J’avais établi un lien entre les deux : l’abandon de la calligraphie chinoise et le nœud bo comme si Lacan avait trouvé avec ce dernier sa propre calligraphie, qui lui allait comme une bague au doigt.

29 août 2011 | août 2011 | Cut&Paste, psychanalyse | , , , , |

C’est avec un grand plaisir que je viens de faire l’acquisition de …ou pire que j’ai déjà eu l’occasion de lire par ailleurs. En feuilletant rapidement le texte établi par vous, j’ai été étonné de l’absence au début de la séance du 9 février 1972 du texte que Lacan semble avoir écrit en chinois au tableau : Je te demande de me refuser ce que je t’offre / parce que: c’est pas ça.

La référence est peut-­être anecdotique. Mais ce qui m’avait frappé lors de mes lectures, c’est qu’il s’agissait là de quasiment la dernière référence au chinois après le Séminaire précédent, D’un discours qui ne serait pas du semblant. De plus, dans cette même séance Lacan introduit pour la première fois, après avoir utilisé divers schémas, le nœud borroméen. J’avais établi un lien entre les deux : l’abandon de la calligraphie chinoise et le nœud bo comme si Lacan avait trouvé avec ce dernier sa propre calligraphie, qui lui allait comme une bague au doigt. Ne peut-­on y voir une réponse à la plainte qu’il formulait dans D’un discours qui ne serait pas du semblant : « Produire la rature seule, définitive, c’est l’exploit de la calligraphie. Vous pouvez toujours essayer, essayer de  faire simplement ce que je ne vais pas faire parce que je la raterai, d’abord parce que je n’ai pas de pinceau, essayer de faire cette barre horizontale, qui se trace de gauche à droite, pour figurer d’un trait l’un unaire comme caractère, franchement. Vous mettrez très longtemps à trouver de quelle nature ça sʼattaque et de quel suspens ça arrête, de sorte que ce que vous ferez sera lamentable, c’est sans espoir pour un occidenté » (p.121).

Je serai heureux de connaître votre avis. Je me permets à cette occasion de soumettre à votre lecture un texte qui devait être les linéaments d’une intervention lors d’un colloque en avril 2010 à Chengdu en Chine sur « La nature de l’être parlant » (le voyage n’a pas pu se faire en raison de l’éruption du volcan islandais). Il porte essentiellement sur le déchiffrage de la référence à mes yeux énigmatique du caractère 厶 (szu) au beau milieu de la séance du 17 février 1971, page 63 de D’un discours qui ne serait pas du semblant .

Ce texte a été publié avec un autre : DU TRAIT UNAIRE À LA LETTRE. DE SHITAO À MENCIUS OU LʼOS EXTIME DU LANGAGE sur le site http://www.lacanchine.com créé par Guy Flecher. Les deux ont été traduit en chinois. En espérant ne pas vous avoir importuné, ni abusé de votre temps précieux, surtout en ce moment de rentrée intense pour vous, recevez mes plus cordiales.

Salutations.

Ferdinand Scherrer

Réponse. Je vois que j’ai affaire en vous à quelqu’un de sérieux. Vous n’abusez pas du tout. Ce sont toujours les gens qui n’abusent pas, bien sûr, qui s’inquiètent de savoir s’ils abusent. Je n’ai aucune documentation ici, en Ré, j’ai emporté un exemplaire des deux volumes parus, c’est tout.

1) La phrase chinoise que Lacan aurait écrite au tableau, et à laquelle il ne se réfère pas du tout dans sa leçon, manquerait donc p. 81. Si vous l’avez, passez-­la moi; si elle n’y est pas, c’est parce que je ne devais pas l’avoir dans ma documentation -­ je suppose. Si vous êtes sûr que cette phrase a existé, je peux aussi demander à Mme Fang Ling de la reconstituer, comme je l’ai fait une fois: voyez …ou pire, p. 254, in fine.

2) Mon avis sur votre hypothèse, que le nœud remplace le chinois: très séduisante. C’est une idée qui ne m’était pas venue, mais je vous encourage à l’explorer, à la rendre consistance. Il m’est difficile, dans les circonstances actuelles, de me plonger dans vos textes, mais je garde la référence pour plus tard. Merci.

