De l’utilité des fictions par Jeanne Joucla

1 juin 2014 | juin 2014 | Cut&Paste, psychanalyse |

Une enfance de rêve (1), le dernier livre de Catherine Millet, se lit d’une traite.

On est saisi, sidéré, par la lecture de ces quelques 280 pages où la franchise de l’auteur n’a d’égal que son talent à re-susciter autour de souvenirs factuels toute la palette des impressions et émotions qui accompagnèrent son enfance et son adolescence.

Une enfance de rêve arrive aisément à la hauteur de ces chefs d’œuvre que sont Si le grain ne meurt d’André Gide ou Les mots
de Jean-Paul Sartre. Avec leur enfance racontée par eux-mêmes, le destin de ces grands hommes s’en trouva, on le sait, comme éclairé de l’intérieur. Il en va ainsi pour celui de la directrice d’Art press qui nous livre quelques uns des moments clés d’une «composition du sujet » dont sut si bien parler Lacan.

La temporalité du récit emprunte un va-et-vient entre le plus jeune âge et la toute jeune flle… Nous y voyons la même subversion du temps que celle rencontrée dans des séances de psychanalyse, expérience que traversa l’auteur. Ce n’est pas le temps du calendrier qui mène l’écriture de Catherine Millet, mais plutôt comment des impressions, en germe très précocement, trouvèrent à se développer, puis à s’inscrire, logiquement, chez le sujet adulte.
Ou encore, comment ses «fictions intimes» se déposèrent ou non au gré des événements.

Ironie du titre, n’est-ce pas en rêvant – en rêvassant plus exactement – que Catherine enfant résista vaillamment aux échos presque quotidiens de la mésentente entre ses parents? N’est-ce pas la lecture, propice à se distancier du quotidien, qui lui ouvrit des horizons autres que ceux qui lui étaient promis ? N’est-ce pas cette capacité à se «dédoubler» comme l’auteur le souligne, qui permit à
l’enfant de ne pas être dévasté par la folie maternelle?

En contrepoint de cette émergence de la conscience de soi, c’est celle d’une angoisse de mort tenace que nous narre C. Millet: la contingence d’une lecture, Contes et légendes du Moyen Âge français et ses héros disparus, mit la fillette «sous l’emprise d’images […] crépusculaires […] et d’histoires prises dans un lourd climat de fatalité.» (4) Peu de temps après, suite à un incident survenu au cours d’une chamaillerie avec son jeune frère – des
ciseaux lui éraflent la gorge – elle s’évanouit : «Quelque chose avait eu lieu dont j’avais été absente […] J’avais été au cœur d’un événement incompréhensible […] Dans les semaines
qui suivirent je me mis à parler de la mort avec insistance. […] Je vivais ainsi dans un état d’alerte permanent qui m’isolait des autres.» (5) Cette peur, nous dit C. Millet, «a pénétré jusqu’à une profondeur d’où elle est désormais indélogeable » (6).

Catherine converse avec Dieu. Son goût du savoir trouve, entre autres, à s’épanouir lors de leçons de catéchisme qualifiées de gaies et enthousiasmantes ; beaucoup moins des rencontres avec les abbés et autres confesseurs qui « faisaient partie de ces figures d’autorité auxquelles les enfants n’accordent aucun crédit […] ce qui n’était pas trop grave parce que je me débrouillais bien mieux directement avec Dieu » (7). Ainsi c’est sous le regard de Dieu «qui voit tout » qu’au moment de l’endormissement «des pensées qui m’avaient agitée ou les questions qui s’étaient présentées à moi pendant la journée s’inscrivaient dans ma tête aussi clairement que les lignes d’écriture sur les pages quadrillées de mes cahiers, et Dieu pouvait les lire. » (8) Ce monologue vespéral pouvait être entrecoupé d’images clandestines liées à la découverte subreptice d’une activité masturbatoire, imaginaire où s’ancrèrent les fantasmes ultérieurs.

Qui des mots ou des images influenceront le plus la petite fille ? Les uns disputent aux autres la première place. Les «impressions » laissées par les lectures ou les films avaient cette particularité d’être comme «transposées» dans la vie courante et vice versa : « Un
même continuum englobait [les] récits que je lisais, les histoires qui me maintenaient en haleine devant l’écran de télévision, ma vie telle que je me regardais déjà la vivre, et ma vie future que j’envisageais avec la même confiance que tout le reste ». (9)

Ce que l’auteur appelle sa vie «dédoublée», loin de «s’absenter du monde pour rejoindre un monde imaginaire [supposait] au contraire d’être hyperprésent dans le monde, sensible au plus petit détail qui le constitue » (10). C’est ainsi qu’à l’acmé d’une terrible crise maternelle que nous ne dévoilerons pas ici, Catherine, spectatrice, se déplaçait «déjà dans le récit de la scène […]. Il arrive que le regard se fixe sur le visible pour permettre à la conscience de se dérober; on ne peut être présent à l’intérieur d’une image» (11).

