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PORT-BOU – ALLEMAND ?

[ 31 janvier 2010 / 26 mars 2010 ]

Déjouque la cagoule magique,

le casque d’acier.

Nibelungs

de gauche, Nibelungs

de droite:

nettoyé, rhincé, purifié,

déchet.

Benjamin

vous non-dit, à jamais,

il oui-dit.

Ce genre d’éternité, aussi

sous les espèces du B~ Bauhaus :

non.

Pas de Trop tard,

un secret

Ouvert.

Les « Nibelungs de gauche» désignent un collectif: les étudiants « antifascistes» de 1968 qui élurent Benjamin comme leader spirituel tout en se présentant eux-mêmes en victimes de leurs pères. Comme Benjamin, Celan « dit non» pour « dire oui» : non à « ce genre d’éternité », non à toute éternité héroïco-transhistorique, non aussi à sa purification moderniste, non au fonctionnalisme ésotérique du Bauhaus. Celan met en parallèle l’isolement croissant de Benjamin et le sien, son propre sentiment de marginalisation parmi des gauchistes qu’il soupçonne, à tort ou à raison, d’être restés fidèles à l’appel des Nibelungs sous la cagoule magique d’un philo sémitisme ressentimental. Il les met dans le même sac que les « Nibelungs de droite », les nationalistes de « l’Allemagne secrète» critiqués par Benjamin, s’approprie l’adjectif « secret» et pose un « secret Ouvert» utopique, en lieu et place de la topique nationaliste. Quant à l’adjectif qualificatif « allemand », il est éjecté vers le titre, séparé par un trait de Port-Bou, la localité dans les Pyrénées espagnoles où Benjamin, poursuivi par la Gestapo, ne voyant plus d’issue, s’est donné la mort en 1940. L’évocation de Port-Bou place l’ensemble du poème sous l’angle du suicide et de la tombe de Benjamin en terre espagnole, sous l’angle du rétrécissement ultime de sa biographie dans l’impasse de l’histoire. Port-Bou serait-il allemand? La question du titre débouche sur un « secret Ouvert ». Ouvert serait-il la « petite porte étroite» par laquelle, selon Benjamin, le monde en ruines pouvait encore trouver une issue? On ne le saura pas. À 1’instar du philosophe, Celanconserve le missing link qui ouvre le dialogue avec le lecteur.

Andrea Lauterwein, Anselm Kiefer et la poésie de Paul Celan, Editions du regard, pp. 63, 64

Pas de Trop tard,

un secret

Ouvert.

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