

Comment la psychanalyse pourrait-elle s’écrire dans le monde chinois ? partie II

Extraits de la thèse de Lu Ya-Chuan publiée sur http://www.lacanchine.com/Lu_01.html (voir partie I) :

Le Souffle – le Qi 氣 : esprit et matière

Le corps étant considéré dans la médecine chinoise comme un foyer d’énergie, il est un lieu d’interaction avec son environnement naturel. Renfermant la notion d’« énergie » ou « souffle », le Qi 氣 désigne à la fois tout constituant matériel du corps, mais aussi l’immatériel, le spirituel, l’agent des changements dont ce dernier est le lieu, une force vitale et existentielle, telle ou telle fonction à l’œuvre dans le corps, spécialisée le cas échéant dans un domaine ou un autre.

Une généralisation aussi poussée du sens a fini par faire dire qu’en médecine chinoise tout est souffle. Une pareille formulation du Qi 氣 a le mérite de ne pas dissocier la dimension substantielle, celle des «composants» du corps humain et de son fonctionnement.

Loin de représenter une notion abstraite, ce souffle du Qi 氣 , source de l’énergie, est ressenti par le plus profond de l’être jusqu’à sa chair. À la fois esprit et matière, il assure la cohérence organique de la fonction des êtres vivants à tous les niveaux.

Pour reprendre le formule d’Anne Cheng :

« L’unité recherchée par la pensée chinoise tout au long de son évolution est celle du souffle,  influx ou énergie vitale qui anime l’univers entier. Ni au-dessus ni en dehors, mais dans la vie, la pensée est le courant même de la vie. Toute réalité, physique ou mentale, n’étant rien d’autre qu’énergie vitale, l’esprit ne fonctionne pas détaché du corps70. »

La vie des plantes, E. di Coccia

Il va falloir que  je range ce livre, lu cet été, « La vie des plantes »,  c’est toujours un moment que je déteste. Je déteste ranger un livre, je déteste m’en séparer, il me semble toujours que je n’en ai pas fini avec lui, qu’il faudrait que je le lise encore, que je ne suis pas suffisamment parvenue à l’assimiler. Je déteste l’oubli qui menace. S’agissant de ce livre, dont je me suis sentie très proche,  je me suis demandée quelle aura été son expérience à Emmanuele di Coccia, de ce souffle, par lequel  il relie le ciel,  la terre et les arbres. Le lisant à la campagne, il me semblait que ma propre  expérience du lien avec cela qui nous environne, se renforçait, s’embellissait, se révélait de façon nouvelle. Le chi (ki)  que je connais en tai chi m’a  paru proche du pneuma, du souffle qu’il décrit. Je me demandais quelle expérience physique, quelle pratique peut-être, lui avait  inspiré ce livre dont l’ample souffle m’a touchée comme rarement.

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