Flash back sur une enfance, le récit de Catherine Millet s’il éclaire ce qu’elle a fait de sa vie, nous éclaire nous aussi lecteurs, sur la nôtre.

 

1 Catherine Millet, Une enfance de rêve, Flammarion, 2014.
2 Ibid., p. 119.
3 Ibid., p. 123.
4 Ibid., p. 126.
5 Ibid., p. 130.
6 Ibid., p. 133.
7 Ibid., p. 138.
8 Ibid., p. 161.
9 Ibid., p. 251.
10 Ibid., p. 253.
11 Ibid., p. 263.

 

Source : Lacan Quotidien n°399

la chute dans la vie

1 juin 2014 | juin 2014 | brouillonne de vie | , , , , , , |

la chute de l’homme dans la banalité, sa « seconde chute » selon Heidegger, est une chute dans la vie (assomption meurtrière où nous sommes à la fois « les auteurs et les victimes »).

« Nous sommes devenus des êtres individués, c’est-à-dire non divisibles en eux-mêmes et virtuellement indifférenciés. Cette individuation dont nous sommes si fiers n’a donc rien d’une liberté personnelle, c’est au contraire le signe d’une promiscuité générale. »

« Tous télé-guidés » par Jean Baudrillard

 

 

 

(l’image, sa fiction POUR échapper au réel, où nous sommes tombés)

« Plus on avance dans l’orgie de l’image et du regard, moins on peut y croire. »

« Tous télé-guidés » par Jean Baudrillard

Catherine, spectatrice, se déplaçait «déjà dans le récit de la scène […]. Il arrive que le regard se fixe sur le visible pour permettre à la conscience de se dérober; on ne peut être présent à l’intérieur d’une image»

« De l’utilité des fictions »  par Jeanne Joucla citant ici Catherine Millet dans Une enfance rêvée.

et l’idée d’écrire La vie sexuelle de Catherine M. s’est imposée

1 juin 2014 | juin 2014 | en lisant | |

Et puis, cet ouvrage achevé je me suis trouvée pour la première fois dans ma vie professionnelle sans plus de gros chantier. J’étais disponible et l’idée d’écrire La vie sexuelle de Catherine M. s’est imposée. Elle appartenait à ce genre de pensées plus ou moins frivoles grâce auxquelles, de temps à autre, nous nous dégageons d’un quotidien pénible ou ennuyeux. Nous projetons de faire quelque chose plus tard, dans un futur hypothétique qui nous comblera ou nous grandira, mais ce quelque chose reste flou. Nous ne prenons jamais la peine de le préciser. Il pourrait rester une chimère parmi les autres qui périodiquement ressurgirait de façon fugace et nous accompagnerait toute notre vie, entretenant, jusqu’à ce que le décompte approche de son terme, l’espoir d’une autre vie. Mais voici que j’envisageai sérieusement cette chose : écrire une autobiographie qui ne tiendrait compte que de ma vie sexuelle. (A dire vrai «sérieusement » est un mot un peu trop fort car je ne pouvais envisager cette entreprise qu’à courte vue sans la distinguer ni tout de suite ni totalement du fantasme.)
Catherine Millet, Jours de souffrance, « Sur la plage » , p. 254.

(…) Ainsi , si je suis certaine que la première pensée d’un livre qui s’intitulerait « La vie sexuelle de Catherine M. » surgit avant la crise dont il est question dans ces pages, je ne peux toutefois guère la dater. Ni dire quand je m’en ouvris pour la première fois. Il m’arrive de questionner mon entourage pour tenter de réveiller mes propres souvenirs, mais, interrogé, Jacques ne se souvient pas plus que moi. Ce qui est certain, c’est qu’elle se cristallisa pendant la crise.
Ibid. p. 255

C’est donc alors qu’elle se détache de sa vie sexuelle débridée (à moins que ce ne soit cette vie qui se détache, d’elle, comme une peau), que l’idée d’écrire La vie sexuelle de Catherine M se « cristallise » . Cette vie alors soupçonnée d’avoir entraîné ce qui ne pouvait d’abord pas s’appeler infidélité, faute d’appartenir à son vocabulaire, mais qui devenait ça : l’infidélité de son mari, de Jacques, qui la chasse d’une sorte de paradis, où il n’est pas sûr que ce ne soit sa mère qui l’ait envoyée – cette parole : « elle doit coucher avec tout le monde ! », lui causant l’insupportable souffrance, causée par un seul, que ce livre s’attache à décrire, à comprendre.

Je suis seule ce matin et j’aime ça.