JAM

Extrait de Lacan Quotidien n° 06, 25 août 2011

Comment la psychanalyse pourrait-elle s’écrire dans le monde chinois ? I

25 mars 2016 | mars 2016 | brouillonne de vie | , , , , , , , , , , , |

Très heureuse d’avoir trouvé sur le net, sur http://www.lacanchine.com/(une mine), cette thèse de Lu Ya-Chuan1, intitulée (curieusement)2 « Une autre voie pour les Chinois ou Comment la psychanalyse pourrait-elle s’écrire dans le monde chinois ? 路亞娟« 

Je commence tout juste à la lire. Je la trouve passionnante dans la mesure où je me trouve vraiment curieuse de découvrir dans les textes anciens, chinois ou japonais, la présence de ce Chi que je découvre en taï chi, ici appelé Ki, le Souffle.

Il me semble que ces textes n’ont pas dû souvent  être convenablement traduits, puisque les occidentaux (si je ne me trompe) ignorent tout du chi. Comment en effet lire un mot d’on on ignore tout du réel, et pour lequel il n’existe en conséquence pas de mot dans sa propre langue. A la traduction, ce réel ne peut, à mon avis, qu’en grande partie passer à l’as, être mis à la trappe.

Je suis également heureuse de découvrir jusqu’à quel point le corps est central dans la pensée chinoise. Aujourd’hui, cela commence à faire sens pour moi. A certains égards, il me semble, et un peu rapidement dit, que la psychanalyse vous laisse en fin de parcours, seul(e) avec votre corps, sans avoir la moindre idée finalement d’un quoi faire (même si Lacan dit avoir rêver qu’elle puisse déboucher sur une nouvelle érotique) avec lui. Bien sûr, il s’agit d’une ouverture. Bien sûr, il ne s’agit plus que de liberté et d’invention. Comme un nouvel amour.

http://www.lacanchine.com/Lu_01.html

Extraits :

Dans l’antiquité chinoise, il n’y a pas de mot pour dire «corps», mais un grand nombre de mots pour le qualifier selon ses divers aspects et ses diverses fonctions.

[…]

Dans la médecine traditionnelle, le corps est un foyer d’énergie, un lieu d’interaction avec son environnement naturel, lieu qui existe et se définit par rapport à ce qui l’entoure. Le corps n’est donc qu’un support d’échanges. Il ne s’enferme pas sur lui-même, mais s’ouvre au monde, est perçu comme un microcosme qui représente le monde des phénomènes à part entière. Cette vision du corps est propre au taoïsme comme à la médecine. Les Chinois pensent que le corps n’est jamais isolé du cosmos.

[…]

De son côté, la pensée chinoise renvoie aux troubles somatiques dans une dialectique interactive. C’est dans les mouvements rituels du taiji que la pensée s’incarne et le corps se pense. Non-séparation de l’esprit et de la matière, le corps physique et le corps cosmique sont liés l’un à l’autre. La quête taoïste consiste en un travail sur l’individu, son corps et son esprit, afin de s’assimiler au rythme naturel de l’univers. Lacan a écrit à propos de l’image du corps : «Ne cherchez pas le grand Autre ailleurs que dans le corps.» En nous référant à sa remarque, nous pouvons dire que, si le corps est indissociable de l’Autre, la formulation de la psychanalyse va de pair avec la représentation chinoise. Le corps chinois implique avant tout une pratique tangible préalable à tout discours sur lui-même. Citons le postulat des sages anciens : « Le Tao est dans mon corps. » La proposition lacanienne qui sous-entend la dialectique d’intériorité-extériorité rejoint à cet égard la représentation du corps chinois.

[…]

Tout au long de son histoire, la pensée chinoise est celle du Souffle, du Qi 氣, énergie vitale. Le corps est considéré comme un foyer d’énergie, porteur du Souffle. Le Qi 氣 opère au nom de la pulsion et, parce que l’homme est dans un corps, sa sexualité passe par ce corps individuel dans sa recherche d’équilibre entre l’esprit et le matériel. Nous verrons que pour la psychanalyse les différentes pulsions se rassemblent en deux groupes qui fondamentalement s’affrontent. Cette opposition engendre la dynamique qui supporte le sujet et l’anime.

Notes:
  1. Thèse présentée à Paris VIII en 2010, dirigée par Gérard Wajcman et co-dirigée par Gérard Miller. []
  2. Je suis au fond d’abord  intéressée par la problématique inverse : Comment inscrire le taï chi dans la psychanalyse. Mais aussi, comment, d’ores et déjà, le taï chi se trouve-t-il inscrit dans la psychanalyse. En tout cas, c’est, quant à moi, bien plutôt le monde chinois que j’aimerais importer dans la psychanalyse, sûre qu’elle a beaucoup à y gagner. []
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