6 juin 2014 | juin 2014 | brouillonne de vie | |

vendredi 6 juin 2014

Je suis seule ce matin et j’aime ça. Hier, j’ai commencé d’aller mieux lorsque j’ai décidé d’étudier, de ré-étudier la grammaire et l’orthographe,  dans l’espoir de me trouver, faire un nouveau métier  dans l’édition – la correction d’orthographe, voire la réécriture, cela pouvant, éventuellement, s’étendre à la conquête d’un métier, comme celui, que découvrais hier, de secrétaire de rédaction multimédia, ou encore -mais cela me paraît beaucoup moins à ma portée, de journaliste multimédia.  Malgré moi, cette décision de partir à la conquête d’une orthographe impeccable, de me replonger dans la grammaire,  m’a réjouie; et moi qui me trouvais au matin décidément bien dépressive, malheureusement dépressive, désespérément dépressive, me surprenais soudain joyeuse.

Je cherche toujours ça , Retourner à l’école.

(Mais la dernière fois que je l’ai fait cela m’a effectivement apporté un métier qui m’aura nourrie pendant 10 ans… (la psychanalyse étant le métier qui m’aurait dû durer jusqu’à la mort, mais ça n’a pas marché…))

 

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Après vérification: les courses d’hier, sur http://www.mon-marche.fr/, m’auront pris une heure pratiquement, de 18 h 29 à 19h 24 ! Et  sur http://www.ooshop.com/  de 19 h 23 à 19h53 !!

 

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De sa chambre Jules laisse tous les matins la lumière allumée et je pense que c’est parce qu’il considère que c’est moi qui doit l’éteindre. Et je crains qu’il n’en soit ainsi. Qu’il y ait pour lui les choses, comme il en est pour moi, que l’Autre doit faire, que l’on ne fait pas soi-même de sorte que l’Autre puisse les faire, que l’on se garderait bien de faire ne voulant empêcher l’Autre d’avoir à le faire, l’Autre d’avoir une raison d’exister. Oui, que l’on ne saurait plus faire sans avoir à confronter une angoisse implacable. Cette aliénation, ce Pas-Sans-l’Autre. Pas sans maman.

 

J’ai dû donc bien aimer l’école.                             ( cet amour, je ne sais quel il est. peut-être simplement le seul                      désir                    de savoir, de                               connaître.     ( pourquoi l’ai-je    aimée    quittée

l’ai-je détestée ?

forever blind

(je décidais hier aussi de fermer le blog.)

 

f, l’autre soir, qui me disait que son seul désir était de pouvoir écrire son deuxième roman. ma surprise. (cette conversation longtemps faussée, jusqu’à ce moment-là, où j’ai compris qu’il me parlait sérieusement, que je n’étais pas celle qui était visée dans nos propos, qu’il me parlait de lui, sans me parler de moi, moi jusque là dans le brouillard de mon fantasme selon lequel il ne veut pas ce que je fasse ce que je veux.)

au final, il ne restera plus que le don de son corps pour signifier son existence

8 juin 2014 | juin 2014 | art | , , , , |

08-06-2014 14-47-34

là : http://www.flamme-eternelle.com/JOURNAL36.pdf

« Cinquante-deux jours à ce rythme, ce sera dur?

Dur, non, mais nécessaire. Tout d’abord, je n’ai rien d’autre à faire. Et surtout, comme l’ont démontré les Occupy Wall Street ou les manifestants sur la place Maïdan à Kiev, je vais donner mon corps, ma présence. C’est quelque chose dont je me sens capable. C’est le fait des gens qui doutent de la démocratie représentative et d’un système de délégation essouflé. Au final, il ne reste plus que le don de son corps pour signifier son existence. Je serai peut-être fatigué, de mauvaise humeur, mais je serai là. »

Le but n’est pas d’en finir avec le sens. Il n’est même pas de s’entendre : il est de parler à nouveau.

22 juin 2014 | juin 2014 | art |

« Il n’y a pas de sens pour un seul, disait Bataille. Ce qui fait sens, c’est ce qui ne cesse pas de circuler et de s’échanger, comme la monnaie en effet, mais comme une monnaie qui aurait une valeur incommensurable à aucune équivalence. Le sens est partagé où il n’est pas.

2014-05-15 16.25.17

[…] il s’agit de ceci : ce qui fait sens, c’est l’un qui parle à l’autre, de même que ce qui fait l’amour, qu’un(e) le fasse à l’autre. Et que l’autre soit tour à tour et simultanément, sans qu’il y ait de fin à ces allées-et-venues. Le but -s’il faut parler de but- n’est pas d’en finir avec le sens. Il n’est même pas de s’entendre : il est de parler à nouveau. » (je retrouve cette photo, je ne ne sais plus de qui est le texte, photographié dans un journal de Flamme éternelle)

Flamme éternelle, aucune œuvre qui m’ait récemment plus touchée. Sa fermeture prochaine. Tristesse. Tristesse. et l’oubli déjà. Y soit retournée ce week-end avec Annick, venue spécialement pour ça, son amie Miriam et Jules. Là, aperçu de loin l’expo de Wajcman, ne m’a pas intéressée.

2014-06-22 15.18.58

là bas, aujourd’hui, vu jules grandir – en confiance, chez lui, poisson dans l’eau, circuler, s’autonomiser, réaliser

(je suis réellement étonnée des effets que cette expo a sur lui. étonnée, fière)

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